• l’année dernière
Transcription
00:00 * Extrait de « La vie de la vie » de Yannick Lambert *
00:19 Bonjour à tous et bonjour à toutes.
00:20 Une nouvelle semaine du Book Club débute.
00:22 Vous avez été très nombreux, très actifs sur le compte Instagram du Club de lecture
00:26 de France Culture ce week-end.
00:28 Alors un grand merci pour tous vos conseils et toutes vos impressions de lecture.
00:32 * Hashtag Book Club Culture *
00:34 Ce lundi midi, nous nous replongeons dans les années 80 et 90, celles qu'on a appelées
00:38 les années Sida, quand un virus inconnu décimait une bande de copains du marais parisien, quand
00:44 un virus très virulent bouleversait une famille de commerçants d'un village de l'arrière-pays
00:48 niçois.
00:49 Les premiers sont homosexuels, les seconds, usagers de drogue, « toxicos », « toxicomanes
00:53 » disait-on à l'époque.
00:54 Pour ne pas les oublier, deux romanciers racontent leur histoire.
00:59 On les accueille dans un instant avec nos lecteurs et lectrices.
01:01 Comment tout a commencé ?
01:02 Cette lecture m'a profondément touchée et ramenée au début des années 80.
01:06 Il parle parfaitement de cette période chaotique et difficile.
01:09 Il parle du milieu queer, d'hypersexualité, de séropositivité.
01:13 Parce qu'avec ce témoignage, je découvrais les années Sida.
01:18 Et c'est très précieux.
01:20 *Générique*
01:28 Les membres de la communauté du Book Club qui nous accompagnent ce midi, Isabelle,
01:32 Nicolas, Gabriel et Victoria qu'on va retrouver tout au fil de l'émission.
01:35 Bonjour Philippe Jouhanny.
01:36 Bonjour.
01:37 Vous venez de publier votre deuxième roman, sobrement mais puissamment, intitulé « 95
01:42 », il paraît aux éditions Grasset 95.
01:44 Une référence à 93 de Victor Hugo qui racontait les pires années de la révolution française.
01:50 Les années de la terreur.
01:52 En 95, dans votre roman, c'est une autre terreur qui frappe vos personnages, votre
01:57 bande de copains.
01:58 La terreur que sème le virus du Sida et la mort qui plane au-dessus de leur vie.
02:02 Oui, c'est ça.
02:05 Oui, c'est surtout en effet comment est-ce qu'on se débrouille quand on est dans une
02:12 situation comme celle-là, une expérience limite, quel choix on fait, quelle décision
02:16 on prend.
02:17 On est jeune, on n'a pas 30 ans.
02:20 Si on est étudiant, est-ce qu'on continue, est-ce qu'on poursuit ses études ? Si on
02:25 est dans le monde professionnel, est-ce qu'on envisage une carrière ? Qu'est-ce qu'on
02:31 fait ?
02:32 Ça remet en cause tous les choix de vie qu'on a pu faire, tous les projets aussi, le futur
02:37 qu'on s'est imaginé.
02:38 Absolument.
02:39 On ne peut pas faire de généralité.
02:42 Il y a des gens qui au contraire ferment les yeux, font l'autruche et continuent de mener
02:46 leur vie exactement comme ils l'ont toujours menée.
02:48 Moi, ce n'est pas ce qui s'est passé autour de moi, c'est parce que j'ai vu des gens,
02:54 moi y compris, non pas fuir cette réalité mais essayer de vivre autre chose.
02:59 Donc évidemment, ça se passe beaucoup la nuit.
03:03 Ça ne veut pas dire qu'on oublie le jour.
03:07 Je viens de voir un film au Palais de Tokyo de Lionel Soukaz qui m'a profondément touché
03:14 à ce sujet-là évidemment, dans lequel un personnage, lui aussi homosexuel, lui aussi
03:20 toxicomane, lui aussi séropositif, dans les années 80, il dit cette phrase bouleversante,
03:28 il dit "ce n'est pas nous qui vivons dans la peur, c'est la peur qui vit en nous".
03:33 Une très belle phrase.
03:35 Évidemment, un film que vous avez vu à l'exposition "Exposé" au Palais de Tokyo par Sonaria
03:40 France Culture.
03:41 On en dira évidemment un mot à la fin de cette émission.
03:43 Pour discuter avec vous, échanger, on a invité un autre auteur, Anthony Passeron.
03:48 Bonjour.
03:49 Vous êtes en direct de Nice grâce à nos confrères de France Bleu Azur.
03:53 Vous êtes professeur de lettres et d'histoire géographie en lycée professionnel.
03:56 Vous publiez votre premier roman, il s'appelle "Les enfants endormis" aux éditions Globe
04:00 et vous y racontez l'histoire d'une famille de commerçants, la vôtre, installée dans
04:04 l'arrière-pays niçois et qui, elle aussi, va être bousculée, bouleversée par le sida.
04:10 De quelle façon, racontez-nous ?
04:12 Mon oncle était toxicomane et il fait partie des jeunes gens de la Côte d'Azur qui ont
04:19 été contaminés à une époque où on savait très peu de choses de la maladie, au tout
04:23 début des années 80 et où elle était essentiellement associée d'abord à l'homosexualité, dans
04:27 un village où officiellement il n'y a pas d'homosexuels, il n'y a que des vieux garçons.
04:31 Je pense que ça va déclencher tout un tas de silences et de dénis dans ma famille,
04:35 qui m'a semblé important de raconter aussi.
04:37 "Les enfants endormis".
04:39 Donc, on est à la fin des années 70, début 80 et on suit deux récits qui s'alternent.
04:45 Celui de votre famille dont vous venez de dire un mot, de votre oncle désiré et celui,
04:50 autre récit très documenté, on y reviendra dans un instant, des médecins qui vont s'alerter
04:54 sur ces morts et sur ce virus qui arrive et qui touche les patients qui les entourent.
05:03 On va écouter Isabelle, notre lectrice, elle a lu votre roman, Anthony Passeron, et voici
05:06 ce qu'elle en a retenu.
05:07 J'ai vraiment pris du plaisir à lire "Les enfants endormis".
05:11 En alternant les chapitres consacrés à l'histoire de sa famille et ceux dédiés à l'émergence
05:16 du virus du sida, Anthony Passeron a donné une belle dynamique à son roman.
05:20 Il parle parfaitement de cette période chaotique et difficile.
05:23 Difficile pour les médecins, car non considérés dans leurs recherches, difficile pour la communauté
05:28 homosexuelle et les toxicomanes qui étaient fustigés par l'opinion publique, et bien
05:32 entendu difficile pour les familles, dont la sienne, qui était totalement démunie
05:37 face à cette bataille perdue d'avance.
05:39 Cette lecture m'a profondément touchée et ramenée au début des années 80.
05:43 J'ai notamment repensé à Charlotte Valandré, qui avait été déclarée positive à l'aube
05:48 de ses 18 ans.
05:49 C'était mon âge à l'époque.
05:51 J'ai également pensé à Clémentine Scellarié, en brassant un séropositif lors du premier
05:55 sidaxion, dans le but de briser les légendes à propos de la transmission du virus.
06:00 J'ai enfin pensé au terrible film autobiographique de Cyril Collard, Les Nuits Fauves.
06:06 Anthony Passeron, vous dites dans votre prologue que vous avez voulu raconter ce que votre
06:11 famille a traversé dans une solitude absolue.
06:15 C'était très important pour vous d'écrire cette histoire, de la coucher sur des pages.
06:19 C'était capital.
06:21 J'ai vraiment voulu écrire le sida de ceux qui n'ont pas eu les moyens de le raconter
06:25 eux-mêmes et encore moins d'en faire un geste artistique ou politique.
06:29 J'appartiens à la génération suivante, si j'ose dire, et les membres de ma famille
06:36 n'ont jamais pu se relever de cette histoire et n'ont jamais pu prendre eux-mêmes cette
06:40 narration en main.
06:41 J'avais l'impression qu'il incombait à ma génération, celle qui avait été en
06:44 partie protégée, mise un peu plus à l'écart parce que enfant, de prendre en charge ce
06:49 récit et de le livrer cette fois de manière franche et en dehors de tout élément de
06:56 moral.
06:57 Ce qu'on comprend bien en lisant votre livre, toutes les premières pages, en tout cas,
07:01 vous nous racontez évidemment l'histoire de vos grands-parents, cette famille italienne
07:06 qui s'installe évidemment dans l'arrière-pays niçois.
07:09 Et puis cette stature, ils sont commerçants, une famille de commerçants, de bouchers que
07:14 vous nous racontez.
07:15 Et puis ce silence, ce tabou autour de la situation qui touche votre oncle désiré
07:22 qui est en plus, si je puis dire ainsi, le préféré de votre famille.
07:27 Ça fait beaucoup de raison pour qu'on ne parle pas de ce qui lui est arrivé.
07:30 Oui, exactement.
07:31 Et ce qui m'intéressait, ce n'était pas tant d'écrire un livre sur le sida en tant
07:35 que tel, c'était d'écrire un livre sur comment le sida vient percuter des trajectoires
07:39 intimes, familiales, avec leur zone d'affection, de tension, etc. pour mieux les inscrire
07:45 dans une histoire collective.
07:46 Et c'est vrai que le sida est venu comme un catalyseur des émotions de la famille,
07:53 des émotions qui préexistaient à l'arrivée du virus.
07:55 Et ce qui m'intéressait, c'est de voir comment cette catastrophe va bouleverser
08:00 des vies.
08:01 - À la toute fin de votre roman, dont vous êtes manifestement le narrateur, vous contactez
08:07 une personne qui a bien connu votre oncle, une survivante en quelque sorte.
08:11 Et elle vous raconte dans quel état d'esprit est votre oncle à l'époque, que lui, son
08:19 épouse, ses amis voulaient vivre comme les auteurs qu'ils lisaient alors, comme les
08:22 musiciens qu'ils écoutaient.
08:24 Et elle vous dit "on avait raté 68 alors on voulait au moins expérimenter ça nous
08:29 aussi".
08:30 Il y a une sorte de volonté de vivre, de fureur de vivre aussi à l'époque chez votre
08:36 oncle.
08:37 - Oui absolument.
08:38 Et je pense que c'est même rendu encore plus fort par la géographie dans laquelle
08:43 se situe leur vie.
08:44 C'est des jeunes gens d'un arrière-pays niçois qui est à la fois très proche de
08:48 la Côte d'Azur mais qui est culturellement, socialement en est très éloigné.
08:52 Cette jeunesse qui a été la première à quitter le village pour aller faire des études
08:56 à Nice, en l'occurrence sur la côte, a vraiment voulu goûter, si j'ose dire, à
09:01 tous les plaisirs, à tous les enjeux de la génération, de toute l'urbanité à
09:06 laquelle ils avaient tout d'un coup accès.
09:08 Et il faut aussi se souvenir qu'ils sont tombés dans la consommation d'héroïne.
09:12 Non, je ne dis pas ça pour dédramatiser, mais c'est difficile après 40 ans de pandémie
09:17 de se souvenir que l'héroïne n'a pas toujours été associée au VIH et que c'était
09:21 un exercice dangereux, la toxicomanie, mais qu'on ne risquait pas d'attraper cette
09:26 maladie-là en tout cas.
09:27 Donc c'est aussi pour les remettre dans ce contexte et essayer justement de libérer
09:31 le récit de l'aspect moralisateur qu'il peut subir parfois.
09:35 - Philippe Joly, je parlais de fureur de vivre.
09:37 J'imagine que ça vous parle aussi, puisqu'on retrouve cette urgence dans la vie, cette
09:42 urgence de vivre, ce besoin de brûler la vie par les deux bouts dans votre roman, puisque
09:48 vous, vous ne racontez pas la maladie en tant que telle, mais on entre, grâce à votre
09:52 récit, dans un groupe d'amis, dans une histoire d'amitié très forte, du jour au lendemain
09:59 elle aussi bousculée par l'arrivée du VIH.
10:02 - Oui, ces personnages qui finalement sont très proches, ils ont une proximité évidente
10:09 avec Désiré, l'oncle d'Anthony, puisque pour la plupart ils sont provinciaux.
10:14 Ils grandissent dans des villages ou des petites villes de province où se décorer homosexuel
10:25 dans ces années-là, ce n'est pas un scénario très rose.
10:29 Donc évidemment, très rapidement, diplôme ou pas en poche, on prend un train et on monte
10:37 à la capitale.
10:38 Et à la capitale, on sait où on peut aller, on va directement dans le marais, puisqu'à
10:44 l'époque c'est un lieu d'ancrage, on sait qu'on va très rapidement se faire des amis,
10:54 ces amis ce sera une bande, et cette bande ce sera une famille, et voilà, et la vie
11:01 peut enfin se vivre, non pas sereinement, mais joyeusement même.
11:06 Alors évidemment si après on est fauché par cette terrible catastrophe, et bien oui
11:15 on a toujours le moyen d'y échapper par la drogue, par les clubs, par la musique, la
11:24 fête.
11:25 - C'est cette idée aussi que, et vous le disiez, on est conscient puisque ça nous
11:30 frappe, ça nous arrive, mais on est déstabilisé par cette contamination, effectivement, et
11:36 il y a l'idée de ne pas être concerné, il y a une forme de déni aussi qui arrive
11:42 parfois, dans l'envie de vivre en tout cas.
11:45 - Non je ne crois pas que ce soit du déni, le fait est que c'est un mot qu'on ne prononce
11:52 pas, ou très très peu, dans les bars, dans les boîtes de nuit, dans le marais, les gens
11:59 qui sont concernés ne prononcent pas ce mot.
12:01 On en a bien assez avec lui, avec ce virus, on ne le prononce pas, on ne parle pas davantage
12:11 de lutte contre le sida.
12:12 - Toute la partie prévention qu'on peut connaître aujourd'hui en 2023, la partie d'information,
12:20 même aux plus jeunes, tout ça ça n'existe pas à cette époque-là, et même au sein
12:24 de la communauté homosexuelle si je puis dire, on est un peu, pas dans le déni peut-être,
12:31 mais démuni par rapport à ce qui nous arrive.
12:33 - Démuni oui, je ne suis pas sûr qu'on n'en parle pas, il y a des têtus existent, le guépier
12:40 n'existe plus mais il en a beaucoup parlé.
12:43 Non non je crois qu'il y a de l'information au contraire.
12:46 - Mais dans la banque d'amis par exemple, est-ce que c'est pas un...
12:48 - Non, ça n'est pas une banque très politisée, enfin en tout cas pas de cette façon-là.
12:53 Non, c'est une banque qui s'épuise beaucoup, c'est vrai, qui passe essentiellement son
13:03 temps à...
13:04 C'est vrai, à...
13:05 Je crois qu'il fallait...
13:07 J'ai une amie qui m'a dit cette phrase extraordinaire "Te rends-tu compte que nous aurons passé
13:15 notre jeunesse sous la surface de la terre ?" Alors évidemment j'ai pensé comme les
13:20 rats, comme les morts, comme tous ceux qu'à l'époque nous emmenions au cimetière mais
13:24 en fait non, nous aurons passé notre jeunesse dans des discothèques, des clubs, sur des
13:30 pistes de danse, au milieu des lasers et sous des boules à facettes droguées avec beaucoup
13:35 d'alcool.
13:36 Nous épuisant c'est vrai mais je pense qu'en fait il fallait justement se dépenser pour
13:42 ne plus avoir à penser.
13:44 - Parce qu'il n'y avait peut-être pas du déni mais de la peur en fait.
13:48 - C'est ça, c'est plutôt une des...
13:51 Véritablement.
13:52 - Alors Nicolas, de la librairie Les mots à la bouche, ça doit vous parler, Philippe
13:56 Johanny a lu évidemment votre livre 95 et voici ce qu'il en a pensé.
14:01 - Après le très intime "Comment tout a commencé", Philippe Johanny revient dans son nouveau
14:07 roman sur une année charnière dans la ville des gays à laquelle il donne son titre 95,
14:13 clin d'oeil au 93 de Victor Hugo.
14:15 C'est une année d'hécatombe dans la communauté avant l'arrivée des trithérapies qui ne sauveront
14:20 pas tout le monde mais feront passer en très peu de temps le sida de condamnation à mort
14:25 à maladie chronique.
14:26 Ramassé, la narration se concentre sur une semaine d'octobre entre la nouvelle de la
14:30 mort par overdose d'Alex, gay parisien, et son enterrement dans une église normande,
14:36 clash comico-tragique entre sa famille biologique et sa famille choisie.
14:39 Les souvenirs et impressions du narrateur s'intercalent de témoignages des membres
14:44 de sa bande d'amis récoltés cinq ans plus tard.
14:46 Autant de portraits d'hommes qui se serrent alors les coudes et tentent d'oublier le
14:50 tragique de la situation dans l'épuisement des corps à travers la cam, la danse et le
14:55 sexe.
14:56 Toutes ces voix nous font revivre une époque peu documentée et viennent ainsi commencer
15:00 à combler un déficit criant de transmission du vécu communautaire.
15:03 - Vous êtes d'accord avec Nicolas de la librairie Les mots à la bouche ? Alors pour ceux qui
15:09 ne connaissent pas la librairie Les mots à la bouche, c'est historiquement la librairie
15:13 mythique du guet du Marais qui aujourd'hui a déménagé mais existe toujours.
15:19 Donc on remercie Nicolas évidemment d'avoir lu votre livre.
15:21 Déficit criant dit-il du vécu communautaire dans la mémoire collective ? On a envie de
15:27 dire que vous êtes d'accord avec ça ?
15:28 - Oui évidemment.
15:29 Que ce soit la littérature ou le cinéma, pas les arts en général.
15:39 La littérature ne nous a pas donné beaucoup à lire sur le sujet.
15:43 Il faut quand même reconnaître que l'essentiel des ouvrages qu'on a eus sont des récits
15:55 de personnes publiques, de célébrités, de politiques.
15:58 C'est pour ça qu'on peut rendre hommage à Antony aussi parce que ces histoires-là
16:06 n'ont jamais été portés par la littérature.
16:09 Ici il est question de gens issus de milieux populaires qui ne sont pas engagés dans aucune
16:17 lutte quelle qu'elle soit.
16:19 Ça ne veut pas dire qu'ils n'ont pas de statut mais ils n'ont pas de carrière, ils n'ont
16:24 pas de boulot, ils n'ont pas d'ambition, ils n'ont pas d'argent.
16:28 Oui ces récits-là manquaient furieusement bien sûr.
16:33 - Il y a comme chez Antony Pastron, chez vous Philippe Joani, un aspect documentaire.
16:38 Nicolas Delalibre, il est mot à la bouche, on a dit un mot.
16:41 Il y a ce récit, ce roman de cette semaine d'octobre 95, de la mort d'Alex jusqu'à
16:49 son enterrement en Normandie.
16:51 Il y a aussi les témoignages cinq ans plus tard, en 2000, des camarades qui ont vécu
16:55 ce moment.
16:56 Pourquoi avoir eu cette idée d'enregistrer leurs souvenirs de cette semaine terrible
17:03 de 95 ?
17:04 - Alors la vérité c'est que précisément depuis 94 je dirais, j'avais commencé à
17:16 faire de très longs entretiens avec des gens que je rencontrais souvent dans des bars
17:21 de nuit, des créatures, des gens un peu particuliers qui m'inspiraient et je leur proposais cette
17:29 aventure de les voir deux fois par mois à peu près ou je ne sais plus et voilà, qu'ils
17:36 me racontent leur vie.
17:37 J'en ai quelques-uns comme ça.
17:39 Donc ça me plaisait énormément ce travail.
17:42 Et en 98 j'ai rencontré l'écrivain Guillaume Dustan qui est devenu un ami proche.
17:49 Dans la foulée il a créé une collection de littérature aux éditions Balland et j'ai
17:56 réfléchi à quoi lui proposer.
17:58 J'ai pensé évidemment à cette histoire de la mort d'Alex et de façon très simple
18:07 et très naturelle je me suis dit que cette histoire serait plus forte, plus puissante
18:12 si elle était portée par d'autres voix aussi que la mienne et donc par mes amis qui
18:17 avaient vécu avec moi cette histoire je leur ai proposé.
18:20 Alors à l'époque il n'y avait ni téléphone portable, ni internet, en tout cas pas de
18:26 réseaux sociaux.
18:27 Et donc j'en avais perdu quelques-uns en route.
18:31 Donc ils ne sont pas tous là.
18:33 Mais en effet je les ai enregistrés.
18:37 Après j'ai essayé évidemment d'écrire le livre puisque tout le matériau était
18:43 là.
18:44 J'avais transcrit les entretiens, je les avais découpés, je les avais classés, ordonnés.
18:47 Tout était prêt, il manquait que moi et je n'arrivais pas à trouver ma voix.
18:53 Donc voilà, j'ai dû abandonner ce projet tout en sachant que je serais forcé d'y
19:01 revenir par souci de mémoire et aussi par devoir pour eux, pour ses amis qui sont pour
19:09 la plupart morts évidemment depuis.
19:11 Je me devais de faire ce livre.
19:15 - Anthony Patron, c'est la même idée, la même volonté qui vous a poussé vous à
19:21 aller gratter, si je puis dire, derrière l'histoire de votre oncle que personne n'a
19:25 voulu vous raconter ?
19:26 - Oui absolument.
19:27 Je pense que ce qui nous lie avec Philippe et ce qui m'émeut dans le fait de le rencontrer
19:33 aujourd'hui c'est que chacun, à notre manière, on a essayé je pense d'apporter une pièce
19:37 à un puzzle collectif qui est l'histoire du VIH Sida, qui a été en partie surdocumentée
19:44 du point de vue des métropoles, des célébrités.
19:47 Et quand on sur-représente une population, on en invisibilise une autre, celle que j'appellerais
19:53 les anonymes.
19:54 Donc c'est vrai que quand il a fallu raconter ce qu'a été leur vie, leur expérience
19:59 du VIH Sida, pas seulement aux personnes contaminées mais également à leurs proches, il a vraiment
20:05 fallu faire des recherches parce que souvent une partie de ces gens sont morts, d'autres
20:10 qui n'étaient pas contaminés, la génération de leurs parents sont souvent morts de vieillesse
20:14 ou ne sont plus forcément en état de raconter et parfois même ils n'en ont pas ce souhait.
20:18 Donc le travail d'écriture, il est vraiment une sorte de recherche presque archéologique
20:24 d'essayer de collecter suffisamment d'éléments et parts pour en faire une narration.
20:29 Et je reconnais tout à fait le désarroi qu'a pu rencontrer Philippe dans son écriture.
20:33 C'est que quand la source commence à se tarir, il y a une urgence d'autant plus
20:38 grande de raconter mais aussi une gravité à l'endroit au moment de poser ses propres
20:43 mots dessus qui peut vraiment ralentir le travail.
20:46 - Vous écrivez Philippe Joigny, ils tombent les uns après les autres et on les laisse
20:51 tomber.
20:52 Est-ce que cette idée vous l'avez dès 1995 ou elle est venue en vous repenchant sur ce
21:00 qui s'était passé ?
21:01 - A l'époque elle est très claire.
21:12 La communauté homosexuelle est totalement abandonnée.
21:20 Il faut se souvenir qu'en deux septennats, François Mitterrand n'a jamais prononcé
21:27 une seule fois le mot sida, Ronald Reagan aux Etats-Unis ne l'a pas davantage prononcé.
21:32 Pas une seule fois.
21:34 Si on ne nomme pas une chose, elle n'existe pas.
21:37 Ne pas la nommer, le fait que les gouvernants ne la nomment pas, voilà.
21:45 Il n'y a pas grand chose de plus à dire finalement.
21:48 Donc on oublie très vite.
21:52 Les gens meurent en masse.
21:54 - Il y a aussi cette idée de stigmatisation qu'on retrouve dans votre roman Philippe
22:03 Joigny et dans celui d'Anthony Passeron.
22:05 Anthony, votre oncle désiré a donc attrapé le VIH parce qu'il se droguait et on a d'abord
22:12 cru, on a d'abord tout de suite pensé à ce qu'on a appelé le syndrome gay pour expliquer
22:21 ce virus.
22:22 Racontez-nous de quoi il s'agit, puisque on l'a dit tout à l'heure, dans votre roman
22:25 il y a toute la partie intime, familiale, mais il y a aussi toute la partie médicale,
22:30 si on peut dire.
22:31 Tous ces médecins qui se sont battus pour comprendre ce qui se passait à l'époque,
22:35 pourquoi ces jeunes gens mourraient et comment.
22:37 - Oui, la partie scientifique, documentaire de mon roman, elle permet de se souvenir que
22:43 parmi les premiers cas qui ont été documentés, les homosexuels étaient surreprésentés
22:48 à tel point que les quelques cas hétérosexuels, transfusés, toxicomanes ont été un peu
22:54 mis de côté et que pendant très longtemps on a parlé d'un syndrome gay à tel point
22:58 qu'une partie de la population s'est longtemps crue à l'abri du sida et surtout ça a participé
23:04 quand bien même on avait pris conscience qu'il s'agissait aussi des toxicomanes, ça
23:08 a participé d'un certain mépris vis-à-vis des autorités sanitaires et parmi les premiers
23:13 médecins qui se sont intéressés à ce qui allait devenir le sida, beaucoup d'entre
23:18 eux ont travaillé pendant très très longtemps seuls et sans moyens et à la faveur de la
23:22 pandémie de coronavirus qui est arrivée récemment, on a vu à quel point un pouvoir politique
23:27 peut s'emparer d'une question sanitaire, que quand on décide de prendre des mesures
23:33 si restrictives soient-elles, qu'elles nous contentent ou qu'elles nous mécontentent,
23:36 la puissance publique est capable de s'emparer de quelque chose et comme un écho à ce qu'on
23:41 a vécu dans les années 80, on a bien vu que la pandémie précédente, sans vouloir
23:46 faire comme le dit Elisabeth Lebovici, une hiérarchie des pandémies, on voit bien que
23:51 tous les virus n'ont pas été pris en main, si j'ose dire, de la même manière par
23:54 les autorités sanitaires et que je pense que dans le VIH sida, la marginalité entre
24:00 guillemets des populations les plus concernées a fait prendre un retard catastrophique à
24:06 la recherche et à la dimension sanitaire politique de ce qu'on attendait.
24:11 - Philippe Joigny sur cette question.
24:13 - Oui, je ne peux qu'abonder dans ce sens.
24:17 Je sais que sur les réseaux sociaux, c'était la grande colère quand on a vu qu'en six
24:27 mois, la planète riche se démenait pour mettre au point non pas un vaccin mais des vaccins
24:37 et qu'on les promettait pour dans les six mois à venir, oui c'était proprement scandaleux.
24:44 Enfin non, c'était nécessaire mais...
24:46 - Il y a eu une résonance dans l'histoire, évidemment, de ce que vous avez pu vivre.
24:50 - C'était juste inécoutable.
24:51 - À ce moment-là, et d'ailleurs c'est sidérant quand on lit évidemment ce récit,
24:56 la partie médicale d'Anthony Passeron avec ce qu'on a vécu évidemment dans la pandémie
25:02 de Covid, on suit la façon avec laquelle il s'informe des bulletins épidémiologiques
25:08 qui arrivent des Etats-Unis en France, ils sont pointés du doigt aussi par d'autres
25:14 médecins qui ne croient pas en fait à l'idée qu'ils vont réussir à comprendre ce qui
25:19 se passe avec l'arrivée du VIH en France et évidemment on salue, et c'est très bien
25:26 fait dans votre roman Anthony Passeron, toute cette partie très documentée.
25:29 D'ailleurs, vous avez travaillé à partir de quoi et comment vous racontez toutes ces
25:34 découvertes quasiment jour après jour ?
25:37 - Oui, c'est quelque chose qui m'a intéressée parce que de toute façon j'ai dû me documenter
25:41 scientifiquement parce que d'abord les membres de ma famille n'ont jamais voulu vraiment
25:44 me dire ce que ça voulait dire d'être séropositif au début des années 80 et donc il a fallu
25:49 que je me documente dans des archives scientifiques et médiatiques et j'ai découvert aussi
25:56 une histoire qui m'a semblé éminemment romanesque et c'est vrai que j'ai pas mal sollicité
26:00 les archivistes notamment de Radio France que je remercie parce qu'à l'époque où
26:03 je les contacte c'est juste un manuscrit donc ils ont été très gentils de m'apporter
26:07 des réponses mais il me semblait que c'était important parce que cette dimension scientifique
26:12 elle dit aussi dans quelle sidération c'est de trouver le milieu médical et elle participe
26:18 aussi d'expliquer ce qu'a été la maltraitance des séropositifs dans les services hospitaliers,
26:24 parfois une maltraitance pas forcément volontaire c'est à dire que la maladie faisait tellement
26:28 peur et que médiatiquement on en parlait si peu et les rares fois où on en parlait
26:31 on en parlait de manière si stéréotypée que nécessairement le personnel hospitalier
26:35 ne pouvait être que terrorisé à l'idée de rencontrer les premiers malades du VIH
26:39 SIDA mais c'est vrai que cette recherche dans ces archives là qui m'a permis de faire
26:44 le lien entre l'intime et le collectif pour essayer de comprendre ce qu'ont été ces
26:49 années sans non plus les juger mais en essayant vraiment d'en tirer des leçons.
26:53 - Alors ce sont les médecins Willy Rosenbaum et Jacques Lebovitch qui ont avancé la première
26:59 fois l'hypothèse que ce virus se propagerait par le sang et par les relations sexuelles
27:04 et on parlait du syndrome gay tout à l'heure et il y avait trois catégories de personnes
27:09 si on peut dire, quatre, qui étaient en tout cas au début concernées, les homosexuels,
27:17 les héroïnomanes, les hémophiles et les haïtiens, c'était aussi une vraie, on parlait
27:26 de stigmatisation mais un moyen de renvoyer la balle vers l'autre en fait, d'ostraciser
27:31 ces personnes là ? - Oui c'est ça, c'est vrai, enfin bon les
27:35 haïtiens ça n'a pas duré très très longtemps, je crois qu'on n'explique pas très bien
27:41 pourquoi est-ce qu'il y a eu une poche, bon les hémophiles on connaît l'histoire,
27:47 n'est-ce pas, c'est un scandale, mais je crois que pour les sens, enfin d'ailleurs
27:51 dans le, je me suis longtemps, enfin longtemps, je me suis arrêté sur cette phrase dans
27:54 le livre d'Anthony que j'ai relu, c'est lorsque, c'est le chef de clinique, tu vas
28:04 me corriger, c'est le chef de clinique à l'hôpital de Nice qui dit "je ne vais pas
28:07 m'occuper, je ne travaille pas pour les PD et les drogués".
28:13 - Oui c'est exactement ça, c'est une confidence qui m'a été faite par le médecin qui a
28:16 soigné mon oncle, ma tante et ma cousine et qui m'a dit que au début quand il décide
28:21 de s'occuper de cette maladie, elle est tellement associée aux homosexuels et aux toxicomanes
28:25 que certains médecins décident qu'ils n'ont pas que ça à faire en décidant qu'il y
28:29 a des malades qui sont plus coupables que d'autres et qui méritent moins d'intérêt.
28:31 Et j'ai hésité avant de la mettre dans le livre parce que je ne voulais pas, comment
28:37 dire, que un événement, un épiphénomène prenne trop de place.
28:41 Mais à l'occasion de la tournée de présentation du livre, je rencontre tout un tas d'autres
28:46 médecins qui confirment qu'on leur a dit plus ou moins la même chose.
28:48 Et c'est vrai qu'on parlait des fameux 4H et cette manière de stigmatiser des populations,
28:54 certes parmi ces 4H, on trouvait des gens qui étaient plus à risque, si j'ose dire,
29:00 évidemment qu'un toxicomane avait plus de chances d'attraper le VIH/SIDA qu'un
29:04 non-toxicomane.
29:05 Mais si vous voulez, vous faites croire aux gens qui ne font pas partie de ces 4H que
29:11 du coup ils ne sont pas concernés.
29:12 Et si vous voulez, vous soumettez à la vindicte populaire de gens qui n'y sont pour rien.
29:17 Donc c'est vraiment une très mauvaise optique en matière de prévention, évidemment.
29:24 Mais ça nous rappelle une époque en même temps.
29:27 Et pour revenir sur ce que disait Philippe, la question des haïtiens, on s'en rendra
29:31 compte beaucoup plus tard, à partir de 2014 et des travaux vraiment globaux qui ont été
29:36 faits, c'est pour une histoire d'immigration haïtienne en Afrique subsaharienne et de
29:41 post-colonialisme en fait, que les Haïtiens ont été très tôt représentés et documentés.
29:46 Mais c'est pour ça que, encore une fois, la pandémie raconte une histoire et une géographie
29:51 collective presque de la mondialisation.
29:53 Et c'est ça qui aurait été intéressant de faire.
29:54 Mais ce qui a été choquant par rapport au Covid, c'est qu'on s'est rendu compte
29:59 que 30, 40 ans après les errements de ce qu'a été la pandémie de VIH/Sida, il y a
30:04 beaucoup de leçons qui n'avaient toujours pas été tirées.
30:07 C'était surtout ça, je pense, qui nous a collectivement déçus.
30:11 Et l'allocution présidentielle du 12 mars 2022, quand on nous annonce un confinement
30:17 et que le président de la République dit que ce pays est devant la plus grave pandémie
30:20 qu'il n'ait jamais connue, c'est là que je me suis rendu compte que j'appartenais
30:23 à une communauté.
30:24 C'est à ce moment-là, je fais partie des gens pour qui cette phrase a vraiment hérissé
30:29 le poil.
30:30 Et tout d'un coup, je me suis dit que j'appartiens à un groupe.
30:33 Et c'est vrai que c'est pour ça que les livres sont importants, parce que c'est
30:37 par les livres que je rencontre aujourd'hui Philippe Joigny, par exemple, et que j'ai
30:41 rencontré Didier Lestrade auparavant.
30:42 Et c'est que finalement, on arrive à faire communauté pour se sentir un peu moins seul
30:46 et porter ces questions collectivement, en l'occurrence à travers la littérature.
30:49 - Alors vous me tordez une perche, Anthony Passeron, puisqu'il y a un auteur qui a raconté
30:53 le Sida dans les années 90, c'est Hervé Hibert, à L'Ami qui ne m'a pas sauvé la
30:58 vie.
30:59 Il s'agit en fait d'un livre qui s'évolait d'une trilogie autobiographique et c'est
31:01 Gabrielle, notre lectrice, qui l'a récemment relu.
31:03 - C'est un livre que j'ai lu quand j'avais une vingtaine d'années et j'en avais parlé
31:08 autour de moi parce qu'il m'avait pas mal secoué à l'époque.
31:11 Et il faut dire que c'est un livre fort, c'est un livre intime avec un style froid,
31:16 direct, où Hibert dit la vérité, sans pathos par contre, mais en tout cas avec des mots
31:24 assez crus.
31:25 Il y a des scènes difficiles qui m'avaient pas mal intriguée et ça m'avait interpellée
31:31 parce qu'avec ce témoignage, je découvrais les années Sida et c'était une époque où
31:38 le malade était un paria.
31:40 Donc ce livre, je viens de le relire et je me rends compte que c'est un témoignage dont
31:46 on ne parle plus tellement.
31:47 Alors c'est vrai que le Sida, maintenant on vit avec, c'est plus synonyme de maladie
31:53 mortelle, parce qu'heureusement les traitements ont évolué, la recherche a énormément progressé
31:59 et je pense aussi que le regard que la société porte sur cette maladie a lui aussi évolué.
32:05 Et je me demande même si on l'a pas un peu trop banalisé.
32:09 Et je serais curieuse de savoir ce qu'en pensent les invités de cette émission.
32:14 - Philippe Joigny, est-ce qu'on a banalisé aujourd'hui ce que représentait le Sida et
32:18 ce qu'il représente encore aujourd'hui ?
32:19 - Banalisé, je ne sais pas.
32:23 Je ne crois pas.
32:25 Non, je ne crois pas.
32:26 - En tout cas, il est toujours important aujourd'hui de rappeler ce qu'ont été ces
32:32 années, de rappeler l'histoire qu'ont vécu ces personnes.
32:36 - Là, on est en 2023, ça fait 40 ans que le virus a été découvert.
32:44 - Identifié.
32:45 - Voilà, merci, plutôt.
32:47 Elisabeth Lebovici et François Piron montrent cette extraordinaire, immense exposition
32:56 qui s'ouvre là, au Palais de Tokyo.
32:59 Un peu plus loin dans l'année, il va s'en ouvrir une autre au Musée d'art contemporain
33:04 de Strasbourg.
33:05 Anthony Passeron vient de sortir son livre, je sors le mien.
33:09 Il y a une espèce d'alignement des planètes qui n'est pas volontaire, mais qui veut dire
33:20 qu'il y a un besoin, en tout cas, peut-être aussi.
33:22 - Je crois qu'on arrive, pas pour Anthony, mais plus pour Elisabeth et pour moi, mais
33:28 on arrive à un moment de nos vies où on peut transmettre l'essentiel des gens qui
33:33 auraient pu continuer à le faire sans mort, ceux qui sont vivants, atteignent un âge
33:39 où ils peuvent transmettre.
33:40 - C'est ce devoir de mémoire qu'on retrouve dans vos deux romans, pardon.
33:45 Philippe Jouani, 95, chez Grasset, donc.
33:49 Et vous, Anthony Passeron, merci beaucoup d'avoir été avec nous, "Les enfants endormis",
33:53 votre roman publié chez Globe.
33:55 Je remercie aussi nos camarades de France Bleu Azur de nous avoir permis ce duplex.
34:00 Et je renvoie donc à l'exposition dont vous venez de parler, Philippe Jouani, exposition
34:04 inspirée par le livre d'Elisabeth Lebovici, "Ce que le Sida m'a fait, art et activisme
34:09 à la fin du XXe siècle", exposition au Palais de Tokyo jusqu'au 14 mai prochain.
34:14 Et puis je vous renvoie aussi sur le site de France Culture et l'appli Radio France
34:19 pour la série documentaire "Quand la création raconte le Sida", série documentaire signée
34:24 Didier Roth-Benotti, réalisée par Nathalie Battus.
34:27 * Extrait de "Les peintres qui ont pris la plume" de Charles Danzig *
34:38 Les cinéastes tentent parfois la littérature et, en général, n'y parviennent pas très bien.
34:44 Pierre Caste avait publié un roman comme ça sur l'architecte Ledoux, Woody Allen
34:49 est assez poussif à l'écrit et Orson Welles, qui était pourtant Orson Welles, a publié
34:54 un mauvais roman.
34:55 Tout ce que son génie de l'exagération du détail visuel transfiguré dans "M.
35:01 Arcadine, le film" reste au niveau de l'aventure anecdotique dans "M.
35:06 Arcadine, le livre".
35:07 Je reviendrai sur Welles dans un volet de ce quadritème.
35:10 Écrire des phrases et combiner des images sont des talents différents.
35:15 Cela tient en partie à la liberté.
35:17 Les cinéastes sont très contraints par le temps et l'argent, ce qui donne de très
35:22 bons conseils.
35:23 Quand on écrit des romans, il faut savoir être à la fois l'auteur, le financier
35:27 et le producteur de son livre, sans quoi on peut se laisser aller à des complaisances,
35:32 des coquetteries, des parasitages.
35:34 Alain Guiraudy réalise d'excellents films, des films anarchistes, moins dans le sens
35:40 où il y ferait de la politique, que par le choix d'acteurs non ressemblants, des
35:44 acteurs de tableau flamand, quoiqu'ils aient souvent l'accent du sud-ouest.
35:48 Et bien dans ces romans, à mon sens, ils se laissent trop aller au vernaculaire et
35:53 à des allongements qu'ils ne s'autorisent pas dans ces films.
35:55 Que les cinéastes se rassurent, je ne dirai pas que les écrivains qui réalisent des
36:00 films nous éblouissent beaucoup.
36:01 C'est peut-être quand on a un talent un peu moins personnel qu'on peut réussir
36:06 dans les deux domaines.
36:07 Mario Soldati, qui a réalisé 32 films sympathiques, comédies, films d'aventure, a publié 28
36:15 romans.
36:16 J'en ai lu plusieurs, certains avec plaisir, comme « La confession » ou « L'enveloppe
36:20 orange ». Dans un autre, « L'émeraude », il veut raconter un personnage hors du
36:24 commun, un tapageur, un encombreur d'espace.
36:27 La façon d'écrire n'est heureusement pas assortie au sujet, cela lui évite l'outrance.
36:32 Soldati montre pourtant qu'il est difficile d'écrire un récit.
36:36 Le sien est une narration, elle comprend tout et c'est trop.
36:40 C'est une progression méandreuse comme la vie.
36:43 Il y manque la mise en ordre de la fiction.
36:46 L'éditeur de « L'émeraude » a eu la bonne idée d'y ajouter une critique qu'en
36:50 a fait Pasolini.
36:51 C'est un éloge sincère et excessif qui, à mon sens, ne sert qu'à une chose, donner
36:57 un coup de griffe à celle qui était alors une intouchable de la littérature italienne.
37:02 Il n'était pas question de ne pas trouver Elsa Morant et un génie dans les années
37:07 70 et 80.
37:08 Pasolini, qui n'avait pourtant peur de rien, ne l'a donc fait que par un détour.
37:13 Il prend Soldati pour contre-exemple du refus de l'esbrouf, esbrouf devant laquelle Elsa
37:20 Morant ne reculait pas toujours.
37:22 Cette manière de donner son avis révèle quelque chose du genre de relation de serpents
37:27 dressés que peuvent avoir les écrivains entre eux et qui pourraient, si la boutique
37:32 n'était pas moins intéressante que l'esthétique, faire l'objet d'un bon petit film méchant.
37:37 - Charles Dandigarh a écouté sur franceculture.fr et sur l'appli Radio France.
37:40 Un grand merci à toute l'équipe du Book Club, Auriane Delacroix, Zora Vignes, Jeanna
37:45 Grappard, Didier Pinault et Alexandre Alaï-Bégovitch.
37:47 Thomas Beau réalise cette émission et la prise de son ce midi d'Elia à Paris et Alex
37:53 Bernot à France Bleue Azure qu'on remercie très fort.
37:56 - Comment le sida vient percuter des trajectoires intimes ?
38:00 - Ce n'est pas nous qui vivons dans la peur, c'est la peur qui vit en nous.
38:04 Ça se passe beaucoup la nuit.

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