"On a une invasion des produits alimentaires trop transformés", alerte l'épidémiologiste Jean-David Zeitoun

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Comment notre quotidien nous rend-il malade ? Comment l'activité humaine produit de plus en plus de maladies ? Aujourd'hui, l'épidémiologiste Jean-David Zeitoun est l'invité de la matinale pour son livre “Le suicide de l’espèce”, paru chez Denoël.

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Transcription
00:00 Les activités humaines provoquent de plus en plus de risques de maladie à cause notamment
00:04 de l'industrie alimentaire, à cause de la pollution liée à notre croissance.
00:09 Notre invité ce matin, il voit même le suicide de l'espèce.
00:13 C'est le titre de votre livre paru chez De Noël.
00:16 Bonjour Jean-David Zaytoun.
00:17 Bonjour.
00:18 Vous êtes docteur en épidémiologie clinique et vous brossez donc un tableau assez sombre
00:24 des risques de maladie et de mortalité dans le monde.
00:26 Vous pointez même une forme d'absurdité à maintenir certains choix industriels.
00:32 Elle se situe où l'absurdité ?
00:34 Un niveau d'absurdité c'est dans le fait d'un côté de produire des risques qui eux-mêmes
00:39 produisent des maladies et de l'autre côté avoir à investir ou même à dépenser de
00:44 plus en plus d'argent pour traiter les complications de ces risques, c'est-à-dire pour traiter
00:47 les maladies causées par les activités industrielles.
00:49 Notamment l'industrie alimentaire.
00:51 Mais je croyais que notre espérance de vie augmentait toujours.
00:54 Ce n'est plus le cas ?
00:55 Pas du tout.
00:56 En Allemagne, on sait que ce n'est plus le cas.
00:57 Depuis 2010 de toute façon, la plupart des indicateurs de santé dans pas mal de pays
01:01 riches, on ne parle même pas des pays non riches, on parle des pays riches, la plupart
01:04 des indicateurs de santé sont en moindre progression, en stagnation, voire en décroissance
01:09 pour certains pays.
01:10 Donc ça, c'est depuis 2010 à peu près.
01:12 Et en France, par exemple, on sait que l'espérance de vie n'augmente plus puisque l'INSEE
01:18 a publié en janvier les données de 2022 qui s'arrêtent à novembre 2022 et qui
01:21 montrent que l'espérance de vie en France n'a pas augmenté par rapport à 2019 qui
01:25 est la dernière année sans pandémie.
01:26 Mais pour reprendre le thème de votre livre avec les risques de maladie, on connaît
01:31 aujourd'hui des indicateurs précis pour dire que notre façon de vivre et de consommer
01:37 influent sur notre espérance de vie.
01:39 Il y a des indicateurs précis là-dessus ?
01:40 Oui, on a plein de données qui montrent qu'on a une croissance des maladies chroniques
01:46 et des maladies chroniques qui sont provoquées par des activités humaines ou industrielles,
01:50 ce qui revient en même.
01:51 Oui, bien sûr, ça, on le sait.
01:52 Je rebondis sur l'espérance de vie parce qu'on est en plein débat sur la réforme
01:57 des retraites.
01:58 Quand vous dites qu'effectivement notre espérance de vie ne progresse plus, ça veut
02:01 dire que c'est faux quand on entend dire au contraire qu'il faut repousser l'âge
02:06 légal parce qu'on vit beaucoup plus longtemps aujourd'hui en France ?
02:09 Je ne parlerai pas de la réforme des retraites que je ne connais pas.
02:11 Ce n'est pas seulement pour ne pas prendre des risques moi-même.
02:13 Ce n'est pas ma question, mais c'est là que j'ai un souci.
02:14 L'espérance de vie ne progresse plus en France actuellement et c'est très difficile
02:18 de savoir si elle va progresser dans les cinq ans.
02:21 Alors dans les dix ans, je n'en parle même pas, c'est pratiquement impossible de savoir.
02:23 Une question encore avant de rentrer vraiment, de plonger dans le cœur de votre livre.
02:28 Les risques sont en croissance, en gros, vous expliquez, parce qu'ils appartiennent à
02:32 la croissance économique mondiale dans laquelle on vit.
02:35 C'est notre société aujourd'hui.
02:37 Est-ce que ce livre est une manière d'appeler les gens à devenir des décroissants ? Est-ce
02:41 que vous allez jusque là ? On perçoit ça dans votre ouvrage.
02:44 Le livre fait exprès de ne pas dire ça parce que c'est un débat qui est super inflammatoire
02:48 et qui est compliqué à avoir, mais clairement, il faut avoir conscience au minimum.
02:51 Je pense qu'aujourd'hui, on a une croissance économique dont certaines composantes sont
02:55 productrices de risques et de maladies.
02:57 On a une croissance qui est de qualité insuffisante, si vous voulez le dire comme ça.
03:00 Il y a beaucoup de points de PIB, puisque la croissance est des points de PIB, il y
03:04 a beaucoup de points de PIB qui sont soit des points de production de risques, soit
03:08 des points de réparation des problèmes causés par les risques.
03:11 Je pense que personne ne trouve que c'est raisonnable d'avoir une croissance économique
03:14 qui contient ça.
03:15 Donc vous nous demandez de ralentir un peu.
03:18 Il faut que la croissance économique, au minimum, change de nature.
03:21 Et après, il y a un débat que je ne suis pas 100% capable d'avoir sur la distinction
03:26 entre la croissance et le développement.
03:27 Tout le monde dit qu'il faut du développement.
03:29 Les économistes sont encore nombreux à penser que la croissance et le développement, c'est
03:33 un peu pareil, qu'il faut de la croissance économique.
03:34 Mais il y a plein de gens qui pensent autre chose et je pense qu'au minimum, il faut
03:37 les écouter.
03:38 Sauf que le débat aujourd'hui est de dire que la croissance, pourquoi pas, mais il
03:40 faudra en changer les marqueurs de croissance.
03:42 Et donc ce secteur de l'alimentaire devenu une industrie à risque, c'est l'un des
03:49 gros chapitres de votre livre.
03:50 Ce qui est paradoxal d'ailleurs, car cette industrie est aussi celle qui a permis justement
03:54 d'augmenter notre espérance de vie dans les années précédentes.
03:57 Que s'est-il passé pour inverser la tendance ?
03:59 Alors ce n'était pas une industrie justement quand ça a permis d'augmenter notre espérance
04:03 de vie.
04:04 C'est vrai que c'est l'alimentation qui est une des quatre principales causes du
04:08 doublement de l'espérance de vie.
04:09 Une meilleure alimentation, on mangeait mieux, on se négoiait.
04:11 Mais ce n'était pas industriel.
04:12 Entre le milieu du 18e et le milieu du 20e siècle, l'espérance de vie des Occidentaux
04:18 a approximativement doublé.
04:20 Et parmi les facteurs qui ont permis ce doublement, il y avait l'alimentation.
04:23 Clairement, ça a joué un rôle.
04:24 On se défendait mieux contre les infections.
04:26 Et en plus, c'était un cercle vertueux qui fait que plus on grandissait et plus on pouvait
04:32 profiter de cette alimentation et plus ensuite les humains étaient solides et donc ils pouvaient
04:37 aller dans les récoltes, etc.
04:39 Donc il y a eu des... on appelle ça un "feedback positif".
04:41 Pourquoi ça s'inverse alors ?
04:42 La question de David.
04:43 Ah bah pourquoi ? Parce que l'alimentation a été changée et qu'aujourd'hui, on a
04:48 une invasion par des produits qui sont trop transformés, des produits alimentaires qui
04:51 sont trop transformés, qui sont devenus mauvais pour la santé.
04:55 Ces produits alimentaires transformés, ils provoquent quel type de maladies ?
04:58 Eh bien, c'est le problème, c'est qu'ils provoquent les maladies qu'on connaît déjà
05:02 et du coup, ça n'aide pas à les identifier comme étant des coupables.
05:06 C'est-à-dire qu'on ne s'en rend même pas compte ?
05:08 On s'en rend compte quand on regarde les données mais ça n'est pas intuitif au minimum.
05:12 Ils provoquent les maladies cardiovasculaires et les cancers qui sont déjà de toute façon
05:15 les deux plus gros tueurs à l'échelle mondiale et donc ça n'est pas spécifique.
05:19 Et c'est ça un des gros problèmes des risques industriels aujourd'hui.
05:22 La pollution, c'est la même chose.
05:24 C'est que ces risques provoquent les maladies mainstream qu'on connaît déjà et donc ça ne...
05:30 Donc le diabète...
05:31 Exactement.
05:32 Et l'obésité ?
05:33 Ça concerne 5 millions de morts par an sur la planète.
05:38 La pollution, c'est le double.
05:39 Et pourtant, ce qui continue de vous inquiéter, ça reste cette obésité.
05:43 Pourquoi ? Parce que le monstre a échappé à son créateur quand ça concerne l'obésité seulement ?
05:48 Oui, c'est ça.
05:49 Les deux pires risques, les deux risques les plus problématiques, à mon avis, c'est la
05:54 pollution au sens large.
05:56 C'est-à-dire tout ce qu'on transfère à l'environnement et qui est mauvais pour nous.
05:58 Ça inclut aussi la pollution chimique.
05:59 Il n'y a pas que la pollution de l'air.
06:01 Et le risque alimentaire avec donc les maladies métaboliques et l'obésité parce que ce
06:05 sont les deux risques qui sont premièrement en croissance hors de contrôle et deuxièmement
06:09 dont la taille de l'impact est très, très importante.
06:12 Ça touche tout le monde l'obésité ? C'est-à-dire les hommes comme les femmes, les enfants,
06:16 les cadres comme les populations plus précaires ?
06:19 Non, il y a une hétérogénéité d'impact et donc il y a un gradient social, par exemple,
06:25 sur l'obésité dans les pays riches qui fait que ce sont les gens qui ont le moins de capital
06:29 économique et social qui sont le plus touchés par l'obésité.
06:31 Dans les pays pauvres, c'est un peu l'inverse où c'est plutôt les riches qui sont obèses
06:35 et les pauvres qui ne sont pas obèses.
06:37 Mais par contre, là où c'est mondial, c'est le fait qu'aucun pays dans le monde ne connaît
06:43 une régression de l'obésité.
06:44 100% des pays du monde sont affectés soit au mieux par une stabilité de l'obésité,
06:49 soit le plus souvent par une croissance de l'obésité.
06:51 Il y en a qui sont un peu protégés quand même, vous citez dans mon souvenir le Japon,
06:55 la Corée du Sud, je crois.
06:56 Oui, mais il n'y a pas de baisse de l'obésité dans ces pays.
06:58 Leur point de départ est très bas.
07:00 Donc ils sont dans une situation bien meilleure que d'autres pays catastrophiques comme les
07:04 Etats-Unis ou le Mexique.
07:05 Mais ils n'ont pas de baisse de l'obésité pour autant.
07:08 Parce que les produits transformés sont conçus désormais pour nous rendre dépendants.
07:12 Ce sont des produits addictifs.
07:14 C'est difficile de dire s'ils sont faits pour être addictifs, mais de fait, quand ils contiennent
07:18 trop de fructose...
07:19 Il y a du sucre ajouté là où il n'y a pas besoin.
07:20 Exactement, exactement.
07:21 Ils sont pour beaucoup d'entre eux addictifs.
07:24 Plus ils ont de sucre, plus ils sont addictifs.
07:25 Plus ils ont de fructose qui est un sucre partiellement artificiel, on va dire.
07:29 Il y a du fructose dans les fruits, mais en tout cas, là, il est conçu de façon artificielle.
07:32 Et plus ils sont très addictifs sans que les gens se rendent compte, sans que ce soit
07:36 marqué sur le paquet, contrairement au paquet de cigarettes.
07:38 Et donc, il y a quelque chose de problématique là-dedans.
07:41 Alors c'est là où on a quand même envie de réagir, Jean-David Zetoun, parce que sans
07:45 qu'on sache, quand je ne mange que des pizzas ou que des chips, je sais quand même que
07:49 je prends un risque.
07:50 Je ne crois pas.
07:51 Je pense que vous, vous le savez, mais je pense qu'il y a plein de gens qui ne se rendent
07:52 pas compte à quel point c'est mauvais.
07:54 Bien sûr, beaucoup de gens se disent que c'est moins bien que de manger un...
07:59 - Des produits frais.
08:00 - Exactement.
08:01 Mais je pense qu'ils ne se rendent pas compte de à quel point c'est mauvais pour beaucoup
08:04 d'entre eux.
08:05 Et par ailleurs, le problème des aliments ultra transformés, c'est qu'ils causent des
08:11 maladies sans obésité.
08:12 Donc l'obésité, c'est un marqueur visible.
08:14 Donc effectivement, c'est quelque chose qui est choquant.
08:15 C'est potentiellement un signe d'alerte, même si en fait, la plupart des obèses ne
08:19 se font pas prendre en charge.
08:20 Mais on a des gens qui développent des maladies chroniques métaboliques, donc le diabète,
08:25 les maladies cardiovasculaires, certains cancers, sans être passés par la case obésité.
08:28 - Les fameux TOFIs ?
08:29 - Oui.
08:30 - Justement, est-ce que les gens surestiment ou sous-estiment quand même globalement les
08:34 dangers qui les entourent ?
08:36 Est-ce qu'ils sont capables de mesurer ça ?
08:37 - Ça dépend.
08:38 Pour certains risques, ils les sous-estiment.
08:40 Pour certains, ils les surestiment.
08:42 En tout cas, clairement, quand ils les sous-estiment, c'est une des causes de leur exposition inconsciente
08:48 ou partiellement consciente à certains risques.
08:50 - Vous dites dans le livre qu'on a minimisé les effets négatifs du sucre.
08:55 On a préféré faire des campagnes pour dire non aux produits gras, vous le disiez, c'est
08:59 plus visible le gras.
09:01 Mais qui précisément a minimisé les risques liés au sucre ?
09:04 - Un peu tout le monde, dont la communauté scientifique.
09:07 Les scientifiques font des erreurs, ça arrive tout le temps et puis après ils les corrigent.
09:10 Et clairement, aujourd'hui, le consensus des scientifiques en sciences nutritionnelles,
09:17 c'est de dire qu'on a surestimé le rôle négatif du gras et sous-estimé le rôle négatif
09:22 du sucre et que quand on enlève du gras, il faut bien le remplacer par quelque chose.
09:26 Donc on le remplace par du sucre.
09:27 Et finalement, ça a été probablement un des effets pervers de la stigmatisation du
09:30 gras.
09:31 Et aujourd'hui, il y a un peu, non pas une réhabilitation du gras, mais en tout cas un
09:34 équilibre à trouver qui est différent, plus en faveur du gras que du sucre.
09:38 Le sucre est très mauvais.
09:39 - Ça dit, Karine, il faisait allusion tout à l'heure, on peut se prémunir des risques
09:42 alimentaires.
09:43 Il existe aujourd'hui des baromètres Nutri-Score, notamment, qui donne accès aux baromètres
09:48 nutritionnels.
09:49 Est-ce que ce baromètre a modifié le comportement d'achat des Français ?
09:52 - Oui, ça marche.
09:53 - Mais attendez, vous dites que c'est un bon baromètre ou pas ?
09:55 - Il est mieux que pas de baromètre.
09:59 Il est imparfait dans la mesure où jusque récemment, c'est en train de changer, ils
10:04 ne tenaient pas compte justement de la transformation alimentaire, ils ne tenaient compte que des
10:07 calories.
10:08 Or, les calories disent beaucoup de choses sur le caractère bon ou mauvais d'un aliment,
10:11 mais ne disent pas tout.
10:12 - Est-ce que ça a changé le comportement d'achat ?
10:13 - Oui, on sait à chaque fois que, oui, toutes les études montrent que la présence du Nutri-Score,
10:18 qui est une invention française, a un impact sur les comportements d'achat.
10:23 Donc oui, ça marche.
10:24 C'est pour ça que les industriels n'en voulaient pas.
10:26 Quand les industriels ne veulent pas d'une mesure politique, c'est qu'ils savent que
10:29 ça va marcher.
10:30 - Et donc, ça va être difficile d'imposer ces baromètres à l'avenir à cause des lobbies
10:34 de l'industrie alimentaire ?
10:35 - Alors, ça a été difficile.
10:36 Aujourd'hui, on a l'impression que le coup est parti et que ça va se faire.
10:41 Donc, il y aura toujours des disqualifications par les industriels sur des bases de mauvaise
10:46 foi.
10:47 Mais on a l'impression que ça va se faire.
10:48 - Alors, ce qui est impressionnant, c'est ce que pèsent financièrement les soins que
10:53 génèrent toutes ces maladies chroniques dont on est en train de parler.
10:56 L'hypertension, le diabète...
10:58 - Les maladies cardiovasculaires, plein de cancers, l'obésité elle-même, les complications
11:04 articulaires liées à l'obésité, les maladies mentales...
11:07 - Voilà.
11:08 Et les montants dépensés pour les soigners sont astronomiques.
11:11 Rappelez-nous, par exemple, combien ça coûte l'obésité au système de santé français.
11:16 - Alors, il y a une étude qui vient de paraître du cabinet Asterès qui a dit que c'était
11:20 11 milliards de coûts directs.
11:22 - Par an ? - Par an.
11:23 Donc, c'est 5% à peu près du budget de l'assurance maladie.
11:26 Mais ça, c'est vraiment une estimation qui est très conservatrice parce que c'est uniquement
11:30 le coût direct.
11:31 McKinsey avait fait une estimation il y a quelques années en tenant compte de la baisse
11:35 de productivité au travail, par exemple.
11:36 Et là, on était plus sur 54 milliards.
11:38 - Et alors, du coup, ce qui est assez effrayant, c'est que vous estimez que notre système
11:42 de soins n'a bientôt plus les moyens d'assumer tout ça.
11:46 - En tout cas, il faut être lucide sur le fait que la croissance des maladies métaboliques
11:51 est supérieure à la croissance économique.
11:52 Et la croissance économique, elle définit nos moyens.
11:55 Donc, la croissance des maladies provoquées par les activités industrielles est supérieure
11:59 à la progression de nos moyens pour les traiter.
12:01 Donc, ça veut dire que la part de dépenses potentielles va augmenter au détriment du
12:06 reste, c'est-à-dire la santé, l'éducation, les transports, la protection des personnes.
12:09 - Mais il y a pourtant des risques qui ont été contenus par la régulation des pouvoirs
12:14 publics.
12:15 On parle de tabac, on pourrait parler du plomb, de la pollution de l'air parfois.
12:18 Pourquoi ça ne fonctionne pas avec l'agroalimentaire ?
12:20 - Alors, c'est une question ouverte et je pense que c'est très difficile de répondre.
12:25 Même si le livre essaye d'avancer des explications, il y a une première réponse immédiatement
12:29 intuitive, c'est qu'on n'est pas obligé de fumer pour vivre, mais on est obligé de
12:32 manger pour vivre.
12:33 Donc, c'est peut-être plus difficile de réguler l'alimentation que le tabac, par nature.
12:36 Ensuite, effectivement, on observe que ce qui a été fait contre le tabac et qui marche,
12:42 le tabla est en décroissance dans le monde.
12:45 La quantité totale de cigarettes fumées augmente par un effet démographique, mais
12:49 le pourcentage de personnes qui fument est en baisse.
12:52 Et on sait faire baisser le tabac, on sait quelles sont les politiques de régulation
12:55 et de taxation.
12:56 La régulation et la taxation.
12:57 Il y a aussi la régulation, le fait d'interdire dans certains lieux de fumer, ça c'est quelque
13:01 chose qui influence les comportements.
13:03 Donc ça, ça marche.
13:04 Et ça n'a pas été fait contre l'alimentation.
13:06 L'alimentation n'est pas régulée et elle n'est pas taxée.
13:08 - Pourquoi ? Parce que, sans que ça paraisse, le tabac c'est des énormes industries derrière.
13:12 - Et effectivement, l'alimentaire c'est des immenses industries aussi.
13:15 Donc pourquoi ça ne marche pas ?
13:16 - Pourquoi ça n'a pas été fait ? Il faudra demander aux leaders politiques.
13:20 Je pense que peut-être ils ne se rendent pas compte déjà de à quel point c'est mauvais.
13:25 Et je pense qu'ils jugent que c'est un sujet qui est justement trop sensible et qu'à chaque
13:29 fois qu'on essaye de mettre une taxe sur les sodas ou sur les pâtes à tartiner, ça
13:33 provoque des soulèvements et que ça leur fait peur.
13:36 J'imagine qu'il y a de ça.
13:37 Pour autant, ils sont perdants.
13:38 - Mais vous, votre solution, ce serait quoi ? Vous allez très loin.
13:40 Est-ce que vous dites qu'il faut supprimer ces entreprises agroalimentaires pour réussir
13:43 à se nourrir autrement ? Est-ce que vous allez jusque-là ?
13:45 - Je pense clairement qu'il faut les pousser à se reconvertir pour qu'elles mettent en
13:49 vente des produits qui soient moins mauvais.
13:51 Et je pense qu'elles ne cherchent pas à le faire parce qu'aucune industrie ne cherche
13:54 à se changer elle-même.
13:55 Les industries se changent elles-mêmes quand elles sont obligées à le faire, sur le plan
13:58 légal ou sur le plan économique.
13:59 Aujourd'hui, ce n'est pas le cas.
14:00 Donc elles continuent de faire ce qui marche.
14:02 - Parce que vous le laissez entendre dans le livre, ce ne sont pas les individus qui
14:05 vont inverser cette tendance, mais ce sont bien les États, les politiques.
14:08 - C'est eux qui ont la main pour la majorité des problèmes qu'on a.
14:11 C'est difficile de dire ça parce qu'à chaque fois que je dis ça, on me dit "oui mais du
14:14 coup c'est super décourageant pour les personnes qui se sentent impuissantes à changer le
14:18 système".
14:19 Malheureusement, c'est un peu vrai.
14:20 On ne peut pas changer le système.
14:21 Ce sont les leaders politiques qui ont la main sur ça.
14:23 Et effectivement, c'est un effet de système ce qui se passe.
14:26 Et donc c'est eux qui peuvent changer soit la régulation, soit la taxation des aliments.
14:30 - Alors je voudrais qu'on parle aussi de la pollution parce qu'on l'a juste esquissée.
14:32 C'est le premier risque mondial ?
14:34 - Oui, le premier risque environnemental mondial.
14:36 Le premier risque mondial, c'est l'hypertension.
14:37 12 millions de morts.
14:38 La pollution, c'est 9 millions.
14:39 Mais l'hypertension, ce n'est pas un risque environnemental.
14:41 - Voilà.
14:42 Et en même temps, dans votre livre "Le suicide de l'espèce", vous semblez moins alarmiste
14:47 quand vous parlez de la pollution.
14:48 Pourquoi ça ?
14:49 - Alors c'est que j'ai raté mon chapitre.
14:50 - Non mais moins alarmiste que l'industrie alimentaire.
14:53 - Non, non.
14:54 Honnêtement, c'est aussi pire.
14:55 - Oui, mais vous êtes très inquiet sur l'industrie agroalimentaire qu'on ne pourra pas réguler,
15:00 alors que la pollution, enfin pardon, mais à des efforts très très hauts, alors que
15:05 la pollution, on peut changer un peu, amoindrir la courbe.
15:09 C'est là où vous êtes plus positif sur la pollution que sur l'agroalimentaire.
15:12 - Peut-être qu'il y a plus de prise de conscience de la société mondiale sur le problème
15:17 de la pollution que sur l'alimentation.
15:18 C'est possible.
15:19 Mais aujourd'hui, c'est vrai que la pollution, c'est plus de morts.
15:22 Ensuite, il y a un sous-problème dans le problème de la pollution qui est la pollution
15:27 chimique.
15:28 Donc ce n'est pas la pollution de l'air, c'est la pollution chimique qui, là, encore
15:30 une fois, est en croissance un peu hors de contrôle et qui cause des maladies de façon
15:34 extrêmement vicieuse, puisque c'est des modifications hormonales, par exemple, qui
15:39 touchent les enfants, mais ça ne se voit pas trop parce que c'est difficile, une baisse
15:43 du quotient intellectuel.
15:44 Donc, franchement, la pollution est aussi un énorme problème.
15:47 - Alors voilà, énorme problème, parce qu'on découvre en vous lisant que...
15:50 Alors, on pouvait y penser tout seul, mais notre niveau de productivité au travail dépend
15:55 de notre niveau d'exposition à la pollution.
15:58 - Oui, il y a une autrice super qui s'appelle Barbara de Menex, qui a écrit plein de livres
16:03 là-dessus et qui montre à quel point les produits chimiques envahissent notre quotidien
16:06 de façon inévitable.
16:08 On ne peut pas se soustraire à ça.
16:09 Ils sont partout et que ça a des multitudes d'impacts, y compris sur notre intellect.
16:15 - Une petite question subsidiaire sur la canicule, qui est une des conséquences de la pollution,
16:21 de l'effet de réchauffement du climat.
16:23 Ces canicules, elles ont quel effet sur notre corps humain ? On en parle peu de ça.
16:28 On a commencé à en parler ces dernières années.
16:30 Elles ont des effets directs et des effets indirects.
16:33 Elles ont des effets directs sur le sommeil, sur la mortalité cardiovasculaire, sur la
16:39 décompensation respiratoire d'une maladie existante et sur notre état mental et même
16:44 sur notre état de violence.
16:45 Vous savez qu'un monde qui se réchauffe, c'est un monde qui est plus violent.
16:47 - Jean-David Zeytoun, vous êtes épidémiologiste et une autre inquiétude des risques de maladie
16:52 que l'humain a lui-même généré, ce sont les épidémies pathogènes.
16:57 Chaque décennie, désormais, génère son lot d'épidémies.
17:02 L'homme est à chaque fois responsable.
17:04 - Ce sont les activités humaines qui augmentent l'émergence des nouveaux pathogènes, c'est-à-dire
17:10 des nouveaux microbes.
17:11 Et effectivement, depuis les années 60, on sait qu'il y a une progression linéaire
17:15 des nouveaux pathogènes émergents, c'est-à-dire les nouveaux microbes qui apparaissent dans
17:19 notre environnement.
17:20 Et le 21e siècle a été une illustration très brutale de ça.
17:23 - Pour finir ce propos, pourquoi ce livre, j'ai envie de dire, aujourd'hui, Jean-David
17:29 Zeytoun, est-ce que vous le vivez comme un lanceur d'alerte ?
17:34 Est-ce que vous espérez une vraie prise de conscience ?
17:36 Et de qui ?
17:37 Des Français ou des élus politiques ?
17:39 - Alors moi, je ne me vis pas comme un lanceur d'alerte parce qu'il n'y a pas de données
17:42 nouvelles dans ce livre.
17:43 L'assemblage est peut-être original, j'espère qu'il y a un minimum, mais toutes les données
17:47 contenues sont connues à la fois de la communauté scientifique, mais aussi de la communauté
17:52 générale.
17:53 - Et la population nous écrase un peu quand même.
17:54 - C'est le but quand même que ça provoque un choc de conscience.
17:58 Et oui, effectivement, les gens peuvent prendre conscience de ça et agir un peu.
18:02 - Et vous voulez réveiller les élus ?
18:03 - C'est plutôt les leaders politiques qui peuvent changer ça.
18:06 - Et vous êtes venu le faire ce matin sur France Inter.
18:08 Merci d'être passé par les studios d'Inter.
18:10 Jean-David Zeytoun, je rappelle le titre de votre livre, "Le suicide de l'espèce, comment
18:15 les activités humaines produisent de plus en plus de maladies ?" Ce livre bourré non
18:20 seulement de chiffres, mais surtout d'explications, ce livre paré chez De Noël.
18:25 Merci beaucoup.
18:26 - Merci pour l'invitation.
18:27 - Et bonne journée, c'est 8h39.

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