"L'alcool me servait à oser affronter la vraie vie quand je sortais."
Dès l'âge de 9 ans, Marie Ange est tombée progressivement dans l'alcool. Réel facteur de lien avec sa maman, elle-même alcoolique, elle nous confie son histoire, ainsi que le déclic qui l'a sorti de cet engrenage.
Dès l'âge de 9 ans, Marie Ange est tombée progressivement dans l'alcool. Réel facteur de lien avec sa maman, elle-même alcoolique, elle nous confie son histoire, ainsi que le déclic qui l'a sorti de cet engrenage.
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00:00 Au collège, je me réveillais avec la gueule de bois, j'ai compris très vite ce que c'était.
00:03 L'alcool me servait à ce que je puisse vivre comme tout le monde, en fait.
00:06 Moi, j'ai commencé un rapport malsain avec l'alcool quand j'avais à peu près 7-8 ans.
00:10 Plus spécialement, entre 9 et 10 ans, CM1, CM2, c'est devenu quelque chose de régulier.
00:15 Parce que tout simplement, ma mère, elle est tombée dans l'alcool quand j'étais plus jeune
00:19 et ça s'est développé à la séparation de mes parents.
00:21 C'était festif, mais c'était aussi une aide pour elle.
00:25 Et après, ça devenait une complicité pour nous.
00:26 La première fois que j'ai pris de l'alcool, c'est parce qu'elle m'avait proposé un verre, oui,
00:30 et elle rentrait du travail.
00:32 Elle s'était disputée avec ma grand-mère pour une raison annexe.
00:35 Je savais que c'était des moments où elle était de très mauvaise humeur
00:39 et surtout, pour le coup, très triste.
00:41 Donc, je l'ai entendue pleurer, j'étais curieuse, je revenais de l'école.
00:44 Elle se sert un verre, elle me dit que ça lui fait du bien, qu'elle est triste.
00:49 Elle va juste prendre ça pour dormir un peu ou pour moins penser.
00:51 Et elle me demande si j'en veux un.
00:52 Les tout premiers, c'était joyeux.
00:54 C'était un moment où je la retrouvais, où elle n'allait pas s'enfermer et être triste.
00:59 À l'âge que j'avais, un verre ou deux, je rigolais ou parfois je m'endormais.
01:03 Les premiers mois, je n'avais pas conscience que c'était spécialement hyper mauvais.
01:07 Son alcool, à elle, nous faisait venir, oui, les pompiers assez souvent.
01:12 Et quand elle, elle débordait, elle pouvait casser les murs,
01:15 elle pouvait arracher les prises de téléphone.
01:18 Il y a eu des chutes dans l'escalier où elle s'est cassée le nez.
01:21 Il y a eu des fois où elle a eu envie de se raser les jambes,
01:24 mais elle avait déjà 3 grammes, donc elle n'a pas senti la façon dont elle appuyait sur le rasoir,
01:28 mais elle s'est arrachée les chevilles.
01:30 Moi, j'étais là, je lui ai fait les pansements.
01:32 Après, il a fallu la monter dans sa chambre.
01:34 Elle s'est cassée la figure, elle s'est ouverte la tempe.
01:37 Je l'ai mise au lit, je l'ai soignée.
01:39 J'étais infirmière, j'étais utile, j'étais maternante.
01:42 Et en fait, tout ce que je voulais, c'était ça.
01:44 On avait les rôles inversés.
01:46 Et même si j'en avais plus ou moins conscience,
01:48 j'ai toujours grandi dans l'idée que quand moi, j'aurai 18 ans,
01:51 je vais travailler, je vais la prendre chez moi pour avoir une chambre en plus
01:54 et je vais la sortir de là, en fait.
01:57 Mon père, il n'a jamais été au courant de rien.
01:59 Quand j'allais chez lui parce qu'elle avait eu la garde
02:01 et que j'allais chez lui les week-ends, je ne prenais pas d'alcool.
02:05 J'étais très silencieux, j'étais très réservée.
02:07 Pour moi, c'était vraiment comme si j'avais deux personnalités
02:10 ou deux relations complètement séparées.
02:12 Je n'avais pas envie qu'il ait honte, je n'avais pas envie qu'il crie sur moi,
02:15 je n'avais pas envie qu'il crie sur elle.
02:16 Je n'avais pas envie d'en être privée, même si je savais que c'était des rapports moisis,
02:20 mais je ne voulais pas qu'il lui arrive quoi que ce soit ou qu'on m'en éloigne.
02:22 C'est souris, silence et solide, c'est les trois S.
02:25 Je devais rester comme ça.
02:26 C'est jusqu'au fur et à mesure des années, j'ai commencé à prendre goût à l'alcool
02:30 et quand j'étais chez lui, ça pouvait être mon aération,
02:33 mais je savais que j'avais envie de rentrer parce que j'allais prendre de l'alcool.
02:37 Plus vieille, en grandissant, je regardais ses placards
02:39 et là, j'ai senti que c'est moi qui partais en suicide parce que j'en avais envie.
02:43 Ce n'était plus la même chose.
02:45 Et cette atmosphère moisie m'a quand même fait faire une tentative de suicide
02:48 quand j'étais en CM2.
02:49 Il s'est rendu compte un peu de l'ampleur des choses.
02:51 Donc après, j'ai vu "batterie d'opti" et "est-ce que tu veux".
02:54 Après ça, l'année s'est terminée, on a continué.
02:57 Elle a fait une cure.
03:00 On est parti en vacances dans le sud.
03:02 Elle a rencontré un nouvel amoureux.
03:03 Tout ça, en plusieurs mois, très vite, ça s'est accéléré.
03:06 Elle s'est calmée.
03:07 Moi, j'ai arrêté d'avoir ces moments d'alcool avec elle.
03:10 Et donc, on s'est installés.
03:12 On s'est installés ensemble quand j'ai démarré la sixième
03:15 avec son fameux amoureux.
03:17 Il y avait toujours de l'alcool, même si c'était une phase positive
03:20 et pleine d'espoir de la nouvelle vie future.
03:23 Mais c'était de l'alcool plus discret.
03:25 C'était un alcool plus régulier, mais moins lourd, moins toxique
03:29 parce qu'il est plus joyeux, il est plus léger.
03:32 Il n'y a pas les grosses conséquences derrière.
03:34 Sauf que manque de bol, elle a choisi un homme qui, même s'il était pompier,
03:37 il aimait un peu trop la bouteille.
03:38 Il aimait bien nous faire des bleus.
03:39 Donc, on a très vite rebasculé dans un truc un peu plus hardcore.
03:42 Moi, je buvais moins à l'époque de l'entrée du collège
03:45 parce que je n'avais plus besoin de cette complicité avec elle.
03:49 Par contre, c'était différent.
03:50 C'était moins souvent et pas pour les mêmes raisons,
03:53 mais c'était l'apéro festif parce que lui, il aimait ça aussi.
03:58 Et comme là, j'étais au collège, on va dire que 12, 13 ans,
04:01 l'apéro le week-end, pour certaines familles,
04:03 ce n'est pas très grave de faire goûter l'alcool à un ado.
04:06 Il vaut mieux que ce soit avec nous qui découvre qu'il soit malade
04:08 plutôt qu'avec les autres.
04:09 C'est souvent des phrases que les adultes disent.
04:11 En conséquence, comme si en leur donnant nous-mêmes la main
04:15 sur l'alcool à nos enfants, ça allait empêcher les dérives,
04:19 les excès ou les mauvais rapports, ce qui est absolument faux.
04:22 Par contre, c'était moins souvent et c'était pour de meilleures raisons,
04:25 on va dire, ou des raisons plus légères, mais c'était l'alcool plus fort.
04:28 Donc, c'est ça aussi, le fait de changer de niveau d'alcool
04:32 qui m'a fait tomber dans un alcoolisme vraiment chronique.
04:35 Les relations se sont dégradées avec lui assez rapidement
04:37 parce que d'après ce que j'ai pu comprendre,
04:39 il n'était pas tout à fait honnête dans sa vie personnelle.
04:42 Il est venu s'installer chez nous, mais il était toujours marié.
04:45 Il avait un enfant, enfin un ado, qui avait quasiment le même âge que moi.
04:48 Et il avait une belle face de sourire,
04:51 mais dès qu'on fermait la porte de la maison, c'était vraiment une autre personne.
04:55 Au début, c'était un ou deux whisky trop qui le rendaient énervé
04:58 parce que son ex lui prenait la tête et il ne pouvait pas voir son fils.
05:02 Il y a une fois où j'ai pris un coup devant elle,
05:05 parce que je me suis interposée pendant leur dispute,
05:07 et il lui a mis la même à elle.
05:09 On est sortis, on a atterri chez ma grand-mère, on a réussi à faire la route.
05:12 Au collège, j'étais constamment fatiguée.
05:14 Je me réveillais avec la gueule de bois, j'ai compris très vite ce que c'était.
05:17 Et je m'arrangeais pour trouver un peu d'argent.
05:20 Jamais voler, mais faire des trucs qu'on dit à des gamins pour avoir de l'argent de poche.
05:24 Comme je n'avais pas changé de collège et qu'on habitait pas très loin de l'épicier à l'époque,
05:29 l'épicier me connaissait bien.
05:30 J'avais l'habitude d'aller acheter son stock pour eux en bas de la maison,
05:34 même si je n'étais pas majeure.
05:35 Donc, en fait, ils ne voyaient pas d'inconvénient à ce que je vienne acheter mon stock le matin,
05:40 même si c'était pour moi avant d'aller au lycée.
05:41 Le gars ne savait pas que c'était pour moi.
05:44 Et donc, je pouvais avoir accès à ça.
05:46 Je me faisais interroger par mes profs.
05:47 Et parfois, j'étais de travers pour aller jusqu'au tableau, mais j'étais mort de rire.
05:51 Moi, ça me faisait rigoler.
05:53 Ça me permettait aussi de soigner une angoisse, parce qu'à vivre comme ça,
05:56 tu sais que quand tu sors dehors, t'as peur des gens, en fait.
05:59 T'as peur que ça se voie, t'as peur que ça se sache.
06:01 Donc, l'alcool aussi me servait à oser affronter la vraie vie quand je sortais.
06:05 Et c'est vraiment au collège que c'est devenu un besoin,
06:08 parce que qui dit collège comparé à l'école primaire dit les regards,
06:12 dit la popularité, dit encore plus d'élèves partout, encore plus d'adultes partout.
06:17 J'ai eu la chance qu'une infirmière me botte le cul un peu plus
06:20 parce qu'elle en avait marre de me voir végéter les après-midi sur son lit.
06:23 Et c'est ça, en fait, qui m'a aidée et qui m'a servi un peu.
06:26 C'est juste que ça faisait plusieurs fois dans la semaine
06:28 que j'étais venue dans l'après-midi à la place de...
06:30 Je sortais toujours du même prof.
06:32 Et là, vraiment, je me suis réveillée et je savais plus où est-ce que j'étais.
06:35 J'étais arrivée à un stade où je savais même pas
06:37 que j'étais en train de dormir dans l'infirmerie.
06:39 Et elle me dit "ouais, c'est la troisième fois,
06:42 faudrait quand même voir à arrêter, etc."
06:45 Et en fait, je me souvenais plus que...
06:48 Voilà, dans le début de semaine, elle m'avait déjà fait la morale.
06:51 Mais là, vraiment, elle m'a levée.
06:52 Elle m'a levée un peu plus tôt que mon heure de bus
06:54 parce qu'elle avait envie de me sermonner comme si j'étais son enfant, en fait.
06:58 Et elle m'a dit des paroles...
07:00 Pas beaucoup, mais juste celles qui m'ont réveillée en mode
07:03 "qu'est-ce que tu donnes comme image de ta famille à toi
07:05 en prenant le même chemin alors que t'as qu'une envie,
07:08 c'est de faire l'inverse pour ta mère,
07:10 tu lui fais honte à elle aussi et tu dois juger ses excès
07:13 alors que tu n'es pas mieux, etc."
07:15 Et en fait, c'était exactement ça.
07:16 Et ce sentiment de honte et de déception,
07:20 j'avais pas envie de décevoir, même si c'était une étrangère, en fait.
07:23 Mais j'avais pas envie que visuellement, les choses se voient.
07:25 Et j'étais arrivée à un stade où ça se voyait que j'aimais l'alcool,
07:28 ça se voyait qu'en fait, les cours me passaient par-dessus
07:30 parce que je préférais aller dormir.
07:31 J'avais franchi le truc que je m'interdisais tout le temps, en fait.
07:35 Et c'est là où je me suis dit "Il est 5h15 de l'après-midi,
07:38 je dois prendre un bus pour rentrer chez moi.
07:40 Dans deux heures, je serai à table avec mon père."
07:42 Et là, je me réveille, je suis bourrée, j'ai la gueule pâteuse,
07:45 j'ai la honte de me dire que je sens l'alcool
07:47 et que je vais fréquenter des gens dans le bus.
07:49 Et en plus, je sais plus où est-ce que je suis.
07:51 C'était trop cumulé d'un coup.
07:53 Et je me suis dit "En fait, ouais, t'es en train de tomber très, très bas là.
07:56 Tu es devenu ton propre problème, quoi."
07:59 Elle m'a proposé des programmes auxquels j'ai refusé.
08:02 Mais par contre, j'ai accepté des écoutes téléphoniques.
08:05 Cette ligne d'écoute-là m'a beaucoup aidée parce qu'en fait, c'était ma béquille.
08:08 Et du coup, ma seule solution, c'était de discuter.
08:11 Ma seule solution, c'était "Assume dans l'état que tu es,
08:14 de toute façon, tu les connais pas, tu les verras jamais,
08:17 y a rien qui est fiché, c'était comme si tu écris dans un journal intime,
08:21 sauf que là, tu as la personne qui te conseille ou qui te calme,
08:24 qui te dit que ça peut changer, ça peut évoluer,
08:27 que ta vie n'est pas foutue, ta vie n'est pas finie."
08:30 Donc j'ai passé le printemps, été et les grandes vacances
08:33 avec le numéro vert en me disant "ça va le faire, ça va le faire".
08:37 Je me suis éloignée pendant les vacances, donc c'était aussi un peu plus léger.
08:40 J'avais moins ce rapport d'angoisse.
08:41 Je voyais aussi moins souvent ma mère.
08:43 J'ai pris la décision de m'en éloigner un peu sous de faux prétextes,
08:46 mais de moins aller les week-ends, comme ça j'avais moins envie,
08:49 j'étais moins tentée.
08:50 Parce que du coup, elle, elle continuait de s'enfoncer,
08:52 mais il y avait un mauvais truc, c'est qu'elle se vexait.
08:54 Donc si je refusais son verre,
08:56 c'était pas parce que j'essayais de gérer mon problème ou que j'avais un problème,
08:59 parce qu'elle avait pas du tout conscience de ça.
09:01 Et heureusement, parce que je pense que ça l'aurait fait boire trois fois plus de culpabilité
09:04 de se rendre compte qu'elle m'avait amenée à ça, en fait.
09:07 L'été m'a aidée parce que du coup, j'avais plus les angoisses des gens du collège
09:10 et arrivé au lycée, nouveau lycée, nouvelle maison,
09:13 nouvelle classe, nouvelle fréquentation.
09:15 Et au jour d'aujourd'hui, ça fait pas partie de mon quotidien.
09:17 Là, j'ai la fierté de me dire, pour mon petit garçon,
09:20 ça doit pas faire partie de notre vie.
09:22 La fierté de me dire que c'était il y a 10 ans, il y a 15 ans
09:25 et que ça fait plus partie de mon corps non plus.
09:27 Ce que je dirais à la jeune fille qui est en manque, qui est en sueur,
09:31 qui a des crampes, qui sait pas où elle est ou qui a la bouche pâteuse
09:34 et qui se dit "merde, dans quel beau drap je me suis mise",
09:37 je lui dirais que tu t'es mise peut-être honteuse,
09:40 mais c'est un fait, c'est un moment, c'est un carton.
09:43 C'est pas une fatalité et c'est pas jusqu'à la fin de ta vie.
09:46 Tu as peut-être passé un moment honteux,
09:48 mais tu n'es pas une honte toi en soi
09:50 et ça ne fait pas de toi quelqu'un d'addict à vie.
09:55 Donc je lui dirais de s'assumer, de continuer à se dire la vérité,
10:00 de ne pas fuir son état et de discuter en fait.
10:03 Et que dans 10 ans, elle aura une vie complètement normale
10:06 et elle craint rien finalement.
10:08 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
10:11 Merci à tous !
10:13 [SILENCE]