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Pourquoi les films de boxe font-ils d'aussi bons films sociaux ? Alors que le 3ème film "Creed" vient de sortir, revenons sur cette saga entamée par Rocky en 1976 et ce qu'elle illustre des réalités sociales derrière le noble art. Le cinéma de sport populaire va-t-il faire son grand retour ?

Avec POPulaire, Bolchegeek décrypte tous les mois pour l'Humanité ce que la culture pop a dans le ventre, et ce qu’elle dit de notre monde. Ciné, BD, séries, bouquins ou jeux vidéo, en convoquant Graeber, Lordon, Pif et Naruto, ça foisonne dans ses vidéos. Ça geeke aussi, ça marxise, et ça disperse façon puzzle !

Une émission écrite et présentée par Benjamin Patinaud et Kate
Image : Le Fils de Pub
Montage : Ace Modey
Musique : 2080
Générique : Copain du Web
Production : Kathleen Brun
Miniature : Boidin

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Transcription
00:00 Je n'ai jamais imaginé un jour monter sur un ring, faire des combats.
00:03 Je n'avais pas de modèle.
00:05 La boxe n'existait pas dans mon milieu familial, hormis Rocky.
00:09 Je pense que, comme beaucoup, c'était la seule référence que j'avais.
00:13 La boxe, elle a longtemps fabriqué des héros mythiques,
00:15 y compris jusqu'à très récemment, jusqu'à la fin du 20e siècle.
00:18 Pourquoi aujourd'hui, à votre avis, la boxe ne fabrique plus
00:21 ou en tout cas beaucoup moins de ces grands champions quasi mythiques ?
00:26 [Générique]
00:35 Fut un temps pas si lointain, on pensait Rocky mort et enterré,
00:39 une relique d'une autre époque où on faisait des films de boxe populaires
00:43 et où Stallone n'était pas une icône ringarde parodie à l'infini.
00:46 Vous voyez, le genre "Brrr, Adrien, c'est pas ma guerre, brrrr".
00:50 Vous voyez, ce genre de trucs.
00:51 Pourtant, ça y est, la saga Creed est déjà devenue une trilogie
00:54 et ne compte pas s'arrêter en si bon chemin.
00:56 Pour ceux qui l'ignoreraient, parce que, contrairement au porc-salut,
00:59 c'est pas marqué dessus, les films Creed sont les suites des films Rocky,
01:02 mais centrés, comme son nom l'indique cette fois, sur Adonis,
01:05 fils du premier rival emblématique de Rocky Balboa
01:07 et qui s'appelle Oreo, Apollo Creed,
01:09 ce qui fait de l'opus sorti ce mois-ci le 9e de cette série.
01:13 Pour ceux qui l'ignoreraient également, Rocky, c'est génial.
01:17 Alors, je sais que c'est évident pour beaucoup d'entre vous
01:19 que c'est pas juste un film culte d'une époque révolue,
01:22 mais bien un chef-d'œuvre absolu du 7e art.
01:24 Le problème, c'est que la réputation de la saga par la suite
01:27 et surtout de Stallone lui-même, les reprises et parodies à nauséam,
01:31 là encore, des films et de Stallone lui-même,
01:33 ont eu tendance à devenir le truc que retiennent certains.
01:36 C'est encore plus valable pour cette autre merveille qu'est Rambo,
01:39 qui se trimballe l'image de hot-shot et des guignols,
01:41 c'est-à-dire des parodies de ses suites moins glorieuses.
01:44 Rocky est un grand film, l'un des meilleurs films de boxe,
01:47 si ce n'est LE film de boxe,
01:49 mais aussi un des meilleurs films sociaux.
01:52 En tout cas, désolé,
01:53 meilleur qu'un bon paquet de trucs misérabilistes
01:56 qui se définissent uniquement comme ça.
01:57 Je dis "film social", mais je pourrais même dire "film de classe",
02:00 dans la mesure où on a en quelque sorte pas un film sur les prolos,
02:03 mais un film DE prolos.
02:05 C'est-à-dire un film qui ne se contente pas de les décrire dans un rôle de victime,
02:08 mais qui montre leurs conditions à travers un protagoniste
02:11 qui les rige en héros parce qu'ils luttent contre ça,
02:14 conquièrent sa dignité et véhiculent une fierté de classe.
02:17 Une œuvre sociale nous montrant comment la classe populaire
02:19 peut être humiliée chaque jour dans son corps, dans sa chair,
02:22 déterminée à rester honteuse de sa propre vie.
02:25 Un film dénonçant la mécanique du capitalisme,
02:27 utilisant ici un pauvre type,
02:29 dans l'unique but de réenchanter l'Amérique
02:31 avec cette fameuse fable méritocratique de "l'American Dream".
02:35 Alors oui, je sais, vous allez me dire "Stallone, c'est un gros droitard ricain",
02:39 et ben, c'est vrai.
02:41 Mais ça, c'est se cantonner au jeu des boîtes,
02:43 et ça ne dit rien du talent du bon Sly
02:45 pour parler de et à la classe ouvrière
02:48 auprès de laquelle il était extrêmement populaire.
02:50 Stallone, il a aussi fait "Fist",
02:53 qui est un film au nom certes très rigolo,
02:55 mais qui parle de l'histoire des syndicats de routiers aux Etats-Unis,
02:58 et c'est très bien, et c'est lui qui l'a écrit.
03:00 Donc voilà, c'est de la balle.
03:02 Je vous le conseille.
03:03 Et puis... faites grève.
03:05 Bon, Stallone, lui-même, ses parents, ils étaient coiffeurs,
03:08 et sa mère aussi, astrologue, danseuse,
03:11 circassienne, prof de gym à la télé, bon.
03:13 Ce qui ne l'a pas empêché de grandir dans le quartier pauvre dit de Hell's Kitchen.
03:17 Hell's Kitchen, déjà, le surnom, vous avez l'idée.
03:19 Hell's Kitchen, qui est d'ailleurs le quartier de Daredevil,
03:22 lui-même super-héros boxeur,
03:24 issu de la classe ouvrière.
03:25 - C'est MisterFox. - Coucou.
03:26 - C'est coucou MisterFox. - Bonjour.
03:28 - Bonjour, c'est moi, MisterFox. - C'est l'humanité.
03:29 Dis "abonnez-vous à l'humanité".
03:31 Abonnez-vous à l'humanité.
03:33 Putain, il est fort.
03:34 Avant qu'elle s'éteigne.
03:35 Ouais, on a déjà fait la blague dans la vidéo d'homme.
03:37 Ah merde, alors attends.
03:39 Abonnez-vous à l'Humanicafé.
03:41 Ah non zut, c'est "humanité".
03:43 Mais pas après 16h, sinon tu vas mal dormir.
03:49 En décrochage scolaire et gêné par ses problèmes d'élocution dus à son handicap facial,
03:56 il a connu quelques séjours en famille d'accueil et en établissement scolaire pour gamins difficiles.
04:00 Suite à quoi, il a connu la bonne grosse galère,
04:03 alors qu'il enchaînait petit boulot, chômage et ramé à devenir acteur,
04:06 en acceptant, c'est connu, un film érotique.
04:09 Forcément, c'est là qu'il écrit le scénario de Roti.
04:12 La légende voulant qu'il ait dû vendre son chien pour s'acheter à bouffer
04:15 et qu'il l'aurait racheté 3000 balles une fois le scénario accepté
04:18 et que ça serait le Kikinou qu'on voit dans les films.
04:20 Donc, vous voyez en quoi la trajectoire de ce boxeur galérien de seconde zone
04:24 fait écho à sa trajectoire personnelle comme acteur.
04:27 Que ces domaines se recoupent un peu, ça a rien d'étonnant.
04:29 Là où je trouve ça intéressant, c'est à quel point ce genre de traitement est courant dans les films de boxe.
04:34 Mais en fait, les films de sport en général, ou également de danse,
04:37 ou sur les comédiens, les musiciens, voire les magiciens qui arrivent,
04:41 bref, les métiers du pestacle.
04:43 C'est des genres cinématographiques populaires qui passent surtout pour du divertissement,
04:46 du spectacle justement, mais qui sont en réalité très fréquemment aussi des films sociaux.
04:52 Ce qui n'a, là encore, si on réfléchit bien, rien d'un hasard.
04:55 Bon, déjà parce que c'est un schéma narratif très efficace,
04:58 la personne qui part de rien et qui connaît une ascension via un de ses domaines,
05:02 puis alors les ricains, vous les connaissez, ça leur permet de vendre leur American Dream,
05:06 ils sont ultra débiles avec ça.
05:07 Mais ceci dit, en France, on adore, mais alors on adore aussi, les récits de transfuges de classe.
05:13 Mais bon, c'est des ressorts qui marchent bien,
05:15 surtout avec cet aspect dépassement de soi et compétitif très David contre Goliath.
05:20 Cependant, force est de constater que ces films dépeignent souvent avec attention
05:24 des réalités sociales profondes, même si ce qu'on en retient, c'est l'aspect sport, danse, divertissement.
05:29 Ce qui se passe avec Creed, même si c'est des films très inégaux, c'est quand même assez intéressant.
05:33 Parce que c'est pas juste un revival nostalgique,
05:36 comme on en bouffe à toutes les sauces à base de références métas à nos cultures doudou.
05:40 Non, il y a quand même une volonté de renouer avec ce genre d'émotions premier degré,
05:44 des affects à la Rocky, pour actualiser ces thématiques, y compris sociales.
05:48 On en a parlé dans la vidéo sur les vieux fourneaux,
05:51 c'est des histoires à la fois de choc générationnel et de transmission.
05:54 On a d'un côté le vieux boxeur de la classe ouvrière italienne,
05:57 et le jeune boxeur afro-américain.
05:59 D'ailleurs, pour le confronter à Rocky comme les originaux le faisaient avec le père du personnage,
06:03 ils construisent Adonis sur une tension contradictoire en termes de classe.
06:07 Parce que là, le petit bourge qui a fait des études, il se trouve que c'est l'afro-américain,
06:11 ce qui n'est pas hyper représentatif de leur situation sociale en général.
06:15 Mais comme c'est un enfant illégitime, il a aussi connu les foyers, la violence de rue, etc.
06:19 Ce qui donne une dynamique intéressante.
06:21 Shadow...
06:22 - O-W. - Oui, un W.
06:24 - Boxing. - Boxing, ouais.
06:25 La transmission se fait évidemment dans le titre.
06:28 Le héros Rocky avait d'une certaine manière clôturé, et à mon avis de fort belle façon,
06:32 son long parcours, certes pas toujours excellent,
06:36 par le film de 2006 réalisé par Stallone lui-même, et si simplement titré "Rocky Balboa".
06:42 Et d'ailleurs, il a fait exactement le même coup deux ans plus tard avec John Rambo.
06:46 Bon, et ensuite arrive un film écrit et réalisé par une autre équipe
06:50 au profil aussi différent que ces deux personnages le sont.
06:53 La passation que représente le film est aussi celle qui se fait dans ce même film,
06:57 et entre leur public.
06:58 La tradition sociale du film de boxe est préservée,
07:00 non pas malgré ça, mais bien grâce à ça.
07:03 En parlant de ça, laissez-moi vous présenter un type qui a pris un peu trop au pied de la lettre
07:07 la phrase de Bourdieu comme quoi "la sociologie est un sport de combat".
07:11 Imaginez le tableau.
07:12 Le petit Loïc, comme son prénom l'indique, est un blanc-bec de classe moyenne
07:16 d'un charmant petit village près de Montpellier, né en 1960,
07:19 et vlatit pas qu'il part faire un doctorat de sociologie à l'université de Chicago
07:24 et s'y retrouve dans le South Side.
07:26 Et le South Side, c'est ce qu'on appelle communément en sociologie la "mégazone".
07:30 Le voilà donc dans un quartier extrêmement pauvre,
07:33 livré à une très grande violence et à une criminalité omniprésente,
07:37 dépourvu d'infrastructures fonctionnelles,
07:39 et en fait largement abandonné par les politiques publiques,
07:41 avec une population à très grande majorité noire.
07:44 Et ça tombe bien, c'est son sujet.
07:46 Alors je vais pas dire que c'est un ghetto, parce que je sais qu'il est très critique de cette notion,
07:50 mais en tout cas, c'est ghetto, comme on dit.
07:52 Monsieur Loïc, qui décidément ne peut rien faire comme tout le monde,
07:55 considère qu'il ne peut pas faire son taf en gardant une distance confortable,
07:59 passablement paternaliste, et qu'il doit partager la vie de ce quartier.
08:03 Il se pointe donc dans un des rares endroits où survit un lien social pas trop bousillé,
08:07 dans cette communauté ultra-marginalisée, la salle.
08:10 Alors la salle, pas Jean, mais le gym, la salle de boxe.
08:14 Et là, c'est le drame.
08:15 Il ne devient finalement pas un sociologue de la boxe, mais bien un sociologue boxeur.
08:19 C'est pas celui qui l'a dit, il a été vraiment ennemi parce que lui, il a fait un vrai combat de boxe.
08:23 Et à Chicago, ce qu'on appelle les Golden Gloves de Chicago,
08:28 c'est les quartiers qui se combattent les uns les autres,
08:30 et c'était les "blagues" contre les Mexicains.
08:32 Et Loïc, il est monté sur le ring, premier tour contre un Mexicain,
08:35 qu'il a défoncé pendant trois rounds, il ne l'a pas abandonné,
08:38 il l'a tenu debout et après, respect, il a pu aller au gym,
08:42 et puis après, vous connaissez toute l'histoire, le livre, etc.
08:45 Non seulement, ça a produit des travaux très respectés dans son champ académique,
08:48 mais également dans le domaine de la boxe.
08:50 J'avais trouvé ça nulle part.
08:52 C'est-à-dire qu'on trouve des livres qui expliquent les techniques de la boxe,
08:55 qui théorisent un peu des manuels purement techniques,
08:59 mais là, c'était une vraie étude sociologique,
09:02 et en même temps, un roman qui embarque avec ces photos, c'est assez incroyable.
09:07 Je le dis comme ça devant tout le monde, mais je suis hyper fière de t'avoir en face de moi.
09:12 C'est moi qui ai toutes les raisons d'être fier.
09:14 Et pour cause, cet étrange petit chercheur intello venu d'ailleurs dans cet endroit-là,
09:19 c'est lui qui n'était pas légitime.
09:21 Il arrivait pour passer son doctorat de sociologie,
09:24 eux ont pu lui décerner, comme il le dit, un diplôme de stritologie.
09:27 Son livre "Voyage au pays des boxeurs" est largement occupé par la parole des boxeurs eux-mêmes,
09:32 y compris pour théoriser ce qui les concerne.
09:34 Alors que, à ce qu'il en dit, il s'en tapait complètement de son truc de sociologue, là.
09:38 Je te vois bien qu'il prend tes notes, Louis.
09:40 Fais gaffe à ce que t'écris, parce que je vais te casser les deux jambes.
09:43 Ça, c'est son entraîneur, Didi.
09:45 Par contre, la boxe, ça, c'est du sérieux.
09:48 Avoir un doctorat, ok, ça peut être le parcours du combattant, je vous l'accorde.
09:52 Mais être légitime sur le ring aussi, littéralement, en fait,
09:55 ça demande de "payer son dû", comme ils le disent.
09:58 À l'époque, je faisais du judo, et puis au bout de 15 jours, 3 semaines, il me dit
10:02 "Ah, tu sais, ton nez, it's too big, it's time to bleed."
10:06 Il me dit "Il faut le casser parce qu'il est trop gros."
10:08 Et là, il me montre sur le ring un malabar qui était un ancien joueur de football des Chicago Bears,
10:14 à peu près 180 kg, des bras deux fois comme mes jambes,
10:18 et il me dit "C'est lui, samedi, qui va te casser le nez."
10:21 Et il me dit "Et n'oublie pas surtout, tu viens avec ton protège-dents, parce que sinon t'auras plus de dents."
10:24 Autant vous dire que tous les débiles qui font toujours la même vanne sur les études de sociaux,
10:29 en mode "Tu vas bosser à McDo, MDR",
10:31 le jour où ils seront dignes de lui éponger la sueur au Loïc, on en reparlera.
10:35 Et quand ils seront dignes d'éponger la sueur des gens qui tribent à McDo, d'ailleurs...
10:39 Bref, je disais quoi.
10:40 Ce travail de Loïc Vacan éclaire complètement pourquoi ces genres de films et les imaginaires qu'ils véhiculent
10:46 se font si souvent porteurs de ces réalités sociales.
10:49 Les domaines sportifs, mais aussi artistiques et du spectacle en général,
10:52 font partie de domaines où les classes les plus précarisées et les plus marginalisées
10:56 peuvent espérer se sortir de cette condition.
10:58 Ce qui rend ces domaines suspects, parce qu'après, les gens ouvrent leur gueule
11:02 alors qu'ils ne viennent pas des milieux autorisés, donc il faut bien vite les contrôler.
11:06 "Cassius, si je peux..."
11:07 "Je ne m'appelle plus Cassius Clay, c'est un nom d'esclave et je ne suis pas un esclave, je suis libre."
11:11 "Je suis Mohamed Ali."
11:12 "Quand je pense que j'ai renoncé à un métier lucratif pour interviewer des gens comme vous..."
11:16 "C'est pas ce que je dis qu'on attaque, Yann."
11:21 "C'est moi."
11:22 "Et c'est pas un problème."
11:24 "Trop tard, les gars."
11:26 Pour la sociologie de la boxe étudiée par Vacan, les faits sont très clairs
11:29 et à l'image de ce qui se passe au cinéma.
11:31 La grande majorité des boxeurs proviennent de ces milieux.
11:34 C'est forcément hyper criant aux Etats-Unis puisque ce sport a été investi par les vagues successives de migrants,
11:39 un groupe venant à chaque fois remplacer le précédent en bas de l'échelle,
11:43 ainsi que par les Noirs-Américains du fait d'une histoire encore différente.
11:46 D'abord Irlandais, puis Juifs d'Europe de l'Est, puis Italiens, puis Afro et plus tard Latino-Américains.
11:52 C'est d'ailleurs ce qui se passe dans Rocky, avec Apollo Creed,
11:54 entre un boxeur de la classe ouvrière italienne qui se sent déclassé
11:58 et qui affronte une nouvelle grande star afro-américaine de la boxe.
12:01 Tenez, Saturn and I Fever aussi, c'est un type de la classe ouvrière italienne
12:05 en rivalité avec les Noirs et les Porto-Riquains du quartier,
12:08 même si justement ils dépassent cette rivalité, comme avec Apollo Creed dans Rocky.
12:12 Rematez Saturn and I Fever parce qu'il y a tellement de gens qui ont retenu que c'est
12:16 "Ah, John Travolta, pantalon moulant, ah ah ah, Staying Alive".
12:20 Juste, c'est un film social hyper dur,
12:22 genre il y a quand même des violences interethniques, un suicide, un viol collectif,
12:26 et en plus du coup c'est exactement le même truc parce que Travolta, c'est un prolo,
12:29 et tout ce qu'il a c'est le week-end, il va en boîte pour être le roi de la danse,
12:33 et c'est le seul endroit où il peut échapper un petit peu à sa famille de merde,
12:36 où il peut échapper un petit peu à son travail, où il peut draguer des filles,
12:39 et où il est un peu le roi quoi, où il a de la reconnaissance sociale,
12:42 et où il a du prestige, et où il est respecté.
12:44 Et d'ailleurs, Staying Alive déjà n'est pas la chanson de la piste de danse,
12:48 mais par contre c'est le titre de la suite de Saturn and I Fever,
12:51 qui raconte l'ascension du personnage à la ville pour devenir un très très grand danseur,
12:56 suite réalisée par Sylvester Stallone.
13:00 Et qui pue la merde.
13:01 Les boxeurs sont alors de manière plus générale souvent issus de la classe ouvrière,
13:05 mais contrairement à ce qu'on pourrait croire, pas de ces fractions les plus précarisées.
13:09 Ils ont plus de chances d'avoir fait des études et d'avoir un emploi stable,
13:12 souvent dans des métiers manuels, ouvriers à la chaîne, soudeurs, camionneurs, maçons, chauffeurs, etc.
13:18 Il faut dire que la régularité et la discipline nécessaires pour boxer exigent un minimum de stabilité,
13:24 des exigences qui sont en fait assez similaires à celles du travail ouvrier,
13:27 la répétition des gestes, la cadence, le labeur, le conditionnement,
13:31 la résistance à l'épuisement et aux dégâts sur le corps,
13:33 et puis plus fondamentalement, le fait de n'avoir comme capital à entretenir que son propre corps qu'on loue pour gagner sa vie.
13:39 C'est pas étonnant non plus que la boxe soit un sport aussi prolétaire au sens strict.
13:43 Quand on a l'habitude de percevoir son corps comme un outil,
13:46 des domaines comme le sport ou la danse permettent de se le réapproprier,
13:50 de l'arracher un temps au travail contraint.
13:52 Mais attention, seulement un temps, à moins de faire partie des rares élus qui en tirent un grand succès.
13:57 Pour la masse des autres, il s'agit d'une activité peu rémunératrice à côté du taf alimentaire,
14:02 auquel on peut essayer de grappiller un petit peu avec une petite professionnalisation.
14:06 "Au demeurant, la souffrance que s'infligent les boxeurs est consentie, prévisible et clairement circonscrite.
14:12 Autant de propriétés qui la rendent éminemment préférable à la souffrance sourde, subie, diffuse et imprévisible
14:19 émanant de l'absence de contrôle qui caractérise la vie quotidienne des classes populaires urbaines."
14:23 Vacan parle de stratégie de résistance au travail déqualifié,
14:27 avec une idée que je trouve hyper juste, pas d'ascenseur social mais d'apesanteur sociale.
14:32 "Ben, je me rabattrais probablement sur des boulots d'esclave.
14:35 Je trimerais comme tout le monde, c'est probablement ce que je ferais.
14:38 Cirer les pompes de quelqu'un, trimer à 10 ou 20 jobs, comme tout le monde.
14:42 C'est pour ça que j'ai commencé à boxer.
14:43 J'utilisais la boxe comme issue de secours mais ça s'est pas passé comme ça."
14:46 La boxe n'est pas qu'une quête de pognon pour se sortir de la galère.
14:50 Le crime, contrairement à ce qu'on dit, paie beaucoup mieux et plus vite,
14:53 même si ça présente des risques certains.
14:56 Mais la boxe aussi, en fait.
14:57 Vous imaginez ce que ça fait endurer au corps, ce que ça peut laisser comme séquel ?
15:01 Y a des gens qui meurent sur le ring.
15:03 La boxe amène également un prestige et une reconnaissance sociale
15:06 à des gens qui en sont privés le reste du temps.
15:08 Mais aussi, elle apporte une réponse à des problèmes endémiques de ces quartiers.
15:12 Elle fournit un foyer de substitution là où les familles sont atomisées,
15:15 exige d'échapper à la drogue, à l'alcool et à la malbouffe,
15:18 mais aussi, bien sûr, à la violence de la rue, à la criminalité et à la taule.
15:22 Forcément, on craint moins de se tourner vers un art qui consiste,
15:25 mine de rien, à se faire maraver la gueule et maraver plus fort en retour,
15:29 dans des milieux qui ont l'habitude de subir des niveaux de violence un peu plus vénères.
15:33 Un autre sociologue, Thomas Ovadet, parle carrément de "capital guerrier"
15:36 valorisé dans les milieux socialement déstructurés
15:39 et qui désigne la force physique, l'intimidation, la bagarre quoi.
15:42 "Un bon petit défoulement, une bonne petite castagne à t'échapper."
15:45 Mais aussi les dispositions psychologiques et les relations à développer pour ça.
15:49 L'exposition à la violence sous toutes ses formes est banale.
15:51 Parmi les 36 boxeurs noirs interrogés à ce sujet en 1991,
15:55 25 affirmaient avoir été témoins directs d'un meurtre,
15:58 23 avaient eux-mêmes été blessés par balle ou poignardés,
16:01 6 sur 10 se bagarraient dans la rue, par nécessité, avant de se convertir au noble art.
16:06 Mais la boxe ne mobilise pas tant ce capital pour être meilleur à la baston de rue
16:10 que pour s'extraire de la baston de rue.
16:12 Elle empêche les "mauvaises fréquentations", comme on dit,
16:15 en reconstruisant des rapports sociaux, d'appartenance, de fierté, de camaraderie
16:19 et de relations un peu plus saines.
16:21 La salle apporte un lieu pour recréer du commun et du lien là où tout ça a été détruit.
16:25 Alors, très masculin, très très masculin,
16:28 même si ça a un peu changé depuis dans les salles de sport comme dans les salles obscures.
16:33 "Il y a ces valeurs qui sont connotées très masculines
16:36 et on vient un peu chambouler tout ça, c'est dérangeant.
16:39 Et donc oui, on entend ça, on entend que c'est pas très joli.
16:43 J'ai beaucoup entendu aussi le fait que les femmes sont plus agressives,
16:47 sont plus méchantes sur le ring, vraiment, elles lâchent rien.
16:51 Un homme a peut-être cette capacité à prendre un peu de recul et revenir,
16:55 une femme, elle a envie de ne pas céder."
16:58 L'entraîneur, lui, peut remplir un rôle d'éduc, de travailleur social,
17:02 soit bénévolement, soit carrément employé par la municipalité.
17:05 Ils épongent pas juste le sang et la sueur,
17:07 ils épongent la merde sociale qu'on leur laisse.
17:09 Y repenser quand des gens promettent à tout bout de champ d'envoyer toujours plus de flics,
17:13 mais coupent ou réduisent les subventions aux associations, aux clubs, etc.
17:17 "Les entraîneurs avaient l'habitude de dire
17:19 chaque heure qu'on passe à la salle, c'est une heure qu'on passe pas dans la rue."
17:22 Donc tout ça, c'est bien plus profondément ancré dans le monde social
17:26 que les simples tropes, voire gros clichés de cinéma que ça a fini par devenir.
17:31 L'héroïsation de la vie quotidienne, elle existe autant dans ce cinéma
17:34 que dans les rues autour des vrais boxeurs eux-mêmes.
17:37 Bon, après, la socio, c'est bien beau, mais Vacan et ses collègues de la salle,
17:42 ils parlent de la difficulté de trouver les mots justes
17:44 pour décrire un truc aussi viscéral que la boxe.
17:47 Et est-ce que c'est pas précisément ça que permet le cinéma ?
17:49 Évidemment, on pourra jamais le vivre comme eux sans l'avoir...
17:53 ben, vécu.
17:54 Pourtant, les films nous aident à partager ce qu'on peut pas décrire
17:57 avec juste des mots ou des travaux universitaires,
17:59 à nous partager un tout petit peu de tout ça.
18:01 Et j'ai envie de dire, pour les réalités sociales,
18:04 et ben c'est un peu pareil.
18:05 On peut faire de la plus rigoureuse manière la sociologie de prolos qui font de la boxe,
18:09 et le cinéma peut nous amener...
18:11 Rookie.
18:11 On peut lire des enquêtes très documentées sur les évolutions sociales dans ces milieux,
18:15 et on peut regarder Creed.
18:17 Et les deux sont complémentaires.
18:18 Avoir les deux, ça permet d'éviter de résumer les choses à
18:21 "c'est un truc de gros bourrin qui se tape dessus pour le spectacle",
18:24 ou dans le même genre "c'est juste des millionnaires qui poussent un ballon",
18:27 ou "oh regardez ces pauvres victimes qui ont que ça tellement ils sont dans la misère".
18:31 Un point qui ressort autant de ce bouquin que de ces films,
18:34 c'est que la boxe, comme beaucoup d'autres trucs populaires,
18:37 c'est pas juste poussé par des déterminations négatives,
18:40 mais aussi des affects positifs.
18:41 Si vous faites déjà de la boxe, vous le savez parfaitement.
18:44 Si juste vous aimez ça, vous le savez bien aussi.
18:47 Et si vous aimez Rookie ou Creed ou les deux,
18:50 et ben vous le savez au moins un peu.
18:52 On fait de la boxe parce que la boxe c'est beau,
18:54 pas juste parce que la société c'est de la merde.
18:56 Et ça, c'est valable pour tellement d'autres choses.
18:59 Y'a rien au monde qui est crevant comme le tronc de soleil.
19:06 Tu sors, t'as l'impression que t'arraches les poumons avec une tonaille,
19:09 quand on te démembre,
19:11 quand on te met les mains et la tête dans de l'huile brûlante,
19:14 ça te fait un peu plus gentil.
19:17 [Cris de joie]
19:19 [Cris de joie]
19:21 [Cris de joie]
19:23 [Générique de fin]
19:25 [Clap]
19:25 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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