Comment se passe la négociation d’otage avec une organisation criminelle ou terroriste ? On a posé la question au chercheur Étienne Dignat alors que le Français Olivier Dubois, retenu en otage au Mali par une alliance djihadistes depuis 23 mois, vient d’être libéré.
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00:00 Les négociations d'otages sont les négociations les plus complexes au monde.
00:04 Pour négocier un otage, vous devez à la fois identifier le ravisseur,
00:08 vous devez créer un canal de communication avec lui,
00:10 quitte à passer par des intermédiaires, ce qui peut fortement compliquer la tâche,
00:14 puisqu'on a vu par le passé que plusieurs réseaux d'intermédiaires
00:17 cherchaient à accaparer une affaire.
00:20 Vous devez ensuite mener la négociation, qui peut être très longue,
00:22 parfois plusieurs années, et vous avez des ravisseurs qui mènent un jeu de dupe
00:26 avec les États ou avec les assureurs.
00:28 Ils manient la menace, l'intimidation, ils prennent contact avec vous plusieurs fois par jour
00:34 ou plus du tout pendant plusieurs mois.
00:36 Ce sont des négociations qui sont particulièrement complexes
00:39 et qui n'obéissent à aucune règle préétablie.
00:41 Je suis journaliste pour Brut, demain ma rédaction m'envoie dans une zone
00:45 fortement déconseillée par le ministère des Affaires étrangères.
00:48 Je vais là-bas, je suis pris en otage. Qu'est-ce qui se passe ?
00:51 Si vous êtes pris en otage, il y a de fortes chances que l'État français se mobilise
00:55 pour vous secourir, qu'il cherche à identifier vos ravisseurs,
00:59 qu'il cherche à créer un canal de discussion, voire à payer,
01:03 puisque la France a plutôt catégorisé dans les pays qui négocient et payent généralement les ravisseurs.
01:10 Même situation, mais je suis journaliste pour un média américain.
01:14 Alors si vous êtes journaliste pour un média américain, il y a de fortes chances,
01:17 à l'inverse, que votre État ne paye pas pour vous libérer.
01:20 Les pays américains, comme le Royaume-Uni, font partie des pays qui prônent la fermeté
01:25 en matière de négociation avec les groupes terroristes pour deux raisons.
01:29 La première, c'est qu'ils suivent le principe selon lequel on ne traite pas
01:32 avec les organisations terroristes, on ne négocie pas avec les organisations terroristes.
01:36 Et la deuxième raison, c'est qu'ils craignent les conséquences des paiements.
01:39 Soit parce que ces paiements encourageraient les ravisseurs à continuer les enlèvements,
01:43 soit parce que ces paiements les renforceraient.
01:45 Donc en l'occurrence, si je travaille dans l'humanitaire et que je me rends
01:48 dans une zone fortement déconseillée par le ministère des Affaires étrangères
01:51 et que je suis pris en otage, qu'est-ce qu'il se passe ?
01:53 Alors, si vous êtes humanitaire, il y a deux solutions.
01:56 Ou bien votre employeur va essayer de vous secourir, notamment si vous êtes pris
02:00 en otage par une organisation criminelle, car il sera autorisé à payer.
02:04 Si vous êtes pris par une organisation terroriste, il ne sera normalement pas autorisé à payer
02:08 et c'est votre État de citoyenneté qui prendra le relais.
02:11 Il se mobilisera également, mais peut-être avec une mobilisation médiatique
02:17 qui va être moindre, peut-être avec des moyens qui seront différents.
02:20 – Mais est-ce que ne pas payer, c'est condamner son ressortissant ?
02:24 – Alors, ne pas payer conduit généralement à la mort des otages.
02:27 Il y a un cas très précis qui permet de se rendre compte,
02:30 c'est le cas de l'État islamique en 2014.
02:33 L'État islamique avait à ce moment-là réuni 23 otages occidentaux dans ses prisons.
02:37 Sur ces 23 otages occidentaux, vous aviez 15 ressortissants de pays
02:41 qui ont tendance à payer.
02:43 Ces 15 ressortissants ont été libérés, dont 4 Français.
02:46 Et 8 ressortissants de pays de tradition, de fermeté,
02:50 et notamment des Britanniques et des Américains.
02:53 Ces 8 otages ont été tués, sont morts en captivité,
02:56 avec notamment une exécution très célèbre, celle du journaliste américain James Foley.
03:00 Les Français ne payent pas toujours, on a vu parfois
03:02 qu'ils menaient des opérations de secours par la force.
03:05 On a vu plusieurs cas, notamment en 2010 au Niger,
03:08 ou encore plus récemment au Burkina Faso en 2019,
03:11 où deux otages français avaient été secourus par les membres du commando UBR.
03:15 Nous avions à ce moment-là perdu deux soldats.
03:17 Le secours par la force permet habituellement de sortir par le haut
03:21 du dilemme imposé par les ravisseurs,
03:23 et nous permet à la fois de ne pas les payer,
03:25 mais également de ramener les otages.
03:27 C'est néanmoins une tactique qui est très risquée.
03:29 La grande question, c'est une vie humaine, ça vaut combien ?
03:33 Alors, une vie humaine, dans l'absolu, est évidemment sacrée,
03:37 c'est-à-dire qu'elle n'a pas de prix.
03:39 Néanmoins, les ravisseurs cherchent à imposer leur prix.
03:41 Et cela dépend de la nationalité de la personne, de son âge, de son statut,
03:46 et de qui va négocier pour le libérer.
03:48 On observe par exemple qu'un otage peut valoir entre quelques dizaines
03:52 ou centaines de milliers d'euros en Colombie,
03:54 quand nous avons affaire à des guérillas,
03:56 et plusieurs millions d'euros, par exemple, au Sahel.
03:59 – Jusqu'à combien le gouvernement français est prêt à payer
04:02 pour la vie d'un ravisseur français ?
04:04 – Alors, il est très difficile d'avoir des chiffres très précis,
04:07 néanmoins, on soupçonne, le gouvernement français et Areva,
04:10 d'avoir payé plus de 40 millions d'euros pour libérer cet otage français
04:13 qui avait été retenu au Niger au début des années 2010.
04:16 En parallèle de ces stratégies des États pour payer les organisations terroristes,
04:20 vous avez un autre grand type d'enlèvements,
04:22 qui sont les principaux enlèvements.
04:24 Ce sont des enlèvements perpétrés par les organisations criminelles.
04:27 Dans ce cas précis, ce ne sont pas les états qui payent,
04:29 ce sont les familles, ce sont les employeurs,
04:32 ou ce sont des assureurs privés auxquels ils ont recours.
04:35 Le problème, c'est qu'aujourd'hui, quand vous avez affaire
04:37 à une organisation terroriste, ces paiements dits "privés" sont interdits.
04:41 C'est-à-dire que les Américains ont régulièrement menacé des familles d'otages
04:45 de poursuite s'ils décidaient de payer pour secourir leur fils
04:48 qui avait été pris par l'État islamique.
04:50 C'est notamment le cas du journaliste James Folley.
04:52 Aujourd'hui, en dehors des organisations criminelles et terroristes,
04:55 vous avez aussi des États qui prennent des otages.
04:57 Et l'Iran, notamment, est spécialiste de la prise d'otages.
05:01 Vous avez une vingtaine de billes nationaux
05:03 qui ont été enlevées en Iran ces dernières années,
05:06 et vous avez encore sept Français qui sont retenus en Iran.
05:10 – Des Français qu'on accuse d'être des espions ?
05:13 – Alors, ce sont des prises d'otages qui sont plus sirenoises
05:15 que les prises d'otages par des organisations terroristes,
05:18 car ce sont des otages qui ne disent pas leur nom.
05:20 Ce sont des gens qui ont été arrêtés, qu'on a inculpés pour des faux motifs,
05:24 par exemple espionnage, atteinte à la sûreté de l'État,
05:27 et qui vont en fait être rançonnés.
05:29 Ça peut être contre des avoirs qui étaient précédemment gelés,
05:33 ça peut être contre des libérations de prisonniers,
05:37 ça peut être contre un engagement à ne pas intervenir dans les affaires iraniennes.
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