La question de la souveraineté alimentaire française sera au coeur du Salon de l'Agriculture qui s'ouvre ce 25 février. Pour en parler : Sylvie Brunel auteure de "Nourrir. Cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre" et l'éleveur Mathieu Courgeau, co-président du Collectif "Nourrir".
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00:00 France Inter, Karine Becker, Eric Delvaux, le 6/9 du week-end.
00:07 Avec une question ce matin, quelle priorité pour défendre notre souveraineté alimentaire ?
00:12 De quelle agriculture avons-nous besoin ? Productiviste, intensive ou alors durable ?
00:20 Ou bien les deux ? Alors on s'ouvre le salon de l'agriculture à Paris.
00:23 C'est le thème ce matin du Grand Entretien avec nos deux invités Sylvie Brunel.
00:27 Bonjour.
00:27 Bonjour.
00:28 Vous êtes professeur de géographie à la Sorbonne, vous avez longtemps travaillé dans l'humanitaire,
00:32 notamment pour Action, avec Action contre la faim.
00:36 Et votre dernier livre a pour titre "Nourrir, manifeste pour le monde agricole",
00:40 paru chez Bûcher-Chastel.
00:43 Invité également Mathieu Courgeot. Bonjour.
00:45 Alors vous, vous êtes éleveur de vaches laitières en Vendée,
00:48 vous êtes aussi co-président du collectif Nourrir.
00:50 C'est un collectif qui veut revoir les politiques agricoles et alimentaires
00:55 pour plus de démocratie, plus d'écologie.
00:57 On va détailler ça dans un instant.
01:00 Sylvie Brunel, cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre.
01:05 C'est le sous-titre de votre livre.
01:07 Vous prenez donc la défense des agriculteurs et même vous vous indignez.
01:11 Comment ose-t-on les accuser de pollueurs et d'empoisonneurs ?
01:15 Je vais un peu vous taquiner ce matin et même vous provoquer.
01:18 L'agriculture n'y serait donc pour rien dans la prolifération des nitrates,
01:22 les phosphates qui polluent la terre et l'eau.
01:25 Alors, sur le problème des pollutions, il y a une réalité en France,
01:29 mais il faudrait aussi accuser les urbains.
01:31 C'est-à-dire que quand on regarde la façon dont nous vivons,
01:35 le problème des contaminations, c'est un problème général.
01:38 Mais s'il y a bien un monde qui, lui, a fait des efforts colossaux,
01:43 c'est le monde agricole, quels que soient d'ailleurs les modes de production.
01:47 Nous sommes aujourd'hui engagés dans les campagnes, dans la transition écologique.
01:50 Et pourtant, les paysans, les agriculteurs,
01:53 continuent de subir une espèce de racisme de classe,
01:56 comme s'ils étaient des bouseux, comme s'ils continuaient à pratiquer
02:00 l'application de calendriers de traitement, comment dire, pour le plaisir,
02:04 alors que ça leur coûte cher, que ça leur pose des problèmes.
02:06 Alors qu'ils sont confrontés aussi à plein d'impasses techniques,
02:09 c'est-à-dire des cultures qu'ils ne peuvent plus faire,
02:12 parce qu'on leur interdit des molécules, parce qu'en Bretagne,
02:15 par exemple, sur les algues vertes, sur les contaminations,
02:18 ils ont mis en œuvre des protocoles écologiques de premier plan,
02:20 mais ça, on ne le sait pas.
02:22 Et on continue à proférer à la fois un vocabulaire négatif,
02:27 pesticides, bassines, pollueurs, on continue à leur donner des leçons de nature,
02:31 alors que sans eux, cher Éric, nous ne serions rien.
02:34 Ni nos paysages, ni notre patrimoine, ni notre gastronomie,
02:38 ni notre souveraineté alimentaire.
02:39 - Je veux bien entendre qu'il y a effectivement une prise de conscience chez les agriculteurs.
02:41 Ça n'existe plus, l'agriculteur pollueur, ça n'existe plus à bout d'un temps.
02:44 - Alors c'est une profession qui a fait sa révolution agricole,
02:48 sa révolution verte.
02:50 Alors bien sûr, il peut rester, comme dans toutes les professions,
02:52 des gens qui ont des pratiques anciennes.
02:53 Vous savez, il y a 20 000 départs en retraite chaque année,
02:56 13 000 installations seulement.
02:58 La nouvelle agriculture, c'est une agriculture régénératrice,
03:01 c'est une agriculture de précision,
03:04 c'est une agriculture qui est consciente de nos attentes.
03:07 - Mathieu Courgeaux, éleveur de vaches laitières en Vendée,
03:09 co-président du collectif Nourrir,
03:11 est-ce que vous vous sentez, vous aussi, accusé de tous les maux ?
03:13 Est-ce que vous vivez bien votre situation d'agriculteur ?
03:17 Est-ce que vous souffrez d'un manque de reconnaissance,
03:19 comme vient de le souligner Sylvie Brunel ?
03:21 - Non, non, moi je suis très fier d'être agriculteur,
03:22 et je suis très content de faire ce métier-là,
03:24 parce qu'il a beaucoup de sens, en fait.
03:25 C'est nourrir nos concitoyens, c'est entretenir les paysages,
03:29 c'est respecter l'environnement.
03:32 Donc, moi, c'est vraiment un métier dont je suis très fier.
03:34 Mais par contre, j'entends madame Brunel qui parle beaucoup
03:37 du manque d'amour qu'auraient les Français pour l'agriculture.
03:39 En fait, c'est pas vrai.
03:41 C'est pas vrai. Les sondages, sondage après sondage,
03:43 on montre que les Français, ils aiment leur agriculture.
03:45 Et en fait, on entend cette petite musique de
03:47 "monter les uns contre les autres",
03:48 "écolo contre agriculteur", "urbain contre ruraux".
03:51 Et en fait, nous, ce qu'on essaye de faire,
03:54 avec la dizaine de milliers de paysans que je représente ce matin,
03:57 nous, paysans, on essaye justement de faire le pari inverse.
04:00 Donc, de construire avec les ONG environnementales,
04:03 de construire un dialogue avec les associations
04:06 de solidarité internationale, par exemple,
04:08 pour justement reconnecter tout ça.
04:11 Donc ça, c'est la première chose.
04:12 Et la deuxième chose que je voudrais dire, c'est que
04:14 moi, je suis persuadé que quand on aime, il faut dire la vérité.
04:17 Et la vérité, aujourd'hui, elle est que l'agriculture doit évoluer.
04:21 Elle doit faire des changements.
04:22 Encore, elle en a fait, je suis bien d'accord, mais elle doit faire encore.
04:24 Il faut réduire les pesticides, encore.
04:26 Il faut travailler sur la réduction des engrais chimiques,
04:29 par exemple, pour préserver le climat.
04:32 Il faut aussi installer plus de paysans.
04:35 Nous proposons d'installer un million de paysans d'ici à 2050.
04:38 Et pour ça, il faut protéger les agriculteurs.
04:40 - Alors, j'ai envie de rebondir sur ça,
04:42 et surtout d'entrer vraiment dans le vif du sujet.
04:44 On est là pour parler de souveraineté alimentaire.
04:46 Comment assurer cette souveraineté alimentaire ?
04:48 Il nous faut suffisamment d'agriculteurs.
04:52 Aujourd'hui, ils ne sont plus que 400 000 en France.
04:54 Il en faudrait combien pour que tout aille bien ?
04:57 - Eh bien, nous, les calculs qu'on a faits avec plusieurs centres de recherche,
05:01 c'est de dire qu'il faut un million d'agriculteurs en 2050.
05:03 Pourquoi ? Pour assurer vraiment une relocalisation de l'alimentation,
05:07 des circuits les plus courts possibles.
05:08 - Donc 600 000 en plus en 28 ans.
05:10 - Voilà, par rapport à aujourd'hui, c'est ça.
05:11 - Et sans compter qu'il y a la moitié des agriculteurs qui vont partir à la retraite dans les 10 ans à venir.
05:16 Donc voyez que le défi, il est considérable.
05:18 Et d'ailleurs, Emmanuel Macron l'avait bien noté,
05:20 puisque dans ses promesses de campagne,
05:22 il y avait la promesse d'avoir une loi d'orientation agricole
05:24 qui allait s'attaquer à ce problème-là.
05:26 Donc là, les négociations sont en cours.
05:27 Donc nous, on a défini un certain nombre de programmes,
05:30 un certain nombre de projets, de propositions
05:33 qu'on va porter dans les semaines à venir
05:35 autour de, d'abord, donner de l'attractivité,
05:37 donc donner du revenu aux paysans,
05:39 puisqu'aujourd'hui, il y a environ,
05:41 la moitié des paysans ont moins de 1500 euros par mois.
05:44 C'est pas normal.
05:46 Clairement, c'est pas normal.
05:47 Donc il faut travailler sur la question du revenu,
05:49 avec les industriels, avec la grande distribution.
05:52 La deuxième chose, c'est vraiment de travailler sur l'accès aux fonciers,
05:56 puisque vous savez que pour nourrir des animaux, il faut des terres.
06:00 Pour cultiver des légumes, il faut des terres.
06:02 Et aujourd'hui, on a un vrai problème sur ce qu'on appelle
06:04 le contrôle des structures qui va réformer.
06:06 Donc là, l'accès, qui va...
06:09 Mais ça, c'est intéressant, effectivement, l'accès aux terres,
06:11 mais voilà, quel type d'exploitation est-ce qu'il nous faut ?
06:14 Est-ce qu'il nous faut des petites, des moyennes, des grandes exploitations ?
06:16 Est-ce qu'il nous faut de la polyculture, de la monoculture,
06:19 qui est plus intensive ?
06:20 Sylvie Brunel, je me tourne vers vous.
06:22 C'est quoi ?
06:23 Comment est-ce qu'on doit réorganiser notre paysage agricole ?
06:26 D'abord, on a besoin de toutes les agricultures.
06:28 Dans les projets alimentaires territoriaux,
06:30 on essaie d'associer des modèles de proximité
06:33 avec des agricultures performantes,
06:35 parce que les mégalopoles, par exemple, les grandes villes,
06:38 elles n'assurent localement que 2% de leur approvisionnement alimentaire.
06:42 Sans Rungis, Paris meurt de faim.
06:44 Par ailleurs, vous avez en France des terroirs très différents,
06:48 à la mesure de nos patrimoines, de nos paysages,
06:50 et quand vous avez des grandes plaines céréalières,
06:53 eh bien c'est très important pour la France de continuer
06:56 à faire partie des 10 pays exportateurs de céréales dans le monde,
07:00 alors que la faim est redevenue une arme.
07:02 Par exemple, si la Bretagne...
07:03 Mais pourquoi est-ce que c'est important ?
07:05 Si la Bretagne passait en circuit court, par exemple,
07:07 elle n'utiliserait que 7% de sa production.
07:11 C'est-à-dire que Paris mourrait de faim,
07:12 les Anglais aussi mourraient de faim.
07:13 Donc il faut bien comprendre que la sécurité alimentaire,
07:16 c'est l'association d'un ensemble de modèles qui sont tous respectables,
07:20 mais qui doivent faire vivre décemment et dignement
07:23 ceux qui les mettent en œuvre.
07:24 Il ne faut pas opposer les agricultures,
07:26 l'agriculture de grands espaces, l'agriculture performante,
07:29 la petite agriculture.
07:30 On a par exemple besoin aujourd'hui,
07:32 et Mathieu vient de le dire, quand on veut des engrais,
07:35 parce que sans engrais, il ne faut pas se leurrer,
07:37 vos rendements sont très bas, comme ils le sont en Afrique subsaharienne.
07:40 Si vous n'avez pas d'élevage,
07:42 on a aujourd'hui une grosse perte d'élevage en France,
07:44 on a perdu plus d'un million de vaches,
07:46 eh bien, vous n'avez pas d'engrais organiques,
07:49 vous n'avez pas de prairies, vous n'avez pas de biodiversité florale.
07:52 Donc il faut bien comprendre, il faut voir ça comme un tout,
07:54 mais c'est très important de comprendre
07:57 qu'une exploitation agricole, elle doit être viable
07:59 pour celui qui la met en œuvre
08:00 et elle doit contribuer à l'indépendance de son pays.
08:03 - Non mais c'est incroyable, parce que du coup,
08:04 la souveraineté alimentaire, c'est quoi ?
08:06 C'est nourrir les 68 millions de Français ?
08:08 - Mais pas seulement !
08:09 - C'est nourrir les 8 milliards d'habitants de la planète ?
08:11 - C'est contribuer au fait que nous,
08:13 nous ne soyons pas dépendants en permanence
08:15 de la volatilité des prix d'un Poutine, d'un Biden,
08:19 ou en concurrence avec Xi Jinping,
08:22 qui pour approvisionner la Chine, a créé les routes de la soie,
08:25 qui sont des routes des estomacs.
08:26 Nous, la France, on est sur 5% seulement
08:28 de la superficie agricole utile mondiale
08:31 et on a encore la chance de faire partie
08:34 des grands producteurs.
08:36 Premier exportateur de semences au monde,
08:38 de semences et notamment de semences de maïs.
08:40 Premier exportateur de pommes de terre.
08:42 Grand producteur...
08:43 - Vous partagez tout ça, Mathieu Courgeot ?
08:45 - En partie, mais pas totalement,
08:47 sur les modèles agricoles.
08:49 Clairement, aujourd'hui,
08:51 on est dans la situation actuelle
08:53 où on a baissé en production sur un certain nombre,
08:55 par exemple sur l'élevage, sur un certain nombre de choses,
08:57 parce qu'on est rendu au bout
08:59 d'un système agricole dominant
09:01 qui a tué les paysans, il faut le dire.
09:03 Je vais prendre l'exemple de mon voisin.
09:05 Mes voisins, qui se sont installés il y a 20 ans,
09:07 qui ont été dans le modèle productiviste
09:10 et qui ont eu beaucoup de vaches,
09:12 qui ont eu des grands bâtiments,
09:13 qui ont dû investir pour acheter des tracteurs,
09:15 beaucoup de terre, ce qui a occasionné
09:17 du surinvestissement, du surtravail.
09:19 Et au bout d'un moment, en fait, qu'est-ce qui craque ?
09:21 C'est soit le portefeuille, soit le moral.
09:23 Et donc là, c'est une combinaison des deux, on va dire.
09:25 Et aujourd'hui, il n'y a plus de vaches sur cette exploitation,
09:27 donc on baisse en production.
09:28 Donc voyez que ce modèle agricole dominant
09:30 très productiviste, en fait,
09:32 il ne permet pas d'assurer notre souveraineté alimentaire.
09:34 Donc au contraire, ce qu'on dit, c'est qu'il faut...
09:36 Et en plus, il prend beaucoup de terre,
09:38 donc il empêche les systèmes agroécologiques
09:40 de se développer.
09:41 Donc justement, nous, ce qu'on dit, c'est qu'il faut mettre le paquet
09:43 pour avoir une agriculture
09:45 avec des paysans nombreux dans les territoires.
09:47 Et ça, ça passe par une politique agricole forte,
09:49 une PAC qui est réformée, qui donne non pas
09:51 des aides à l'hectare, mais plutôt des aides à l'actif,
09:53 à la préservation de l'environnement.
09:55 Enfin bref, c'est une agriculture qu'on défend, qui coche toutes les cases.
09:57 Les coches de l'environnement, les cases des engrais,
09:59 les cases du bien-être animal, et surtout, surtout,
10:01 la case du paysan heureux.
10:03 - Elle cochait toutes les cases,
10:05 celle du bio. Comment est-ce que le bio français
10:07 peut s'imposer face aux
10:09 discounts qui
10:11 prédominent malgré tout ?
10:13 - Alors moi, je vais vous dire, je suis agriculteur bio,
10:15 donc c'est vraiment... - C'est pour ça que je vous pose la question.
10:17 - Sur vos 120 hectares, vous êtes tout bio.
10:19 - Tout à fait, oui. Mais la ferme est en bio
10:21 depuis un peu plus de 20 ans, et moi je suis très fier d'exercer
10:23 cette agriculture-là, parce que justement, c'est une agriculture
10:25 qui coche toutes les cases. - Je précise que la vente du bio
10:27 a baissé de 4%
10:29 l'année dernière. - Oui, tout à fait. Alors,
10:31 effectivement, on était depuis 20 ans sur une croissance
10:33 ininterrompue, il y a toujours plus de
10:35 consommateurs qui étaient convaincus, et là,
10:37 inflation, le pouvoir
10:39 d'achat des Français et des Françaises se rétractent,
10:41 et on voit qu'il y en a une baisse de produits bio.
10:43 Et donc là,
10:45 la première chose, c'est d'apporter une réponse
10:47 aux paysans et aux paysannes qui sont en bio.
10:49 Il y a une unanimité, pardon,
10:51 aujourd'hui dans la profession agricole pour demander
10:53 un plan d'aide, un plan d'urgence au gouvernement.
10:55 Il l'a fait pour les viticulteurs,
10:57 il l'a fait pour les betteraviers suite à l'interdiction
10:59 du pesticide néonicotinoïde,
11:01 il l'a fait... - C'est surtout une décision européenne,
11:03 de la Cour de justice européenne qui a posé...
11:05 - On y reviendra peut-être. Et donc, il l'a fait pour d'autres secteurs,
11:07 et aujourd'hui, on est vraiment en attente
11:09 de réponse, on est vraiment très inquiets,
11:11 et ce qui va le faire aussi pour les agriculteurs bio.
11:13 Qui est, encore une fois, une agriculture d'avenir,
11:15 l'agriculture bio, qu'il faut développer absolument.
11:17 - Avenir ou pas, M. Dubimonel ? - Moi, je pense
11:19 qu'il y a tout à fait la place pour le bio,
11:21 pour valoriser des terres difficiles, des terres en pente,
11:23 des modèles où l'on peut vendre
11:25 à un prix très élevé.
11:27 Le problème, c'est qu'il y a aujourd'hui 10 millions de Français
11:29 qui se serrent la ceinture,
11:31 qu'ils ne sont pas prêts à payer les prix du bio,
11:33 que lors du premier confinement, les gens se sont précipités
11:35 vers les magasins paysans, mais,
11:37 et aujourd'hui, Eric l'a dit, ils se précipitent vers le discount,
11:39 que du coup, on demande
11:41 aux agriculteurs français de respecter des normes
11:43 sociales, environnementales, de plus en plus élevées,
11:45 mais on arbitre en fonction du prix,
11:47 y compris d'ailleurs dans la restauration publique,
11:49 et que donc c'est extrêmement compliqué
11:51 pour un agriculteur aujourd'hui de trouver un modèle
11:53 viable, digne.
11:55 Ce qu'on voit dans les nouvelles installations, c'est qu'il y en a à peu près
11:57 un tiers sur des petits modèles,
11:59 mais que dans ces nouvelles installations,
12:01 ces petits modèles, sur des niches, sur de la permaculture,
12:03 sur du petit élevage,
12:05 il y en a beaucoup qui renoncent après quelques années,
12:07 parce que la pénibilité du travail, les heures non rémunérées,
12:09 les prix qui ne suivent pas,
12:11 le consommateur, il est tout feu, tout flamaudé.
12:13 - Donc vous dites que ce n'est pas grave si on mange
12:15 un peu avec des pesticides ?
12:17 - Non, non, mais moi je ne vous pose pas. Je pense qu'aujourd'hui,
12:19 on a une chance en France, c'est que notre
12:21 agriculture, qu'elle soit conventionnelle,
12:23 mauvais terme, parce qu'elle ne cesse d'évoluer,
12:25 ou bio, c'est une agriculture
12:27 de qualité. Nos agriculteurs,
12:29 dans toutes leurs diversités, c'est des gens extrêmement
12:31 compétents. On continue, nous, à croire
12:33 qu'il faudrait les renvoyer à la pénibilité,
12:35 au passé, à la binette.
12:37 On se rend compte que les gens ne veulent pas
12:39 travailler manuellement. C'est compliqué
12:41 de recruter. Il y a plein de secteurs où on est obligé de faire
12:43 venir des étrangers. Donc s'il faut installer les jeunes,
12:45 il faut quand même les installer sur des
12:47 modèles d'avenir en leur disant "mais vous allez
12:49 réparer la planète en travaillant dans l'agriculture,
12:51 même si vous êtes performant, et surtout
12:53 si vous êtes performant". - Alors, il y a
12:55 Mathieu Courgeot qui bout, donc on va lui donner la parole.
12:57 - Je vous vois. - Allez-y.
12:59 - Non, non, mais c'est intéressant ce débat-là,
13:01 mais la réalité, elle n'est pas celle-là.
13:03 La réalité sur l'agriculture bio, par exemple, c'est
13:05 de dire que c'est beaucoup plus facile de le faire sur des
13:07 terres qui sont productives, qui ne sont pas des terres en pente,
13:09 plutôt que sur des terres en pente. - Oui, Mathieu, mais tu as
13:11 3 tonnes de blé au lieu
13:13 de 7 tonnes par hectare. - Alors ça, c'est un problème ou pas ?
13:15 - Comment tu nourris les gens si
13:17 tu fais 3 tonnes de blé sur un hectare ? - Mais je vais vous répondre,
13:19 Madame Brunel, je vais vous répondre. - Pardon, moi je tutoie, mais c'est parce que
13:21 je... - Vous êtes comme ça. - C'est comme ça, pardon.
13:23 C'est ma façon d'être. - Mathieu Courgeot,
13:25 éleveur de vaches laitières en Vendée, vous répond.
13:27 - Alors, en fait, la situation, elle est compliquée,
13:29 la situation, elle est complexe et elle est différente
13:31 selon les pays. Qu'est-ce qu'on a besoin, nous, en Europe ?
13:33 On a besoin de produire autrement pour assurer,
13:35 pour pérenniser nos capacités
13:37 de production, nos sols, par exemple,
13:39 nos territoires,
13:41 nos paysages. Donc nous, on a besoin de faire ça
13:43 en Europe. Et ça, ça peut passer par
13:45 produire autrement, donc effectivement,
13:47 une baisse de la production, ça peut arriver. Et donc,
13:49 on arrive à
13:51 relever ces défis
13:53 environnementaux, notamment en Europe, pour
13:55 respecter notamment les objectifs du Green Deal,
13:57 par exemple, au niveau européen. Donc ça, c'est
13:59 ce qu'on fait en Europe. Et par contre, ce qu'il faut
14:01 faire dans les pays du Sud, c'est au contraire,
14:03 c'est relocaliser, c'est développer
14:05 leur production pour rééquilibrer, pour produire
14:07 dans les zones où il y a de la faim
14:09 qui est installée. Et ça, ça passe aussi
14:11 par une réforme des échanges
14:13 commerciaux. - Mais là, vous nourrissez
14:15 pas toute la planète, on est d'accord. - Mais si, bien sûr que si, on arrivera
14:17 à nourrir... Écoutez, aujourd'hui,
14:19 on produit pour nourrir 12 milliards
14:21 d'êtres humains. Beaucoup plus que ce qu'on a en population.
14:23 Donc vous voyez bien que la situation,
14:25 elle n'est pas celle du « produire plus ». La question,
14:27 elle est celle de l'accès à l'alimentation.
14:29 Et l'exemple de la France qu'a pris Madame Brunel,
14:31 effectivement, on a entre 5 et 7 millions
14:33 de Français qui font appel à l'aide alimentaire.
14:35 Et pourtant, on produit beaucoup en France.
14:37 Donc vous voyez que ces deux questions-là, elles ne sont pas forcément liées.
14:39 C'est un peu contradictif. - L'accès
14:41 à l'alimentation, Célérique Brunel
14:43 dans votre livre « Nourrir ».
14:45 Vous avez un chapitre sur le Sahel
14:47 parce que c'est l'accès à l'eau aussi.
14:49 « Sauver le Sahel pour sauver l'Europe »,
14:51 c'est le titre d'un de vos chapitres.
14:53 Qu'est-ce que le Sahel a à nous apprendre dans la gestion
14:55 de l'eau ? - Alors d'abord, ce qu'il faut
14:57 savoir, c'est qu'en Afrique,
14:59 la dépendance alimentaire est colossale.
15:01 La facture alimentaire
15:03 de l'Afrique, c'est 53 milliards
15:05 de dollars ou d'euros
15:07 chaque année. Et on a des
15:09 paysanneries qui ont été obligées
15:11 de mettre en œuvre des stratégies de
15:13 minimisation des risques pour arriver
15:15 à vivre. En même temps, la malnutrition
15:17 est omniprésente.
15:19 Les villes africaines sont malheureusement
15:21 nourries par les importations
15:23 parce que c'est nous qui assurerons cette sécurité alimentaire.
15:25 - Et donc, qu'est-ce que l'on doit apprendre ?
15:27 - Quand le prix de la nourriture flambe, les gens
15:29 vont vers les villes et vont vers l'Europe.
15:31 C'est-à-dire que c'est des réfugiés de la faim.
15:33 Donc, ce que nous devons
15:35 apprendre, mais les agriculteurs français
15:37 le mettent en œuvre, c'est la gestion
15:39 efficiente de la ressource en eau.
15:41 C'est-à-dire que chaque goutte d'eau doit être
15:43 utilisée intelligemment. - Donc ça veut dire qu'il faut
15:45 des bassines ou pas ? - Ah bah pour moi, je suis à
15:47 fond pour la constitution de réserve
15:49 de substitution. Nous sommes dans le pays record
15:51 de piscines privées au monde.
15:53 Et les seuls qui n'auraient pas le droit de retenir l'eau,
15:55 ce sont les agriculteurs qui non seulement nous nourrissent,
15:57 mais quand vous avez une réserve d'eau, vous avez des oiseaux,
15:59 vous avez des insectes, vous avez
16:01 des pêcheurs, vous avez des ornithologues, et puis
16:03 vous avez de la vie ! Et l'eau, ça stocke le carbone.
16:05 Alors pourquoi laisser partir cette eau dans l'omède ?
16:07 - Vous en avez besoin aussi, Mathieu Courgeaux ? De ces bassines ?
16:09 - Non, moi je n'en ai pas besoin. - Pour mettre l'humidité dans vos champs ?
16:11 - Je n'irrigue pas sur ma ferme,
16:13 mais pour autant, il faut de l'irrigation.
16:15 Le problème de l'eau, il est compliqué en agriculture.
16:17 La première chose,
16:19 c'est qu'il va falloir la partager.
16:21 La partager entre tous les usages.
16:23 Entre les usages environnementaux,
16:25 les industriels,
16:27 le tourisme, etc. Et il va falloir
16:29 réduire l'utilisation. Donc ça, clairement...
16:31 - Mais est-ce que vous êtes d'accord que les Grecs et les Romains
16:33 utilisaient des bassines d'eau ?
16:35 - Alors ce n'était pas pour les mêmes usages,
16:37 mais c'est ça, parce qu'on rentre dans la complexité du sujet.
16:39 Si vous voulez,
16:41 avant de parler des bassines, on va parler
16:43 de l'utilisation de l'eau en agriculture. Il faut
16:45 diminuer l'utilisation, il faut la partager,
16:47 il faut la prioriser. Et donc d'abord, il faut
16:49 adapter les systèmes. Adapter les systèmes,
16:51 ça veut dire mettre en place des techniques
16:53 sur les fermes qui permettent de capter l'eau dans le sol.
16:55 Et ça, c'est l'agroécologie. C'est
16:57 faire des rotations de cultures, des
16:59 sélections de cultures plus longues. Donc ça, c'est vraiment
17:01 la première étape qu'on ne fait pas suffisamment en France.
17:03 La deuxième étape, c'est de prioriser.
17:05 Si on a moins d'eau demain,
17:07 la priorité des priorités, ça doit être
17:09 sur les cultures à destination de la consommation
17:11 humaine. Les fruits et légumes.
17:13 Et ensuite, il faudra avoir une gestion fine
17:15 par territoire, de voir si on peut utiliser
17:17 de l'irrigation pour faire autre chose.
17:19 Mais concernant les bassines, ce qui est clair,
17:21 c'est que
17:23 c'est un vrai souci.
17:25 Est-ce que c'est vraiment censé,
17:27 est-ce que ça a vraiment un sens de pomper de l'eau
17:29 l'hiver dans les nefs phréatiques qui vont avoir de plus en plus
17:31 de mal à se remplir
17:33 pour les stocker dans des grands réservoirs
17:35 bâchés qui prennent beaucoup d'hectares l'été ?
17:37 Est-ce que ça a vraiment un sens de s'engager
17:39 dans des gouffres financiers telles quelles ?
17:41 Je finis juste là-dessus. C'est un gouffre
17:43 financier, si vous voulez. Pour que ce soit à peine
17:45 rentable pour les agriculteurs, il faut mettre
17:47 des millions d'euros d'argent public.
17:49 Donc, de grâce que l'argent public
17:51 serve à faire évoluer les systèmes, plutôt qu'à ça.
17:53 Et les opposants à ces grands réservoirs
17:55 que les militants appellent "bassines", c'est pour ça
17:57 qu'on mettra le mot "bassines" entre guillemets, parce que c'est déjà
17:59 un parti pris, disent que les agriculteurs
18:01 feraient mieux de changer de modèle de production
18:03 plutôt de s'accaparer l'eau
18:05 à leur seule production.
18:07 Oui, mais ils ne l'accaparent pas. Quand vous avez, moi,
18:09 j'ai travaillé beaucoup en Dordogne,
18:11 où vous avez des noix, du jambon,
18:13 des produits de qualité, quand vous n'avez pas d'eau,
18:15 vous n'avez pas de lutte anti-incendie, parce que
18:17 ce sont des réserves qui servent à tout le monde.
18:19 Et c'est de l'eau pour tous. L'eau d'irrigation, c'est
18:21 de l'eau pour tous, il faut bien le comprendre.
18:23 Ce sont des paysages attrayants.
18:25 - Quelques secondes. Mathieu Courgeaux, au Salon de l'Agriculture,
18:27 aujourd'hui, il y a Emmanuel Macron. Il est en train
18:29 de participer,
18:31 d'ouvrir lui aussi ce
18:33 Salon. Il devrait d'inaugurer,
18:35 dans quelques minutes il va l'inaugurer. Pour l'instant,
18:37 il est à la traite, je crois.
18:39 Il va présenter quelques orientations
18:41 de la future loi d'orientation agricole.
18:43 Trois mots pour me dire ce que vous en attendez.
18:45 - On en attend beaucoup, parce que l'urgence des urgences,
18:47 c'est d'installer un million de paysans à 2050.
18:49 Et là, ça nécessite vraiment une refonte
18:51 considérable, si on veut
18:53 assurer notre souveraineté alimentaire demain.
18:55 - Merci d'être venu en parler ce matin sur France Inter.
18:57 Sylvie Brunel, je rappelle votre livre
18:59 "Nourrir", c'est le titre.
19:01 "Cessons de maltraiter ceux qui nous font
19:03 vivre". C'est donc un manifeste
19:05 pour le monde agricole, et c'est
19:07 publié chez Bûcher-Chastel. Merci à vous deux
19:09 d'être venus en parler ce matin.
19:11 Jour d'inauguration du Salon de l'Agriculture.
19:13 L'agriculture, il est 9h moins 20.