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00:00 On en parle avec Delphine Minoui, correspondante du Figaro à Istanbul.
00:02 Autrice de « Je vous écris » de Téhéran, ça c'était en 2016.
00:06 Également les passeurs de livres de Daraya, ça c'était en 2017.
00:11 Bonsoir Delphine, en plus vous vous en préparez à nouveau de livres.
00:13 Donc vous avez été correspondante pendant 10 ans à Téhéran.
00:17 Vous êtes une spécialiste du Moyen-Orient.
00:19 Six mois après la mort de Massa Amini, où en est vraiment la contestation ?
00:24 On sent qu'on a dépassé les grandes manifestations du début.
00:28 La colère a changé de forme, je dirais.
00:30 Elle ne faiblit pas puisqu'elle continue à s'exprimer, mais de différents biais.
00:34 Par exemple, ce sont des rassemblements à la nuit tombés sur les toits,
00:38 des cris contre le guide suprême, l'Ayatollah Ali Khamenei.
00:41 Ce sont des vidéos organisées, préparées par des jeunes femmes
00:45 qui se mettent à danser, têtes nues, sans foulard.
00:48 Là vous faites référence à cette vidéo qui était sur TikTok
00:51 et ensuite était virale de ces femmes.
00:53 On la voit cette vidéo.
00:54 Exactement. Ces jeunes qui se sont d'ailleurs fait arrêter
00:57 parce que c'est un grand risque qu'elles prennent en se filmant comme ça, têtes nues.
01:03 Mais ce qui est très frappant, c'est que malgré la répression,
01:05 malgré ces arrestations, puisque ces jeunes ont même été forcés
01:08 de passer à des aveux à la télévision, en réaction, par solidarité,
01:13 vous avez des dizaines de jeunes à travers le pays
01:16 qui ont repris la même chanson et qui se sont filmés à nouveau en dansant.
01:19 Donc il y a une forme de désobéissance civile,
01:21 mais ce n'est plus les grandes manifestations justement du début.
01:25 Non, parce que la répression est féroce, la répression est draconienne.
01:30 À ce jour, il y a plus de 500 manifestants qui ont été tués.
01:32 Vous avez des milliers de personnes qui sont derrière les barreaux.
01:36 Rappelez-vous les premières manifestations où les nervis du régime
01:40 tiraient à balles réelles dans la foule en visant, c'est ça le côté très vicieux,
01:44 en visant des parties très sensibles, notamment en ce qui concerne les femmes,
01:48 des parties génitales, les yeux, plusieurs filles ont été éborgnées.
01:52 Donc ceci a forcé les gens à trouver d'autres moyens de s'organiser,
01:57 de se mobiliser, de dénoncer le régime parce que c'était trop dangereux
02:00 de sortir dans la rue.
02:01 Mais ces moyens, est-ce qu'ils sont suffisants pour un jour
02:04 que ce régime soit renversé ?
02:06 Alors ça, c'est la grande question parce qu'en effet,
02:09 on sent que le régime, s'il utilise l'arme de la violence,
02:13 une arme si extrême, c'est parce qu'il est fragilisé,
02:16 c'est parce qu'il ne lui reste plus que ça.
02:19 Mais en même temps, évidemment, en face, ça force la population à se tasser.
02:24 Il n'empêche qu'on sent vraiment qu'aujourd'hui, les Iraniens utilisent
02:28 n'importe quelle occasion, n'importe quel prétexte pour continuer à se mobiliser.
02:33 Ça peut être la mort d'un manifestant, ça peut être, comme il y a quelques jours,
02:37 la fête du feu. Vous savez, cette tradition iranienne, c'est le mardi soir
02:42 qui précède le nouvel an iranien, le 21 mars.
02:45 La tradition, c'est qu'on saute sur le feu et les gens, là,
02:47 ont saisi cette occasion pour sauter sur le feu.
02:50 Mais les filles, à nouveau, ont commencé à renouer à ce qu'elles faisaient au début,
02:53 c'est-à-dire brûler leurs foulards, brûler également pour les plus ailées
02:57 des portraits du guide suprême, l'Ayatollah Ali Khamenei.
02:59 Donc, elles ont toujours l'espoir que ça change.
03:01 L'espoir, il est là. Il n'a pas changé.
03:03 Et on sent quand même que le mur de la peur a été fissuré.
03:06 Oui, le mur de la peur. Quand elle disait "la peur a changé",
03:09 quand ? On reste un peu dans cette problématique-là,
03:11 malgré le fait que ce soit plus sporadique, qu'il y ait telle répression.
03:16 Oui, on sent quand même que le régime tremble.
03:19 Le régime ne parvient pas à étouffer cette masse d'indignation.
03:25 Et ça, c'est sans précédent.
03:26 Si on compare au mouvement précédent des années ultérieures,
03:31 je pense aux manifestations estudiantines.
03:33 J'étais à Téhéran à ce moment-là, en 1999, aux grandes manifestations de 2009
03:39 contre la fraude électorale à l'époque, la réélection frauduleuse
03:42 du président ultraconservateur Mahmoud Amininejad.
03:46 Je pense aussi aux manifestations, cette fois-ci à caractère économique,
03:49 contre la cherté de la vie, contre l'augmentation des prix de l'essence,
03:53 2017, 2019. A chaque fois, ça s'est tassé.
03:57 Et là, ça ne se tasse pas.
03:58 Les Iraniens ont compris que cette révolte, aujourd'hui,
04:02 ce n'est pas un sprint, c'est un marathon.
04:05 Et quoi qu'il advienne, ils continueront, par tous les moyens, à essayer de se battre.
04:09 Un mot peut-être sur l'empoisonnement de ces jeunes filles
04:12 qui ont été attaquées au gaz dans ces salles de classe.
04:14 1000 élèves, d'après ce qu'on dit,
04:17 évidemment difficile à évaluer, dans une cinquantaine d'écoles.
04:20 Est-ce que c'est une nouvelle répression du régime, ce qui s'est passé ?
04:24 Alors ça, c'est inédit.
04:25 Ça soulève plein d'interrogations.
04:26 Moi-même, j'ai été surprise quand j'ai appris la nouvelle
04:29 et quand j'ai vu à quel point ça se répandait à travers le pays.
04:32 Parce que là, ça rappelle carrément des pratiques talibanes.
04:35 On pense à l'Afghanistan,
04:36 on pense à ce qui s'est passé en 2015 à Herat,
04:39 où plusieurs filles comme ça avaient été déjà intoxiquées.
04:42 Ça rappelle aussi, et c'est ça qui fait peur,
04:45 des méthodes déjà utilisées par le passé en Iran,
04:49 dans les années 90, notamment au début des années 2000,
04:52 où des filles avaient été attaquées à l'acide.
04:55 On pense aussi à des groupes extrémistes, ultra conservateurs,
05:01 qui ont organisé des rafles au domicile de certains ayatollahs réformistes
05:05 dans la ville sainte de Qom.
05:07 Mais c'était des actes isolés.
05:09 Là, cette fois-ci, c'est vraiment en train de se répandre à travers le pays.
05:12 C'est un gaz qu'on n'a toujours pas pu identifier
05:14 avec des effets secondaires catastrophiques.
05:16 Ce sont des filles, j'ai parlé avec les mères de certaines filles
05:19 qui ont été touchées.
05:21 Ce sont des évanouissements, des vomissements,
05:23 des corps à moitié paralysés.
05:25 Et pour certaines, elles se sont retrouvées aux urgences à l'hôpital.
05:28 Et ça pourrait être une stratégie ?
05:29 Une stratégie, en effet, pour intimider,
05:32 pour empêcher ce mouvement de continuer à se propager à travers le pays.
05:36 Il faut savoir qu'une des particularités de cette révolte actuelle,
05:42 c'est que ce sont des femmes, mais de très jeunes femmes.
05:46 Un déni de la révolte, ce sont les lycées, les collèges, les écoles.
05:51 Et là, c'est une forme de vengeance peut-être
05:54 qui est en train de se produire à l'heure actuelle à travers ces intoxications.
05:57 Un mot sur la façon dont le régime riposte à l'international.
06:01 On voit tout de même que l'Iran, aujourd'hui,
06:03 a passé un accord avec l'Arabie saoudite,
06:05 qu'elle se rapproche de la Russie.
06:07 Il y a tout un jeu d'alliances pour justement donner du poids à ce pays
06:10 comme puissance régionale.
06:12 C'est ça ce qui se passe ?
06:13 C'est évident qu'on sent que l'Iran cherche à briser son isolement.
06:17 L'Iran cherche à consolider un nouvel axe qui s'organise autour de la Chine.
06:23 Ce n'est pas anodin si justement ce rapprochement
06:27 entre l'Iran et l'Arabie saoudite,
06:28 deux pays ennemis dans la région,
06:30 ce rapprochement a été scellé en Chine.
06:34 Et donc on sent de plus en plus que l'Iran se tourne vers l'Est
06:38 dans sa grande rhétorique de défiance d'un Occident
06:42 qui tenterait de renverser le système.
06:45 Quel serait le jeu de l'Arabie saoudite qui peut être plus surprenant ?
06:49 Alors c'est très difficile de se mettre dans la tête des stratéges
06:52 qui ont organisé ce rapprochement, cette nouvelle alliance inédite.
06:58 Il semblerait que l'Iran y voit aussi une certaine forme d'intérêt.
07:02 C'est quelque chose d'assez pragmatique.
07:03 Il faut rappeler qu'une des théories du guide suprême iranien,
07:07 l'Ayatollah Khamenei, c'est ce qu'on traduirait en français
07:10 la flexibilité héroïque, c'est-à-dire être capable de faire quelques concessions
07:15 s'il s'agit de jouer la survie du régime.
07:17 En l'occurrence, il faut le rappeler, l'Arabie saoudite ces derniers temps
07:21 jouait beaucoup sur une espèce de déstabilisation de l'Iran
07:25 à travers des soutiens à des groupes d'opposition.
07:28 Je pense notamment à une télévision des Iraniens en exil.
07:33 Et donc pour l'Iran, il y aurait peut-être cet intérêt de calmer le jeu,
07:37 en tout cas avec les Saoudiens, pour sauvegarder les acquis de la République islamique.
07:41 Et au prix d'un rapprochement avec la Chine et la Russie,
07:44 ça serait ça un petit peu une sorte d'axe Iran-Russie-Chine ?
07:48 Complètement, parce qu'il faut rappeler que dans le jeu aussi de la guerre
07:52 qui a été déclenchée en Ukraine, l'Iran joue un jeu assez...
07:59 qui n'est plus indirect maintenant puisque l'Iran fournit des drones aux Russes
08:03 pour lancer des attaques sur le territoire ukrainien.
08:07 Merci beaucoup Delphine Minoui, journaliste, je rappelle le titre de votre livre.
08:12 Je vous écris de Téhéran, j'espère qu'il a été réédité, celui-là date de 2016.
08:17 Les passeurs de livres de Daraya, ça c'est 2017, magnifique livre justement sur la Syrie.
08:23 Merci encore d'avoir été avec nous, Pili, correspondante du Figaro à Istanbul.
08:27 Merci.