Que cache la grève à Hollywood ?

  • l’année dernière
Que s'est-il passé pour que la grande famille du cinéma hollywoodien se mette subitement à tenir des piquets de grève ?

Allons fouiller sous les tapis rouges et le glamour pour comprendre ce qui se joue ici, pour cette industrie comme pour le mouvement social en général !

Une émission écrite et présentée par Benjamin Patinaud et Kate
Image : Le Fils de Pub
Montage : Ace Modey
Musique : 2080
Générique : Copain du Web
Production : Kathleen Brun
Miniature : Boidin

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Transcript
00:00 Tous ceux qui sont ici sont des auteurs.
00:02 Nous sommes à l'origine des films.
00:04 Ce sont nos idées, mais elles appartiennent au studio.
00:07 Je ne dis pas que les auteurs sont les seuls à se faire exploiter.
00:11 Tenez vous, par exemple, Baird.
00:13 Ce qui se passe ici est important.
00:16 Parce que ce qui se passe ici se passe dans tous les domaines du travail.
00:23 Oui, bien sûr, le studio possède les moyens de production.
00:27 Mais ça ne l'autorise pas à prendre tout l'argent.
00:29 Le nôtre, notre argent, la valeur créée par notre travail.
00:33 Et nous en redistribuer les miettes.
00:35 Ce n'est pas juste.
00:37 Nous sommes victimes d'une entité très décevante.
00:44 C'est dégueulasse.
00:46 C'est un honte à eux.
00:48 Du strass, des paillettes et du syndicalisme,
00:51 bienvenue dans cette nouvelle saison de Populaire pour le journal l'Humanité.
00:54 Aujourd'hui, on va parler de la grève à Hollywood.
00:57 Union Solidarity Forever !
00:59 Il faut avouer que les grèves à Hollywood, ça a un côté marrant.
01:13 Sur le piqué de grève, t'as Mulder, Barbarella ou Bowser.
01:16 Leur Sophie Binet, c'est une nounou d'enfer.
01:18 Et leur Olivier Matheux, c'est carrément Hellboy.
01:20 Je m'en lasse pas.
01:21 Le motherfucker qui a dit qu'on allait garder ça en cours
01:25 jusqu'à ce que les gens arrêtent de perdre leurs maisons et leurs appartements.
01:29 On a fait un truc très simple, totalement le préféré.
01:31 Du coup, la première réquisition, c'est la grève.
01:34 Ecoutez-moi, motherfucker.
01:37 Il y a beaucoup de façons de perdre votre maison.
01:39 Certaines sont financières, certaines sont de la karma.
01:43 Et certaines sont juste de savoir qui a dit ça.
01:47 Et on sait qui l'a dit.
01:49 Et où il vit.
01:50 Vous touchez un camarade d'Ingra-Fillery,
01:53 on vous met le feu au département.
01:54 Mais pas le feu au ténéreur, on vous met le feu aux flammes.
01:57 Vous savez quoi, ils comprennent.
01:59 Donc d'accord, c'est un peu folklore, mais c'est aussi un peu bizarre.
02:02 C'est pas ce genre de panneau qu'on pense quand on dit "Hollywood".
02:05 On se dit que ces gens-là, ils vivent dans des villas à LA,
02:08 chauffés à la coke, avec piscine de Dom Pérignon
02:11 et vus sur un parking de yacht.
02:12 Donc qu'est-ce qu'ils viennent tous nous la jouer germinal, là ?
02:15 Be careful, motherfucker. Be really careful.
02:18 Elle est où, la grande famille du cinéma qu'on voit sur les tapis rouges d'habitude ?
02:21 Alors oui, mais non.
02:23 On va aller au-delà du miroir déformant du glamour,
02:26 en commençant par faire un peu d'histoire.
02:28 Parce que ce que vous voyez là depuis quelques semaines,
02:30 c'est pas une anomalie à Disneyland qui serait due à des studios
02:33 subitement décidés à la faire à l'envers à leurs employés.
02:36 Non, c'est pas du tout une nouveauté, ça,
02:38 et c'est le fruit d'une longue tradition syndicale dans l'industrie du cinéma.
02:42 En France, on a déjà parlé de la CGT Pestacle,
02:44 bourrée de techniciens, de comédiens, de réals,
02:47 dont pas mal étaient encartés à gauche,
02:49 avec Bebel, président du Syndicat des Acteurs, bref, la belle époque.
02:52 C'était un film militant ?
02:53 Oui, il était produit par la CGT, figurez-vous.
02:56 Mais même dans ce temple du capitalisme du divertissement,
02:59 avant-garde du soft power du pays le plus débilement amoureux de ce modèle économique,
03:04 c'est pas peu dire que le syndicalisme a une histoire vivace.
03:07 Les différentes branches de l'industrie étaient et restent extrêmement syndiquées
03:11 et leurs organisations extrêmement puissantes,
03:13 dans un genre de cercle vertueux.
03:15 Ou vicieux si vous êtes un patron de studio.
03:17 D'où des acquis sociaux, des accords bien installés,
03:20 et un secteur où les pourtant très puissantes corporations
03:23 peinent à contourner les organisations de travailleurs.
03:26 Et pourtant, c'est pas faute d'essayer, et c'est bien ce qui se passe là.
03:29 Mais ça, on va y revenir.
03:30 Un syndicalisme très corporatiste, sauce américaine,
03:34 où vous voyez comment chaque corps de métier a bien sa propre organisation autonome,
03:38 même si on voit bien l'enjeu de solidarité entre eux
03:41 dans cette grève simultanée des scénaristes et des comédiens.
03:43 C'est dans ce but que, par exemple, le syndicat des scénaristes
03:46 a déclaré qu'il ne briserait pas le mouvement
03:48 si le syndicat des acteurs n'obtenait pas aussi bien de causes.
03:51 Ou encore qu'ils promettent d'intégrer à l'issue de la grève
03:54 les employés des studios d'animation,
03:56 milieu où les conditions de travail sont particulièrement précaires.
03:59 Il faut aussi se rappeler que Hollywood,
04:01 ça a beau être la vitrine de l'American Dream,
04:03 ça a aussi longtemps été un id gauchiste.
04:05 Alors bon, gauchiste pour les ricains, il leur faut pas grand chose.
04:09 Et les milieux culturels ont souvent tendance, c'est vrai,
04:11 à être un peu plus progressistes que la moyenne,
04:13 ce qui fait qu'encore aujourd'hui, les réacs y fustigent les Hollywood liberals,
04:18 cette bourgeoisie culturelle vaguement progressiste
04:21 qui fait rien qu'à se moquer de Donald Trump.
04:23 "Liberals", donc, au sens américain,
04:26 ça veut pas dire "libéral" au sens français,
04:29 ça veut dire en général quand c'est employé par des mecs de droite gauchistes.
04:32 Et même maintenant, les gens plus à gauche qui se disent "leftiste-gauchiste",
04:36 du coup, eux, ils disent "liberals" pour traiter
04:39 plutôt justement les gens un peu bourgeoisie, centre-gauche, etc.
04:42 Ça a pas du tout le même sens qu'en France.
04:44 Mais se limiter à ça, ça serait oublier qu'un bon pan de l'histoire du cinéma US
04:48 a été marqué par une vraie gauche, voire d'authentiques communistes,
04:52 autant parmi les foules de travailleurs que parmi des artistes plus en vue.
04:56 J'en parle souvent, mais en pleine crise des années 30,
04:58 la Californie a eu un genre de Bernie avant l'heure
05:01 en la personne de l'écrivain socialiste Upton Sinclair
05:03 qui proposait de collectiviser Hollywood,
05:06 avec le soutien de nombreux membres de l'industrie.
05:08 Et il était bien parti pour gagner ce con.
05:10 Tellement que les propriétaires des studios, de la presse
05:13 et bon, la bourgeoisie californienne en général,
05:16 la vraie, pas juste les bobos, là, on parle des Bernard Arnault,
05:19 Bolloré, la gardère du coin,
05:21 eh ben, tous ces braves gens ont dû claquer des torrents de pognon pour le battre
05:25 lors d'une opération de propagande qui restera dans les annales
05:28 sous le nom de "campagne du siècle"
05:29 et que beaucoup considèrent comme fondatrice de la com politique moderne.
05:33 Alors, il a bien fallu mettre un bon coup de cheat dans ce nid de fourmis rouges.
05:37 Alors, hop, années 50, le maccartisme.
05:39 Chasse aux sorcières de tout ce qui est vaguement de gauche,
05:42 enfin, pardon, des activités anti-américaines,
05:45 les procès, les coups de pression et les listes noires
05:48 qui interdisaient carrément aux inculpés de bosser.
05:50 La cancel culture, la vraie.
05:52 Meurs, pourritueux communiste !
05:55 Et on parle pas de trois ingé-sons excités,
05:57 des chaplines, au moment du maccartisme,
05:59 ils ont carrément dû se barrer du pays.
06:01 Voyez, c'est pour ça que le contexte, c'est important, comme dirait Fred.
06:04 Donc, ces purges motivées par la dite "red scare",
06:07 la peur des rouges en gros,
06:09 ont bien ruiné la carrière et la vie de ce Hollywood
06:11 compté de vraie gauche.
06:13 Une gauche très liée au syndicat.
06:15 De grands films pourtant célébrés à l'international,
06:17 comme le "Celle de la Terre" de Bieberman,
06:19 sont carrément boycottés sur le sol US.
06:22 En même temps, le type, il cherche, il fait un film féministe
06:24 sur les grèves de mineurs latino.
06:26 Il pouvait pas faire du vrai cinéma américain.
06:29 Raciste.
06:30 Beaucoup ont continué à bosser sous des faux noms,
06:32 avec la complicité des copains,
06:34 comme le fameux scénariste Dalton Trumbo,
06:36 qui avait carrément été emprisonné pour ses idées.
06:38 Le gars, il a dû commencer le scénario de "Spartacus" de Kubrick sous pseudonyme.
06:42 Spartacus en plus.
06:43 Comment il aurait pu faire passer des idées politiques
06:46 dans une bête histoire de gladiateur ?
06:48 "Notre petit groupe avait un champ d'action fort restreint,
06:51 qui consistait à insérer un contenu communiste dans les films.
06:54 Toujours de la façon la plus discrète, bien sûr.
06:57 Il est clair que nous avons fait bouger l'opinion."
06:59 Arrêtez de politiser mes péplumes.
07:01 Toujours est-il que cette histoire a façonné l'industrie cinématographique étatsunienne,
07:06 tout comme la censure conservatrice du code Hayes
07:08 a façonné les codes de décennies de cinéma hollywoodien.
07:11 Et si on y trouve bien moins de coco aujourd'hui,
07:14 tout ça a été largement immortalisé par la culture populaire.
07:17 De plus, malgré leurs efforts,
07:19 les studios n'ont jamais vraiment réussi à briser complètement le mouvement syndical,
07:24 comme le prouve l'actualité.
07:25 "Je crois que Mr. Sorrell était un communiste à l'époque,
07:28 parce que de toutes les choses que j'ai entendues,
07:31 et j'ai vu son nom apparaître sur beaucoup de choses du front communiste.
07:35 Et quand il a dit "attaque",
07:37 les premiers à me mettre sur la liste de l'injustice,
07:40 étaient tous les syndicats du front communiste."
07:42 Et c'est valable pour tout le mouvement syndical étatsunien.
07:45 On a beau avoir l'impression, contre Atlantique,
07:47 c'est pas leur tasse de coca, détrompez-vous.
07:50 Bien sûr, comme partout en Occident,
07:51 le syndicalisme a pris très cher depuis la maudite décennie des 80's.
07:55 Et puis aujourd'hui, on est loin des syndicats rouges des débuts.
07:58 Et ben oui, le maccartisme, ça touchait pas juste les intellos cultureux,
08:02 mais comme toujours, derrière, c'est les classes laborieuses qui étaient visées.
08:06 Pourtant, les experts parlent même d'une résurgence jamais vue depuis les années 70.
08:10 La bonne époque, ça aussi.
08:12 Et malgré des milliards investis dans les politiques d'unionbusting,
08:15 de cassage de syndicats.
08:17 Tenez, les Teamsters, les routiers quoi.
08:18 Y'a pas longtemps, ils ont même pas eu besoin de faire grève,
08:21 juste de dire "attention, ça peut partir très vite,
08:24 elle a mis court celle-là et paf, 30 milliards sur la table".
08:27 Faut dire que c'est 1 300 000 syndiqués le truc.
08:30 Alors vous me direz "d'accord, mais là, c'est pas la grève d'Hollywood,
08:33 c'est des vrais ouvriers avec du cambouis sur la salopette et des moustaches".
08:37 Et ben déjà, si, parce que cette histoire, elle a été immortalisée dans la culture populaire,
08:42 notamment par ces fiéfés coquins d'Hollywood.
08:44 On ne compte plus les films, les séries, les livres, les chansons consacrés au syndicalisme.
08:50 Nos Teamsters, leurs leaders historiques comme Jimmy Hoffa,
08:53 c'est devenu une vraie figure pop.
08:55 Faut dire que le mec, y'a matière, entre ses luttes, ses liens avec la mafia et sa disparition.
09:01 - Tirons-nous de là, Franck, allez viens.
09:03 Le personnage de Stallone dans Fist est inspiré par lui,
09:06 comme beaucoup de personnages de leaders syndicaux en fait.
09:08 Le mec a été joué par Jack Nicholson et Al Pacino.
09:12 Vous imaginez Krasucki joué par, je sais pas, Daniel O'Toey ou Alain Delon ?
09:15 Et ben non.
09:16 Résultat, si ça se trouve, vous savez même pas qui c'est Krasucki.
09:19 Alors, c'est pas pour vous refaire le coup à chaque fois,
09:22 mais quand même, en France, ça serait pas mal de balayer devant notre porte
09:25 niveau représentation populaire du syndicalisme.
09:28 Y'a du bon, hein, attention.
09:29 Mais en dehors des films sociaux avec des pauvres gens qui perdent leur travail
09:33 et des clichés, certes drôles, ça pêche un peu.
09:36 Faut dire, même Caméra Café, qui est un personnage principal syndicaliste, bon.
09:40 - Elle est la France d'en bas, c'est ça ?
09:41 Mais si vous étiez payés au Neurone, vous ne seriez pas à Radis !
09:45 Vous êtes dégueux ! Vous êtes des ploucs, voilà !
09:48 Et pourtant, le bolloc et Solo, c'est des compagnons de route quand même.
09:51 Et tenez, Bienvenue chez les Ch'tis.
09:53 Alors, c'est de bon ton de mépriser Bienvenue chez les Ch'tis,
09:55 mais vous en connaissez beaucoup, des films populaires où y'a un gars de Sud PTT,
09:59 et qui est cool en plus.
10:01 - Et j'ai rappelé que Sud, c'est au chien syndical.
10:03 Enfin bref, ça serait peut-être pas mal de pas laisser l'hégémonie culturelle au Chevalier du Fiel.
10:08 - Ben, tu peux me tutoyer, on est de gauche.
10:10 - Ah, ça, j'ai du mal à le faire, hein.
10:11 - Tutoyer ou être de gauche ?
10:13 - Ah non, je tutoyais.
10:14 - Je préfère.
10:15 C'est tout cet héritage qu'on voit éclater en pleine lumière avec cette grève.
10:19 Ok, on voit des têtes connues, mais le Sagaftra, c'est 160 000 syndiqués
10:23 qui votent la grève comme un seul homme.
10:25 Et s'ils peuvent d'un coup, d'un seul, appuyer sur le bouton rouge
10:28 et mettre toute l'industrie à l'arrêt, c'est pas juste le fruit d'une colère soudaine,
10:32 mais d'une tradition bien installée, d'un travail quotidien d'organisation,
10:36 et d'un rapport de force défendu à chaque instant,
10:38 contre les tentatives constantes des superpuissances que représentent les studios
10:42 pour rogner tout ce qu'ils peuvent avec les moyens colossaux à leur disposition.
10:47 Mais là, attention, y'a une nouveauté.
10:48 Le problème, c'est les nouvelles technologies.
10:52 Les IA, les plateformes, et les gens qui veulent pas s'adapter.
10:55 Ils veulent pas accepter le futur.
10:58 C'est vraiment dommage, parce qu'avant,
10:59 quand la technologie faisait rentrer l'industrie dans un nouveau paradigme,
11:03 tout le monde y gagnait.
11:04 Ça a été le cas avec l'avènement de la diffusion télé,
11:07 ou celle des DVD et d'internet.
11:09 Non, je déconne, dans les deux cas, il a fallu faire grève,
11:12 parce que les studios en ont profité pour échapper aux conventions collectives précédentes,
11:16 et pas adapter les droits acquis jusque là.
11:18 Dans le premier cas, c'était les années 60.
11:20 La dernière fois d'ailleurs où acteurs et scénaristes avaient fait grève simultanément,
11:24 comme aujourd'hui,
11:24 c'est aussi là où ils ont arraché une petite sécu et des retraites.
11:27 Et c'était Reagan d'ailleurs, un des meneurs.
11:29 La deuxième, vous vous souvenez, ça avait duré hyper longtemps.
11:32 C'est pour ça que la saison 1, Breaking Bad, elle fait que 7 épisodes,
11:35 et qu'on a eu Doctor Horrible, qui a été fait sans studio par des grévistes.
11:39 Bon, je vais pas vous faire de tout temps l'homme,
11:41 mais c'est quand même vieux comme l'industrialisation.
11:43 La réalité, même si ils font beaucoup d'argent ou pas,
11:48 c'est une demande pour prendre en charge plus de valeur qu'ils génèrent.
11:53 N'oubliez jamais, je dis toujours que les unions ne sont pas à la gauche ou à la droite,
11:57 les unions sont à la paix.
12:00 Tu vas au travail, peu importe où tu es, sous une organisation capitaliste de l'économie,
12:04 tu vas au travail chaque putain de jour,
12:06 et tu génères de la valeur pour cette entreprise.
12:08 Au final, l'entreprise a décidé que tu es un bénéfice net pour elles.
12:13 C'est vrai que dès le début de celle-ci, on a eu des mouvements comme les Luddites qui pétaient les machines.
12:17 Et on a pas mal gobé le discours des dominants de l'époque
12:20 qui les décrivaient comme des obscurantistes arriérés qui refusaient le progrès.
12:24 Or, quand on prend le temps de lire ce que ces gens-là disaient, écrivaient et faisaient,
12:28 ce qui est pas fastoche parce que, comme d'hab', c'est pas les exploités qui ont écrit l'histoire,
12:32 on se rend compte que c'était pas tant le progrès technologique qui les foutait en rogne.
12:37 C'était plutôt que ça allait dégrader leurs conditions de travail
12:40 et la qualité de leur travail dont ils étaient bien fiers.
12:43 Vous voyez le...
12:44 De nouveaux moyens de production utilisés pour bananer les travailleurs de l'industrie,
12:48 pour pondre des produits bon marché, tout péter.
12:51 D'où le fait de réclamer, par exemple, des droits corrects sur la diffusion des plateformes
12:55 qui, pour l'instant, échappent aux accords précédents
12:58 ou autres petites entourloupes de fenec dans le genre.
13:01 Mais ils avaient un accord où, les premières trois saisons d'un show,
13:03 vous recevez 88% de la taille.
13:05 Et puis, l'idée, c'est que vous travaillez sur un show,
13:08 ça devient populaire, vous allez 4, 5, 6 saisons,
13:10 et vous recevez 100% ou ce que ce soit.
13:12 Mais puis, la troisième saison, même si le show est populaire,
13:15 ils le rebootent comme un nouveau show.
13:17 Faudrait pas que les paillettes fassent oublier qu'on parle d'une industrie.
13:21 Et donc, un mode de production porté par des centaines de milliers de gens
13:25 bien plus précaires, sautant de job en job en espérant joindre les deux bouts.
13:29 Des gens qui s'y définissent, avant tout, par leur place dans ces rapports de production.
13:33 Les films et les séries sont des oeuvres éminemment collectives,
13:36 qui ne sont pas fabriquées par le talent héréditaire des starlettes ou des fils d'oeufs.
13:40 C'est pas les gros acteurs de l'affiche qui portent les caisses de matos.
13:43 Bon, ok, qui nue, c'est un mauvais exemple,
13:45 mais au fond, vous voyez bien ce que je veux dire.
13:47 Et ça ne vaut pas que pour les techos et autres employés de la prod.
13:50 87% des membres de SAG-AFTRA font moins de 26 000 dollars par an.
13:56 Ce n'est pas une question des stars du film,
13:59 c'est une question des acteurs, des réalisateurs, des gens qui font que la chose marche.
14:05 On est tous comme Tom Cruise !
14:07 L'autre côté du miroir déformant, c'est par exemple ce témoignage.
14:10 Au beau milieu de la prod d'une série télé,
14:13 le studio a coupé les repas offerts aux staffs,
14:15 qui en dépendaient tellement que c'est les scénaristes
14:18 qui leur lâchaient leurs propres repas en signe de solidarité.
14:21 Et le studio en question étant une petite boîte de prod,
14:24 galère, vraiment quasi sur la paille du nom de Disney.
14:27 Car oui, le côté hyper rentable et ultra commercial de ces productions
14:31 masque complètement la réalité de leurs conditions de production.
14:34 Maintenant, l'argent d'un seul job doit vous durer 6, 10, 12, 14 mois.
14:39 Et quand vous n'avez pas de droit d'auteur pour vous aider à tenir...
14:41 Je veux dire, j'étais productrice exécutive en avril sur une série à succès
14:45 pour une plateforme de streaming,
14:46 et en décembre, j'étais chauffeuse Uber.
14:49 Alors, à la question de comment se fait-il que ces artistes multimillionnaires
14:52 d'une industrie richissime tapent des piquets de grève
14:55 pour gratter trois pauvres acquis sociaux ?
14:57 C'est peut-être pas les mêmes ?
14:58 Par contre, les types en face, eux, c'est les mêmes.
15:00 Les mêmes qui s'engraissent sur un marché du divertissement bien rentable,
15:04 comme ils s'engraissent sur tout le reste.
15:06 Le Amazon qui dépense des millions
15:08 pour casser les tentatives de syndicalisation dans les entrepôts,
15:11 et la plateforme de streaming qui essaie de briser cette grève,
15:14 c'est pas des homonymes ?
15:15 Tout comme le Disney qui refuse de lâcher des droits d'auteur sur ses séries,
15:19 et celui qui essaie de virer les grévistes des parcs d'attraction.
15:22 De manière générale, quel que soit le secteur, c'est les mêmes.
15:25 La Warner Bros, c'est un géant du divertissement avec, bien sûr,
15:28 les films, le streaming et les séries avec HBO Max qui sont concernés par cette grève.
15:33 Mais c'est aussi DC Comics, des jeux vidéo, la télé avec CNN,
15:37 et des tas d'autres chaînes de sport, de docus, de ce que vous voulez.
15:40 Mais surtout, surtout, ça appartient pas à des frères qui ont un peu de culot,
15:44 pas à des frères qui s'appellent Warner.
15:46 - WHAAAT ?
15:48 - Dites-moi pas que c'est pas vrai !
15:49 Non, les plus gros actionnaires portent les doux noms de Vanguard Group ou BlackRock.
15:54 Vous vous rappelez un truc ?
15:55 BlackRock ?
15:56 Vanguard, c'est le principal concurrent de BlackRock.
15:59 Devine qui est actionnaire, un des plus gros actionnaires de Vanguard ?
16:02 BlackRock.
16:03 [Rire]
16:05 Les mêmes, c'est les mêmes, putain !
16:06 Les mêmes actionnaires, les mêmes fonds de pension, les mêmes gestionnaires de capitaux,
16:11 je sais pas quoi, qui ont leurs billes dans tous les secteurs possibles et imaginables.
16:15 Vous pouvez les appeler par tous les petits noms que vous voulez,
16:18 il en existe de toutes les tailles et de toutes les couleurs,
16:20 mais ça a un nom savant, ça s'appelle des capitalistes.
16:23 - Nous ne sommes pas une entreprise de super-héros, c'est une très grosse erreur.
16:26 Ce que nous sommes en fait, c'est une entreprise pharmaceutique.
16:29 Et vous, vous êtes très loin d'en être la pièce maîtresse.
16:32 Et bien sûr que je prends sciemment une oeuvre adaptée en série très populaire sur Amazon.
16:37 Oui, tiens donc ça, toutes ces séries qui critiquent le capitalisme et qui sont chez Amazon.
16:42 C'est ironique, dis donc. Je suis très intelligent.
16:44 Vous voyez, c'est comme tu es anticapitaliste, mais tu as un smartphone.
16:48 Le smartphone, il a pas été fait par des capitalistes, il a été fait par des travailleurs.
16:52 Il a été fait littéralement par les gens qui font les smartphones.
16:56 Vous reprocheriez pas au Conti de bosser pour le méchant capitalisme américain.
17:00 - Les écrivains de Barry, qui font partie de la guilde des écrivains américains,
17:04 ont écrit l'épisode de Barry où ils parlent de gros streamers comme HBO,
17:10 qui sont sur Barry, qui les font foutre et qui ferment leur putain de show.
17:15 Et les studios s'en fichent.
17:17 Les studios, tant qu'ils font de l'argent, tant que le show est populaire,
17:20 vont vous laisser le dire. Les capitalistes nous vendront la rope de laquelle nous les mettons.
17:25 C'est le concept, c'est la théorie en action que vous voyez.
17:28 Ils donnent pas de merde. Tant qu'ils font des profits à court terme,
17:32 ils vont faire des vidéos comme ça.
17:34 C'est pour ça qu'il y a un côté, quand ils arrêtent de bosser, t'as plus de série.
17:38 C'est pour ça que là, vous voyez, il y a l'équipe de The Boys sur le piqué de grève,
17:42 et que la nouvelle saison est repoussée parce qu'ils sont en grève.
17:45 Et ils sont en grève contre Amazon.
17:47 Le gros problème, c'est que le pouvoir ultime, lui, il revient toujours aux propriétaires des studios.
17:52 Mais pour se faire de l'argent avec de la culture,
17:54 ils sont bien obligés de faire appel à des gens qui savent en produire,
17:58 et qui pensent pas forcément comme eux.
17:59 Pour un public qui, d'ailleurs, ne pense pas non plus forcément comme eux.
18:03 Et ça, il s'en passerait bien.
18:04 Raison de plus pour remplacer un maximum de gens par des IA,
18:07 ou les précariser un maximum pour les avoir encore plus à leur merci,
18:11 et casser leurs acquis, leurs organisations et leur solidarité.
18:15 Et de notre côté, en tant que consommateurs,
18:17 ça nous rappelle qu'on a toujours intérêt à être du côté de ceux qui produisent vraiment ce qu'on consomme.
18:22 On a les mêmes adversaires.
18:23 Bon, après, si vous préférez chier sur les grévistes,
18:26 et bouffer à longueur de journée de la merde générée par des algorithmes,
18:30 moitié torché à l'IA et moitié par des précaires jetables,
18:33 tout ça pour enrichir les mêmes crapules qui vous exploitent le reste du temps,
18:38 j'ai envie de dire, c'est votre problème.
18:40 D'ailleurs, et c'est peut-être ça, en fait, le plus important,
18:43 cette surexposition remet un coup de projecteur sur la puissance de la grève et d'un syndicalisme fort.
18:48 Alors, quitte à ce qu'Hollywood nous vente du rêve,
18:51 autant que, pour une fois, ça nous inspire dans ce sens-là.
18:54 Je suis membre du WGA,
18:57 je suis membre du DGA,
18:59 je suis membre du SAG,
19:02 et j'ai travaillé pour l'UPSR, j'étais membre du Teamsters.
19:06 Et je veux juste dire, comme tout le monde l'a dit,
19:11 on ne se bat pas juste pour nous, en ce moment.
19:14 Dans les trois dernières années, il y a eu plus de 2900 attaques aux États-Unis.
19:19 Ils ont peur de ce qui se passe,
19:21 ils ont peur de la militance, de la prudence, de la fierté.
19:25 Vous avez tous vu l'executive de l'Anonymous Apple
19:29 dire que cette lutte pour eux
19:31 s'agit de faire en sorte que les autres ne veulent pas se battre.
19:36 Le monde entier nous regarde.
19:38 Et on ne peut pas les laisser tomber.
19:43 Sous-titrage Société Radio-Canada
19:45 *clic*
19:47 [SILENCE]

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