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Pour l’économiste, Olivier Babeau, le travail est sorti de nos vies : «Le travail est sorti de nos vies d’une certaine façon».

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Transcription
00:00 Certainement pas, au contraire, je me réjouis de cette fuite du travail,
00:04 du fait que le travail est sorti de nos vies d'une certaine façon.
00:07 Alors c'est vrai qu'on n'a pas tellement l'impression...
00:08 - On ne va pas exagérer non plus.
00:09 - Non mais quand on travaille, on est dans la vie active,
00:11 on se dit bon quand même, il y a beaucoup de travail.
00:13 Mais si on regarde avec un petit peu de recul,
00:14 le recul c'est d'abord celui du temps.
00:16 Au 19e siècle, on travaillait 4000 heures par an
00:19 et on avait une vie qui était assez courte.
00:20 Ce qui fait que si vous regardez sur une vie éveillée, en temps éveillé,
00:24 c'est 70% de votre vie que vous travaillez.
00:26 Vous ne vous jamais oubliez que quand on a fait la retraite à 65 ans en 1945,
00:29 l'âge, l'espérance de vie moyenne des ouvriers était plutôt autour de 60.
00:33 Malheureusement, on était en général plutôt morts.
00:35 C'est extraordinaire, le temps de travail,
00:37 il n'a fait que refluer tout au long du 20e siècle.
00:40 En 1950, on était autour de 1900 heures
00:42 et puis aujourd'hui, on est entre 1400-1600.
00:44 On a gagné, depuis 1950, on a gagné l'équivalent de deux mois de vie éveillée.
00:49 Aujourd'hui, vous vivez 80-85 ans, c'est-à-dire l'espérance de vie moyenne.
00:53 Vous faites une carrière aux 35 heures.
00:54 Ce n'est pas notre cas à tous, on travaille un peu plus sans doute.
00:57 Vous faites une carrière aux 35 heures,
00:58 votre vie éveillée, travaillée, c'est 12% de votre vie.
01:01 Alors, on peut parler des chiffres,
01:03 mais l'intérêt, c'est de se dire autrefois, votre vie, c'était du travail
01:07 où vous alliez insérer un peu de loisir, tant bien que mal, de temps en temps.
01:10 Le 19e siècle, il avait quasiment disparu,
01:11 vous n'aviez quasiment plus de dimanche,
01:13 la condition ouvrière, on le sait, a été terrible.
01:15 Et puis, il y a eu un lent regain,
01:17 où on va avoir regagné à nouveau du temps libre.
01:20 Et aujourd'hui, c'est extraordinaire, notre vie, c'est, qu'on le veuille ou non,
01:23 parce qu'on vit de plus en plus longtemps.
01:24 Et c'est super, des loisirs dans lesquels on va insérer du travail.
01:28 Voilà. Et le problème, dites-vous, c'est que l'usage que l'on fait de ces loisirs
01:34 accentue les inégalités.
01:36 En fait, on a le choix et on a même énormément le choix.
01:39 On n'a jamais eu autant le choix, mais c'est ça qui devient périlleux.
01:43 Exactement. Alors, c'est un peu contre-intuitif de dire
01:45 ne laissez pas les loisirs gâcher votre vie,
01:47 puisque notre vie, elle est faite pour les loisirs.
01:49 C'est en vue de ça qu'on travaille, n'est-ce pas, qu'on gagne notre croûte,
01:53 qu'on va tous les jours au bureau quand on a la chance d'avoir,
01:55 évidemment, un emploi, quand on va travailler.
01:56 Et puis, on a enfin ce temps libre dont on va pouvoir faire ce qu'on veut,
01:59 où on pourra être nous-mêmes, pouvoir faire ce pourquoi on est fait.
02:03 Alors, en quoi on peut gâcher notre vie avec ces loisirs ?
02:06 Parce qu'il y a plusieurs sortes de loisirs.
02:08 Il y a plusieurs façons de les occuper, des façons qui vont être plus riches
02:12 que d'autres, qui vont nous enrichir, qui vont nous amener vers les autres,
02:16 ou au contraire, des façons qui vont être un peu plus appauvrissantes.
02:21 Alors, il y a un article du Wall Street Journal il y a quelques mois qui disait
02:24 7 millions de jeunes entre 25 et 54 ans sont sortis du marché du travail
02:28 aux États-Unis à la faveur du Covid.
02:30 Qu'est-ce qu'ils font ? Ils jouent à Call of Duty sous drogue.
02:34 Et ils jouent en moyenne 2000 heures par an,
02:36 c'est-à-dire l'équivalent du nombre d'heures de travail qu'ils faisaient avant,
02:39 c'est-à-dire qu'en fait, ils ont arrêté de bosser
02:41 et ils se sont mis à jouer à Call of Duty sous drogue.
02:43 Il y a plein de jeux vidéo super bien,
02:44 mais enfin, il y en a qui sont peut-être un peu moins intéressants,
02:46 surtout quand on en fait un petit peu trop.
02:48 Parce que ce que je dis, c'est que bien sûr, le problème,
02:50 ce n'est pas le divertissement,
02:51 ce n'est pas le fait de se délasser de rien faire.
02:54 Ça arrive à tout le monde et il faut le faire.
02:55 Et c'est naturel. Le problème, c'est l'excès,
02:57 c'est-à-dire que la partie divertissement de notre loisir a phagocyté
03:01 les parties plus riches, celles que j'appelle la scolette,
03:03 c'est-à-dire le loisir studieux, celui où on va s'enrichir,
03:06 le cas du livre, bien sûr, qu'on va lire ou du sport qu'on va faire.
03:10 Et puis, ce que j'appelle le loisir aristocratique,
03:11 c'est-à-dire le loisir où on va vers les autres,
03:14 le loisir familial, le loisir amical, le loisir d'agrégation sociale.
03:17 [Musique]
03:21 [SILENCE]

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