Séisme en Syrie: l'humanitaire Raphaël Pitti dénonce "l'absence de prise de conscience du drame"

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Raphaël Pitti, médecin humanitaire, responsable formation de l’ONG Mehad-France, Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie et Moyen-Orient à l’IFRI et Ziad Majed, politologue, spécialiste de la Syrie, sont les invités du 8h20 pour évoquer le séisme qui a touché la Syrie et la Turquie.
Transcript
00:00 8 jours après le séisme qui a frappé le sud de la Turquie, la Syrie a un grand entretien
00:05 en forme de table ronde ce matin, car il est tout simplement impossible de regarder ailleurs.
00:10 Le bilan humain est catastrophique, 35 000 morts, mais l'ONU prévient déjà que ce
00:16 chiffre risque à terme de doubler.
00:19 Trois invités pour en parler ce matin, Dorothée Schmitt, responsable du programme Turquie
00:24 Contemporaine et Moyen-Orient de l'IFRI, auteur de « La Turquie en 100 questions », a
00:29 disparaître chez Talendier en avril prochain.
00:32 Ziad Majed, politologue, spécialiste de la Syrie, professeur à l'Université américaine
00:38 de Paris, auteur de « Dans la tête de Bachar el-Assad » chez Actes Sud.
00:43 Et pour finir ce tour de table, Raphaël Pity, médecin de guerre et de catastrophe, responsable
00:48 de formation de l'ONG Méade France.
00:52 Bonjour à tous les trois.
00:53 Bonjour.
00:54 Bonjour.
00:55 Et avant de parler de la situation géopolitique qui percute ce drame, ces mots, les vôtres.
00:59 Raphaël Pity, tout, absolument tout, a été balayé comme un château de cartes.
01:03 Les gens sont hébétés et terrifiés.
01:06 Ils errent en plein hiver, s'abritant comme ils peuvent.
01:08 Il manque absolument de tout.
01:11 Vous qui avez couvert tant de terrains de guerre, tant de catastrophes, de drames humanitaires,
01:16 quel sentiment vous traverse face à celle-là particulièrement ?
01:20 C'est l'absence de prise de conscience du drame qui s'est joué en quelques minutes,
01:28 d'une ampleur jamais atteinte ces 70 dernières années.
01:32 On est dans un territoire aussi vaste, semble-t-il, que celui de l'Allemagne, qui touche des
01:37 millions de personnes, qui a dévasté entièrement cette région, mettant des millions de personnes
01:46 sans abri, des milliers de victimes au même temps, des centaines de milliers de personnes
01:52 sous les décombres.
01:53 Personne n'a pris la réalité de cette ampleur et en particulier, j'en veux particulièrement
02:00 à l'ONU, de ne pas avoir pris conscience dès le départ de la réalité de ce drame
02:05 et de ne pas avoir déclaré un état d'urgence.
02:08 Il y avait nécessité de mettre en place un état d'urgence, une réunion immédiate
02:12 du Conseil de sécurité pour bien évaluer l'ampleur de cette catastrophe.
02:17 Cela n'a pas été fait et c'est dommage de l'apprendre que c'est hier soir seulement
02:21 que le Conseil de sécurité s'est réuni.
02:23 C'est un vrai scandale sur le plan d'un monde qui se veut très informé au fond et
02:30 vous vous dites « mais ont-ils pris conscience de ce drame ? »
02:34 « ont-ils réalisé ce qui se passait là, maintenant ? »
02:37 Et ça, vraiment, ça me révolte.
02:40 - Dorothée Schmid, même question pour vous.
02:42 Je rappelle que vous êtes spécialiste de la Turquie avec ses dizaines de milliers
02:45 de morts en une semaine.
02:47 On est au-delà du tremblement de terre de 1999 qui avait déjà fait 17 000 morts.
02:52 Sur place, certains évoquent un bilan probable de 100 000 morts turcs alors que plus d'un
02:57 million de personnes n'ont plus de toit, que le froid est glacial et que 20% du territoire
03:02 turc peut être considéré en urgence humanitaire.
03:06 Que ressentez-vous face à cela ?
03:07 - En fait, c'est un mélange vraiment d'effroi parce que ce que nous racontent les ONG, nos
03:15 amis sur place, c'est vraiment des scènes comme des scènes de guerre, pratiquement,
03:19 où effectivement tout s'est transformé en une minute, comme le disait Rafael Pitti,
03:23 tout s'est effondré.
03:24 C'est pas mal d'abattements parce que c'est très compliqué d'organiser l'aide dans
03:30 des conditions pareilles.
03:31 Et puis c'est aussi de la colère parce qu'on a aujourd'hui un contre-récit du gouvernement
03:35 turc qui explique que tout est sous contrôle et que rien n'est de la faute des autorités.
03:40 Mais à la fois dans la réponse à la catastrophe qui est quand même pas complètement à la
03:44 hauteur de ce qu'on pouvait espérer parce que le pays est en zone sismique et qui se
03:48 prépare depuis des décennies pour un très grave tremblement de terre.
03:51 Et puis pour ensuite, quand on passera de l'aide humanitaire à la reconstruction, on
03:57 sent très bien qu'aujourd'hui on est dans une confusion où le parti du président
04:02 Erdogan veut reprendre la main politiquement.
04:04 Donc on est vraiment à nouveau entré dans une phase politique.
04:06 - On va parler de tout cela, le grand écrivain turc Orhan Pamuk écrivait déjà dans le
04:10 point « Hier, je n'ai jamais vu un peuple aussi en colère ». Ils sont en colère les
04:16 Turcs ?
04:17 - Ils ne sont pas tous en colère parce que beaucoup sont abattus comme je le disais et
04:21 beaucoup ne sont même pas en état d'être en colère.
04:23 C'est-à-dire que là on a des centaines de milliers de gens qui sont sur les routes.
04:26 On sait qu'en Syrie depuis le début de la guerre on a deux tiers de la population qui
04:30 ont été déplacés aux réfugiés.
04:31 Mais aujourd'hui on va avoir des millions de déplacés en Turquie même.
04:34 Des gens qui ne reviendront jamais dans la région d'où ils sont partis.
04:37 - Ziyad Majed, vous êtes spécialiste de la région et de la Syrie notamment, particulièrement.
04:43 Le peuple syrien endure depuis 12 ans la guerre et les privations.
04:47 Avec ce tremblement de terre, c'est le malheur qui s'ajoute au malheur en fait.
04:50 - Exactement, c'est le malheur qui s'ajoute au malheur.
04:52 Et aujourd'hui on assiste à une inaction humanitaire de la part des Nations Unies qui
04:58 ressemble à l'inaction politique depuis 12 ans déjà.
05:01 Il faut rappeler qu'une grande partie de la population du nord-ouest de la Syrie est
05:07 une population de déplacés internes.
05:09 Ils ont été bombardés, ils ont été déportés de plusieurs régions de la Syrie.
05:13 Et depuis des années, ils sont du côté de Hedleb et dans la région d'Alep.
05:17 Leurs hôpitaux ont été systématiquement détruits par l'aviation russe et celle du
05:23 régime Assad.
05:24 Leur infrastructure sanitaire n'existe pas.
05:26 Certains sont dans des tentes, d'autres étaient dans des bâtiments qui se sont écroulés.
05:33 Et jusqu'à maintenant, il n'y a que certains convois qui ont réussi à rentrer dans ce
05:37 territoire, abandonné à lui-même et abandonné aussi à une température extrêmement glaciale
05:44 avec des milliers qui restent toujours sous les décombres.
05:48 - Raphaël Pitti, de quoi les populations sur place ont-elles le plus besoin aujourd'hui ?
05:52 Il y a les dizaines de milliers de morts qu'on a évoquées, mais il y a aussi les millions
05:56 de survivants qui sont précisément dans le froid, dans des tentes ou des abris de
06:00 fortune.
06:01 - Dans une situation de catastrophe, surtout d'un tremblement de terre comme cela, il
06:05 y a bien évidemment trois temps.
06:08 Pour les personnes qui sont impliquées, il y a ceux qui sont sous les décombres, bien
06:14 évidemment, et il faut de gros moyens d'étayage, de relevage aussi, etc. pour aller les chercher
06:20 et des moyens aussi qui sont aujourd'hui très sophistiqués, qui peuvent permettre justement
06:25 de trouver les survivants qui sont sous les décombres.
06:27 Ça, on est pris par le temps.
06:29 C'est une course contre le temps, surtout dans cette situation où il fait très très
06:33 froid et que l'hypothermie va se rajouter.
06:35 - Aujourd'hui, on est au bout du huit jours.
06:37 Alors, il y a encore eu un miracle avec un bébé il y a 48 heures, je crois, qui a été
06:41 sorti des décombres vivants.
06:43 - Absolument.
06:44 Donc ça, ça reste un miracle parce qu'on compte effectivement qu'à partir de la 72e
06:48 heure, généralement, le taux de survivants diminue de manière très importante et surtout
06:53 avec le froid, avec l'hypothermie.
06:54 Donc, il y a ce temps, ce temps de l'urgence extrême, rapide, pour lequel il faut beaucoup,
07:00 beaucoup de moyens, en particulier de moyens matériels et de spécialistes pour aller
07:04 chercher ces personnes dans les décombres.
07:07 Il y a bien évidemment ceux qui sont les victimes, les blessés.
07:11 Et là aussi, on se retrouve devant une situation où les hôpitaux sont submergés par le nombre
07:17 de victimes qui se présentent dans les hôpitaux.
07:19 Il faut absolument soulager immédiatement l'ensemble de ces structures sanitaires en
07:24 apportant des hôpitaux de campagne, des hôpitaux mobiles, surtout beaucoup de réanimation
07:30 dans cette situation-là, des moyens de dialyse parce qu'il y a des gens qui ont des syndromes
07:35 d'écrasement des membres qui entraînent des insuffisances rénales.
07:37 Et il faut bien évidemment, et donc dans cette période-là, il faut pouvoir évacuer
07:43 si possible les blessés les plus graves de la zone en les envoyant dans des structures
07:47 capables de les prendre en charge pour assurer leur survie, etc.
07:50 Et troisièmement, il y a la population impliquée, c'est-à-dire celle qui se retrouve sans
07:54 abri du tout et pour laquelle il faut impérativement mettre des tentes, etc.
07:59 - Mais l'aide, elle arrive là, notamment dans cette région d'Idlib ?
08:03 Vous disiez en 2020, je crois, vous disiez "Idlib sera la pire catastrophe humanitaire
08:10 avec ce séisme".
08:11 On y est là ?
08:12 - Mais absolument, totalement.
08:13 - C'est-à-dire que là, il y a des zones qui sont seules.
08:15 - Complètement rasées.
08:16 - L'aide n'arrive pas, il n'y a pas d'hôpitaux, il n'y a rien.
08:19 - Complètement rasées.
08:20 Durant toutes ces années, ces 2 800 000 personnes qui étaient sous tente, soutenues, bien
08:25 évidemment, par l'aide internationale, par l'intermédiaire de ce corridor humanitaire
08:29 qu'on n'a pas cessé d'enlever.
08:31 Il y avait quatre corridors humanitaires.
08:33 Progressivement, on en est arrivé à un seul corridor humanitaire.
08:36 Pour l'ensemble de cette population, les hôpitaux ont été bombardés.
08:40 Ils étaient techniquement en dessous des moyens et ils ont fait face à 11 000 victimes
08:46 qui sont arrivées dans ces quatre hôpitaux.
08:48 Il n'y a pas de réanimation, il n'y a pas d'oxygène dans cette zone-là.
08:52 - Aujourd'hui, un habitant d'Idlib, c'est quoi ?
08:54 Aujourd'hui, là, maintenant, pendant qu'on parle à 8h31, c'est quoi ?
08:57 Il fait quoi ?
08:58 - Il est complètement désemparé, il est psychotraumatisé, au sens propre du terme.
09:03 Il est hébété dans cette situation-là.
09:05 On a l'impression que, d'une certaine manière, ce peuple est totalement martyrisé.
09:11 Je dis bien martyrisé par 10 ans de guerre.
09:13 Il y a eu la Covid qui est passée par là.
09:15 Il y a maintenant le tremblement de terre.
09:17 C'est terrible ce qui survient pour ce peuple.
09:19 Je voudrais qu'on prenne conscience que ce peuple est complètement abandonné
09:22 et qu'il a été abandonné là, maintenant, pendant cette période,
09:26 pendant ces jours qui sont là.
09:28 Nos équipes m'ont tenté d'apporter, de les mettre à l'abri, etc.
09:32 Les hôpitaux sont totalement débordés.
09:36 Les gens n'en peuvent plus de travailler 24h sur 24,
09:38 ces quelques équipes dans ces hôpitaux-là.
09:40 Il n'y a pas eu de la possibilité de faire rentrer d'autres équipes
09:43 venant de Turquie ou d'ailleurs.
09:45 On ne les a pas laissées rentrer.
09:47 On n'a pas laissé rentrer du personnel.
09:49 On n'a pas laissé rentrer des moyens.
09:50 On n'a pas déployé un hôpital.
09:51 - On, c'est le régime de Bachar el-Assad.
09:53 - Non, c'est aussi la Turquie.
09:54 On aurait dû déployer un hôpital de campagne immédiatement à la frontière turque
09:58 pour prendre en charge les victimes qui étaient à l'intérieur de la zone de Idlib.
10:01 Nous l'avons demandé, ça n'a pas été fait.
10:03 - La Syrie vient d'autoriser l'ouverture de deux nouveaux points de passage
10:07 pour une durée de trois mois, Ziad Majed.
10:09 Est-ce qu'on peut espérer que l'aide humanitaire arrive enfin à Idlib,
10:14 soit fluidifiée, si j'ose employer ce terme ?
10:17 - Alors peut-être qu'il faut clarifier que le régime syrien n'a pas son mot à dire
10:21 par rapport au passage entre les frontières turques et syriennes.
10:26 C'est le Conseil de sécurité qui négocie, c'est la Russie,
10:29 qui pendant très longtemps émettait des veto ou menaçait d'utiliser les veto
10:34 si jamais on va ouvrir des couloirs humanitaires,
10:36 parce qu'il voulait que le régime lui-même, de ces régions,
10:40 des régions qu'il contrôle, puisse monopoliser tout ce qui est aide humanitaire.
10:44 En général, il détourne cette aide-là,
10:47 il l'utilise comme instrument aussi de punition ou de récompense.
10:52 Là, il y a des promesses comme quoi, en plus de Bab-el-Hawa,
10:56 qui est un passage entre la Turquie et la Syrie, il peut y avoir deux autres.
11:00 Sauf que, premièrement, pour le temps des gens qui sont les victimes directes
11:05 du tremblement de terre, c'est déjà trop tard.
11:09 Deuxièmement, le régime souhaite se repositionner en profitant de cette tragédie
11:15 pour montrer qu'il est toujours un acteur crédible.
11:17 - Il y a une instrumentalisation du tremblement de terre par le régime de Bachar el-Assad ? Expliquez-nous.
11:21 - Alors, il y a du côté du régime deux propagandes.
11:24 L'une qui cherche à dire qu'en grande partie,
11:27 la catastrophe actuelle et le manque d'aide humanitaire,
11:31 c'est à cause des sanctions occidentales et qu'en levant ces sanctions-là,
11:36 l'efficacité de l'aide serait au rendez-vous.
11:39 Ce qui est faux parce que les sanctions internationales,
11:41 jusqu'à maintenant, ne visent jamais tout ce qui est alimentaire et médical.
11:46 La deuxième propagande du régime, c'est de considérer que pour que l'aide humanitaire arrive,
11:50 il faut une normalisation politique.
11:52 Donc, il faut reconnaître la légitimité politique du régime.
11:56 Encore une fois, un régime accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité,
12:01 normalisé avec ce régime, c'est normalisé avec les crimes contre l'humanité,
12:05 c'est normalisé avec le viol, avec la torture, etc.
12:09 - Et quand vous entendez, on a vu cet article dans le Figaro de Georges M. Bruno
12:12 qui disait qu'Emmanuel Macron serait tenté par un rapprochement
12:16 avec Bachar el-Assad à l'aune de ce tremblement de terre...
12:20 - Non, moi je pense que tout ce qui pousse pour ce genre de rapprochement ou de normalisation
12:24 en évoquant le réalisme politique ou le pragmatisme,
12:28 se trompe complètement, parce que le réalisme veut exactement le contraire.
12:32 On a essayé pendant des décennies un certain réalisme qui cherchait la stabilité,
12:37 flirter avec les dictateurs pour éviter des conséquences.
12:41 On voit le résultat aujourd'hui, l'impunité,
12:45 accepter les crimes contre l'humanité dans cette région du monde
12:49 pousse au nihilisme, le sentiment d'abandon après 10 ans de guerre et de bombardement,
12:54 après la torture, les viols, les déportations, les vagues de réfugiés,
12:59 et maintenant le tremblement de terre en les laissant encore une fois
13:02 et en essayant de justifier que l'aide doit aller à celui qui les a bombardés pendant des années,
13:07 qui les a torturés pour trouver un moyen de calmer les choses.
13:13 On se trompe complètement et je pense qu'aujourd'hui ce qui est important
13:18 c'est de trouver des moyens d'acheminer cette aide humanitaire.
13:21 Et qu'elle arrive enfin !
13:23 Même dans les zones contrôlées par le régime, on peut toujours trouver des moyens.
13:28 Raphaël Fiti, vous qui connaissez bien la région, vous y êtes allé de nombreuses reprises en Syrie.
13:33 34 fois.
13:35 Qu'est-ce que vous ressentez quand vous entendez, peut-être qu'on pense,
13:38 se rapprocher de Bachar el-Assad ?
13:41 M. Malbruno est la voix de son maître Assad depuis des années.
13:45 Encore hier soir, on me demandait de débattre avec lui.
13:48 Il est bien question, j'ai refusé de le faire.
13:51 Bien évidemment, je ne suis pas là pour un débat politique,
13:53 je suis là pour un débat humanitaire, comme vous ce matin.
13:56 Et donc il essaye bien évidemment de soutenir son maître dans cette situation-là.
14:01 Je rappelle que lors d'une réunion il y a deux ans avec M. Macron,
14:05 les ONG, nous étions là présents déjà pour un problème de couloir humanitaire
14:10 et le président Macron avait dit que jamais la France,
14:13 la solution politique en Syrie ne passerait par Assad.
14:16 J'espère très fortement que le président se tiendra à ces mots qu'il a lui-même prononcés.
14:21 Jamais.
14:21 On rappelle que Georges Malbruno est journaliste au Figaro.
14:26 Oui, bien évidemment, mais en tous les cas,
14:29 on tente aujourd'hui, comme vous le disiez à l'instant, d'instrumentaliser cela
14:33 pour essayer de faire reconnaître le Assad et de le légitimer.
14:39 Dorothée Schmid, regardons maintenant du côté de la Turquie
14:43 où des élections sont à venir en mai, dans trois mois.
14:47 Erdogan va-t-il payer dans les urnes ce tremblement de terre ?
14:51 Y a-t-il un risque politique majeur ?
14:53 Pour lui, excusez le cynisme de cette question.
14:57 Alors la première chose que je voudrais dire,
14:58 c'est que cette catastrophe d'une ampleur absolument extraordinaire,
15:02 puisque c'est un des plus gros séismes du 21e siècle,
15:07 il noue à nouveau le sort de la Turquie et celui de la Syrie.
15:11 Donc ça, c'est quand même très intéressant,
15:12 parce que la Turquie, vous savez que c'est un pays qui a eu un rôle dans la crise syrienne
15:17 et qui aujourd'hui n'est plus en mesure d'assumer finalement ses obligations humanitaires.
15:22 Pourquoi ? Parce que l'épicentre du tremblement de terre, il est en Turquie.
15:25 Pour le moment, il y a dix fois plus de morts en Turquie qu'en Syrie.
15:28 En Syrie, ils sont probablement sous-estimés, mais en Turquie aussi, je tiens à le dire.
15:31 C'est-à-dire que là, les secours n'ont pas fini le boulot.
15:34 Or, la question aujourd'hui que se posent les Turcs et les ONG sur place,
15:38 c'est est-ce qu'on va commencer à reconstruire tout de suite
15:41 pour permettre au régime de reprendre la main ?
15:43 Donc est-ce qu'on va achever de déblayer très tôt ?
15:46 Et c'est vraiment un sujet dans certaines villes,
15:48 notamment à Antioche, qui a été secourue très tard parce qu'elle était très peu accessible.
15:54 Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ?
15:55 Est-ce qu'on va chercher les cadavres vraiment pour ensuite permettre aux familles
16:00 de faire leur deuil avant de reconstruire ?
16:01 Mais là, il y a une urgence pour Erdogan parce qu'il est vraiment mis en cause
16:05 sur sa capacité de réponse, qui n'est pas à la hauteur, mais bon,
16:08 effectivement, qui serait à la hauteur d'une catastrophe pareille, encore une fois ?
16:11 Mais la Turquie aurait dû être mieux préparée.
16:13 Et là, on voit très bien que ce n'est pas le cas.
16:15 On a aussi une crainte que les municipalités qui sont contrôlées par le parti du président
16:19 soient favorisées.
16:20 Il se trouve que c'est une région où 8 municipalités sur 10 à peu près
16:24 sont contrôlées par l'AKP.
16:26 Raphaël Pitié.
16:28 Dans cette région, il y a plus de 3 millions de Syriens qui sont réfugiés en Turquie.
16:33 La situation devient dramatique pour eux.
16:35 Ils étaient déjà ces derniers temps très discriminés, en tous les cas,
16:38 par les Turcs eux-mêmes, compte tenu de leur situation politique et économique
16:42 dans lesquelles ils se trouvaient.
16:43 Il y a tout à fait le risque que l'on voit réapparaître la crise des réfugiés de 2015-2016,
16:49 que ces 3 millions décident de quitter, eux aussi, la Turquie pour venir en Europe.
16:54 Il y a tout à craindre.
16:55 Je voudrais rappeler aux Européens en particulier qu'il y a ce danger
16:59 et que nous devons aider absolument la Turquie pour essayer de se stabiliser
17:03 par rapport à cette population-là.
17:05 Sinon, nous allons les voir venir et traverser la mer Égée.
17:07 Ça, c'est l'argument qui marche.
17:09 Et que va être utilisé...
17:12 C'est ça qui marche pour mobiliser les Européens.
17:14 C'est "attention, ils vont venir ici, à nous".
17:15 C'est bien triste, mais c'est comme ça.
17:17 De toute façon, Erdogan va aussi l'utiliser, bien évidemment, ce chantage qu'il a déjà fait.
17:21 Dorothée Schmitt sur ce point.
17:22 Alors, effectivement, on parle d'une région en Turquie
17:24 où on a d'abord énormément de réfugiés syriens qui se sont stabilisés,
17:27 qui s'étaient installés.
17:29 Il ne faut pas croire qu'ils étaient dans des camps.
17:30 C'est des gens qui vivaient précisément dans ces villes construites en dur,
17:34 enfin en dur, en moyennement dur, puisqu'aujourd'hui, elles se sont écroulées.
17:37 C'est aussi une région où on a beaucoup de déplacés kurdes intérieurs de Turquie
17:41 qui sont venus s'installer du fait des combats entre le PKK et les autorités turques à l'Est.
17:45 Et c'est une région qui est un peu, ce que je dis toujours, Antioch,
17:48 c'était le cul-de-sac des minorités en Turquie.
17:50 C'est l'endroit où on a aussi des chrétiens, des alévies, on a un mélange ethnique.
17:54 Et aujourd'hui, on a un retour de racisme en Turquie qui est extrêmement fort.
17:59 Les partis politiques qui mènent la campagne pour les élections,
18:02 qui théoriquement doivent avoir lieu au printemps,
18:04 avaient pratiquement un seul point d'accord entre Erdogan et l'opposition,
18:07 c'était qu'il fallait se débarrasser des réfugiés syriens.
18:10 Donc, effectivement, aujourd'hui, on va avoir une pression extrêmement forte.
18:12 D'une part parce que, depuis Idlib, les Turcs craignent depuis très longtemps
18:17 d'avoir un nouvel afflux de réfugiés.
18:18 Donc, ils veulent absolument sceller complètement la frontière.
18:20 Parce que là, ils ne sont pas du tout en état, évidemment,
18:23 d'accueillir les gens dans cette région en particulier.
18:25 On va avoir des déplacés qui vont être turcs, qui vont être syriens,
18:28 qui ne pourront pas se reloger forcément partout en Turquie
18:31 et qui, évidemment, pour beaucoup d'entre eux, et particulièrement les Syriens,
18:35 n'auront pas pour projet de rester en Turquie à partir du moment où ils ne sont pas désirés.
18:39 - Ziad Majed sur ce point.
18:41 - Oui, tout à fait. En fait, pour les Syriens,
18:43 ils n'ont pas le droit non plus de se déplacer librement en Turquie.
18:47 Ça dépend du lieu de résidence approuvé par les mairies concernées.
18:51 Il y avait un projet d'Ardaugan, en tout cas,
18:53 c'est ce qu'il essayait de présenter pour parler avec les Russes
18:58 et ce qu'on avait évoqué comme une possible normalisation avec le régime syrien.
19:04 Il avait promis de renvoyer des réfugiés syriens en Syrie,
19:08 dans la zone même sinistrée aujourd'hui.
19:10 Cela n'est plus possible.
19:12 Donc, je comprends parfaitement des craintes que certains Syriens
19:16 vont essayer de quitter le territoire, vont essayer de trouver un moyen pour survivre
19:21 et pour garantir à leurs enfants un futur,
19:26 d'où une possible crise de réfugiés.
19:29 Et malheureusement, il n'y a que la peur aujourd'hui,
19:32 les crispations identitaires et la peur des réfugiés
19:35 qui peut pousser certains gouvernements européens à se mobiliser un peu plus
19:38 et à envoyer de l'aide humanitaire qui est un besoin et une urgence absolue en ce moment.
19:44 - Allez, on va passer au Standard Inter.
19:46 Oh là, c'est un citoyen qui nous attend.
19:48 Philippe, bonjour, vous nous appelez de Bordeaux.
19:52 - Oui, bonjour. Bonjour Léa Salamé, Nicolas Demorand et bonjour à vos invités.
19:56 Je vais poser une question simple, effectivement, en tant que citoyen.
19:59 Quand j'entends tout ce que j'entends,
20:01 j'ai qu'une envie, ayant du temps devant moi,
20:03 j'ai envie de partir là-bas pour aider.
20:06 Pour aider, ne serait-ce qu'avec mes petites mains, mes petits doigts,
20:09 pouvoir aider les personnes qui en ont besoin.
20:11 On imagine qu'il y a de grands besoins là-bas d'aide,
20:16 mais effectivement, est-ce qu'il est utile d'aller sur place ?
20:21 Demande à vos invités.
20:23 Ou alors, il vaut mieux rester ici et envoyer de l'argent.
20:26 Bon, on voit partout des demandes de dons,
20:29 mais on ne voit nulle part des possibilités de partir pour aider, en fait.
20:33 - Merci Philippe pour cette question.
20:36 Raphaël Pitti, que répondre à notre auditeur ?
20:39 - Alors, je suis toujours très admiratif et d'une certaine manière,
20:43 depuis toutes ces années où je suis dans l'humanitaire,
20:46 je reconnais à notre peuple au même temps,
20:48 cet élan de générosité qui est très important, vraiment.
20:54 Et je remercie cet auditeur en tous les cas de ressentir ce besoin d'aller vers l'autre
20:59 qui est en situation de souffrance.
21:00 Mais dans la situation telle qu'elle se présente,
21:03 il est très important que l'aide soit coordonnée.
21:05 Et donc, il appartient à la Turquie en particulier d'organiser l'aide
21:12 sur les grands principes, car il existe des grands principes d'organisation
21:16 de situations de catastrophe.
21:19 Elle coordonne l'ensemble et elle manifeste les besoins qu'elle a vis-à-vis des autres pays.
21:26 Et donc, il appartient à la France d'organiser ses équipes,
21:29 qu'elle mette à la disposition de la Turquie de manière à rendre efficace cette aide
21:35 et non pas des gens qui arrivent et qui sont complètement perdus dans un système
21:39 qu'ils ne comprennent pas.
21:40 - Zia de Majette, sur la question de Philippe.
21:43 - J'ajouterai juste à ce qu'a dit Raphaël Pitti avec toute l'admiration à Philippe,
21:48 que par rapport à la Syrie, il est impossible de se rendre sur le terrain.
21:51 Donc, vaut mieux peut-être contribuer, aider des organisations crédibles
21:57 de la société civile sur place.
21:59 - Je donne juste un exemple.
22:01 Moi, on me demande depuis huit jours à qui on doit donner.
22:03 Les White Helmets ou les Casques Blancs sont une structure
22:07 qui a fait un travail énorme durant les bombardements et maintenant.
22:11 Il y a également l'association que dirige Raphaël Pitti, MEAD,
22:15 et il y a d'autres associations.
22:17 Mais le temps, encore une fois, presse et la crédibilité, elle est là et il faut l'identifier.
22:24 - Et je précise que France Inter est associée sur cette catastrophe humanitaire
22:30 avec la Fondation de France.
22:32 Raphaël Pitti ?
22:33 - Il se trouve que, pour nous, depuis dix ans,
22:35 nous avons des équipes qui sont sur place dans la zone de Idlib.
22:38 On a environ 1 200 personnes dans l'ensemble du nord de la Turquie.
22:43 Elles sont là, elles sont présentes, elles sont disponibles.
22:45 - Et elles ont besoin de quoi ?
22:47 - Elles ont besoin, justement, que nous puissions leur apporter financièrement.
22:51 Il faut que nous puissions leur apporter, d'abord, des moyens matériels en médicaments,
22:57 en structure, puisque nous avons lancé des cliniques mobiles.
23:03 Il nous faut soutenir, apporter les moyens en dialyse, en réanimation.
23:07 Il y a des besoins qui sont énormes.
23:08 Et puis, il y a toutes les populations.
23:10 Il faut les mettre à l'abri, bien évidemment.
23:13 - Donc votre ONG, MEAD France, M-E-A-D France, les Casques Blancs, on a entendu.
23:19 Et évidemment, la Fondation de France, où on sait que l'argent arrive au bon endroit.
23:24 Une question de Dupley sur l'application de France Inter.
23:28 Que font les États musulmans pour aider la Turquie et la Syrie ?
23:32 Dorothée Schmitt, vous avez des éléments.
23:34 - Alors, le sujet de l'aide internationale est très intéressant,
23:37 parce qu'on voit qu'il y a un afflux énorme d'aide gouvernementale,
23:41 mais aussi privée, avec des collectes très, très importantes dans les pays du Golfe,
23:45 qui atteignent des dizaines de millions de dollars.
23:49 L'émir du Qatar a été le premier chef d'État étranger à se rendre en Turquie après la catastrophe.
23:54 Donc là, il va y avoir un sujet diplomatique très intéressant,
23:56 parce qu'en fait, les Européens vont être déclassés presque mécaniquement,
24:00 en réalité, en termes de proportion de l'aide.
24:02 Mais Osola Von der Leyen, la présidente de la Commission,
24:05 a annoncé quand même une conférence des Bayeux de coordination.
24:10 Néanmoins, vraiment, on voit ce nouveau monde émergeant,
24:14 où nous sommes des acteurs presque impuissants au Moyen-Orient.
24:19 - Non, je... - Ziad Majed ?
24:20 - Non, je veux juste, par rapport à la Syrie, même du côté des zones contrôlées par le régime,
24:25 il y a de l'aide qui arrive de l'Algérie, de l'Égypte, de l'Iran, du Liban et de l'Irak,
24:31 et des Émirats arabes unis et du Bahreïn,
24:33 deux régimes arabes qui avaient déjà normalisé avec Assad.
24:37 Du côté de la Turquie, le Qatar se mobilise.
24:39 Et il y a beaucoup de dons qui se font via des réseaux pieux, musulmans,
24:46 qui appellent à aider nos frères et nos sœurs, etc.
24:48 Donc il y a beaucoup d'aide qui vient de ce côté-là.
24:50 Mais encore une fois, son acheminement vers le nord-ouest syrien est une exception,
24:55 parce que le territoire est assiégé et l'aide n'arrive pas de la même manière.
24:59 - Encore un mot, Dorothée Schmitt ?
25:00 - Je voulais juste dire que l'Algérie a annoncé 45 millions d'aides,
25:04 ce qui est absolument faramineux,
25:06 alors que le Maroc s'aligne sur l'Algérie négativement,
25:10 sans annoncer d'aide pour la Turquie, par exemple.
25:12 C'est extrêmement intéressant, ce qui va se passer aujourd'hui sur la diplomatie de l'aide internationale.
25:16 - Merci. - Merci à tous les trois.
25:18 - Merci beaucoup d'avoir été à notre micro ce matin, Dorothée Schmitt, Ziad Majed et Raphaël Pitti.
25:24 - Merci à vous. - Merci infiniment.

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