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Transcription
00:00 "Et il y a une chose que l'histoire de l'évolution nous a apprise, c'est que la vie ne peut pas être contenue,
00:04 la vie prend le large, la vie conquiert de nouveaux territoires, elle renverse toutes les barrières,
00:08 c'est parfois pénible, c'est parfois dangereux, mais...
00:10 Enfin, c'est comme ça."
00:13 On oublie souvent qu'avant d'être cinéaste, Spielberg est aussi comme nous,
00:17 un type qui aime tout simplement les films,
00:20 et c'est du plus profond de son cœur qu'il nous offre aujourd'hui The Fablemans,
00:23 un récit semi-autobiographique et surtout une déclaration d'amour envers les films,
00:27 sur ce qu'il signifie pour lui et sur l'importance de l'art dans une vie.
00:55 Depuis ses premiers courts-métrages, Spielberg a toujours été à la recherche de l'émerveillement,
00:59 et ça marche souvent car on ne compte pas le nombre de fois où il nous a fait rêver,
01:03 en faisant jaillir chez chacun d'entre nous une émotion semblable à celle qu'il avait vécue enfant,
01:08 devant son premier film au cinéma.
01:10 "Alors le cinéma, il l'a découvert à travers un grand moment de son enfance,
01:14 qui était la découverte du film sous le plus grand chapiteau du monde de Cécile B2000.
01:18 C'est assez amusant parce que son père lui avait dit qu'il allait voir un spectacle de cirque,
01:21 et au début Steven Spielberg était assez déçu d'arriver dans cette salle de cinéma face à un écran blanc,
01:26 parce qu'il était persuadé qu'il allait voir un vrai spectacle de cirque.
01:29 Et en fait, la déception a été de courte durée, puisqu'il a été complètement subjugué.
01:32 Ce film qu'il découvre, il va avoir un tel impact sur lui,
01:36 qu'il va essayer de reproduire en tout cas une scène de crash de train.
01:41 Cette image, elle est incroyable symboliquement parlant,
01:43 c'est vraiment "je tiens le cinéma dans mes mains".
01:47 L'enfance de Spielberg a été vraiment marquée par des traumas,
01:50 dont il ne s'est jamais exorcisé.
01:52 Il a toujours été poussé à la création par cette énergie traumatique.
01:57 Déjà c'est le divorce de ses parents,
01:59 et c'est d'ailleurs très intéressant la manière dont il le traite dans "The Fablemans".
02:02 Une des raisons pour lesquelles j'ai écrit cette histoire,
02:05 c'est parce qu'à un très jeune âge,
02:08 quelque chose s'est passé dans ma vie,
02:09 ce qui est refléti dans notre film,
02:10 mais quelque chose s'est passé dans ma vie,
02:12 entre moi-même et ma mère.
02:13 Ou j'ai arrêté de percevoir ma mère comme une mère,
02:18 et j'ai commencé à la regarder comme une personne.
02:20 Les parents de Spielberg ont divorcé quand il était à la fin de l'enfance,
02:23 début de l'adolescence à peu près.
02:25 Ça a été pour Spielberg un élément déclencheur,
02:28 parce que je pense que ça a été la fin d'un rêve.
02:30 Je pense qu'il vivait vraiment dans l'illusion de la famille parfaite
02:32 jusqu'au jour où les choses ont dérapé,
02:34 et c'est pour ça que dans son cinéma on trouve cette double énergie
02:37 autour de la question de la famille et du foyer,
02:40 et à minima du couple parental.
02:41 Alors j'ai décidé de voler jusqu'à la fenêtre de ma chambre.
02:44 Mais elle était fermée.
02:47 Il m'avait oublié.
02:50 Soit la famille n'existe pas,
02:56 et dans ce cas-là c'est un idéal pour le personnage
02:58 qui va essayer de courir après,
02:59 qui va essayer de l'atteindre et qui souvent n'y arrivera pas.
03:02 C'est le cas avec le terminal.
03:04 On a cette idée qu'il y a un pays, un foyer lointain
03:06 que Tom Hanks ne peut littéralement pas rejoindre
03:08 parce qu'il est coincé dans un terminal d'aéroport à New York.
03:11 Soit la famille existe, et dans ce cas-là c'est l'inverse.
03:13 C'est-à-dire qu'elle n'a absolument rien d'idéal, rien de fantasmé,
03:16 c'est une zone de conflit, c'est une zone de souffrance.
03:18 Dans "Rencontre du troisième type" par exemple,
03:20 c'était la représentation de ses deux parents, les extraterrestres,
03:23 et la façon de communiquer représentait à la fois son père,
03:27 qui du coup représentait les outils pour discuter avec les extraterrestres,
03:32 et sa mère, qui était pianiste et qui faisait beaucoup de musique,
03:35 qui était très attachée à ça.
03:37 Du coup, cette scène de rencontre du troisième type,
03:39 c'est comme s'il faisait redialoguer ses parents.
03:41 Vous voyez, j'aimerais dire que je l'avais intendue
03:43 et que je me suis rendue compte que c'était ma mère et mon père,
03:45 mais pas jusqu'à ce moment-là.
03:46 Alors, dans le cinéma de Spielberg,
03:49 l'enfance et l'enfant ont une place très centrale.
03:52 Il a vraiment à l'esprit de raconter ces histoires
03:55 d'un point de vue d'enfant aussi et d'une réaction d'enfant.
03:57 Que ça soit dans "Hook", où la thématique de l'enfance est centrale
04:02 de par déjà l'adaptation du matériau de base,
04:04 c'est-à-dire Peter Pan, un enfant qui ne veut pas grandir
04:07 et qui ne grandit pas.
04:09 Mais au-delà de ça, Spielberg, il prend le parti pris de se dire,
04:12 bon, c'est quoi en fait la suite de la vie de cet enfant
04:15 qui a fini par grandir et qui a complètement oublié qui il était
04:18 et qui a complètement oublié son enfance et ce pan de sa vie.
04:21 Alors, il y a une règle que je veux que vous observiez
04:23 pendant que vous êtes dans ma maison.
04:26 Ne grandissez pas.
04:30 Arrêtez.
04:31 Donc ça, c'est pour la question de la famille.
04:32 Et je pense qu'il y a aussi, et The Fablemans le confirme encore une fois,
04:36 il y a la question de l'antisémitisme.
04:38 Et le truc, c'est que Spielberg a vécu l'antisémitisme,
04:40 mais il a vécu l'antisémitisme comme on peut le vivre aux États-Unis.
04:42 C'est-à-dire qu'il a vécu les brimades au collège, au lycée.
04:44 Il a été même tabassé quelques fois parce qu'il était juif.
04:47 Donc, ça a été une enfance quand même difficile.
04:49 Ma vie juive est une partie de la vie.
04:52 Ça ne fait pas beaucoup de commentaires.
04:55 C'est juste comme ça que nous avons grandi.
04:57 La bullying ne me définit pas et ça ne définit pas ma vie.
05:01 Je voulais raconter cette histoire parce que ça a résulté
05:04 dans beaucoup de mon propre conscience de l'antisémitisme,
05:07 ce qui a conduit à d'autres films sur l'antisémitisme que j'ai fait dans ma vie.
05:11 Et je pense qu'il y a un vrai geste de thérapie, en fait, dans le cinéma de Spielberg.
05:16 C'est qu'il se confronte à des questions intimes
05:19 et il en a conscience, en tout cas, plus sa filmographie avance,
05:22 plus on voit qu'il en a conscience, qu'il a conscience de ses travers-là,
05:25 de ses problèmes-là et il essaye de les analyser,
05:29 de les décortiquer par le biais d'un geste cinématographique.
05:33 Pour le réalisateur et son public,
05:35 ce Fablemans s'annonce à la fois comme un aboutissement de son cinéma
05:39 et comme un éclairage sur son passé et les origines de sa passion pour le 7e art.
05:43 Mais le film nous offre d'autres clés de lecture de son oeuvre.
05:47 Grâce à lui, j'ai mieux compris l'impact qu'a eu le cinéma sur lui en tant qu'enfant
05:50 et surtout en tant qu'être humain.
05:52 Le cinéma de Spielberg, c'est très intéressant parce qu'il projette des personnages ordinaires
05:57 dans des situations extraordinaires, que ce soit dans des invasions extraterrestres,
06:01 que ce soit dans le basculement dans un monde fantastique.
06:06 Spielberg, il a une capacité aussi à nous accompagner dans sa mise en scène
06:10 tout au long de ses récits.
06:11 L'idée de Spielberg est de penser son film
06:14 de manière à guider les émotions du spectateur.
06:17 Il y a un exemple, un plan emblématique qui est le travelling spielbergien.
06:20 Il y a toujours cette idée qu'un personnage va soit avoir une révélation intérieure sur lui-même,
06:26 soit être submergé par une émotion, être sidéré par quelque chose.
06:30 Et Spielberg va employer le travelling pour se rapprocher du personnage,
06:34 qui est une manière pour lui de déclencher chez nous une réaction inconsciente.
06:38 Je pense par exemple à la scène dans "Arrête-moi si tu peux"
06:40 où le personnage apprend le divorce de ses parents,
06:44 qui est manifesté par un travelling assez brutal,
06:47 et où on a l'impression que tout s'écroule autour de lui,
06:49 comme tout pourrait s'écrouler autour de nous si on était dans cette situation.
06:52 La grande idée, si on veut comprendre ce qui fait le sel de son cinéma,
06:56 c'est de toujours garder à l'esprit qu'un plan chez Spielberg, c'est une émotion.
06:59 On a ce plan dans "E.T." où les vélos finissent par s'envoler et passer devant la Lune.
07:05 Les enfants, grâce au pouvoir de E.T.,
07:08 parviennent à prendre cet envol et à quitter cette réalité et ce monde dans lequel ils sont,
07:14 qui, je pense, à 50%, doit sa magie aussi à la musique de John Williams.
07:20 Par exemple, pour "E.T.", Spielberg a carrément remonté la scène finale
07:23 pour coller au morceau de John Williams et pour accompagner sa musique.
07:28 Et ça, pour le coup, ça prouve à quel point ils étaient faits pour se rencontrer
07:32 et à quel point le cinéma de Spielberg n'existe pas sans la musique de John Williams.
07:37 John re-écrit mes films musicalement.
07:40 Si j'ai six drafts d'un film par un écrivain,
07:44 John est le septième et dernier drap.
07:46 Et c'est ce drap que je sors.
07:48 Par la musique, par les mots et par les images,
07:56 surtout, Spielberg s'est imposé comme un conteur à part entière,
08:00 un cinéaste qui arrive à créer des émotions pour les mettre au service de ses personnages
08:04 ou de l'histoire avec un grand H.
08:06 Le cinéma est un art qui permet de voyager dans le temps
08:09 et Steven Spielberg nous a très souvent servi de guide.
08:12 Il y a plusieurs phases dans le cinéma de Spielberg, dans sa filmographie,
08:15 et il y a plusieurs phases aussi dans son rapport à l'histoire.
08:18 Donc il va faire "La couleur pourpre" en 1985,
08:20 qui est un mélodrame centré sur le parcours d'une femme en quête d'émancipation,
08:23 mais qui est aussi un film qui parle de l'Amérique du début du XXe siècle
08:27 et de l'Amérique ségrégationniste.
08:28 Il va retenter le coup avec "Empire du Soleil" en 1987,
08:31 qui est l'adaptation du récit autobiographique de J.G. Ballard.
08:35 Et c'est probablement la première fois pour le coup que Spielberg va faire de l'histoire
08:38 avec un grand H le sujet central de son film.
08:41 Et puis, il y a eu "Indiana Jones",
08:42 qui est la première fois que Spielberg va filmer le nazisme,
08:45 sujet qui occupera plus tard dans sa carrière une place très importante.
08:48 Quand il s'est attaqué à la liste de Schindler, puisqu'on y vient en 1994,
08:52 c'était pour lui l'opportunité, par la grande histoire encore une fois,
08:56 de se reconnecter avec une dimension intime de sa personne,
08:58 en l'occurrence avec son judaïsme et son éducation juive.
09:02 Donc il y a toujours cette idée chez Spielberg de revenir aux cinéastes qui l'ont influencé
09:07 pour puiser les ingrédients nécessaires pour fabriquer son propre cinéma.
09:11 Donc je suis allé dans l'office et Ford, assis derrière son bureau,
09:14 avec ces grands chaussures. Je ne sais pas s'ils étaient des chaussures de cow-boy,
09:17 mais ils étaient des chaussures et ils étaient sur son bureau.
09:19 Et il m'a dit "Alors, tu veux être un film-faire ?"
09:23 Et je lui ai dit "Oui, monsieur. Je veux être un directeur de cinéma."
09:27 "Tu vois ces peintures autour de l'office ?
09:29 Vas-y au premier. Il y a ces peintures ouesternes."
09:32 Et il m'a dit "Dis-moi ce que tu vois dans cette première peinture."
09:34 Et je lui ai dit "Il y a un Indien sur un cheval."
09:37 Et il m'a dit "Non, non, non, non, non. Où est le horizon ?
09:42 Tu ne peux pas trouver le horizon ?"
09:44 Quand tu peux arriver à la conclusion
09:46 que mettre le horizon au bas d'un cadre ou au dessus d'un cadre
09:51 est beaucoup mieux que mettre le horizon au milieu de l'encre,
09:57 alors tu peux peut-être devenir un bon film-faire.
10:00 Sors de là.
10:01 C'est presque une clé de déchiffrement de toute sa filmographie, cette séquence-là.
10:05 Le cinéma de Ford déborde du cinéma de Spielberg.
10:08 On pourrait citer de nombreux westerns de Ford comme inspiration des Indiana Jones.
10:13 On le sent par exemple sur un autre projet qui est, je trouve, un peu sous-estimé aujourd'hui
10:17 et qui vaut vraiment le détour, qui est Lincoln.
10:18 On sent vraiment l'inspiration de John Ford.
10:20 C'est le cas aussi dans "Cheval de guerre".
10:21 Il y a la première guerre mondiale, qui est un cadre historique très important dans le film.
10:25 Et encore une fois, Spielberg va s'attacher à représenter la famille meurtrie par la guerre,
10:30 donc l'impact de la guerre sur l'individu, dans une démarche qui est très Fordienne.
10:35 Donc il y a toujours cette idée, encore une fois chez Spielberg, d'aller se confronter à ses maîtres.
10:38 Et c'est intéressant que dans "The Fablemans", il le verbalise.
10:40 C'est plus important que ton hobby.
10:42 Papa, arrête de dire que c'est un hobby.
10:44 Le cinéaste qui maîtrise le mieux le langage cinématographique,
10:53 c'est évidemment Steven Spielberg.
10:55 Tu l'as peut-être imaginé, c'est sûr.
10:57 Non, j'ai pas pu l'imaginer.
10:58 Vous avez le droit d'espérer ce que j'espère.
11:02 Et sans doute, nos espérances ne sont pas incompréhensibles pour l'autre.
11:06 Il a une place extrêmement importante, à la fois en tant que témoin de l'histoire,
11:11 mais de l'histoire en général avec un grand H.
11:15 Il a aujourd'hui peut-être la place qu'il aurait dû avoir il y a 25-30 ans.
11:19 Cette liste, c'est la vie.
11:22 Est-ce que vous comprenez ça ?
11:24 Quelque chose vous tient à cœur, vous vous battez pour ça ?
11:27 Je pense qu'il restera dans l'histoire du cinéma à tout jamais.
11:32 Je suis sûre même, j'ai pas trop de doutes là-dessus.
11:34 Si le langage du cinéma est universel, Steven Spielberg est sans doute celui qui le manie le mieux,
11:39 car il a fait rêver plusieurs générations et reste sans doute le plus grand conteur du 7e art.
11:43 [Musique]
11:51 [Silence]

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