L'interview d'actualité - Chloé Morin

  • l’année dernière
Chloé Morin publie un essai au titre évocateur : « On aura tout essayé »… Dans son ouvrage, la politologue fait référence à l’actualité sociale et politique. Après deux semaines de débats chaotiques à l’Assemblée nationale sur la réforme des retraites, quelle est la conclusion à tirer de cet échec parlementaire ? Toute réforme impulsée par le gouvernement est-elle vouée à virer au psychodrame ? « C’est le constat que j’ai fait […] si on regarde toutes les grandes réformes des années passées, on voit bien que ça finit par de la crispation, de la frustration, de la colère et sans doute à la fin d’abstention dans les urnes » observe notre invitée. Rétrospective des grandes réformes de ces dernières décennies avec Chloé Morin.
Transcript
00:00 Bientôt 8h, car c'est l'heure de l'interview d'actualité. Et Julia, vous recevez ce matin la politologue Chloé Morin.
00:05 Bonjour Chloé Morin, merci d'avoir accepté notre invitation.
00:08 Vous êtes politologue et vous publiez chez Fayard cet essai au titre évocateur "On aura tout essayé",
00:14 qui forcément résonne avec l'actualité sociale et politique.
00:17 Après deux semaines de débats chaotiques à l'Assemblée nationale sur la réforme des retraites,
00:21 est-ce que vous diriez définitivement que toute réforme est vouée à tourner au psychodrame dans notre pays ?
00:27 En tout cas, le constat que j'ai fait au départ quand je me suis lancée dans l'écriture de ce livre,
00:33 c'est-à-dire que si on regarde toutes les grandes réformes des années passées,
00:37 on voit bien qu'à chaque fois ça finit par de la crispation, de la frustration, de la colère,
00:41 et sans doute à la fin, davantage encore d'abstention dans les urnes.
00:46 Et c'est pour ça que je suis allée voir des dirigeants politiques, des dirigeants syndicaux.
00:51 Vous avez rencontré une trentaine de personnes, d'Edouard Philippe à Marine Le Pen,
00:55 en passant par François Ruffin, Fabien Roussel, vous le dites également,
00:58 des syndicalistes et des chefs d'entreprise.
01:00 Qu'est-ce qu'ils vous disent ? Que la France est devenue ingouvernable ?
01:03 Eux, ils disent que la France est de plus en plus difficile à gouverner en effet.
01:06 Les causes, elles sont évidemment multiples, mais si on revient à la réforme des retraites,
01:12 je pense que le problème de départ, c'est les conditions de réélection d'Emmanuel Macron.
01:17 On voit bien qu'il y a deux légitimités qui s'affrontent et qui sont fondées en quelque sorte chacune.
01:22 C'est d'un côté la légitimité d'un président qui dit "mais moi j'ai été élue sur un programme,
01:26 la retraite à 65 ans était dedans et finalement voilà, donc je suis fondée à appliquer ce programme".
01:32 Et puis en face, des gens qui sont nombreux, qui sont contre le report de l'âge légal de départ à la retraite
01:38 et qui disent "mais nous on a certes réélu Emmanuel Macron, mais contre Marine Le Pen
01:42 et en rejet de Marine Le Pen et donc on n'a pas du tout validé ce projet".
01:47 Et donc ces deux légitimités s'affrontent et s'ignorent et le débat tourne en rond, on le voit bien depuis deux semaines.
01:53 Alors vous dressez également la liste des blocages qui nuisent au bon fonctionnement de notre démocratie.
01:58 Vous pointez notamment du doigt un manque de travail intellectuel de la part de nos responsables politiques.
02:03 Franchement, on peut le dire, nos leaders ne sont pas au niveau intellectuellement.
02:07 Oui, alors il y a un effet loupe lié au fait qu'on retient de l'histoire les grands hommes et pas les hommes médiocres.
02:15 On a l'impression que forcément du temps de De Gaulle, il n'y avait que des De Gaulle ou des Pompidou etc.
02:21 Donc ça c'est vrai et aujourd'hui il reste encore quelques responsables politiques avec une vraie vision.
02:26 Néanmoins, la plupart des gens que j'ai interrogés disent "on manque de travail,
02:33 on manque de personnes qui savent prendre du recul, qui ont une vraie vision, qui ont de vraies convictions".
02:39 Il y a un problème de recrutement apparemment, parce que les grands chefs d'entreprise que vous avez rencontrés,
02:44 qui pourraient aussi avoir envie de diriger le pays, n'ont pas du tout envie d'y aller apparemment.
02:48 Souvenez-vous, je prends un seul exemple, mais lorsque le président de la République propose à Véronique Bédag,
02:54 qui est la patronne de Next City, de devenir Premier ministre, elle refuse.
02:58 Et pour quelle raison à votre avis ?
03:00 D'après ce que moi je peux en comprendre, c'est parce que le prix de l'engagement aujourd'hui est très important.
03:08 Et lorsque vous vous engagez en politique, certes vous allez être sous le feu des critiques, et ça c'est bien normal,
03:17 mais y compris sur tous les aspects de votre vie privée.
03:20 On regarde où vous mettez vos enfants à l'école, ce qu'ils font, on regarde la marque de votre voiture,
03:26 où vous partez en vacances, etc. Et je pense qu'il y a de moins en moins de gens qui…
03:31 Le candidat, cela.
03:32 Oui, c'est ça.
03:33 Alors votre constat il est simple, les Français sont de plus en plus nombreux à dire "on a tout essayé",
03:38 la gauche, la droite, ni droite ni gauche, et ils sont toujours déçus. Comment vous expliquez ça ?
03:44 Alors il y a deux, à mon avis, il y a deux sujets majeurs qui expliquent ça.
03:50 La première chose c'est une crise de la décision publique, c'est la manière dont on prend les décisions dans ce pays,
03:55 nos institutions, c'est ce que je disais sur la réforme des retraites, en fait nos institutions n'arrivent plus à fabriquer de la légitimité
04:01 pour que le président élu arrive à mener bien son projet au-delà des trois premiers mois où il arrive à peu près à agir.
04:08 Et puis il y a une deuxième crise majeure, c'est la crise de l'action publique, c'est-à-dire qu'en fait on ne réforme pas l'État,
04:16 on en parle tout le temps mais on ne le fait jamais vraiment en profondeur,
04:19 et les gens voient bien que tous les services publics sont en train de se délabrer,
04:22 c'est vrai de l'hôpital, c'est vrai de l'éducation, et ce sujet-là, aucun responsable politique n'arrive à le prendre à la racine
04:29 parce qu'en fait réformer l'État c'est quand même extrêmement complexe.
04:32 Ce sont des débats qui sont difficiles à porter parce que parler aux gens des rouages de l'État, c'est très compliqué,
04:40 donc souvent en fait on caricature le débat et c'est ceux qui veulent supprimer 100 000 fonctionnaires contre ceux qui veulent dépenser plus.
04:48 Et en attendant on n'agit pas et ça traîne et c'est pour ça que tout est délabré comme vous le dites.
04:53 Est-ce que ça veut dire que le dialogue social n'existe plus dans notre pays ?
04:58 Parce que dans votre livre vous dites que les corps intermédiaires, c'est-à-dire les syndicats, sont écrasés, ignorés, malmenés par le pouvoir.
05:04 Ils n'arrivent plus à se parler, syndicats et gouvernement ?
05:07 En tout cas il y a eu une rupture réelle des syndicats avec Emmanuel Macron.
05:12 Ils disent leur sentiment d'être méprisés, d'ailleurs on le voit aujourd'hui lorsqu'ils s'expriment dans les médias,
05:19 et ils disent qu'ils n'avaient pas été autant méprisés ni par Nicolas Sarkozy ni par François Hollande.
05:27 Après c'est difficile de dire le vrai du faux parce qu'en face les responsables politiques disent
05:33 "mais attendez les syndicats dans notre pays sont irresponsables, on ne peut pas leur faire confiance, on leur confie des choses et ils ne font rien avancer".
05:38 Donc il y a cette espèce de dialogue de sourds entre le pouvoir et les syndicats.
05:43 La seule chose en tout cas moi que j'observe c'est qu'on peut se féliciter de ce qu'ils organisent des manifestations très encadrées et pacifiques
05:51 parce que ce qui monte aussi parmi leurs militants c'est la tentation de la violence.
05:55 Avec le précédent des Gilets jaunes où les gens ont vu que quand en fait les gens cassaient, le pouvoir cède.
06:01 Et cette tentation là elle existe véritablement.
06:03 Alors dans votre livre vous posez ouvertement la question, la suite de tout ça c'est quoi ?
06:07 Est-ce que c'est Marine Le Pen présidente ?
06:09 En tout cas les français sont de plus en plus nombreux à pronostiquer ça.
06:13 Ça ne veut pas dire qu'ils le souhaitent forcément mais j'ai fait des sondages pour ce livre
06:17 et c'est vrai que Marine Le Pen est celle dont le plus de français disent "ça sera probablement elle la prochaine fois".
06:23 C'est 44%, ce n'est pas un chiffre énormément plus mais c'est devant Édouard Philippe et devant les autres concurrents potentiels que j'ai testés.
06:30 C'est vrai que c'est très tôt pour tester ce genre d'hypothèse.
06:33 Mais l'autre concurrent potentiel de Marine Le Pen serait Édouard Philippe alors ?
06:36 En tout cas il est aujourd'hui l'un des hommes politiques préférés des français
06:40 et donc c'est une option à ce stade qui est quand même très précoce pour la prochaine campagne présidentielle.
06:45 C'est une des options qui est pressentie.
06:47 Merci beaucoup Chloé Morin d'avoir accepté notre invitation.
06:50 Je rappelle que vous publiez chez Fayard cet essai "On aura tout essayé".
06:54 Merci à vous.

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