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Claude Grange, médecin, praticien hospitalier spécialisé en douleurs chroniques et soins palliatifs et Régis Debray, philosophe et écrivain évoquent dans leur livre "Le dernier souffle. Accompagner la fin de vie" (Gallimard), la vie d'un service de soins palliatifs.

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00:00 Les deux invités dans le grand entretien ce matin, le premier est philosophe, écrivain,
00:04 le second médecin, il a dirigé l'unité de soins palliatifs de l'hôpital de Oudan
00:09 dans les Yvelines.
00:10 Ils publient ensemble « Le Dernier Souffle », « Accompagner la fin de vie », c'est
00:16 aux éditions Gallimard dans la collection Témoins.
00:18 Vos questions au 01 45 24 7000 et sur l'application France Inter.
00:24 Claude Grange, Régis Debray, bonjour et bienvenue sur France Inter.
00:31 Ce petit livre sur la mort est un miracle de douceur, il est bouleversant, souvent très
00:36 dur.
00:37 Il m'a plusieurs fois mis les larmes aux yeux mais il s'en dégage quelque chose
00:42 de lumineux aussi parce qu'il nous réconcilie avec la mort.
00:46 Dans ces pages, nous entrons dans une unité de soins palliatifs où sont accueillis les
00:52 malades qu'on ne peut plus soigner et qu'on va accompagner en soulageant leur douleur
00:57 physique et leur tourment psychique pour que la fin de leur vie reste pleinement une vie.
01:05 « Le Dernier Souffle » est né de votre rencontre et il est le fruit de votre dialogue.
01:10 Pourquoi, Régis Debray, on va commencer avec vous, avoir voulu visiter le service du docteur
01:16 Grange, mettre une blouse blanche, le voir auprès de ses patients dans cette unité
01:21 de soins palliatifs ? Vous dites dans la préface avec l'ironie qu'on vous connaît
01:25 qu'il y a de la curiosité pour son métier mais aussi après des problèmes de santé
01:30 un repérage à toutes fins utiles.
01:32 Écoutez, quand on a eu un AVC ou quand on a eu un infarctus ou quand on a eu les deux,
01:40 on a envie de savoir où les choses se passent et donc c'est une curiosité naturelle.
01:48 Et vous dites un témoignage bouleversant et d'ailleurs bouleversé en ce qui me concerne
01:55 parce que ce n'est pas du tout ce livre du jus de cervelle, c'est une sorte de compte-rendu
02:00 de ce que j'ai pu ressentir et surtout de tout ce que m'a appris le docteur Grange
02:06 dans son centre de soins palliatifs.
02:08 Vous savez, là j'ai compris à quel point il est difficile de faire des généralités
02:16 sur la mort.
02:17 NICOLAS : Difficile d'être philosophe ?
02:19 JEAN-MICHEL : Je ne le suis pas du tout.
02:22 NICOLAS : Et encore moins dans cette unité de soins palliatifs ?
02:25 JEAN-MICHEL Je suis si vous voulez au mieux un reporter
02:30 qui a simplement tenté d'écouter et de comprendre et j'avoue que j'ai été renversé
02:36 par la façon dont le docteur Grange et son équipe, car c'est un travail d'équipe,
02:41 avait cette attention, ce tact, cette circonspection qui m'a fait comprendre au fond que la fin
02:51 de la vie est toujours la fin d'une vie et à chaque cas particulier les voir et les
02:57 entendre discuter sur la meilleure façon de procéder pendant une heure entière, j'ai
03:02 compris que d'abord que nous étions dans un pays très civilisé et ensuite qu'il
03:07 y avait des gens admirables qui travaillaient pour nous dans des coins à mon sens pas assez
03:13 connus.
03:14 NICOLAS Et c'est ce qui vous a frappé d'abord,
03:17 Régis Debré, le dialogue qu'il y a, on va y venir évidemment Claude Grange, le dialogue
03:23 qu'il y a entre le docteur Grange et ses malades ?
03:27 RÉGIS Oui, il y a une sorte de rapport personnel.
03:31 Pour moi Grange c'est comme une sage-femme qui accouche les femmes d'un bébé, lui
03:43 il accouche les gens de leur mort.
03:45 C'est-à-dire que c'est un travail très, très, comment dirais-je, plein de subtilités,
03:54 de tact où il ne faut pas être trop franc ni trop brutal et il ne l'est jamais.
03:59 Et donc oui j'ai appris qu'il y avait toujours la quête d'une singularité.
04:10 On n'écrase personne sous une loi générale.
04:14 On est vraiment, il fallait dire, avec la mort on est au plus près de la vie.
04:19 NICOLAS Vous le dites Claude Grange dans cette phrase
04:23 stupéfiante « Je suis devenu au fil du temps une sorte d'accoucheur, donnons-nous la chance
04:28 d'accoucher les gens de leur mort sans douleur et ainsi d'améliorer les conditions du mourir
04:33 ». Qu'est-ce que ça veut dire exactement ?
04:35 RÉGIS Je pense que la médecine c'est vrai qu'elle
04:38 a fait énormément de progrès, on guérit de plus en plus de personnes et Dieu merci.
04:43 Mais sans doute que pour les personnes qu'on ne peut plus guérir, là on a failli, la médecine
04:50 a failli.
04:51 Et c'est vrai que faisant tellement de progrès on pensait qu'on allait tout guérir.
04:56 Or, quels que soient les progrès de la science, nous allons tous mourir et je pense que c'est
05:01 important que la médecine soit là, dans ce moment-là, pour prendre soin de la personne
05:06 jusqu'au bout.
05:07 NICOLAS Ce qui est étonnant, Régis Debray disait
05:09 que la philosophie est rappelée à sa modestie quand elle entre dans un centre de soins palliatifs.
05:16 C'est étonnant aussi, Claude Grange, de voir, et vous le racontez, que la médecine
05:21 est mal à l'aise aussi avec la mort.
05:24 Vous racontez vos débuts comme tout jeune médecin de famille à la campagne.
05:28 Vous dites "je fuyais, je ne savais ni quoi et comment dire, ni quoi et comment faire"
05:32 quand vous vous retrouviez face à l'un de vos malades qui était en train de mourir.
05:38 On sent que ces moments-là ont été déchirants pour vous.
05:41 C'est contre-intuitif.
05:43 La médecine au fond a le même problème que nous tous face à la mort.
05:49 RÉGIS On n'a pas appris et heureusement que j'ai eu cette formation, le DEU de soins
05:55 palliatifs, qui m'a appris beaucoup de choses.
05:57 C'est vrai que ça m'a changé à la fois en tant que médecin, mais en tant qu'homme
06:00 aussi.
06:01 Je pense que c'est tout à fait essentiel que la médecine soit là dans ces moments-là
06:07 pour accompagner le mieux possible.
06:09 Il faut prendre soin et on peut prendre soin jusqu'au bout.
06:13 NICOLAS Aux soins palliatifs se posent de très nombreux
06:16 problèmes.
06:17 On découvre en lisant votre livre des problèmes qui sont à la fois pratiques, éthiques,
06:21 métaphysiques.
06:22 Le premier peut-être est celui de la vérité.
06:25 Faut-il la dire aux patients, aux malades ? Et en l'occurrence, cette vérité, c'est
06:30 qu'il va mourir à brève échéance.
06:33 Est-ce que, docteur Grange, c'est ça la première question ? Et la question majeure,
06:37 d'autant plus majeure, vous citez Freud, que personne ne croit à sa propre mort.
06:41 RÉGIS À chaque fois, c'est une histoire singulière.
06:44 Et si effectivement, il faut respecter des personnes qui ne veulent pas savoir, il faut
06:50 respecter ce déni.
06:51 Parce que les personnes peuvent avoir des mécanismes défensifs qui les protègent.
06:56 Par contre, il est évident que face à une personne qui est gravement malade, je pense
07:03 qu'il est important de pouvoir, à un moment donné, évoquer le diagnostic, évoquer le
07:07 pronostic.
07:08 Ça, c'est du domaine de l'annonçable.
07:09 Mais la mort n'est pas du domaine de l'annonçable.
07:11 Je pense qu'on peut tout à fait dire à la personne que la maladie est grave, qu'on
07:16 ne pourra pas la guérir, mais qu'on va prendre soin d'elle le mieux possible jusqu'au
07:22 bout.
07:23 Vous n'affirmez pas, vous n'assenez pas, vous questionnez, vous dialoguez.
07:28 Tout à fait.
07:29 C'est ça votre manière de faire ?
07:31 Oui, jamais par des formes affirmatives, toujours par une forme de questionnement.
07:36 Qu'est-ce que vous savez de votre maladie ? Qu'est-ce que vous avez compris ? Qu'est-ce
07:39 que vous voulez savoir ? Et de cheminer petit pas par petit pas, en respectant aussi la
07:48 personne, de son rythme.
07:50 Peut-être d'attendre le moment où il sera prêt à entendre.
07:53 Mais c'est vrai que moi, pendant très longtemps, je pensais que ce n'était pas possible.
07:57 Pas possible de quoi ?
07:59 De parler aux malades de ça.
08:01 Mais je me suis aperçu que les malades ne parlent qu'à des personnes qui sont capables
08:07 d'entendre.
08:08 Pendant très longtemps, j'étais un médecin qui n'était pas capable d'entendre.
08:11 Les malades, ils ont peur de mourir.
08:13 Et quelquefois, il y a peu de personnes qui sont capables d'entendre ces peurs.
08:18 Et voilà, c'est ce qu'on essaye de faire, ce travail-là.
08:21 Donc les médecins et aussi toute l'équipe soignante, de pouvoir écouter et entendre
08:26 les peurs.
08:27 Cette manière de faire, Régis Debré, ne pas asséner, ne pas affirmer, mais questionner,
08:34 échanger, comment la recevez-vous ?
08:36 Écoutez, comme une leçon, je dirais, de casuistique ou plutôt de morale.
08:42 C'est-à-dire qu'on ne peut pas imposer la vérité à quelqu'un qui n'en veut
08:45 pas.
08:46 Et on ne peut pas la dissimuler à quelqu'un qui la demande, tout simplement.
08:48 Donc cela exige beaucoup de tact.
08:51 Mais si vous voulez, au-delà de ça, je crois que nous vivons en ce moment une sorte de
08:56 révolution culturelle.
08:57 En tout cas, elle est programmée, elle est devant nous.
09:00 Je veux dire qu'au XIXe, on a sorti la sexualité de la clandestinité, Freud et le reste.
09:09 Je crois qu'aujourd'hui, nous avons à sortir la mort de la clandestinité.
09:13 C'est-à-dire que nous avons à la comprendre, à l'affronter.
09:17 Et on se sent, si vous voulez, il y a une sorte de divorce entre d'un côté une médecine
09:22 très au point, le processus physique de la mort est de mieux en mieux compris, mais
09:29 sa présence morale et même physique est de plus en plus impossible de contester.
09:37 La mort se cache, la mort a honte.
09:40 On enterre aujourd'hui les gens dans de lointaines cimetières.
09:47 Et là, il y a eu un changement bizarre, si vous voulez.
09:50 Rappelez-vous que Victor Hugo a été photographié sur son lit de mort par Nadar.
09:56 Rappelez-vous que Cocteau également a été photographié.
10:04 Aujourd'hui, on n'a plus le droit.
10:05 On l'a vu avec la dépouille de François Mitterrand.
10:09 C'est-à-dire que je crois qu'il faut lever ce tabou, cette sorte de honte, cette gêne.
10:15 Il faut vraiment, je dirais, réintroduire la mort dans la vie, je dirais presque en
10:19 fait, dans notre vie, à tous.
10:21 Il faut en finir avec cet apartheid, cette gêne, cette sorte de honte.
10:26 Non, la mort fait partie de la vie.
10:29 Comment vous l'expliquez, cette honte, Régis Debray, vous si terrible que…
10:32 Écoutez, je l'explique, je vais vous dire une chose.
10:35 Je l'explique par la déchristianisation.
10:40 Tant que le christianisme était là, la mort était un passage.
10:44 Aujourd'hui, c'est un cul-de-sac.
10:47 C'est-à-dire qu'il n'y a plus d'après.
10:50 Et donc, c'est très embêtant.
10:53 Donc, on est gêné.
10:56 Et au lieu d'assumer ça collectivement, on a rendu la mort terriblement solitaire,
11:03 terriblement individuelle.
11:04 Elle doit se cacher.
11:06 Les signes du deuil, maintenant, on porte une cravate noire pendant 24 heures.
11:11 Avant, c'était pendant des mois, voire des années.
11:14 Donc, il y a une sorte de refoulement de notre dimension mortelle, comme il y a eu un refoulement
11:25 de l'amour sexuel, si vous voulez.
11:27 Et là, je crois que c'est une très lourde taf et le Dr.
11:30 Grange m'a appris à dompter cette gêne et à regarder la mort en face.
11:36 Et vous dites d'ailleurs, Claude Grange, qu'il faut re-socialiser la mort.
11:40 Expliquez-nous ce verbe.
11:42 Eh bien, parce qu'en fait, avant les deux guerres, on mourait à la maison.
11:47 Et de plus en plus, on va aller mourir à l'hôpital.
11:51 Donc, l'hôpital, qui est le lieu du guérir, devient de plus en plus le lieu du mourir
11:56 avec des médecins et des soignants qui n'ont pas forcément la formation pour.
11:59 Comme si, et si jamais, et pourquoi pas.
12:02 Et on va à l'hôpital.
12:06 Il y a un petit peu ça.
12:08 C'est-à-dire que la médecine a fait tellement de progrès que peut-être qu'on ne va plus mourir.
12:15 Et je pense qu'on pourrait tout à fait pouvoir mourir à domicile, entouré de ses proches,
12:23 avec des équipes aussi qui soient en succès.
12:26 En quoi est-ce crucial, selon vous, d'inverser, de revenir à ce qui était la norme auparavant ?
12:33 Parce qu'il n'y a pas besoin de toujours médicaliser la mort.
12:38 Seules les situations les plus complexes devraient être à l'hôpital.
12:41 Mais un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
12:44 il fit venir ses enfants et leur parla sans témoin.
12:46 Donc, voilà.
12:49 Quand on pose la question, pour vous, une belle mort, ça serait quoi ?
12:52 La plupart des personnes nous disent ne pas souffrir.
12:56 Et puis plutôt mourir à domicile, entouré de mes proches.
13:00 Ben voilà, pourquoi ne pas le faire ?
13:04 Quelquefois, c'est un petit peu difficile pour les aidants naturels.
13:06 Et là, il y a besoin en effet de soutien et d'équipes qui ont une certaine compétence.
13:12 Le laboureur et ses enfants, vous parlez beaucoup dans ce livre des familles.
13:17 Vous décrivez parfois la colère à votre égard, à l'égard de vos équipes, la rage.
13:24 Comment expliquer ces sentiments et comment parvenez-vous à les dénouer ?
13:31 Quand on aime quelqu'un, on n'a pas envie qu'il parte.
13:36 Et donc, quelquefois, il peut y avoir un décalage entre ce que souhaiterait le patient,
13:42 où il a bien compris que là, les choses risquent d'arriver, il a compris la situation.
13:47 Et ce qu'il souhaite, c'est peut-être surtout ne pas souffrir.
13:52 Ce qui pose problème, ce n'est pas tant la mort, c'est les conditions du mourir.
13:56 Et la famille, quelquefois, quand on aime quelqu'un, on n'a pas envie qu'il parte.
14:00 Et quelquefois, les familles sont demandeuses de continuer une chimothérapie,
14:04 même si elle est inutile et délétère, de continuer à l'alimenter, alors qu'il n'a pas faim.
14:12 Il n'a pas de souffrance liée à ce manque.
14:14 Et il ne mange que pour faire plaisir, peut-être à une épouse.
14:18 Je me souviens d'une personne qui ne mangeait que pour faire plaisir à sa femme,
14:23 qui gardait en bouche et dès que sa femme était partie, il recrachait.
14:29 On régisse de Brême.
14:30 Oui, la mort d'un individu, elle s'inscrit dans une histoire collective.
14:36 Et quand elle a cette insertion dans un « nous » et pas seulement dans un « moi, je »,
14:42 elle prend un sens.
14:44 Mais aujourd'hui, je dirais que la mort est victime de notre extrême individualisme,
14:49 je veux dire cette sorte de tout à l'égo.
14:52 Et donc, il n'y a plus, comment dirais-je, plus difficilement la reconstitution
14:59 d'un groupe, d'un « nous », d'un partage autour d'un mourant.
15:06 Plus de veillé, par exemple.
15:08 Il y a une sorte de gêne qu'il faut lever, me semble-t-il.
15:14 Malheureusement, la mort n'est plus nulle part.
15:17 Elle a perdu son cérémonial, elle perd ses lieux.
15:20 Et donc, il faut...
15:23 C'est un travail, je dirais, d'intérêt collectif,
15:25 parce que la mort ne concerne pas que les vieux.
15:28 Elle concerne tout un chacun, parce que le dernier souffle,
15:33 ça peut arriver à tout âge.
15:35 Et je dirais à n'importe qui, vu qu'il n'est jamais trop tôt ni trop tard
15:40 pour passer sous une voiture ou attraper un mauvais virus.
15:46 - On va passer au standard d'Inter, où nous attendent de nombreux auditeurs
15:51 et de nombreuses auditrices.
15:52 Arlette, bonjour.
15:54 - Bonjour.
15:55 - Vous nous appelez de Paris, vous avez 30 ans
15:57 et vous êtes bénévole en soins palliatifs.
15:59 - Je n'ai pas tout à fait 30 ans,
16:01 mais j'ai 30 ans d'accompagnement de soins palliatifs.
16:03 - Ah pardon, mille excuses, j'ai mal lu.
16:06 - Je suis loin d'avoir 30 ans.
16:08 Au contraire, c'est 30 ans de soins palliatifs auprès des patients
16:13 et aussi en tant que professionnelle,
16:17 ce bénévolat m'a amenée à travailler aussi en soins palliatifs.
16:20 J'ai connu la première loi Léonetti,
16:24 j'ai surtout connu les patients et leurs proches.
16:27 Ce que je veux dire aujourd'hui, sans aucun préjugé,
16:32 je suis une laïque, je ne fais pas de prosélytise.
16:38 Ce que je veux vous dire aujourd'hui, c'est que pendant toutes ces années
16:41 auprès de ces patients, peut-être un peu différemment,
16:44 comme le disait le docteur Drange, c'est différent pour les proches,
16:48 mais moi j'ai souvent vu des patients arriver avec une demande d'euthanasie.
16:53 Même certains avec la carte de l'ADMD sur la table de chevet.
16:57 Mais après quelques jours et assez rapidement,
17:00 quand la prise en charge était celle qu'elle doit être,
17:03 c'est-à-dire soulager la douleur, la prise en charge globale,
17:06 psychologique, sociale,
17:09 je n'ai jamais, jamais, jamais entendu une demande se ré-étirer.
17:17 Je vais y arriver.
17:18 Donc moi je sais que la société a changé,
17:22 on n'a plus à domicile,
17:25 quoique moi je connais aussi beaucoup de gens qui meurent grâce à l'HAD
17:29 et avec toutes les équipes autour à la maison.
17:33 Mais ce que je veux dire, la loi doit évoluer,
17:35 mais certainement pas vers l'euthanasie,
17:37 mais plutôt vers le suicide assisté.
17:41 Alors on y va Arlette, parce que dans votre question,
17:44 il y a énormément d'écho et de résonance,
17:47 à la fois avec l'actualité et avec des pages du livre de Régis Debré
17:51 et de Claude Grange.
17:53 Le premier point que souligne Arlette,
17:55 à savoir des malades qui entrent en soins palliatifs,
18:00 éventuellement, disait-elle, avec une carte de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité,
18:06 et qui, une fois pris en charge, ne demandent plus à mourir.
18:10 Que pouvez-vous nous dire là-dessus ?
18:12 Je confirme, ça c'est une réalité,
18:14 c'est vrai qu'un certain nombre de personnes viennent avec cette demande-là.
18:19 Et donc là on prend une position très claire,
18:21 on dit que non, c'est encore illégal et c'est contraire à notre éthique.
18:27 Et donc on prend soin d'elles.
18:30 Et les trois besoins essentiels d'une personne en fin de vie,
18:32 il n'y en a pas 36 000, il y en a trois.
18:34 Ne pas souffrir, ne pas sentir abandonné,
18:37 et de ne faire des choses qui ont du sens que pour la personne.
18:40 À partir du moment où on construit un projet de soins en fonction de ce qu'elles souhaitent,
18:44 et de ne pas faire ce qu'elles ne souhaitent pas,
18:46 et bien une fois qu'elles sont soulagées, une fois qu'elles sont entourées,
18:50 ils ne demandent plus de mourir.
18:51 Même, ils nous demandent un rab de vie,
18:53 parce que je pense qu'il y a peu de personnes qui ont envie de mourir.
18:56 C'est les conditions du mourir.
18:58 Et c'est pour ça que moi je comprends le combat des personnes de la DMD,
19:03 je le comprends ce combat, parce qu'il est légitime.
19:06 Pourquoi ? Parce qu'en général toutes ces personnes ont eu des histoires personnelles,
19:09 où ils ont vu un de leurs proches vivre l'insupportable d'une fin de vie.
19:14 Et c'est ça qu'il faut changer.
19:15 Il faut rendre les fins de vie le plus supportable possible.
19:19 Il faut développer les soins positifs, c'est la première des choses à faire.
19:22 - Dans le livre, il y a un chapitre où vous dites qu'il n'est plus possible,
19:24 vous le dites à Régis Debray, il n'est plus possible de tourner autour du pot,
19:27 et vous abordez ce débat qui est en effet engagé sur la fin de vie en France.
19:32 Il y a une convention citoyenne qui travaille.
19:34 Emmanuel Macron recevait hier soir un représentant des cultes,
19:37 philosophe, médecin, président du comité d'éthique sur le sujet.
19:40 La question est de savoir, Arlette le disait,
19:43 s'il faut faire évoluer les lois françaises qui interdisent aujourd'hui
19:46 euthanasie et suicide assisté.
19:49 Le comité d'éthique a ouvert la voie pour la première fois à une évolution législative
19:53 vers une aide active à mourir dans des conditions extrêmement strictes,
19:57 et je vais les citer, pour des personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables,
20:02 provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires
20:05 dont le pronostic vital est engagé à moyen terme.
20:09 Fin de citation, chaque mot compte, je le souligne.
20:11 Vous vous dites défavorable, Claude Grange, dans le livre, à un changement de la loi.
20:16 Pour quelle raison ?
20:17 - Parce que déjà, avec cette loi, avec la loi Claes-Leonetti,
20:22 et puis la première loi de 2005, la loi Leonetti,
20:24 on a quand même des moyens.
20:26 La sédation, soit des sédations transitoires,
20:29 voire la sédation profonde continue jusqu'au décès dans ces situations-là,
20:33 quand les symptômes sont réfractaires,
20:36 eh bien, on peut tout à fait mettre la personne dans une sédation.
20:41 Et donc, alors il y en a, ils nous disent,
20:44 oui, la sédation profonde continue jusqu'au décès,
20:46 finalement, c'est kiff-kiff avec une euthanasie.
20:50 Non, je veux dire que la grande différence, c'est l'intentionnalité.
20:53 Tant que l'intention du médecin, c'est de soulager un symptôme réfractaire,
20:58 on reste dans le soin, dans le prendre soin.
21:00 À partir du moment où l'intention du médecin, c'est de faire mourir plus vite,
21:04 on bascule vers l'euthanasie, et donc, moi, je ne suis pas pour.
21:08 - Frédéric Ostendard, bienvenue !
21:11 - Bonjour à tous, Claude Grange, Régis Devray, bonjour.
21:14 Il était bon d'abord de rappeler toute l'attention que les soignants portent,
21:18 disons, à leurs patients dans les services de fin de vie,
21:22 mais puisque la mort est souvent médicalisée aujourd'hui,
21:25 pourquoi serait-ce uniquement au médecin à décider,
21:29 parfois à la place des patients, de ce qui est la limite
21:32 entre une vie digne ou indigne d'être vécue au-delà de la douleur ?
21:37 - Merci Frédéric pour cette question, Claude Grange.
21:40 Alors, la dignité, elle est imprescriptible.
21:42 Qu'on soit bien portant ou qu'on soit gravement malade, on est tous dignes.
21:46 - Mais pourquoi est-ce à vous de le décider ?
21:48 - Alors, non, ce n'est pas à moi de le décider.
21:50 Il y a les directives anticipées, donc,
21:52 et on construit un projet de soin en fonction de ce que souhaite le malade.
21:56 Après, il y a les personnes qui veulent mourir.
21:58 Ça, c'est autre chose.
22:00 Mais ça, ce n'est pas une question médicale.
22:02 Ceux qui veulent mourir, peut-être,
22:04 la société doit donner une réponse à ceux qui veulent mourir.
22:09 Moi, je parle des personnes qui vont mourir.
22:11 Et là, la solution, ce sont les soins palliatifs.
22:14 - Et pour ceux qui veulent mourir, vous êtes plutôt favorable
22:17 à ce qu'on trouve en Suisse ou dans l'état d'Orégon,
22:21 à savoir des associations structurées, contrôlées, et pas l'hôpital.
22:27 Vous êtes absolument clair sur ce point.
22:29 Régis Debray, vous, vous suspendez votre jugement.
22:33 Vous dites que vous comprenez les réticences du docteur Grange.
22:36 Mais reste que chacun devrait pouvoir choisir sa façon de mourir quand il le peut.
22:40 C'est notre dernière liberté, non ?
22:42 - Exactement.
22:43 Je n'ai pas d'opinion très arrêtée, si vous voulez, sur les débats en cours.
22:46 Moi, je m'en tiens à une seule idée.
22:48 C'est que chacun doit pouvoir choisir sa façon de mourir.
22:51 Voilà.
22:53 C'est un peu...
22:55 C'est à la fois notre responsabilité.
22:57 On doit prendre en charge son destin.
22:59 Vous savez, encore une fois,
23:02 c'est un terrain où la loi patine.
23:05 Elle patine sur la singularité des vies humaines.
23:08 Et il faut laisser à chacun, je dirais,
23:14 le libre choix sur la façon de s'en aller.
23:17 Je n'aime pas dire s'en aller parce qu'on s'en va toujours quelque part.
23:20 Là, le problème, c'est qu'on s'en va nulle part aujourd'hui.
23:23 Mais en tout cas,
23:26 je crois qu'il y a quelque chose d'irréductible qui échappe à la loi.
23:32 Et je me félicite qu'on ait cette liberté.
23:36 Voilà.
23:37 À la fois celle de se suicider,
23:40 celle d'insister si on veut rester.
23:44 Et en tout cas, je dirais que c'est un peu...
23:48 Je dirais, c'est l'honneur de l'Occidental d'inventer son destin.
23:55 - Pensez-vous à votre propre mort, docteur Grange ?
23:58 - Tout à fait.
23:58 - Et vous l'imaginez comment ?
24:00 - Eh bien, j'espère que je serai pris en charge par des médecins et des soignants
24:05 qui pourront apporter le juste soin et le prendre soin jusqu'au bout.
24:11 C'est ce que nous avons fait pendant...
24:13 Moi, j'ai fait ça pendant plus de 25 ans.
24:16 Par contre, en effet, ceux qui veulent mourir, c'est autre chose.
24:19 Mais je ne souhaite pas que ça rentre à l'hôpital.
24:21 Ça va faire un binz pas possible.
24:23 Je pense que les soignants n'ont pas fait leur métier pour ça.
24:26 Moi, je lance un appel aux infirmières, aux aides-soignantes, aux médecins
24:30 de rester dans le prendre-soin.
24:32 - On a entendu votre position dans ce débat.
24:34 Vous, Régis Debré, vous pensez à la mort et vous l'imaginez comment ?
24:37 - Ce n'est pas que j'y pense et qu'elle n'est pas loin.
24:41 C'est-à-dire qu'on est à son voisinage.
24:45 Vous savez, quand on a été atteint d'un AVC ou d'autres choses comme ça,
24:51 on est tout près.
24:53 Mais là, peut-être, c'est là où j'ai envie de redevenir philosophe, si vous voulez.
24:57 Je n'aime pas ce mot, mais il est parfois bon de penser qu'on ne sera pas le premier
25:01 dans cette circonstance.
25:02 - Merci à tous les deux.
25:04 Claude Grange, Régis Debré, magnifique livre, Le Dernier Souffle, accompagné de la fin
25:09 de vie, collection Témoins, chez Gallimard.
25:12 Merci encore.

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