• l’année dernière
Charline Bourgeois-Tacquet (Les Amours d'Anaïs) et Fanny Liatard (Gagarine) sont deux jeunes réalisatrices qui ont vu leur premier film réussir leur carrière auprès du public et de la critique. Aujourd'hui une nouvelle étape s'ouvre à elles, celui de repartir en phase d'écriture et de pré-production pour leur deuxième long métrage, ce qui leur crée beaucoup d'interrogations entre l'envie d'aborder de nouveaux horizons créatifs, l'angoisse de trouver une nouvelle histoire pertinente, et ceci à l'heure de l'ère post-Covid...
Une Rencontre Et... est une proposition de mettre face à face deux personnalités du cinéma qui ne se connaissent pas et qui n'ont jamais travaillé ensemble, pour voir ce qu'ils ont à se dire
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Transcription
00:00 Salut à tous, bienvenue à Une rencontre et 3 petits points.
00:06 Aujourd'hui, une rencontre entre deux réalisatrices qui en sont au même point de leur carrière.
00:11 On a découvert leur premier film récemment, elles attaquent le deuxième, elles discutent
00:15 de ça ensemble.
00:16 Il s'agit de Charline Bourgeois-Taquet, la réalisatrice des Amours d'Anaïs et Fanny
00:22 Liatar, la co-réalisatrice de Gagarin.
00:24 La discussion est très intéressante, regardez.
00:27 Il est sorti à Taïwan, il est sorti en Pologne, dans des pays où je suis même jamais allée
00:31 de ma vie, donc je ne sais même pas à quoi ça ressemble.
00:33 C'est trop bizarre de se dire que des gens comme ça au bout du monde voient ce film.
00:37 Il y a un truc un peu vertigineux.
00:39 C'est un objet qui fonctionne tout seul, qui continue sa vie comme un petit enfant qui
00:44 grandit loin de chez ses parents.
00:46 Je ne sais pas toi quel parcours tu as, mais tu pourras me raconter.
00:54 Avec Jérémy, on n'a pas fait d'école de cinéma.
00:57 Parfois, c'est un regret, mais c'est aussi une chance dans un sens parce que pendant
01:04 ces années où on aurait pu se former au cinéma, on a fait d'autres choses.
01:08 On a vécu, on a travaillé, on a voyagé.
01:10 On est arrivés avec très envie de faire les films tous les deux en même temps et pas
01:15 vraiment de modèle ou de contrainte ou de choses qui nous avaient trop impressionnées
01:20 dans notre parcours.
01:21 Je m'en rends compte aujourd'hui.
01:23 Je me dis que c'est quand même une chance.
01:24 Je ne dis pas qu'il ne faut pas faire d'école, mais d'être arrivé assez naïvement avec
01:29 une culture cinéma très Spielbergienne et d'y aller avec le cœur.
01:36 Maintenant, il faut garder cette flamme-là.
01:40 Je suis complètement d'accord.
01:41 C'est sûr que ça nous fait un vrai point commun de départ.
01:44 Parce que moi, c'est pareil, je n'ai pas fait d'école de cinéma.
01:46 Je n'avais même pas vraiment prévu de faire des films.
01:48 Je suis arrivé tardivement et de manière un peu artisanale et dans mon coin.
01:53 C'est vrai que pour le premier, pour le long métrage, j'étais vraiment très naïve.
01:57 J'y suis allée avec une espèce d'innocence et juste parce que j'avais envie de le faire.
02:01 C'était juste une question de désir et je n'avais pas du tout de surmoi.
02:04 Je sens que pour le deuxième, ça va être un peu différent.
02:07 Parce que maintenant, les gens savent que j'existe et que j'ai fait ce film.
02:11 Je me dis que ça a été bien accueilli, bien reçu et que je n'ai pas intérêt à me planter
02:16 pour le prochain.
02:17 Donc, c'est vrai qu'à mon avis, cette liberté qu'on avait dans les cours, dans le premier long,
02:24 il faut qu'on arrive à la conserver.
02:26 À la conserver, maintenant qu'on est un tout petit peu plus professionnel.
02:31 Oui, on est un petit peu plus dans un métier.
02:33 Alors qu'avant, c'était une passion, une aventure.
02:36 Mais c'est super aussi de se professionnaliser.
02:39 Je trouve qu'on s'entoure de gens qui deviennent une famille, des alliés sur lesquels on sait qu'on peut compter.
02:45 Après avoir fait un premier long, il y a ça.
02:47 Je ne sais pas si tu travailles avec les mêmes producteurs.
02:50 Mais c'est hyper agréable de sentir ça.
02:53 Et en même temps, je me dis que c'est en restant curieux, c'est un peu naïf,
02:57 mais en vivant des choses encore, en se lançant peut-être à côté de l'écriture des longs-métrages
03:02 dans des propositions qui vont nous surprendre.
03:05 Je sais qu'avec Jérémy, le défi, c'est que nous, on a fait un premier film
03:10 dans un lieu qui existait, avec des vrais gens qui ont été le moteur de notre envie de faire ce film.
03:16 Et maintenant, pour les prochains, on n'a pas vraiment un lieu comme ça précis,
03:20 mais on le recherche.
03:22 Mais par contre, il nous faut ces rencontres-là.
03:25 Et du coup, ça passe par faire des ateliers avec des gens dans les contextes dans lesquels on va écrire nos prochains films.
03:30 On en parlait tout à l'heure, on était aux États-Unis, à Harlem pendant trois mois
03:35 pour essayer de trouver un endroit où on allait tourner.
03:38 On est en écriture, c'est très tôt le processus.
03:41 Et je me dis, c'est en faisant du terrain, nous, on a besoin de ça.
03:44 Je ne sais pas si toi, ça se situe là ?
03:46 Pour le prochain, oui, je pense.
03:48 Justement, je sens que là, j'ai besoin.
03:50 Je bloque sur certaines scènes parce que pour pouvoir les écrire,
03:54 il faut que je connaisse le milieu dont je parle de l'intérieur
03:56 et qu'il faut que j'aille un peu sur le terrain explorer.
04:00 C'est horrible, mais vraiment, ça existe, cette angoisse du deuxième film.
04:03 Moi, cette année, je me suis rendue compte que j'étais un peu paralysée
04:07 parce que le film était prêt l'année dernière pour Canne,
04:11 enfin Canne qui était en juillet.
04:13 Il est sorti en septembre.
04:14 Ensuite, je l'ai beaucoup accompagné à l'étranger.
04:16 Puis j'ai essayé de me mettre à écrire en même temps le deuxième.
04:19 Et j'avais envie d'écrire quelque chose de très différent,
04:21 qui ne serait pas du tout une comédie, qui ne serait pas du tout proche de moi.
04:25 Et donc, je me lançais un peu aveuglément là-dedans.
04:28 Et sauf que tous les gens qui me parlaient de mon film
04:31 quand j'allais le présenter dans des festivals et tout ça,
04:33 ne me parlaient que de ce côté comédie.
04:36 C'est tellement génial d'avoir trouvé ce ton.
04:38 Vous êtes entre Woody Allen et je ne sais qui et tout,
04:40 donc ça me faisait plaisir.
04:41 Et tout le monde me disait, j'espère que vous allez continuer,
04:45 que vous allez faire la suite.
04:47 Et ça, ça m'a vraiment bloquée.
04:50 Je me suis dit, merde, je ne sais plus ce que je veux faire.
04:52 Est-ce que j'ai le droit d'écrire quelque chose
04:54 qui soit vraiment très différent, pas du tout drôle ?
04:56 Est-ce que je peux me faire confiance là-dessus ?
04:58 Ou est-ce qu'il faut que je retourne dans cette veine
05:01 que j'ai l'impression quand même de maîtriser ?
05:03 Et donc, je n'ai pas bien travaillé cette année.
05:07 Donc cette histoire d'angoisse du deuxième film,
05:10 je sais maintenant que... Enfin, je l'ai éprouvé.
05:12 Oui, mais ça peut te rassurer.
05:15 J'ai un peu ce sentiment aussi.
05:17 Moi, je me disais que c'était peut-être lié aussi
05:19 quand il y a le tournage.
05:21 Donc la prépa, le tournage et la post-production,
05:24 c'est des mois hyper intenses.
05:26 Moi, j'ai adoré d'action, plein de questions,
05:30 plein de décisions qui sont prises rapidement
05:32 et poum, poum, poum, tout se met en place.
05:34 On a un casting.
05:36 Et après, une fois le tournage passé,
05:38 la post-production, c'est quand même de l'action
05:40 et plein de rencontres.
05:42 On travaille avec plein de gens différents
05:43 en post-prod, en montage, en mixage.
05:45 Et je trouve qu'après,
05:46 en plus après il y a la présentation du film,
05:48 qui a été un peu particulière avec le Covid et tout.
05:51 Elle n'a pas été si intense que ça,
05:53 mais c'est juste qu'après, on sait qu'on va...
05:56 On retourne dans un cycle d'écriture.
05:58 Et nous, personnellement,
05:59 pour notre premier long-métrage, "Gagarine",
06:01 ça a duré trois à quatre ans.
06:03 Et du coup, d'avoir cette perspective de temps,
06:05 de mois d'écriture,
06:07 moi, j'ai un goût pour l'action du tournage
06:11 qui fait que ça me fait un peu peur.
06:12 Et je sais que, du coup, c'est pas facile
06:14 de se retrouver face à ce nouveau rite,
06:17 la nouvelle durée de l'écriture
06:19 qui est normale, quoi,
06:20 qui sera peut-être un peu plus courte cette fois,
06:22 mais pas sûre.
06:24 - Mais ce que je me disais en t'écoutant,
06:26 c'est que c'est vrai que du point de vue de l'écriture,
06:28 moi, je résiste vraiment à tout...
06:30 À toutes les recettes, quoi, de scénario
06:32 et à la dramaturgie en trois actes.
06:35 C'est vraiment pas quelque chose que j'ai envie de respecter.
06:38 Et donc, je sais pas jusqu'à quel point
06:41 ça va être possible de continuer à financer des films
06:43 un peu à côté de ça, quoi.
06:45 Parce que maintenant, j'entends vraiment beaucoup parler
06:47 de trajectoire émotionnelle,
06:49 de dark narratif et tout,
06:51 et moi, c'est pas ça que j'ai envie de faire.
06:54 - Ben, moi, je me dis qu'au final,
06:56 on a peut-être finalement un rentre-après-coup
06:58 dans ces schémas-là.
07:00 Mais en tout cas, oui, quand on aborde pas ça
07:02 avec cette méthode-là ou avec ce vocabulaire,
07:04 ça permet de se sentir libre.
07:06 T'écris toute seule ou...
07:08 - Ben, là, jusqu'à présent, j'ai écrit toute seule,
07:10 enfin, tout toute seule,
07:12 et là, je me posais la question.
07:14 Mais je trouve ça très difficile de trouver la bonne personne
07:16 pour collaborer au scénario.
07:18 Je trouve ça vraiment...
07:20 Justement parce que j'avais fait quelques rencontres...
07:22 On m'avait proposé de rencontrer des gens
07:24 des amours d'analyse, de l'écriture,
07:26 et j'ai toujours eu l'impression
07:28 qu'on me proposait très vite des recettes,
07:30 des choses qui étaient un peu artificielles,
07:32 et on voulait tirer l'histoire
07:34 vers quelque chose de, je sais pas,
07:36 beaucoup plus romanesque,
07:38 beaucoup plus artificiel.
07:40 Et ça m'a vraiment pas fait envie.
07:43 - Mais après, je trouve aussi que, finalement,
07:45 fabriquer un film et que ce soit un premier ou un deuxième,
07:47 comme ça se fait pas à pas,
07:49 comme finalement, on écrit pendant 3 ans,
07:51 mais il y a des versions de traitement, puis de scénario,
07:53 moi, j'essaye de pas trop avoir cette angoisse
07:56 en prenant les choses une par une,
07:58 justement, on parlait de faire du terrain
08:00 pour nourrir l'écriture,
08:02 ben, il y a ça...
08:04 Si on est un peu angoissé,
08:06 autant être dans le concret.
08:08 - Oui, mais c'est ça.
08:10 Ça, c'est une bonne idée, parce que ce que j'allais dire,
08:12 c'est que moi, ce qui m'a aussi un peu fait peur cette année,
08:14 c'était quand même l'idée que le cinéma d'auteur en France
08:16 était en train de mourir
08:18 et que les films d'auteur ne faisaient plus aucune entrée.
08:20 Et donc, justement, quand tu te retrouves
08:22 tout en bas de cette montagne d'écriture qui t'attend
08:24 et que tu te dis que tu vas passer des années de ta vie
08:26 à écrire quelque chose qui soit le mieux possible
08:28 et que peut-être personne ne verra,
08:30 puisque dans 2-3 ans, on sait même pas
08:32 s'il restera des salles de cinéma pour projeter ce genre de film,
08:34 ça m'a aussi pas mal découragée.
08:36 Donc j'ai pas envie d'assombrir cette conversation,
08:38 mais je dois dire qu'il y avait vraiment ça qui était...
08:40 Je me disais, OK,
08:42 j'ai une passion pour le cinéma
08:44 depuis que j'ai 14 ans,
08:46 et le moment où j'arrive,
08:48 le moment où je commence à pouvoir enfin faire des films,
08:50 c'est le moment où ça a l'air
08:52 de prendre un virage
08:54 assez inquiétant.
08:56 - Là-dessus,
08:58 c'est bizarre,
09:00 il faut pas se voiler la face, c'est sûr qu'on sait pas
09:02 ce que vont être nos films ou ce qu'ils vont être diffusés,
09:04 mais quand on était en tournée
09:06 pour présenter "Gagarine",
09:08 on a rencontré des exploitants de cinéma
09:10 qui, je sais pas si t'as vécu ça,
09:12 mais ils étaient incroyables, hyper engagés,
09:14 avec des publics fidèles,
09:16 vachement actifs,
09:18 ils ont fait des éducations à l'image, souvent.
09:20 Donc c'était vraiment des belles rencontres,
09:22 et nous, on était un peu dans cette période
09:24 où on attendait les chiffres de "Gagarine",
09:26 les chiffres, les chiffres,
09:28 et moi, personnellement, c'est vrai que les chiffres,
09:30 je les comprends pas tellement,
09:32 parce que c'est des milliers de personnes,
09:34 c'est dur à appréhender.
09:36 Et donc il y a un exploitant à qui je discutais,
09:38 il me dit "En fait, vous êtes vraiment dans le truc des chiffres,
09:40 mais l'échange qu'on va avoir ce soir,
09:42 profitez-en,
09:44 vous êtes face à des spectateurs,
09:46 en plus, ça fait sortie de Covid,
09:48 pensez, voilà,
09:50 restez concentrés sur ça, sur la qualité de l'échange,
09:52 plutôt que la quantité,
09:54 alors c'est peut-être une faible consolation,
09:56 mais franchement, moi, ça m'a vachement apaisée,
09:58 je me suis dit "Mais oui, c'est vrai,
10:00 moi, même là, le film est sorti dans des pays
10:02 où j'ai pas pu aller, je trouve ça génial,
10:04 mais c'est abstrait de se dire "Mais qui sont les gens
10:06 qui l'ont vu ?"
10:08 Alors, quand il y a des gens qui sont dans une salle,
10:10 et qu'on est face à eux, qu'on peut discuter, que ça crée un échange,
10:12 nous, on le présente beaucoup à des jeunes,
10:14 et c'est un kiff, c'est vraiment très agréable,
10:16 donc je me dis "Bon,
10:18 on se concentre au moins là-dessus,
10:20 en plus, c'est chouette parce que là, le film sort à la télé aussi,
10:22 donc il y a un autre public qui l'avait pas vu en salle,
10:24 on a un peu des retours,
10:26 j'ai ma famille qui le voit,
10:28 du coup, il y a des gens
10:30 qui sont peut-être plus éloignés du cinéma,
10:32 qui me font des retours,
10:34 et je me dis "Voilà, il faut s'attarder sur ce qui marche,
10:36 et ce qui existe encore,
10:38 et il faut y croire."
10:40 - Encore.
10:42 - Merci beaucoup.
10:44 - Merci.
10:46 - Merci.
10:48 - Merci.
10:50 Sous-titrage Société Radio-Canada
10:52 [SILENCE]

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