Que deviendront mes enfants après ma mort ? Une question que certains parents peuvent se poser parfois, un sujet qui peut angoisser ces derniers.
Mais pour les parents d’adultes en situation de handicap, c’est une question permanente et obsédante surtout lorsque l’on vieillit et que l’on perd soi-même en autonomie…
Existe-t-il des lieux adaptés à des familles touchées à la fois par le handicap et la dépendance liée à l’âge ?
Des solutions existent-elles pour sortir ces familles de l’isolement auquel elles sont souvent confrontées ? Et plus généralement, comment rendre la société plus inclusive ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Invités
Marie-Anne Montchamp : Directrice générale de l’OCIRP - Ancienne secrétaire d’État
Cathy Apourceau-Poly : Sénatrice communiste des Hauts-de-France
Emmanuel Bonneau : Directeur général de l’association Handi-Espoir
Éric Baumié : Administrateur national de l’APAJH
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Mais pour les parents d’adultes en situation de handicap, c’est une question permanente et obsédante surtout lorsque l’on vieillit et que l’on perd soi-même en autonomie…
Existe-t-il des lieux adaptés à des familles touchées à la fois par le handicap et la dépendance liée à l’âge ?
Des solutions existent-elles pour sortir ces familles de l’isolement auquel elles sont souvent confrontées ? Et plus généralement, comment rendre la société plus inclusive ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Invités
Marie-Anne Montchamp : Directrice générale de l’OCIRP - Ancienne secrétaire d’État
Cathy Apourceau-Poly : Sénatrice communiste des Hauts-de-France
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NewsTranscription
00:00 Mon enfant après moi de Martin Blanchard, un très beau documentaire qui nous montre un lieu adapté à ses familles,
00:06 touché à la fois par le handicap et par la dépendance liée à l'âge, car on y pense peu.
00:11 Mais oui, quelle frayeur, quelle terreur pour les parents vieillissants de ne pas savoir qui s'occupera de leur enfant une fois qu'ils seront partis.
00:19 La si belle structure que l'on découvre dans le film est-elle l'exception ou la règle ?
00:24 Parlons-en avec nos invités.
00:26 Marianne Monchamp, bienvenue à vous. Vous êtes fondatrice et présidente de l'agence Entreprise et Handicap,
00:31 directrice générale de l'OSIRP, Union d'institution de prévoyance.
00:35 Vous avez été secrétaire d'État chargée des personnes handicapées sous Jacques Chirac,
00:39 secrétaire d'État chargé des Solidarités et de la cohésion sociale sous Nicolas Sarkozy.
00:44 Katia Poursopoli, bienvenue à vous également.
00:46 Vous êtes sénatrice communiste du Pas-de-Calais, membre de la Commission des Affaires Sociales
00:50 et membre du groupe d'études Handicap ici au Sénat.
00:54 Éric Beaumier, bienvenue. Vous êtes administrateur national de l'APAGE,
00:58 c'est l'Association pour adultes et jeunes handicapés.
01:01 Vous avez un fils, porteur de trisomie, qui a 38 ans et qui vit, lui, dans un foyer
01:05 depuis une dizaine d'années de façon complètement autonome.
01:07 Vous nous raconterez comment ça se passe.
01:09 Emmanuel Bonneau, bienvenue à vous également.
01:11 Vous êtes directeur général de l'association Andy Espoir,
01:14 c'est l'association dont dépend la maison d'accueil familial Le Boîtisson d'eau
01:19 que l'on découvre dans ce film, dans ce très beau documentaire,
01:22 plein de témoignages émouvants, mais qui pose pas mal de questions
01:26 et je voudrais qu'on commence par des questions concrètes, si vous le voulez bien.
01:29 Emmanuel Bonneau, quels sont les critères pour être accueilli au Boîtisson d'eau ?
01:34 J'imagine qu'il y a une longue liste d'attentes, que vous sélectionnez les familles.
01:39 Comment faites-vous cette sélection ?
01:41 – Alors, deux petites choses.
01:42 La première chose, c'est qu'on n'a pas une grande liste d'attentes.
01:46 – D'accord.
01:46 – Mais ça peut s'expliquer, je vais y revenir.
01:49 Mais on a gardé depuis 15 ans toujours les mêmes critères.
01:52 D'abord, on se situe autour du projet de l'adulte en situation de handicap.
01:57 Et contrairement à certaines présentations
01:58 où l'on dit qu'on reçoit des parents âgés avec leur enfant handicapé,
02:01 nous on met toujours en avant qu'on reçoit un adulte en situation de handicap
02:05 avec ses parents âgés.
02:07 Les parents nous disent toujours que le projet c'est celui-ci,
02:10 ils viennent chercher une solution pour leur enfant.
02:12 La réalité est toute autre,
02:13 ils viennent d'abord chercher une réponse à la question qu'ils se posent eux.
02:16 Mais en partant sur le principe qu'on accueille d'abord l'adulte
02:19 en situation de handicap avec ses parents,
02:21 ça nous donne une autre perspective, une autre façon d'accompagner.
02:24 Donc la première chose c'est vraiment que l'ensemble de la famille participe
02:28 et soit adhérente au projet de continuer à vivre ensemble.
02:31 – D'accord.
02:31 – Donc on va vérifier à la fois auprès du parent ou des parents,
02:34 on va vérifier auprès de l'adulte en situation de handicap
02:37 son adhésion à ce projet-là.
02:39 Et ensuite on essaie de voir comment on va pouvoir être la bonne réponse
02:45 à ce moment-là de leur histoire.
02:46 C'est jamais une réponse définitive, elle est requestionnée tout le temps.
02:49 Donc on rentre, mais on peut aussi sortir quand le projet n'est plus adapté.
02:53 – Et pardon pour la question que je vais vous poser,
02:54 mais elle est importante, combien ça coûte ?
02:56 – Eh bien ça coûte…
02:57 – D'intégrer un établissement comme celui-là, d'intégrer une boitissante d'eau ?
03:00 – Ça coûte pas plus cher que de rentrer dans n'importe quelle institution médico-sociale
03:03 puisque pour la partie personnes handicapées,
03:05 on a une tarification établissement d'accueil médicalisé en tout ou partie,
03:11 ex-foyer d'accueil médicalisé, avec une participation de la personne handicapée
03:16 proportionnelle à ses revenus, et la différence entre le prix de revient
03:20 et la participation, c'est le conseil départemental qui la couvre.
03:25 Et pour les parents, on est une résidence autonomie,
03:28 et ce qui fait un peu la spécificité…
03:30 – Donc là c'est le prix d'un EHPAD vous voulez dire ?
03:31 – Alors c'est pas le prix d'un EHPAD, c'est le prix d'une résidence autonomie,
03:34 donc on a juste un tarif hébergement, on n'a pas de tarif soin ou de tarif dépendance.
03:40 Et oui, celui-ci est à la charge des parents.
03:43 – Donc il faut quand même avoir des revenus corrects, je veux dire,
03:46 et c'est pas une critique, mais il faut des revenus corrects
03:48 pour pouvoir intégrer cette maison quand même.
03:50 – Pas plus cher que de rentrer dans n'importe quel établissement pour personnes âgées,
03:54 et on a aussi des places habilitées à l'aide sociale pour des familles
03:57 qui n'auraient pas les moyens de payer leurs prestations.
04:01 Ce qu'il faut comprendre dès le départ,
04:03 et ce qui rend notre établissement quasiment non duplicable,
04:08 c'est qu'on a un modèle économique qui a été basé sur un choix politique
04:13 de créer cette maison, et donc on a un tarif personne âgée
04:17 qui d'emblée a été fixé, non pas en fonction des dépenses à couvrir,
04:21 mais en fonction de la capacité des gens à payer.
04:24 Et dans le cahier des charges, nous avons donné cette obligation
04:28 de pouvoir accueillir toutes les familles, même les plus modestes.
04:32 – D'accord, elle est importante quand même cette question de financement,
04:34 et là je me tourne vers vous tous, on ne sait pas trop comment ça fonctionne,
04:38 mais c'est le département qui peut donner des aides,
04:41 parce que c'est le département qui est en charge de cette question
04:43 de l'accompagnement du handicap, et pas tellement l'État, Marie-Anne Monchamp.
04:47 – Dans notre pays, effectivement, le département a un rôle absolument majeur
04:52 dans le financement des politiques de l'autonomie.
04:55 La Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie le sait bien,
04:58 qui au-delà des financements dont elle dispose, et qui sont conséquents,
05:03 mais est juste émergente en fait dans sa capacité à prendre en charge
05:08 ce besoin de financement global.
05:09 Et le département est la cheville ouvrière à mains égards,
05:14 sur le plan des financements, mais pas que.
05:16 C'est au fond la collectivité territoriale de la proximité,
05:22 qui effectivement est sans doute le mieux placé
05:25 pour appréhender les besoins du territoire,
05:28 la situation des populations qui y vivent,
05:31 et qui est donc un interlocuteur naturel.
05:33 C'est pour ça que la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie,
05:37 qui est une caisse de sécurité sociale comme les autres,
05:39 n'est pas tout à fait une caisse de sécurité sociale comme les autres,
05:41 parce que sa gouvernance comporte la représentation
05:46 des départements de France.
05:48 Cette maille territoriale, elle est décisive.
05:50 Financement, mais pas que financement, réponse aux besoins.
05:53 Et le terme qui était utilisé à l'instant par Emmanuel,
05:59 c'est un terme très important, il s'agit de construire des réponses.
06:02 Et on ne construit pas des réponses comme on construit des solutions,
06:05 ça n'est pas qu'un jeu de langage.
06:07 – Donc ça fonctionne bien tel que ça fonctionne aujourd'hui,
06:11 Cathy Apoursopoli, c'est bien que ce soit le département,
06:14 que ce soit à cette échelle que cette question soit gérée,
06:17 ou il faudrait que l'État y apporte aussi sa petite touche, d'après vous ?
06:22 – Oui, il y a évidemment le département qui joue ce rôle dans chaque territoire,
06:28 et je pense qu'il est indispensable que ça reste à l'échelle du département,
06:33 parce que forcément le département connaît la situation sociale,
06:39 et la situation, puisqu'il travaille également souvent en rapport avec les ARS.
06:44 – L'Agence régionale de santé.
06:46 – L'Agence régionale de santé.
06:48 Ensuite, je pense qu'effectivement, il y a tout ce niveau associatif qui existe,
06:56 parce que les associations, donc financées en majeure partie,
07:01 généralement par le département, sont indispensables sur le territoire.
07:06 Après, je pense que oui, l'État doit aider les départements
07:11 et compenser financièrement la charge qu'elles dépensent pour ces questions,
07:19 parce qu'autrement, les départements d'abord,
07:22 n'ont pas les mêmes capacités financières,
07:26 nous sommes dans des situations très variées,
07:29 moi je suis dans le Pas-de-Calais, le budget d'aide sociale dans le Pas-de-Calais
07:33 est très très important, nous finançons aussi l'APA,
07:38 avec évidemment l'aide aux personnes à l'autonomie,
07:45 mais il y a évidemment des subventions d'État,
07:47 et heureusement, autrement nous ne pourrions pas tenir.
07:50 Mais je pense que oui, l'État a un rôle primordial à jouer auprès des départements
07:56 pour les soutenir et pour qu'ils puissent y avoir un financement
08:01 et pour qu'ils puissent y avoir une égalité sur l'ensemble du territoire français.
08:06 – Alors, dans le film, on découvre cette superbe maison d'accueil familiale
08:10 et on se dit "chouette, il existe des beaux endroits
08:12 pour ces familles qui sont en difficulté",
08:14 mais la réalité, c'est que ce type de maison
08:16 ne se trouve pas partout sur le territoire, très loin de là,
08:19 et vous allez nous en dire un petit peu plus.
08:21 D'ailleurs, les pensionnaires, on le voit,
08:22 elles sont soulagées lorsqu'elles obtiennent une place.
08:25 Je vous invite à revoir cet extrait avec nous.
08:27 – On n'a pas le choix, on est là pour la même raison que tout le monde,
08:30 parce qu'on a des enfants handicapés
08:32 et qu'il n'y a pas d'autres structures en France de ce genre-là.
08:36 Il y a des EHPAD, il y a des trucs, mais il n'y a rien pour les handicapés.
08:39 Si, pour des handicaps très légers, que voulez-vous ?
08:43 – Mais quand on arrive ici, on fait ouf.
08:47 [Générique]
08:48 – Eh oui, on fait ouf, dit cette dame Éric Beaumier.
08:51 C'est vrai que la maison que l'on voit dans ce documentaire,
08:54 c'est l'exception ou pas tant que ça ?
08:57 – Alors, ce ne sont pas des établissements,
09:00 il n'y a pas de nombreux établissements de ce type.
09:03 En même temps, c'est une réponse à un besoin spécifique,
09:06 et je crois que la particularité du monde du handicap,
09:09 c'est qu'il est multiple, il est divers,
09:13 plus encore que dans le monde ordinaire.
09:18 Les adultes qui sont pris en charge, qui sont accompagnés
09:21 et qui sont accompagnés de leurs parents également,
09:24 c'est un cas, mais ce n'est pas le cas général.
09:27 Et si je reviens à mon cas personnel,
09:31 je n'aime pas trop parler de moi, c'est encore mon fils.
09:34 La réponse, elle est autre,
09:35 puisqu'il est dans une structure qui est un foyer d'hébergement.
09:39 Un foyer d'hébergement, c'est un établissement où il vit,
09:42 où il a sa chambre, où il a ses amis, où il a sa copine, voilà.
09:47 Mais la contrainte pour être dans un foyer d'hébergement,
09:49 c'est qu'il faut travailler.
09:52 Et que le jour où on ne travaille plus,
09:53 on ne peut plus être en théorie dans un foyer d'hébergement.
09:57 Ce qui veut dire que...
09:58 Il faut avoir un handicap adapté à un travail, alors.
10:02 Non, non, non.
10:03 Le foyer d'hébergement est réservé aux personnes
10:07 qui sont en situation de travail,
10:10 donc dans un ESAD, dans une entreprise adaptée,
10:13 voire même dans le monde ordinaire, peut-être.
10:15 Mais ce que je veux dire, c'est que le jour
10:18 où un travailleur handicapé prend sa retraite,
10:23 il perd le droit d'être dans le foyer d'hébergement.
10:27 Autrement dit, une personne qui prend sa retraite,
10:30 on va lui dire "Ah, il faut déménager".
10:33 "Vous ne restez pas là où vous habitez aujourd'hui".
10:35 - Donc vous la partagez, cette inquiétude
10:37 dont je parlais en introduction ?
10:39 - Alors, je la partage que modérément,
10:42 parce que j'ai la chance que cet établissement soit
10:46 dans un département, le Val-de-Marne, pour ne pas le nommer,
10:48 où la politique départementale fait que,
10:54 même si la personne ne travaille plus,
10:57 elle conserve son droit à rester dans le foyer d'hébergement.
11:01 Et j'ajouterais que le département du Val-de-Marne
11:05 a changé de couleur politique il n'y a pas très longtemps,
11:09 et que cette politique, elle est restée.
11:11 Il y a un certain consensus pour la bonne cause
11:18 et pour la cause du handicap.
11:19 Mais ça, ce n'est pas le cas général.
11:21 - Mais vous soulevez un sujet qui est intéressant.
11:23 C'est-à-dire que si on n'est plus en situation d'actifs,
11:27 si on ne travaille plus, on n'est plus dans ces foyers.
11:29 Qu'est-ce qui se passe alors ?
11:29 - En fait, il y a deux sujets qui s'entrecroisent.
11:32 Il y a la question du vieillissement général
11:34 de la population française.
11:36 On en parle beaucoup en ce moment,
11:38 mais là, il s'agit du vieillissement.
11:40 Cela veut dire que les gens avancent en âge,
11:43 ils sont de plus en plus âgés.
11:44 Dans le reportage, on a cette dame de 104 ans avec son fils,
11:48 avec un retard intellectuel,
11:49 et qui forcément développe une autonomie
11:51 qui n'est pas tout à fait la même
11:53 que celle qu'elle avait 20 ans plus tôt.
11:54 Ça, c'est une première tendance.
11:57 Qui vient croiser une deuxième tendance,
11:59 la situation de nos concitoyens en situation de handicap,
12:03 qui avancent aussi en âge,
12:04 mais qui doivent connaître des rythmes de vie
12:07 appropriés à la fois à leur âge,
12:09 mais aussi à leur situation de handicap.
12:11 Le handicap, si vous voulez,
12:13 quand on a dit "handicap", on n'a rien dit.
12:15 Il faut parler des personnes et de leur situation.
12:18 Et c'est là que nos politiques publiques
12:20 sont parfois un peu "en poulets",
12:21 si vous me passez l'expression.
12:23 C'est qu'elles ont tellement l'habitude
12:24 d'être normatives et descendantes
12:26 et de chercher des solutions qui sont généralistes,
12:30 qu'elles ont du mal à se trouver à la croisée de ces chemins
12:33 où il faut répondre à des parents qui avancent en âge,
12:37 à une personne en situation de handicap
12:39 qui avance en âge également,
12:41 et en prenant en compte ses besoins spécifiques.
12:44 Ça, c'est un défi pour nos politiques publiques
12:45 et si vous me permettez, c'est maintenant.
12:47 Pour moi, c'est l'étape d'après de nos politiques publiques,
12:51 celle d'être capable de soutenir des réponses
12:53 plutôt que de chercher des solutions clés en main.
12:55 D'autant plus que l'espérance de vie augmente pour tout le monde,
12:58 y compris pour les personnes en situation de handicap.
13:00 Emmanuel Bonneau ?
13:01 Oui, bien sûr, et peut-être même encore plus vite,
13:04 à part un public un peu spécifique
13:06 que dans le champ du handicap psychique où les gains sont moindres.
13:10 Mais pour l'ensemble du monde du handicap,
13:13 autrement, bien sûr, on augmente en âge.
13:15 Et les ruptures de parcours sont aussi de plus en plus nombreuses
13:19 puisqu'on est de moins en moins dans des accompagnements linéaires
13:23 où on rentrait à l'IME à 3 ans, à 20 ans, on allait en foyer
13:28 et puis on finissait sa vie autour de 55 ans.
13:30 Aujourd'hui, la question est beaucoup plus large, elle va plus loin.
13:33 Et ce qu'évoquait Éric Beaumier, c'est une réalité.
13:36 Aujourd'hui, à 55 ans, au départ de l'ESAT,
13:39 des personnes en situation de handicap
13:40 retournent au domicile de leurs parents qui ont déjà 85 ans.
13:44 Faute d'autres solutions d'hébergement.
13:45 Quand il y a encore des parents, quand il y a un domicile,
13:48 quand il y a une possibilité d'accueil,
13:49 que deviennent ceux qui n'ont pas cela ?
13:52 Que deviennent-ils ?
13:53 La collectivité va, de fait, le téléphone va sonner.
13:57 Sous quelle forme ?
13:57 On va travailler plus tôt et puis on va les mettre en priorité
14:00 dans des institutions, dans des établissements
14:03 qui vont les accompagner.
14:05 Des foyers de vie, des unités pour personnes handicapées vieillissantes.
14:09 Aujourd'hui, on en crée de plus.
14:11 Ou des EHPAD.
14:12 Parfois, malheureusement, on est pas comme le dit.
14:14 Alors ça, c'est quelque chose qu'on ne sait pas trop.
14:17 Alors, nous, on...
14:19 Moi, je ne mettrais pas le malheureusement en réalité
14:21 sur la question de l'EHPAD.
14:23 Tout est une question de préparation et d'accompagnement.
14:25 Et d'adaptation du modèle de l'EHPAD, si on peut le dire.
14:27 Oui, oui, mais...
14:28 Je veux juste dire ça comme ça.
14:30 À travers les unités, actuellement, les unités d'accueil
14:34 pour les personnes handicapées vieillissantes au sein des EHPAD.
14:36 Quand c'est pensé pour.
14:37 Quand c'est pensé pour.
14:38 Et quand c'est pensé en termes de parcours de vie.
14:41 C'est-à-dire qu'à un moment, on doit passer de cette unité spécialisée.
14:45 La question qui se pose aujourd'hui est vraiment une question aussi
14:47 de plateau technique et de réponse technique
14:50 à la spécificité du handicap qu'on ne retrouve pas forcément dans les EHPAD.
14:53 Katia Pourchopony.
14:54 Vous l'avez fort bien dit, on entend le ouf de cette dame.
14:59 Il parle de lui-même, ce ouf.
15:01 Et j'entendais dans ce film la maman de Marie-Madeleine qui disait
15:06 "Que va devenir mon enfant demain quand je ne serai plus là ?"
15:09 ou "Je me pose la question tous les soirs en me demandant
15:13 si demain je serai encore là."
15:16 Moi, je suis assez d'accord.
15:17 Il n'y a pas un handicap.
15:19 Il y a des handicaps différents.
15:22 Différents.
15:23 Et donc, les solutions doivent être multiples.
15:27 Je le pense.
15:28 Je pense qu'il faut tout de même revisiter les politiques publiques
15:35 parce que forcément, nous rencontrons autour de nous des gens,
15:39 chaque jour, je peux vous dire, dans les permanences,
15:42 qui nous appellent en disant "Mon enfant va avoir 20 ans demain,
15:46 il n'a pas de solution."
15:48 "Mon enfant est en situation de handicap."
15:53 "Je vieillis."
15:55 "Je n'arrive plus à m'en sortir."
15:57 "Je ne sais pas comment je dois faire."
15:58 On a une idée de combien de personnes ça concerne ou pas ?
16:00 On a une idée de ça ?
16:02 Ça, c'est un vrai problème.
16:03 On n'a pas de données.
16:04 Pourquoi ?
16:05 Le problème, c'est qu'on a eu des politiques publiques au fur et à mesure.
16:09 On a eu des...
16:11 Mais nous n'avons pas, je pense, d'expertise précise.
16:15 Pourquoi ? On ne s'en occupe pas ?
16:16 Pourquoi on ne fait pas d'études ?
16:17 Pourquoi on ne sait pas combien de personnes ça concerne ?
16:20 On a une vision assez négative de ces familles-là.
16:25 Et elle n'intéresse peu les chercheurs.
16:27 On a aujourd'hui, encore aujourd'hui, une histoire qui fait...
16:32 Il y a peu de temps encore, j'étais avec un représentant d'un département
16:35 qui disait "Mais ces familles, elles vont disparaître."
16:37 Pourquoi est-ce qu'on irait créer une situation spécifique pour ces familles-là ?
16:41 Puisque le système est fait pour un dépistage et une prise en charge précoce.
16:47 Et donc des personnes qui vieilliront avec leurs parents, ça n'existera plus.
16:52 Or, c'est tout le contraire.
16:53 C'est ce que vous entendez.
16:54 C'est tout le contraire qui se passe.
16:55 On en a de plus en plus qui vieillissent avec leurs parents
16:57 parce que les parcours sont de plus en plus...
17:00 Il y a de plus en plus de ruptures.
17:02 Moi, je vis sur un département qui est très attractif pour les personnes âgées
17:05 qui viennent passer leur retraite en Vendée
17:08 et qui n'ont qu'une hâte, c'est de faire revenir leur enfant
17:12 dans une institution sur le département.
17:14 Mais il n'y a pas de place.
17:15 Donc ils les reprennent à leur domicile et dix ans plus tard,
17:18 ils reviennent vers nous en nous disant "Qu'est-ce qu'on fait de ça ?"
17:20 Éric Gommier ?
17:21 - La problématique, en fait, c'est une question de place, effectivement,
17:25 parce que les places pour les adultes vieillissants,
17:28 elles ne sont pas aussi nombreuses que ça.
17:29 Et puis, la difficulté quand en plus il y a un changement de département...
17:36 Là, je crois qu'effectivement, c'est compliqué pour des parents
17:41 de trouver des places.
17:43 Et le vrai problème, à mes yeux, on l'a un petit peu abordé tout à l'heure,
17:48 c'est que quand on est obligé de trouver une place en urgence,
17:52 on ne trouve pas nécessairement la place la mieux adaptée.
17:56 - Exactement.
17:57 - On n'a pas la bonne réponse.
17:59 - D'où l'EHPAD.
18:00 - L'EHPAD, voire des maisons d'accueil spécialisées,
18:05 voire des foyers d'accueil médicalisés pour des adultes
18:10 qui sont en autonomie, suffisamment développés
18:14 pour ne pas fréquenter ce genre d'établissement.
18:16 - Marie-Anne Monchon, et ensuite on va regarder un autre extrait.
18:18 - Ce que je veux dire aussi, c'est que s'il est difficile d'identifier vraiment
18:22 la complexité du besoin, on va dire ça comme ça,
18:25 pour ne pas parler que nombre, il y a aussi la complexité du besoin,
18:28 c'est qu'il ne faut pas oublier aussi qu'il y a des personnes
18:32 en situation de handicap qui vivent chez leurs parents,
18:35 mais qui sont, ce qu'on a appelé, naguère, des sans solutions.
18:39 C'est-à-dire des gens, je pense en particulier à des personnes
18:42 avec des handicaps psychiques, qui est encore une spécificité,
18:47 vraie sur l'espérance de vie, mais vraie aussi sur les réponses
18:51 qu'on peut proposer à nos concitoyens en situation de handicap psychique
18:54 et qui souvent vivent chez leurs parents, et donc passent,
18:58 si vous me passez l'expression, sous les écrans radars.
19:00 Et donc il est difficile de se projeter, et c'est là qu'on peut avoir
19:03 des situations d'extrême urgence, et quand il y a extrême urgence,
19:07 on arrive toujours à faire face naturellement,
19:09 mais pas forcément de manière optimale.
19:11 Et puis j'ajoute qu'une politique publique aujourd'hui qui évolue,
19:15 c'est celle de l'âge, avec cette ambition de vieillir chez soi.
19:19 Mais attention, si donc on va sur l'ambition du vieillir chez soi,
19:23 il faut imaginer que vieillir chez soi, ça embarque aussi des familles complexes
19:28 avec des situations d'enfants en situation de handicap
19:31 qui sont des adultes et qu'il faut anticiper.
19:33 – Alors trouver une place dans ce type de maison, on l'a vu,
19:35 c'est parfois un ouf de soulagement, et puis dans certains cas,
19:38 c'est carrément une question de survie.
19:40 Là c'est Pascal, le fils d'Audette,
19:42 qui l'exprime de façon très forte dans le film, écoutez.
19:45 – Ce n'était plus possible pour nous de rester où on était,
19:49 parce qu'on était dans une maison qui n'était pas…
19:53 On ne voyait personne, on voulait se suicider.
19:56 Un jour on voulait ouvrir le gaz.
19:58 Oui, oui monsieur.
20:03 On voulait mettre fin à nos jours, ma mère et moi.
20:08 Parce qu'on n'était que tous les deux, on était seuls.
20:11 Et la solitude, il n'y a pas pire que la solitude.
20:14 – Voilà, il l'exprime de façon extrêmement émouvante,
20:19 il nous émeut à nouveau, il nous parle de suicide.
20:21 Là non plus, j'imagine qu'on n'a pas de chiffres,
20:23 mais certains franchissent le pas, Emmanuel Bonneau ?
20:25 – Certains franchissent le pas, les médias nous le rappellent de temps en temps,
20:29 quand ils sont informés, mais on n'a pas de données.
20:33 – C'est une détresse qui passe sous les radars là aussi.
20:35 – Oui, oui.
20:36 – Ils sont très seuls, aussi très seuls parce que parfois les entourages,
20:38 la famille ne veut pas s'en occuper.
20:40 Ça aussi c'est bien dit dans le film.
20:42 – Ça c'est une réalité de 80% des familles qu'on a accompagnées depuis 15 ans,
20:47 c'est un grand isolement.
20:49 Quand ils viennent ici, quand ils sont prêts à traverser la France
20:52 pour venir dans cette maison, c'est évidemment parce qu'ils n'ont pas d'attache
20:55 sur le lieu où ils vivent aujourd'hui, sinon nous on ne les prendrait pas.
20:59 On serait très vigilants à maintenir le lien familial.
21:03 Et souvent, ici chez nous comme dans les autres établissements pour personnes âgées,
21:09 la fratrie ou les autres enfants s'éloignent, disparaissent
21:15 et rassurés du devenir de leur frère ou leur sœur,
21:20 continuent leur vie et avec un éloignement qui se confirme souvent.
21:25 – Dans le film, il y a Armène qui le dit très bien,
21:28 elle dit que personne dans la famille n'a voulu d'elle
21:30 parce qu'elle est handicapée et elle se met en colère.
21:33 Il y a aussi les entourages qui désertent, alors on n'est pas obligés de juger mais…
21:37 – En même temps, je crois qu'il faut être prudent,
21:40 ce n'est pas à la fratrie de prendre totalement en charge
21:46 l'adulte en situation de handicap à la mort de leurs parents.
21:50 Je crois qu'il appartient aux parents aussi de prévoir ce genre de choses.
21:57 À telle enseigne que quand notre fils est rentré en foyer d'hébergement,
22:05 son frère et sa sœur nous ont dit merci.
22:08 Parce que c'était quoi ? C'était pas "on ne va pas s'en occuper",
22:12 ce n'est pas la question du tout.
22:14 Mais c'est le fait que s'il nous arrivait quelque chose à mon épouse et à moi,
22:18 il n'y avait pas à traiter l'urgence du placement de notre fils.
22:23 La solution, elle était mise en place, elle était pérenne,
22:28 et donc le frère et la sœur pouvaient vivre leur vie
22:35 et avoir une relation de fratrie normale avec leur frère.
22:40 – C'est très intéressant.
22:42 – Pardonnez-moi, on rencontre beaucoup de pères et de mères qui ont un enfant
22:50 qui est en situation de handicap et qui ne souhaitent pas non plus,
22:54 comme vous venez de l'exprimer, que ce soit les frères et sœurs
22:58 qui prennent en charge quand on disparaît,
23:02 l'enfant, enfin le frère ou la sœur en situation de handicap.
23:07 Et je pense que dans la tête des parents, c'est légitime.
23:11 Les autres enfants ont aussi une vie, ils ont aussi une vie à se construire.
23:16 – C'est bien que vous le disiez, effectivement,
23:17 parce qu'il doit y avoir de la culpabilité.
23:18 – Ils ont aussi une vie à se construire et je pense que, voilà,
23:23 beaucoup de parents réfléchissent à ça aussi pour que la charge
23:26 ne revienne pas après au frère ou aux sœurs.
23:29 – Quand il y en a.
23:30 – Voilà, quand il y en a, évidemment.
23:32 – C'est pour ça, si vous me permettez, c'est que, vous voyez,
23:35 dans la recherche de ces réponses, il faut que les réponses soient compatibles
23:40 avec la préservation des liens affectifs de la famille élargie.
23:44 Et très souvent, et c'est intéressant de regarder le parallélisme,
23:47 vous savez, quand vous regardez ce qui se passe
23:49 dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes,
23:52 c'est curieux de voir qu'il y a assez peu de familles.
23:54 Alors d'abord parce que les gens sont plus âgés,
23:56 mais aussi parce que la réponse qui est apportée là, quelque part,
24:00 elle fait peur aussi et parfois, il arrive qu'elle contribue
24:04 à l'éloignement de la famille.
24:06 C'est pour ça que dans nos réflexions et dans les réflexions des politiques publiques,
24:09 ce sont des réponses qui doivent à la fois faire face aux situations,
24:13 mais aussi ne pas être en quelque sorte une espèce de, comment dirais-je,
24:19 d'effet parfois un peu repoussoir, vous voyez,
24:23 pour la famille qui serait soit un peu culpabilisée,
24:26 soit au contraire aurait une charge mentale trop forte.
24:30 Et je voulais ajouter que c'est intéressant la question des suicides,
24:33 parce que quand vous regardez les statistiques des suicides en France,
24:36 le gros du chiffre des suicides, c'est après 65 ans.
24:40 Et il y a une corrélation entre vieillissement et suicide
24:44 et dans le témoignage tellement émouvant que nous avons entendu dans ce documentaire,
24:50 je pense qu'on est aussi dans un des éléments qui expliquent ces résultats très lourds.
24:56 – Dans le film, Emmanuelle Bonneau, vous allez pouvoir peut-être m'apporter une réponse,
25:00 on voit que ce sont essentiellement des mères qui s'occupent de leur enfant,
25:04 adultes handicapés, moi ça m'a beaucoup frappée.
25:06 Alors j'ai eu envie de regarder un petit peu les chiffres,
25:08 je me suis demandé pourquoi vous ne voyez que des femmes
25:11 avec cet enfant devenu adulte handicapé.
25:14 J'ai trouvé les chiffres de la Direction de la recherche des études de l'évaluation
25:17 et des statistiques relativement récent, 2020, et j'ai trouvé ceci.
25:21 30% des ménages bénéficiaires de l'AEEH, Allocation d'éducation de l'enfant handicapé,
25:25 sont des familles monoparentales, et écoutez bien, 9 fois sur 10,
25:29 ce sont des mères avec leur enfant.
25:32 Est-ce que ça veut dire que le handicap repose essentiellement sur les mamans
25:37 lorsqu'il apparaît dans une famille et que le papa s'en bat ?
25:41 Oui, c'est une évidence.
25:43 C'est une réalité.
25:44 Oui, bien sûr, et de nombreux couples ne survivent pas à l'annonce du handicap.
25:49 Mais c'est la mère qui reste.
25:51 Et c'est la mère qui reste.
25:53 Une petite nuance sur ce qu'on voit dans le film,
25:56 puisqu'on touche une génération qui, malgré tout,
25:59 ne se séparait pas si facilement que ça autour du handicap.
26:03 Ce qu'il faut comprendre, c'est que ce qui fait que le moment où la vie à domicile n'est plus possible,
26:08 le veuvage est un élément déclencheur.
26:11 L'équilibre familial tombe au moment du veuvage.
26:14 Et comme les hommes meurent plus tôt que les femmes,
26:17 c'est aussi pour ça que vous vous retrouvez avec des...
26:20 On a accueilli, au début, des militants qui souhaitaient développer ce type d'accueil.
26:27 On a accueilli plusieurs couples.
26:29 On a eu deux messieurs. Un qui est décédé au bout de 15 jours.
26:33 Il nous a dit "J'ai mis ma femme et mon fils en sécurité, maintenant je peux partir."
26:38 Et le deuxième, il est parti en trois mois.
26:41 Il était en sursis d'un cancer qui a été foudroyant à partir du moment où il nous a dit
26:46 "J'ai mis ma femme et ma fille", sa femme qui était très lourdement handicapée
26:50 et sa fille qui est polyhandicapée, "était dans l'établissement et lui s'est autorisé à partir."
26:54 On a eu deux autres couples qui sont arrivés et qui sont repartis.
26:58 Parce que ce n'était pas le bon moment.
27:00 Dans leur histoire, il n'y avait pas d'urgence à rentrer ici.
27:02 Ils ont voulu anticiper la question du devenir.
27:05 Et ce qu'on a pu se dire, ils ont fait le sacrifice de leur vie conjugale,
27:09 ils ont fait le sacrifice de leur vie parentale,
27:12 ou familiale, personnelle plutôt, voire professionnelle,
27:15 pour être avec leur enfant.
27:16 Situation de handicap et on a très vite, on s'est dit "ça ne fonctionne pas".
27:19 Mais les autres, effectivement, celles qui ont vécu toute leur vie seules avec leur enfant,
27:23 c'est une petite minorité des personnes qu'on accompagne.
27:25 – Ce sont évidemment des situations qui nous poussent à la remise en question
27:28 de nos modèles de société.
27:30 Sont-ils suffisamment inclusifs ?
27:32 Je me suis posée cette question, notamment quand j'ai entendu la maman d'Armel nous dire ceci.
27:37 – Ça fait 56 ans qu'elle vit avec moi.
27:41 D'un seul coup on lui dit "oui, mais maintenant tu vas prendre tes décisions toute seule".
27:47 Ça, elle ne comprend pas.
27:50 Elle ne comprend pas.
27:53 – Marianne Manchand, pourquoi pendant 56 ans, on n'a pas appris,
27:56 quand je dis "on", c'est les parents, la société,
27:59 à Armel, ou aider sa maman à apprendre, à Armel à prendre des décisions elle-même ?
28:04 Est-ce que ça pose question sur la façon dont nous ne rendons pas autonomes
28:09 les personnes handicapées dans notre pays ?
28:11 – C'est effectivement tout un projet de société,
28:14 on le retrouve sur l'ensemble des sujets sociaux.
28:17 C'est quoi le combat, si je puis dire ?
28:20 Aider, bien sûr, c'est notre modèle social, il est là pour ça,
28:24 mais notre ambition collective, quelle est-elle ?
28:26 Moi je crois, mais c'est une longue histoire d'engagement politique,
28:30 que c'est l'affirmation de la citoyenneté pleine et entière de nos concitoyens,
28:34 quelle que soit leur spécificité.
28:36 Alors effectivement, comment ça s'exprime la citoyenneté
28:39 quand on est en situation de handicap, avec un retard intellectuel,
28:42 ou des troubles psychiques, où on est privé de sa liberté,
28:45 du fait des pathologies psychiatriques ?
28:47 Et c'est là qu'effectivement, il me semble que nos politiques publiques
28:50 peuvent contribuer à inciter véritablement à cette nouvelle maturité,
28:57 vous voyez, de nos réponses, pour accompagner,
29:00 mais alors là, à chaque personne, un besoin spécifique,
29:05 ce qu'on appelle le pouvoir d'agir.
29:07 Alors c'est un grand mot, il faut être là-dessus à la fois très humble
29:11 et très ambitieux, mais je crois que l'affirmation sans cesse
29:14 que notre modèle social pour l'autonomie, c'est celui qui affirme
29:18 la citoyenneté pleine et entière de nos concitoyens,
29:21 quelle que soit leur spécificité, ça, si je puis dire, c'est la base,
29:25 c'est le socle, et là, il faut que nous retravaillons, vous voyez.
29:29 Il n'y a pas de pensée magique, ça ne se passe pas dans un shaker
29:32 où on met les gens ensemble, on touille, et puis après,
29:34 la société, c'est un peu plus compliqué que ça,
29:37 et c'est surtout, ça appelle une dimension terriblement personnalisée.
29:42 Ça permettrait la prévention pour que ces mamans-là n'en arrivent pas
29:45 à ce genre de situation. Si la société a aidé leur enfant
29:47 en situation de handicap à mieux être intégrée, à travailler,
29:50 elle ne serait pas dans cette détresse peut-être,
29:53 à se retrouver toute seule une fois, à un âge où elles sont
29:56 elles-mêmes dépendantes, à devoir trouver une solution d'urgence
29:58 pour leur enfant. C'est un idéal, mais... Eric Baumier ?
30:01 Il me semble qu'il faut faire attention parce que chaque cas est particulier.
30:07 Alors, on pointe du doigt la personne en situation de handicap,
30:13 mais en même temps, il n'est pas tout seul dans cette histoire-là.
30:16 Il y a le parent. Avec un parent, et je m'abstiendrai surtout
30:20 de tout jugement, mais il y a le parent qui, pour certains,
30:24 a du mal à voir son enfant prendre de l'autonomie,
30:30 parce que, à tort ou à raison, et encore une fois, je ne juge pas,
30:35 mais c'est son enfant et il a besoin d'être protégé.
30:40 Plus que les autres ? Absolument. Et de façon ultra-protecteur.
30:44 Donc vous voulez dire qu'il entretient, malgré lui,
30:47 la non-autonomie de son enfant ? De façon complètement inconsciente.
30:50 Et je vais vous donner un exemple pour illustrer mes propos.
30:53 On a un foyer de vie dans lequel on a quelques places d'urgence.
31:01 Et un jour, une mère de 86 ans doit être hospitalisée d'urgence
31:07 pour un problème médical, et sa fille, qui avait entre 50 et 60,
31:12 je ne sais pas exactement, qui avait toujours vécu avec sa mère,
31:16 arrive dans notre foyer de vie.
31:19 Et puis les choses ne se passent pas trop mal.
31:24 La mère est soignée, tant mieux, la mère va mieux,
31:29 elle sort de l'hôpital et naturellement nous dit
31:32 "Je vais pouvoir réaccueillir ma fille chez moi".
31:36 Et là, la fille lui dit "Non, ma place est ici, je suis bien, j'ai des amis".
31:43 Elle avait pris son envol.
31:46 Elle avait pris son envol, mais cet envol, elle aurait probablement
31:50 pu le prendre plus tôt, et encore une fois, je ne jugerais surtout pas.
31:53 Mais il y a un mécanisme psychologique qui se met en place,
31:55 qui potentiellement infantilise ces adultes.
31:59 Ce n'est pas infantiliser, c'est de la protection.
32:02 On est vraiment sur une question...
32:06 C'est encore une fois très complexe.
32:08 On a cette forme de fragilité et de responsabilité
32:12 face à la fragilité de son enfant quand on est une mère.
32:15 Et que cette fragilité soit réelle ou supposée.
32:19 Et bien souvent, on est dans la supposition,
32:22 puisque la plupart de ces personnes n'ont pas été confrontées
32:25 à une forme de développement de leur capacité, de leur autonomie.
32:28 Et c'est même d'ailleurs quelque chose qui est assez constant
32:32 et qui d'ailleurs source progressivement d'un repli sur soi.
32:36 Plus on considère que son enfant...
32:39 Moins on met son enfant en situation de réussite,
32:41 plus on considère qu'il est fragile.
32:43 Et donc, plus on va le protéger,
32:44 moins on va le mettre en situation de réussir quelque chose.
32:47 Donc ça, c'est quelque chose qu'on essaie,
32:49 et les familles qu'on accueille au Boiticento
32:51 sont assez caractéristiques de ces familles
32:53 qui y sont allées assez loin.
32:55 Mais parfois, ça se joue à pas grand-chose.
32:59 C'est un conflit, c'est une violence dans une institution,
33:04 c'est le fait d'avoir voulu passer le relais,
33:07 et puis d'avoir voulu faire confiance,
33:09 et puis finalement de se rendre compte que l'institution...
33:12 Ce qui est expliqué, l'institution a été maltraitante.
33:14 Parfois, c'est rien du tout.
33:16 - Décevante.
33:17 - Et puis, s'il nous aide à la ferme,
33:19 comment vous pouvez dire qu'il ne peut pas aller travailler en ESAT ?
33:22 Et il ne va pas aller enfiler des perles dans un foyer occupationnel.
33:25 Donc, il revient à la ferme.
33:27 À ses 20 ans, il quitte l'IME.
33:29 Il y a eu tout un travail éducatif de fait qui s'arrête du jour au lendemain,
33:32 parce que l'enfant revient au domicile parental,
33:34 et 35 ans plus tard, on accueille la famille.
33:37 Et cette famille a toujours en tête que le professionnel
33:40 est quelqu'un qui ne sait pas ce qui est bien pour son enfant.
33:43 Et donc, il y a cette perte de relation, de confiance,
33:45 dans laquelle nous, on va venir construire,
33:47 commencer à construire des choses, tout en essayant de ne pas culpabiliser
33:50 et de dire "voyez tout ce que vous n'avez pas bien fait pendant 50 ans".
33:53 - Kestia, pour ce point de vue, peut-être que vous concluez, on en arrive à la fin.
33:56 - Il y a évidemment le rôle des parents.
33:59 Et évidemment, je pense que quand on a un enfant en situation de handicap,
34:04 on le protège plus qu'un autre.
34:06 Je le pense.
34:07 Mais il y a aussi le rôle de la société.
34:10 Comment on permet aux enfants qui sont en situation de handicap
34:15 de développer leur citoyenneté et de leur offrir des places
34:20 en nombre suffisant, parce qu'aujourd'hui, il y a quand même,
34:25 on n'a pas le temps de l'aborder, on ne peut pas tout aborder,
34:27 mais il y a quand même de nombreux enfants qui sont sur le côté
34:31 et qui n'ont pas de place en institution.
34:33 Et donc, je pense que ce rôle se construit aussi,
34:37 personne par personne, avec les institutions.
34:40 Je pense qu'il y a le rôle des parents, mais comment on permet
34:43 à chaque citoyen, quel qu'il soit, en situation de handicap ou pas,
34:49 de grandir et de pouvoir jouer complètement ce rôle de citoyenne.
34:52 - On s'arrêtera sur ce souhait, sur cet appel.
34:54 Merci à tous les quatre d'avoir participé à cet échange.
34:57 Merci à vous de nous avoir regardés, comme toutes les semaines.
35:00 Merci beaucoup. À très vite sur Public Sénat.
35:03 (Musique)