Aujourd'hui, Léo Karmann nous parle du film "De grandes espérances" de Sylvain Duclous.
Retrouvez toutes les chroniques ciné de Léo Karmann dans « C'est encore nous ! » sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-cine-de-leo-karmann
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00:00 Et au Carmen aussi.
00:01 Ça vous est déjà arrivé d'avoir ce genre de pensée ? Vous savez, vous roulez vite
00:04 sur une départementale à double sens, les voitures qui vous croisent à quelques mètres,
00:08 juste derrière ce mur imaginaire qu'est la ligne blanche, mur que vous pourriez percer
00:11 d'un coup de volant, un coup de folie qui bousillerait votre vie et celle des passagers
00:15 de la voiture en face.
00:16 C'est tenter que vous surviviez à un geste qui vous collerait au cœur et à l'esprit
00:18 jusqu'à la fin de vos jours, un geste qui dure une demi-seconde et qui reste à jamais.
00:22 Et c'est celui qui a eu Madeleine, joué par Rebecca Marder.
00:25 Un geste qui tue sans le vouloir, mué par un mélange de peur et de courage pour défendre
00:29 Antoine, l'homme qu'elle aime, alors qu'ils sont deux étudiants en vacances tentant de
00:32 se détendre avant de passer leur examen et que rien ne pouvait prédire qu'un tel cataclysme
00:35 puisse se produire.
00:36 Papa, j'ai tué quelqu'un.
00:41 On s'est fait agresser avec mon copain cet été, en Corse, par un type.
00:49 Mon copain a voulu gérer, mais le type avait un fusil.
00:55 Ils se sont battus.
00:58 Un moment, il a reposé le fusil et je l'ai pris.
01:04 Je l'ai tiré.
01:07 Je me permets, une fois n'est pas coutume, de souligner que la scène que vient de rapporter
01:11 Madeleine est d'une intensité remarquable, par la justesse de sa mise en scène, mais
01:14 aussi par la prestation de ses acteurs, notamment celle de Cédric Appietto, qu'on ne revoit
01:18 quasiment plus du film, mais que je tenais à citer tellement sa proposition nous poursuit
01:21 le reste du long métrage.
01:22 Et de cette réussite résulte toute l'oppression qui s'installe ensuite, alors que Madeleine
01:26 et Antoine, joués par Benjamin Lavergne, décident d'enterrer le fusil, de mentir
01:29 à la police et de garder ce secret à jamais enfoui.
01:31 Une grande carrière politique les attend, et avec elle, la possibilité de changer de
01:34 monde, leur ambition est bien trop grande pour que tout s'arrête.
01:37 Seulement, le meurtre de cet homme la hante.
01:40 Elle fait tout pour l'oublier, mettre cet événement de côté, mais il laque gangrène.
01:43 La culpabilité la ronge, et leur couple se délite.
01:46 C'est toi ou moi ?
01:47 Sinon quoi ?
01:48 Tu vas voir les flics ?
01:49 Tu sais ce que c'est la prison ? Tu as déjà été toi ?
01:53 Non.
01:54 J'irai pas.
01:55 Pourquoi tu irais pas ? Parce que c'est toi qui as tiré, Madeleine, c'est pas moi.
02:00 Tu pouvais lui tirer dans les jambes si tu voulais.
02:05 Tu pouvais tirer en l'air.
02:07 Tu pouvais tirer n'importe où.
02:08 C'est toi qui as te détruit.
02:11 Si tu t'étais défendu, on serait pas là.
02:15 T'es qu'un putain de lâche Antoine.
02:18 Énerve-toi, Madeleine.
02:19 Énerve-toi à toi qui t'es faite toute seule, qui viens d'un milieu ouvrier où il t'a
02:22 fallu travailler plus que les autres pour prétendre à tes rêves.
02:24 Quand Gabriel, la tante d'Antoine que vous interprétez, Emmanuel Berco, député au
02:28 gouvernement, voit son potentiel et lui propose d'intégrer son équipe, à elle plutôt
02:31 qu'à son neveu, c'est d'une justice qui est insupportable pour Antoine, lui le
02:35 favori qui a grandi chez les privilégiés et à qui tout est dû.
02:37 La déception est grande pour Madeleine.
02:39 Que ce soit l'amour, la justice ou les convictions, dans l'intime comme en politique, ce sont
02:43 des valeurs qui ne sont pas forcément partagées avec la même sincérité par tout le monde.
02:46 Et c'est peut-être de cette désillusion dont parle dans le fond de Grandes Espérances
02:50 cette fameuse vraie vie, cette soi-disant réalité opposée aux utopistes, celle qui
02:54 peut amener au cynisme et au calcul.
02:56 Et les poèmes de Néroda, tu connais ?
02:57 Du fond exigu de la mine, j'ai entendu s'élever une voix.
03:04 J'ai vu remonter à la surface un être sans visage, un masque barbouillé de sang,
03:10 de sueur et de poussière.
03:11 Le masque m'a dit « Où tu iras ? Parle de ces souffrances.
03:17 Parle, mon frère, de ton frère qui vit en bas, dans cet enfer.
03:21 »
03:22 Où tu iras, n'oublie pas d'où tu viens.
03:24 Même si parfois il faut se battre avec les armes du système que l'on veut détruire,
03:27 pour vaincre la tête haute, n'oublie pas d'où tu viens parce que tes frères, ceux
03:30 à qui tu donnes de l'espoir, comptent sur toi.
03:32 A bon entendeur.
03:33 Léo Carmane