• l’année dernière
Transcription
00:00 Bonjour à tous et à toutes, merci de débuter cette nouvelle semaine avec l'équipe du
00:05 club de lecture de France Culture.
00:07 Jean Villard a dédié toute sa vie au théâtre.
00:10 Un théâtre accessible pour tous.
00:13 Un théâtre populaire où le public compte autant que les comédiens et comédiennes
00:17 sur la scène.
00:18 Jean Villard a marqué de sa patte le théâtre comme on le connaît aujourd'hui en France.
00:22 Parmi son héritage, on trouve l'un des festivals du spectacle vivant le plus connu au monde,
00:26 le Festival d'Avignon, comédien, metteur en scène, directeur de théâtre.
00:30 Jean Villard serait écrivain, il écrira sans cesse, notamment des lettres nombreuses.
00:35 À Sartre, Malraux, Claudel, Cocteau, Cazaresse, Sémissive et leurs réponses, compilées
00:42 dans un livre, nous permettent ce midi avec nos invités et avec la communauté du book
00:46 club de dresser le portrait d'un homme.
00:48 Jean Villard.
00:49 La première année, il y avait trois heures, d'ailleurs comme toujours nous l'avons
00:58 fait pendant 19 ans, nous ne sommes jamais descendus au-dessus de trois.
01:02 Nous avons toujours tenu la doctrine et la méthode, disons, de la première année.
01:07 Mais la première année, il y avait un fait assez étonnant et je crois qu'on le fait
01:10 toujours quand on démarre.
01:11 On veut tout et on fait tout.
01:13 Le danger, c'est de se perdre et de se disperser.
01:15 Mais à la vérité, il y avait trois pièces et trois pièces dans trois lieux différents.
01:19 Ici même, dans cette cour, un Shakespeare, Richard.
01:22 A l'intérieur du palais, une pièce de Claudel, Tobie et Sarah.
01:25 Et ensuite, au théâtre municipal, troisième lieu, la pièce d'un jeune auteur, Maurice
01:30 Clavel, La terrasse de midi.
01:31 Il y avait là déjà beaucoup de gens qui par la suite devaient faire parler d'eux
01:34 et déjà certains qui avaient fait parler d'eux.
01:36 Il y avait Alain Cuny, il y avait Germaine Montero, il y avait Béatrice Dussane, Hirsch
01:42 et bien d'autres.
01:43 Et puis, il y a eu dès la première année, une très jeune fille.
01:47 Jeanne Morand.
01:48 Et oui.
01:49 Et c'est agréable aussi de penser qu'il y avait Morand.
01:51 Nagui : Jean Villard qui se raconte, qui se remémore en 1966 la toute première édition
01:56 du Festival d'Avignon.
01:58 Bonjour, Viollane Viellemas.
01:59 Viollane Viellemas - Bonjour.
02:00 Nagui - Vous êtes doctorante, vos recherches portent justement sur Jean Villard et notamment
02:03 sur sa correspondance.
02:05 Vous avez établi, présenté, annoté cet ouvrage intitulé Jean Villard, une biographie
02:10 épistolaire de 160 lettres de et à Jean Villard.
02:14 Reparution aux éditions Actes Sud-Papti dans la collection Le Temps du Théâtre.
02:18 Vous nous plongez donc dans cette correspondance très riche, très dense de Jean Villard
02:23 entre 1943 et jusqu'à sa mort en 71.
02:25 C'est une source incroyable.
02:27 D'habitude, on a plutôt une correspondance dans un seul sens.
02:31 Comment vous avez constitué ce corpus ? Comment vous avez les lettres qu'il a envoyées
02:36 et qu'il a reçues ? Comment c'est possible ça ?
02:38 Viollane Viellemas - Oui, alors tout à fait.
02:40 La grande difficulté quand on travaille sur une correspondance, c'est d'entendre
02:44 les voix de tous les épistoliers, à la fois ceux qui écrivent et ceux qui reçoivent
02:48 les lettres.
02:49 Concernant Jean Villard, lorsque j'ai commencé ma thèse, je me suis plongée dans les archives
02:55 du fond Jean Villard à Avignon et j'y ai découvert des centaines de lettres, mais
03:02 surtout des lettres qu'il avait reçues et quelques brouillons de lettres qu'il
03:07 avait préparées à faire dactylographier.
03:09 Donc, face à cette ampleur et toutes ces voix, je me suis dit qu'il manquait quand
03:17 même une voix centrale qui était celle de Jean Villard, d'autant plus que je travaille
03:22 sur la manière dont Jean Villard écrit.
03:23 Donc, je voulais vraiment entendre sa voix et pouvoir le lire.
03:28 Alors, j'ai tout simplement regardé chaque correspondant présent dans ce fond et j'ai
03:36 cherché les ayants droit lorsque il y en avait, j'ai cherché les fonds d'archives
03:41 également.
03:42 J'ai donc consulté les fonds de Picasso, par exemple, de Malraux, de Cocteau et d'autres
03:52 fonds encore, les fonds de Gionnaud également.
03:53 Et j'y ai trouvé parfois une, deux, trois, quatre lettres de Jean Villard et cela m'a
03:59 permis de reconstituer ce puzzle finalement et de replacer au centre celui dont il était
04:06 question et dont le travail m'intéressait et l'écriture m'intriguait.
04:12 On comprend évidemment le travail colossal que vous avez fait pour reconstituer presque
04:16 ces dialogues parce qu'on voit en lisant votre livre comment est-ce qu'ils s'écrivent,
04:20 comment ils s'adressent à l'autre et comment ils se répondent.
04:23 Et ça, c'est vrai que c'est passionnant.
04:25 Pour parler de Jean Villard, comédien, Jean Villard, directeur de théâtre, de son idée
04:30 du théâtre aussi, de son héritage jusqu'en 2023, nous avons convié Stanislas Nordet.
04:34 Bonjour.
04:35 Vous êtes en duplex avec nous depuis les studios de France Bleu Touraine.
04:39 Vous êtes comédien, metteur en scène, directeur du Théâtre National de Strasbourg et justement
04:43 vous serez l'une des voix de Jean Villard en quelque sorte au Festival d'Avignon cet
04:48 été puisque vous allez participer à la lecture de cette correspondance.
04:52 Question peut-être simple mais que représente Jean Villard pour vous ? Est-ce que ça a
04:57 été aisé de se dire que vous alliez lui prêter votre voix ?
05:00 Oui, j'ai l'impression que Villard, c'est un modèle mais dans le sens large du terme,
05:07 pas un modèle qu'il faudrait suivre parce qu'il a tout bien fait mais simplement parce
05:10 qu'il a été l'un des premiers à être comédien, diriger des théâtres, diriger
05:15 des troupes, communiquer avec le pouvoir politique en place, c'est-à-dire au moment où il
05:20 tente l'aventure d'Avignon puis celle du Théâtre National populaire, il inaugure
05:25 quelque chose.
05:26 Il y a quelque chose de neuf à tous ces endroits-là, dans ces dialogues-là et je pense qu'à cet
05:30 endroit-là, c'est un modèle formidable.
05:32 Moi, je n'ai jamais cessé de lire, de relire ces notes de travail, ces notes de service.
05:36 Là, effectivement, la correspondance est très précieuse.
05:39 L'an dernier à Avignon, j'avais lu avec Anne-Marie Philippe la correspondance avec
05:43 Gérard Philippe qui est déjà une espèce de joyau incroyable dans le rapport entre
05:47 ces deux hommes et tout ce qui se disait très franchement.
05:50 On voit les moments où Gérard Philippe, président du syndicat des acteurs, s'oppose
05:56 à Villard qui dirige le Théâtre National populaire.
06:00 C'est un modèle dans le sens où, à partir de son expérience, on peut comprendre des
06:05 choses, on peut travailler, on peut s'améliorer.
06:07 Il avait un rapport extrêmement fort aux auteurs aussi.
06:11 Il a correspondu évidemment avec les auteurs.
06:13 Il a essayé de faire avancer les choses à cet endroit-là.
06:16 Donc là, je le rejoins.
06:17 Et moi, dans mon expérience d'acteur, de metteur en scène et de directeur de théâtre,
06:23 évidemment, tous ces croisements-là, comment est-ce qu'on parle aux acteurs ? Comment
06:26 est-ce qu'on parle aux politiques ? Comment est-ce qu'on résiste à la pression politique
06:29 ? Comment est-ce qu'on se débrouille là-dedans ces exemplaires au sens d'un exemple ?
06:35 Ce qui est intéressant aussi, c'est qu'on a des écrits.
06:38 Peut-être qu'on a une impression qui est peut-être fausse qu'aujourd'hui, il n'y
06:42 a plus tous ces échanges, tous ces débats, toute cette réflexion, cette effervescence
06:49 en quelque sorte.
06:50 - Alors, on écrit moins de lettres, vous le savez.
06:54 On écrit des mails, des SMS.
06:56 Donc ça existe.
06:57 Il faudra trouver une manière de récolter ces sources-là plus tard.
07:02 Effectivement, on est moins dans l'écrit, dans les lettres.
07:05 Ceci dit, par exemple, dans ma grande collaboration et amitié avec Jean-Pierre Vincent, on s'écrivait
07:10 énormément avec Jean-Pierre.
07:11 On avait gardé ce rapport-là.
07:14 Les choses restent.
07:15 Après, Villard avait aussi une attention très forte à l'archive.
07:18 C'est-à-dire que dans les lettres, on voit aussi à quel point il est attentif et très
07:22 raide même sur la conservation des archives du TNP, à quel point pour lui, c'est important
07:27 que ça reste, que ça perdure, non pas pour lui-même, mais simplement pour raconter quelque
07:32 chose d'un fonctionnement, d'un mouvement qui peut servir aux autres.
07:35 Parce que je pense que l'énorme qualité de Villard, c'est qu'il a cherché à servir
07:40 aux autres, à tous les autres.
07:41 - Il y a une place d'arme intéressante sur ce sujet des archives du TNP dans votre livre,
07:47 Violenne Belmas.
07:48 - Oui.
07:49 On voit à la fin de sa vie, lorsqu'il a quitté la direction du TNP, il cherche à rassembler
07:56 toutes les archives, toutes les lettres également, mais toutes les archives qui ont pu être
08:02 composées lors de sa direction.
08:04 Et cet archivisme presque maniaque dont il fait preuve, c'est une manière, à mon avis,
08:11 de chercher à transmettre une institution qui était encore naissante.
08:16 Stanislas Nordell le dit très bien lorsqu'il dit que Villard est un initiateur, quelqu'un
08:22 qui crée à la fois sur le plateau, mais aussi dans ce qui entoure le plateau et dans
08:27 son lien au politique.
08:29 Il a d'ailleurs vu l'avènement d'un ministère des Affaires culturelles et la nomination
08:35 de Malraux comme premier ministre des Affaires culturelles.
08:39 Donc il a la sensation de vivre quelque chose et de créer quelque chose d'historique, mais
08:45 en même temps de très fragile.
08:46 Et les écrits sont là pour redonner une histoire, pour doter ces institutions-là
08:51 d'une histoire et d'une certaine forme de légitimité.
08:54 - Il a bien fait puisque tout ça est parvenu jusqu'à nous et on peut en discuter évidemment
08:59 aujourd'hui.
09:00 Alors on va écouter Johan de la librairie du Festival d'Avignon au sujet de ce livre.
09:05 Donc Jean Villard, une biographie épistolaire.
09:08 On écoute Johan.
09:09 - C'est avec un grand plaisir que j'ai mis cette correspondance.
09:13 C'est très agréable, c'est aussi très instructif.
09:15 On croise toutes les personnes qui ont fait le théâtre des années 50-60, la création
09:23 du TNP, le Festival d'Avignon, Malraux, Sartre, Jeanne Laurent, Maria Cazares bien
09:29 sûr et beaucoup d'autres.
09:31 On voit ce faire, ce qui est aujourd'hui une histoire.
09:34 L'édition est parfaitement réalisée, la préface est très précise, très subtile
09:39 et tout se mêle comme ça dans cette correspondance pour en faire finalement une biographie professionnelle.
09:44 La biographie de Jean Villard, de cette honne qui ne souriait jamais sur les photos.
09:48 Et j'ai vraiment passé au milieu de mes cigales vraiment un temps de repos à lire
09:53 Jean Villard et quelque chose qui donne confiance aussi.
09:56 Et je voulais retenir un des passages dans sa correspondance avec Malraux où un petit
10:02 peu agacé de ne pas être soutenu, il répond à Malraux "je n'aime pas flatter, je n'aime
10:08 pas attendre, je n'aime pas quémander".
10:10 Un peu plus tard il poursuit par "on sait faire ou on ne sait pas faire, le reste des
10:14 gens doivent vous faire confiance".
10:15 Et on sent ici la foi de Villard en lui, en son travail, en l'effort, en ses collaborateurs,
10:23 en ses comédiens.
10:24 Il y a quelque chose d'incorruptible quand on lit sa correspondance et j'aimerais que
10:27 ce soit vrai, peut-être que sur le plateau quelqu'un pourra me le confirmer.
10:31 J'aimerais bien savoir définitivement que Villard était un incorruptible, quelqu'un
10:36 qui faisait un travail juste.
10:38 - Stanislas Nordel nous lira tout à l'heure cette lettre de Jean Villard à André Malraux.
10:43 D'abord, est-ce qu'il était incorruptible, Viollaine Viellemas, Jean Villard ?
10:47 - Oui, alors il me semble qu'on peut affirmer cela aujourd'hui.
10:51 C'est un homme très intègre, c'est un artiste droit.
10:54 Il le dit lui-même d'ailleurs dans une de ses lettres à sa femme "je suis tout de
10:58 même une ligne droite".
10:59 Et ce n'est pas une posture.
11:01 C'est-à-dire que c'est un artiste qui a fait preuve d'une éthique forte, qui n'a
11:07 jamais renoncé, n'a jamais compromis son idéal de rendre accessible le théâtre à
11:15 tous.
11:16 On le voit dans ses lettres à la fois aux comédiens, dans ses lettres aux politiques,
11:20 dans ses lettres aux auteurs.
11:21 C'est une ligne droite dans le sens où il ne va jamais privilégier sa carrière personnelle
11:28 sur son engagement collectif.
11:31 On le voit d'ailleurs particulièrement en 1968 lorsqu'il aurait pu devenir directeur
11:37 aux côtés de Pierre Boulez et de Maurice Béjar d'un théâtre national lyrique.
11:43 Et il refuse, finalement par refus, de se contredire et d'aller contre son engagement
11:52 en acceptant les honneurs d'un gouvernement qu'il récuse par ailleurs.
11:56 - Le poète Claude Roy, qu'il a bien connu, disait de lui qu'il était un homme d'une
12:00 extrême dignité.
12:01 Vous avez cette image vous aussi, Stanislas Nordey ?
12:03 - Alors moi je rebondis sur ce qu'a dit Johan parce que moi j'avais souligné évidemment
12:07 je n'aime pas flatter, je n'aime pas attendre, je n'aime pas qu'aiemandé.
12:10 C'est magnifique cette lettre en 1946 à Malraux.
12:13 Oui, mais il faut aussi se rappeler qui est Jean Villard.
12:18 Jean Villard c'est quelqu'un qui n'est pas un héritier.
12:20 C'est quelqu'un qui a des origines sociales très modestes, qui s'est construit pas à
12:26 pas avec des convictions profondes et qui, voilà moi c'est l'image d'un voilier au
12:32 milieu d'une tempête et qui résiste à toutes les avaries, toutes les intempéries.
12:37 C'est-à-dire il a essayé de maintenir le cap droit.
12:41 Et ce qui est magnifique je trouve aussi c'est tout le lien avec les comédiens et toutes
12:44 les discussions avec les comédiens.
12:47 Notamment la tentation de certains comédiens d'aller vers le cinéma, la tentation de
12:52 l'argent, la tentation de la carrière.
12:53 Il y a une lettre magnifique à Cristiano Minazzoli où il résume ça.
12:57 C'est un véritable credo pour le comédien de théâtre, tenté par la réussite, l'argent,
13:05 les affaires, etc.
13:06 Donc oui, je pense qu'à cet endroit-là, il a posé un certain nombre de bases qui
13:12 nous servent encore et sur lesquelles il est important de revenir.
13:18 C'est-à-dire ces témoignages-là sont extrêmement précieux.
13:20 Et le bouquin, cette biographie épistolaire, elle est très bien faite parce qu'elle
13:28 permet d'aborder tous les aspects du chemin du théâtre.
13:32 Le rapport à l'artistique, mais aussi le rapport à l'administratif, le rapport à
13:37 la technique.
13:38 Il faudrait parler aussi de Villard en 1968 face à Julian Beck, Judith Marlena et le
13:44 Living Theatre.
13:45 Il invite au Festival d'Avignon son contraire finalement.
13:48 C'est-à-dire il ouvre la porte aux autres et il est pris à ce moment-là dans une polémique
13:53 dont il se sort très bien aussi.
13:54 Il va défendre le Living jusqu'au bout.
13:56 On va revenir évidemment sur sa création du Festival d'Avignon, sur le TNP.
14:00 Si on reprend le début de sa vie, 1912, il naît donc à Sète et puis il se rêve d'abord
14:06 de Vielmas d'écrivain.
14:09 Il veut écrire.
14:11 Il va écrire des premières pièces, notamment de théâtre.
14:15 Et puis ensuite, il va aller justement monter sur scène et retrouver les cours de théâtre
14:21 de Charles Dulin.
14:22 C'est assez rapide.
14:24 Et c'est à ce moment-là qu'il se dit "moi je dois être sur scène".
14:27 - Au moment où il rencontre Charles Villard.
14:31 Si on écoute véritablement Villard, c'est une vocation accidentelle.
14:37 Et c'est vrai.
14:38 Ses journaux de jeunesse montrent qu'il se rêve écrivain.
14:41 Il monte à Paris pour devenir écrivain.
14:44 Et à Paris, il rencontre par hasard, alors qu'il travaillait sur des textes et des traductions
14:50 de Shakespeare, mais dans un but plutôt littéraire que théâtral, un ami lui propose d'aller
14:56 assister à une répétition de Charles Dulin.
15:00 Et il découvre le théâtre.
15:02 Et ce qu'il dit à ce moment-là, c'est que ce n'est pas le théâtre qu'il a souhaité
15:08 découvrir ou entreprendre, c'est l'école de Charles Dulin.
15:11 C'est-à-dire qu'il a d'abord été fasciné par des techniques de travail, par une éthique
15:16 de travail, par une exigence profonde.
15:18 Et je pense que l'exigence et l'intransigence d'ailleurs sont des qualités chez Jean Villard,
15:24 à la fois dans le domaine artistique comme dans la sphère politique ou administrative.
15:32 - Et c'est un peu en écho à ce que disait Stadistas Norde tout à l'heure, c'est-à-dire
15:35 qu'il ne va pas simplement être comédien.
15:38 Très rapidement, il va monter une compagnie, il va prendre des responsabilités, il va
15:41 gérer la logistique aussi en quelque sorte.
15:44 - Tout à fait.
15:45 Et il va commencer d'ailleurs à jouer par hasard.
15:47 C'est-à-dire qu'il leur manquait un comédien lors de la tournée avec sa première compagnie,
15:53 La Roulotte.
15:54 Et il accepte finalement de monter sur scène.
15:57 Et ça fonctionne.
15:59 Et je pense que c'est cette première rencontre très sincère, très spontanée et inattendue,
16:06 si non pas programmée, avec le public, avec la connivence qui peut exister entre un comédien
16:12 et le public, qui va le lancer sur cette nouvelle ligne droite finalement.
16:17 - Et puis on avance dans le temps évidemment et là René Char intervient.
16:20 Il l'applaudit dans ce spectacle, Meurtre dans la cathédrale, si je ne dis pas de bêtises,
16:27 en 1945.
16:28 Et vous dites que c'est dans une lettre décisive que René Char lui fait naître l'idée de
16:33 prendre le large et de jouer en plein air à Avignon.
16:37 - Tout à fait.
16:39 René Char, en décembre 1946, pour être plus précise, le met en relation avec un couple
16:46 de critiques d'art et de collectionneurs qui souhaitaient organiser une exposition d'art
16:51 contemporain dans la chapelle du Palais des Papes d'Avignon.
16:56 Ils ont demandé à René Char s'il pouvait adapter son texte poétique Le Soleil des
17:04 Eaux, faire une adaptation cinématographique.
17:07 Et René Char a songé à Jean Villard pour incarner un rôle.
17:11 Donc il lui écrit cette lettre en lui disant justement "je voudrais vous rencontrer, il
17:18 faut que je vous parle de quelque chose d'important".
17:21 Finalement le film n'aura pas lieu mais le couple de critiques d'art proposera à Jean
17:28 Villard de venir jouer Meurtre dans la cathédrale une fois lors de cette exposition.
17:32 Villard commence par refuser comme à son habitude puis il reviendra les voir avec la
17:38 proposition des trois créations dont on a entendu la présentation par Villard lui-même
17:44 en début d'émission.
17:45 - Il dit "on veut tout, on fait tout" Stanislas Nordès.
17:49 C'est ça aussi l'état d'esprit d'Avignon.
17:51 On met les mains dans le gomboui et on propose quelque chose de nouveau aux spectateurs.
17:57 L'idée d'inventer ce nouvel espace théâtral, une nouvelle esthétique, un nouveau public
18:02 aussi plus populaire.
18:04 C'est là que débute l'esprit du théâtre par Jean Villard ?
18:07 - Oui et on est après la guerre.
18:11 Évidemment il faut recontextualiser.
18:13 A cette époque-là le théâtre d'art n'existe qu'à Paris pour quelques privilégiés.
18:20 Tout d'un coup cette impulsion qui va être relayée par Jeanne Laurent, formidable figure
18:27 dont il faudrait parler longtemps, qui va encourager et permettre toute cette décentralisation
18:32 théâtrale d'exister.
18:33 C'est d'abord porté par des artistes comme Villard mais comme d'autres qui ont la conviction
18:40 qu'il faut que le théâtre s'adresse à tous.
18:42 Il y a beaucoup de débats aujourd'hui sur la décentralisation culturelle.
18:47 Elle a réussi, elle n'a pas réussi, elle a été au bout, elle n'a pas été au bout.
18:49 En tout cas ce qui est sûr c'est que Villard et toute cette génération ont considérablement
18:54 élargi le public qui allait voir du théâtre.
18:59 Aujourd'hui tout le monde n'y va pas encore, il y a encore du boulot à faire mais c'est
19:03 énorme le pas qui a été fait.
19:05 On ne peut qu'être étonné par exemple quand on entend la récupération honteuse
19:10 de Laurent Wauquiez qui cite Villard dans le journal du dimanche alors qu'il fait
19:16 exactement le contraire et qu'il met un petit peu à bas tous les fondements de cette politique-là.
19:20 Mais ce qui est important de dire c'est que Villard il a fait, il a dit et il a fait.
19:27 Parce que parfois on dit et on ne fait pas et il a fait, il a mis en œuvre, il y a laissé
19:33 sa santé, beaucoup de choses mais il a construit ça.
19:37 C'est pour ça que parfois il est très dur avec ses collaborateurs, c'est parce qu'il
19:40 leur dit notre tâche est immense et on ne peut pas faire les choses simplement à moitié.
19:45 Donc il a été au bout, il a cherché quelque chose et puis au moment, et ça c'est très
19:49 beau, où il pense qu'il n'est plus à même lui de mener tous ces combats-là, il se retire,
19:54 il laisse les outils à d'autres ce qui aussi est une preuve de grandeur d'âme.
19:59 Oui tout à fait.
20:02 Il se retire en 1963 à 50 ans de la direction du Théâtre National Populaire, il conserve
20:08 par contre le Festival d'Avignon qu'il réforme profondément.
20:11 Je ne sais pas si c'est vraiment parce qu'il ne se sent plus capable de mener à bien,
20:18 alors évidemment qu'il est usé, comme le dit très bien Stanislas Lordy, il est usé
20:22 physiquement, moralement, par tous les combats qu'il a eu à mener.
20:27 C'est Jeanne Laurent pour dire que vous évoquiez tout à l'heure Stanislas Lordy qui lui confie
20:31 la direction du Théâtre National Populaire en 1951 et jusqu'en 1963, il va d'ailleurs
20:37 jouer lui-même sur scène près de 25 personnages, je crois, c'est là où il s'épuise, c'est
20:42 là où il est fatigué par tout ça ?
20:44 Oui, alors évidemment qu'il y a le fait de jouer sur scène, le fait de créer des
20:49 mises en scène, le fait de faire le lien entre les différentes équipes artistiques,
20:54 le fait d'être individuellement et financièrement individuellement responsable du TNP et le
21:02 fait de faire le lien avec les tutelles et avec les services administratifs.
21:07 Donc tout cela, ça l'épuise, c'est vrai.
21:09 Mais il y a aussi chez lui, je pense, une grande peur du succès.
21:13 Il se méfie du succès.
21:15 On le voit d'ailleurs dans la lettre dont parlait Stanislas Lordy, la lettre à Christiane
21:21 Minazzoli.
21:22 C'est vraiment quelqu'un qui se construit dans l'adversité, pas par goût de l'obstacle
21:27 ou par plaisir de la contradiction, mais parce qu'il sent que c'est là justement que se
21:32 joue quelque chose.
21:33 Et en 1963, le TNP fonctionne très bien, ça roule, ça y est.
21:39 Bien qu'il y ait toujours évidemment des conflits à régler, ça roule.
21:43 Et donc je pense qu'il se retire justement à ce moment-là, il y a une très belle lettre
21:48 d'ailleurs où il explique pourquoi il va confier les clés de la direction du Théâtre
21:54 National Populaire à George Wilson.
21:56 Et il se retire au moment finalement où, ça y est, il a mis en place ce théâtre.
22:02 Ce théâtre accueille chaque soir des milliers de spectateurs qu'il a fidélisés et il s'en
22:08 va vers d'autres aventures.
22:09 Le club d'essai de la radiodiffusion française présente le micro sous les planches.
22:14 Les répétitions de Lavar sous la direction de Jean Villard avec la troupe du Théâtre
22:23 National Populaire.
22:25 Aujourd'hui, les premières lectures dans le bureau de Jean Villard.
22:28 Mon Dieu, tous ces jeunes blondins sont agréables et débitent fort bien leurs fêtes.
22:35 Mais la plupart se gueulent comme des rats.
22:37 Il vaut mieux pour vous.
22:38 Mais il ne se ménette, ça.
22:39 Il vaut mieux pour vous.
22:40 Il est d'un point de vue qui dit bon, bon, ça marche toujours.
22:44 On veut comme Marie, quoi.
22:45 On va prendre et tout.
22:46 On se marie avec lui, il a des frics comme...
22:49 On voit bien, toujours.
22:51 Ça va plus loin, alors.
22:54 Mon Dieu, tous ces blondins sont agréables et débitent fort bien leurs fêtes.
22:56 Mais la plupart se gueulent comme des rats.
22:58 Ça non plus, c'est pas drôle.
22:59 On n'est pas dans le romantisme.
23:01 C'est ça.
23:02 Pas du tout.
23:03 C'est pas la vie de bohème, ni...
23:04 Enfin, le petit romantisme, disons.
23:05 Mon Dieu, tous ces blondins sont agréables et débitent fort bien leurs fêtes.
23:08 Mais la plupart se gueulent comme des rats.
23:10 Il vaut mieux pour vous de prendre un vieux mari qui vous donne beaucoup de bien.
23:13 J'avoue que les sens n'y trouvent pas si bien leur compte.
23:16 Je crois que c'est carrément...
23:18 C'est démonstratif.
23:19 J'avoue que les sens n'y trouvent pas bien leur compte.
23:22 Bon, mais carrément, hein.
23:23 Il y a quelque peu de dégoût à essuyer avec un téléphone.
23:27 On est dans son bureau, Stanislas Nordès.
23:29 Ça veut dire qu'il sait exactement ce qu'il veut à la virgule près, à l'intonation
23:34 près.
23:35 Il dirige les comédiens.
23:36 Oui, alors là, on est tous différents.
23:39 Lui, il était à cet endroit là.
23:42 Je pense qu'il devait aller vite aussi, si vous voulez.
23:44 Moi, c'est une des choses qui me frappe.
23:46 Il fait tellement de choses.
23:47 C'est tellement les travaux d'Hercule que d'ailleurs, souvent, il y a une très belle
23:51 lettre aussi de Maria Casarens qui lui reproche de ne pas passer assez de temps en répétition.
23:55 Elle lui dit qu'elle a besoin de plus de temps pour jouer, pour préparer Phèdre.
23:59 Et elle lui reproche finalement de se disperser.
24:04 C'est un reproche gentil.
24:06 Mais il y a ça aussi.
24:08 C'est dire qu'il devait aller à l'essentiel tout le temps.
24:11 Et pour revenir sur ce que vous disiez tout à l'heure, la fatigue, elle vient de là
24:15 aussi.
24:16 Je connais bien ça.
24:17 Direction du Table national de Strasbourg, c'est à dire quand on a plusieurs casquettes
24:21 comme ça, la difficulté, c'est d'être à 100% à chaque endroit.
24:26 Et parfois, on est un peu brusque ou un peu rapide ou on saute quelques étapes parce
24:32 qu'on a une impatience parce qu'il y a autre chose à traiter d'aussi important à côté.
24:36 Non, je comprends ça très, très bien.
24:38 Est ce que selon vous, il considérait le métier de comédien, le fait d'être comédien
24:42 plutôt comme un métier ou est ce que c'était plutôt une passion, presque un militantisme
24:47 ?
24:48 On sait qu'il y a aussi une approche politique, peut être sans être militant.
24:50 Mais est ce que c'est quelque chose, comme on dit, qu'il a dévoué sa vie au théâtre ?
24:54 C'est ce qu'il fallait faire.
24:55 C'était sa façon de faire.
24:56 Alors, il y a, comme on le disait tout à l'heure, il y a son rapport au comédien.
25:02 C'était un amoureux fou des acteurs et des actrices.
25:05 Et il y a lui même comédien.
25:08 Donc, je pense que ce n'est pas exactement le même regard.
25:11 Effectivement, je ne pense pas qu'il ait mis au premier plan son geste à lui de comédien.
25:17 Il est intéressant de voir qu'il a participé à certains films, notamment il a tourné
25:22 pour Gérard Philippe.
25:23 Il y a toute une correspondance qui est très belle là dessus sur les aventures de Thiel
25:27 Despierre, que mettait en scène au cinéma Gérard Philippe avec Jérôme Villard qui
25:31 jouait.
25:32 Mais je pense qu'il avait un amour fou de l'acteur, en tout cas.
25:36 Et ce qui est beau, c'est cette coexistence entre un amour fou du public, un amour fou
25:41 des acteurs, un amour fou des textes.
25:44 Et au milieu de ça, essayer d'institutionnaliser ça parce que finalement, il représente quelque
25:51 chose de ça, de la création de l'institution.
25:54 Comment est-ce qu'un artiste peut être à la tête d'une institution et garder en
25:57 même temps sa vie d'artiste intacte et intègre ?
26:03 - C'est ça l'héritage de Jean Villard en fait.
26:06 - Tout à fait.
26:07 C'est ce tiraillement très très fort entre le contrôle nécessaire, que nécessite le
26:14 jour, on va dire, l'administration, la création, le réglage des déplacements, la mise en
26:19 scène et le lâcher prise du soir nécessaire au jeu finalement et la liberté que lui apporte
26:27 le plateau et qu'il apporte aussi aux comédiens de sa troupe.
26:30 Tout à fait.
26:31 - Stanislas Nordès, est-ce que vous voulez bien prêter votre voix à Jean Villard dans
26:35 cette lettre à André Malraux ?
26:37 - Qui est la dernière lettre dans l'ouvrage et qui est une lettre qui n'a pas été postée,
26:43 qui n'a pas été de son vivant.
26:45 Dimanche 16 mai 1971.
26:48 "Cher André Malraux, et tout d'abord que je vous dise qu'il est bien agréable de vous
26:53 retrouver et de vous retrouver, ceci sans malice aucune, éloigné des responsabilités
26:59 du pouvoir, du pouvoir politique s'entend.
27:02 J'ai toujours pensé, suis-je le seul, que De Gaulle, en vous proposant les affaires
27:08 culturelles, ignorait, oui, ignorait, que dans les circonstances du moment, il ne vous
27:14 offrait que du vent.
27:15 Dans cette société à intérêt, les affaires, quel mot, culturelles, ça n'a pas existé,
27:22 ça n'existe pas et ça n'existera jamais, auçu et au vu du ministre lui-même.
27:27 Ce qui ne veut pas dire que votre venue aux affaires n'ait pas été significative et
27:32 en tel secteur efficace.
27:33 Simplement, on eût préféré le pouvoir créateur, vous, dans un autre secteur plus
27:39 consistant, plus exigeant, celui de l'éducation nationale par exemple.
27:43 Quand j'ai rencontré le général en mars 1968, ceci grâce à votre intervention, n'est-ce
27:49 pas, j'ai été stupéfait par ce sentiment de solitude qui émanait de sa personne.
27:54 Quand je suis sorti du bureau du général, quand sous mes semelles j'ai entendu crisser
27:59 le gravier de la cour de l'Elysée, j'ai compris beaucoup de choses.
28:02 J'ai bien compris que l'épaisseur sociale empêcherait tout mouvement, toute réforme
28:07 profonde, disons, toute révolution artistique.
28:10 Le discours du 30 mai, qui est un indigne mensonge politique malraux, qui est un très
28:16 vulgaire discours électoral, ô mon auteur de la condition humaine, n'a pas confirmé
28:20 mais consacré, rendu à mes yeux historiques cet état de fait.
28:24 Cette société est triste et sans espoir, parce qu'on ne lui donne qu'à penser
28:29 aux frics.
28:30 Bref, voici ma question.
28:33 Malraux, vous avez vécu pendant plus de dix ans au sein même des affaires publiques,
28:39 à la droite du chef de l'État.
28:41 Êtes-vous prêt à exposer publiquement, c'est-à-dire ici même devant ce témoin
28:46 qu'est la caméra, la difficulté extrême, l'impossibilité, de concilier durablement
28:53 liberté de création et pouvoir politique sous quelque régime que ce soit ? Avec mes
28:58 bons sentiments de retraité, Jean Villard.
29:01 Merci Stanislas Nordé.
29:04 On sent un Jean Villard très critique, donc très engagé aussi, quelques mois avant de
29:11 mourir.
29:12 Quelques jours.
29:13 Quelques jours même.
29:14 Quelques jours, tout à fait.
29:15 On a vu sur cela que c'est un brouillon de lettres et qu'elle n'a pas été envoyée.
29:19 Qu'est-ce que ça dit de son positionnement, de son engagement politique aussi dans la
29:27 société, en tant que com' de théâtre, Stanislas Nordé ?
29:30 Alors, c'est un équilibre subtil, on va dire, là aussi.
29:34 Ça renvoie à mon expérience, c'est-à-dire on est forcé, quand on dirige des institutions
29:40 publiques, et c'est normal de dialoguer avec le pouvoir en place.
29:44 Ce dialogue est souvent complexe.
29:46 Et de la part de Villard, je pense qu'il a toujours cherché à trouver le juste équilibre.
29:52 Il s'est très rarement positionné politiquement.
29:56 Il l'a fait, je crois, en s'engageant en 1965 pour la candidature de François Mitterrand
30:01 à l'élection présidentielle.
30:03 Il y a aussi des échanges avec Mendes France.
30:05 Mais il a toujours essayé de maintenir le bateau à flot pour ne pas céder à quelques
30:13 influences extérieures, maintenir l'indépendance et en même temps cette obligation de dialoguer
30:19 avec le pouvoir politique, avec les pouvoirs politiques, qu'ils soient ceux de la ville,
30:24 ceux de l'État, ceux de la région.
30:25 Aujourd'hui, là encore, c'est un exemple, c'est un modèle, c'est comment est-ce que,
30:31 alors qu'on est à la tête d'institutions publiques, on a aussi la force et le droit
30:36 de critiquer l'institution publique quand elle n'est pas au bon endroit.
30:40 Quand vous prenez la direction du théâtre, cette question-là, elle est brûlante.
30:46 Merci à Villard encore de la soulever, de nous montrer comment lui, il a tenu les deux
30:52 bouts de la chandelle.
30:53 Un dernier mot sur son héritage.
30:55 Quand vous prenez la direction du théâtre Gérard Philippe à Saint-Denis en 98 et que
30:58 vous diffusez ce manifeste pour un théâtre citoyen, c'est une revendication de cet héritage
31:04 ?
31:05 En partie, oui, c'est-à-dire, mais pas seulement.
31:08 C'est-à-dire que pour moi, c'est une revendication de l'héritage de Villard, mais aussi de
31:12 celui d'Ariane Muschkin, de Jacques Copeau, de Jean-Pierre Vincent, c'est-à-dire que
31:16 les aînés nous montrent les voies et c'est en ça que ce sont précieux, ces témoignages
31:23 là sont précieux.
31:24 Moi, je n'ai jamais été un fan de l'archive, mais je trouve que par moment, c'est passionnant
31:30 et important parce que ça permet de s'orienter quand on est un petit peu perdu dans la forêt.
31:34 Oui, oui, bien sûr que, bon, je n'aime pas les termes d'héritier, mais je trouve que
31:43 oui, c'est quelqu'un d'un peu, c'est une boussole.
31:46 Sans lui, le théâtre aujourd'hui en France, Yolande Vellemas n'aurait pas été le même.
31:50 Non, pas du tout.
31:52 Jean Villard fait vraiment partie de, alors il n'est pas le seul, mais il fait partie
31:58 de toute une constellation d'artistes, d'animateurs populaires aussi, qui se sont engagés pour
32:06 la décentralisation, pour le changement aussi du rituel théâtral, pour le rendre moins
32:12 imposant, moins intimidant pour des spectateurs qui n'étaient pas encore spectateurs et qui
32:17 n'avaient pas l'habitude d'aller au théâtre.
32:19 Donc oui, le théâtre a profondément changé en France, je pense, grâce à ces artistes
32:27 de engager dans l'après-guerre, puisqu'on rappelait effectivement que le contexte n'était
32:32 pas le même.
32:33 Mais il me semble que la leçon qu'il nous lègue aujourd'hui n'est pas tant une manière
32:38 de faire qu'une éthique et qu'une droiture, justement, qu'une volonté de persévérer,
32:44 quelles que soient les conditions sociales, politiques ou financières du moment, pour
32:49 rendre accessible le théâtre et l'art, finalement, à tous et à toutes.
32:54 - On l'a entendu dans cette lettre, Jean Villard, qui est donc très critique sur la politique,
32:59 mais qui est très attaché, toujours, à Malraux.
33:02 Il lui dit, et il lui glisse à la fin, puisque vous parliez de financement, qu'il doit payer
33:05 plus de 23 millions d'euros d'anciens francs à l'État, alors qu'il est à la retraite.
33:10 Évidemment, l'idée de l'argent et de l'investissement qu'on met dans le théâtre, c'est aussi
33:16 très important.
33:17 Merci.
33:18 Merci à tous les deux d'être venus dans le book club Violaine Vielmas.
33:19 Je rappelle, Jean Villard, une biographie épistolaire, 260 lettres de et à Jean Villard.
33:25 C'est aux éditions Actes Sud Papier.
33:27 Et puis, Stanislas Nordet, merci d'avoir été avec nous en direct.
33:30 Je rappelle que vous lirez au Festival d'Avignon cet été quelques lettres de cette correspondance
33:35 de Jean Villard.
33:36 Vous y jouerez également la question d'Henri Halleg au théâtre des Halles d'Avignon
33:40 du 7 au 26 juillet prochain.
33:43 Et vous retrouverez, bien évidemment, Bienvenue au Club, avec Mathilde Wagemann durant tout
33:48 cet été et notamment au Festival d'Avignon en direct.
33:51 Merci à tous.
33:52 Merci beaucoup.
33:53 Dans un instant, on écoutera l'épilogue du book club, mais d'abord Charles Donzig
33:59 et ses quatre items.
34:00 Les livres de Montmartre forment presque un genre.
34:04 C'est une catégorie qui comprend beaucoup de souvenirs, mais pas seulement.
34:08 Parmi eux, les prosateurs sont nombreux et souvent bons.
34:11 Comment rater Montmartre ? Elle fournit tout.
34:14 Et en même temps, c'est ce pittoresque, ce prémâché qui peut précisément faire
34:18 manquer ses livres.
34:19 Certains d'entre eux ont l'air de marchands ambulants de sacré cœur en miniature, de
34:24 carte postale de la Goulue et de MP4 des escaliers de la Butte.
34:28 Les plus risqués sont les livres de souvenirs, si souvent dégoûtants de nostalgie, de complaisance
34:34 envers le passé, de narcissisme déguisé en visite touristique.
34:39 Et puis, il y a des romans pas si nombreux.
34:41 L'un des meilleurs est de Francis Carcault, Jésus la caille, qui date de 1914.
34:47 Jésus la caille est le personnage principal.
34:49 A cette époque-là, le titre était très explicite.
34:53 En argot, un Jésus était un homosexuel passif qui attirait les gens dans des pièges.
34:59 De manière générale, Carcault, qui n'était pas gay, mais sortait beaucoup, en particulier
35:03 dans les boîtes de travestis, raconte quelque part que les gays s'adressaient alors des
35:08 "mon Jésus".
35:09 Il y avait à Montmartre, rue Berthe, une boîte de travestis qu'il fréquentait, la
35:14 petite chômière.
35:15 Petite elle était, il ne devait pas y entrer vingt tables.
35:18 Même si nous ne savons plus ce qu'est un Jésus, le titre garde quelque chose de très
35:23 ambigu, oxymorique.
35:25 On sent bien un Jésus suivi d'un surnom féminin.
35:28 Il y a là quelque chose de pré-Jean Genet.
35:31 Dans Rendez-vous avec moi-même, un autre livre, Carcault s'attribue l'invention du surnom
35:36 la caille.
35:37 Et la caille, c'est presque divine, le héros de Notre-Dame des Fleurs, qui vivra
35:42 vingt ans plus tard près du cimetière Montmartre.
35:44 L'intrigue est assez simple, policière et de peu d'intérêt.
35:48 Jésus la caille vit avec son homme, surnommé Bambou, lequel a été arrêté par la police.
35:53 Il y a un meurtre.
35:54 Le principal, c'est ce qu'on appelait l'atmosphère.
35:57 Le Montmartre interlope avec ses prostituées, ses travestis, ses trafiquants, ses Jésus,
36:03 et différentes belles villes, quartiers voisins aux coutumes semblables et qui semblent pourtant
36:09 un autre monde.
36:10 Il y a des boîtes où des prostituées mâles proposent aux clients des scènes antiques
36:15 refaites par des modèles vivants.
36:16 C'est ainsi que Jésus la caille refait la Vénus de Médicis.
36:20 Il y a porté des épaules de tout premier ordre, du naturel, et en rien de temps, il
36:26 devint célèbre.
36:27 Sa répugnance a changé la pose jusqu'à son mépris, son caprice, ou sa complaisance,
36:33 étant aussi habilement simulé par aucun.
36:35 Surtout, c'est un beau livre sur la nuit, un Montmartre.
36:39 On sent bien que Carcault l'a vécu.
36:41 Déjà, la nuit tombait.
36:43 Entre les maisons noircies du boulevard, le ciel plus clair brillait légèrement.
36:48 L'eau des ruisseaux le reflétait.
36:50 En allumé, les étalages des bars, de grands cafés, déserts et mélancoliques, et, tout
36:55 au sommet d'une étroite maison de plâtre, flamba la première réclame lumineuse.
37:00 On sort ce soir ?
37:01 Les cadres items de Charles Denzig à retrouver sur franceculture.fr et sur la playlist Radio
37:06 France.
37:07 Un grand merci à toute l'équipe du Book Club qui prépare à mes côtés cette émission,
37:10 Auriane Delacroix, Zora Vignier, Jeanna Grappard, Didier Pinault et Alexandre Alaï-Bégovitch.
37:14 C'est Thomas Beau, et oui, c'est lui qui réalise l'émission.
37:17 Merci Thomas.
37:18 La prise de son ce midi, Ruben Carmasine, à France Culture à Paris.
37:21 Et nos amis de France Bleu Touraine que je remercie également pour le duplex.
37:25 Le Book Club revient demain, bien sûr, et nous tournons quand même tous les jours.
37:29 La dernière page, voici l'épilogue.
37:30 * Extrait de la dernière page de la vidéo *
37:33 Alors, si on écoute véritablement Villard, c'est une vocation accidentelle.
37:38 Villard, c'est un modèle, mais dans le sens large du terme.
37:41 Pas un modèle qu'il faudrait suivre parce qu'il a tout bien fait, mais simplement parce
37:44 qu'il était l'un des premiers à être comédien, diriger des théâtres, des troupes, communiquer
37:49 avec le pouvoir politique en place.
37:51 À cet endroit-là, c'est un modèle formidable.
37:53 Il a la sensation de créer quelque chose d'historique, mais en même temps de très fragile.
37:57 Et les écrits sont là pour doter ces institutions-là d'une histoire et d'une certaine forme
38:02 de légitimité.
38:03 * Extrait de la dernière page de la vidéo *
38:09 Et ça roule.

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