Après le Mali et le Burkina Faso, l’armée française a quitté le Niger. Un coup d’Etat après l’autre, la France est sommée de plier bagages au Sahel. Une présence militaire dénoncée depuis plusieurs années par les populations de cette région d’Afrique. L’opération militaire française « Barkhane », qui visait à lutter contre la menace djihadiste au Sahel, a quant à elle officiellement été arrêtée par Emmanuel Macron en novembre 2022.
En remplacement de la France, de nouveaux acteurs s’invitent dans les activités sahéliennes : la Russie, notamment par l’entremise du groupe paramilitaire Wagner, mais aussi la Chine ou encore la Turquie. Ce virage diplomatique est profond et semble parti pour durer.
Car le rejet n’est pas que militaire, il est aussi politique et économique. Au coeur des griefs à l’égard de la France, on compte entre autres le positionnement français à géométrie variable vis-à-vis des régimes en place, l’image du franc CFA et à sa symbolique néocolonialiste, la politique d’aide au développement jugée paternaliste...
En remplacement de la France, de nouveaux acteurs s’invitent dans les activités sahéliennes : la Russie, notamment par l’entremise du groupe paramilitaire Wagner, mais aussi la Chine ou encore la Turquie. Ce virage diplomatique est profond et semble parti pour durer.
Car le rejet n’est pas que militaire, il est aussi politique et économique. Au coeur des griefs à l’égard de la France, on compte entre autres le positionnement français à géométrie variable vis-à-vis des régimes en place, l’image du franc CFA et à sa symbolique néocolonialiste, la politique d’aide au développement jugée paternaliste...
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00:00 Au Mali, au Burkina Faso, au Tchad, au Niger.
00:17 La présence française est mise à mal en Afrique, dans la région du Sahel.
00:23 Un rejet de sa présence militaire, mais aussi de son influence politique et économique.
00:29 Jugé néocolonial par des populations en colère.
00:33 Pourtant, quelques années plus tôt, le président français était accueilli en héros.
00:39 Dix ans plus tard, en 2023, le même président s'interroge.
00:45 On se dit mais qu'est-ce qui s'est passé pour que cet amour de la France,
00:49 tel qu'il était proclamé, devienne une défiance, une méfiance.
00:54 Pour son successeur à l'Elysée, cette défiance est de plus en plus concrète.
00:58 Nous mettons fin à notre coopération militaire avec les autorités de fait du Niger.
01:03 Alors comment la France est-elle devenue indésirable au Sahel ?
01:08 Pour commencer, clarifions. Le Sahel, c'est quoi ?
01:19 Généralement, quand on parle du Sahel, l'usage est de se référer à ses pays.
01:24 Mais lorsqu'il est question de l'influence française dans la région,
01:27 ça déborde sur les pays voisins.
01:30 En bref, l'ancienne zone des colonies françaises.
01:34 Dans ces pays, les indépendances des années 60 n'ont pas conduit à une rupture complète avec la France.
01:40 Au contraire, une relation d'influence militaire, économique et politique s'est mise en place.
01:46 C'est le concept de France-Afrique, et l'idée que perdure une vocation africaine de la France.
01:54 Alors même si depuis la fin du XXe siècle, les dirigeants français tentent de faire oublier cette vision des choses,
02:00 cet âge de la France-Afrique est bien révolu.
02:03 le concept continue de nourrir les accusations des pays du Sahel à l'encontre de la France.
02:10 Et la première cible de ce rejet de la France, c'est l'interventionnisme militaire.
02:16 Depuis les indépendances, l'Afrique est la zone de prédilection des opérations de l'armée française.
02:22 Malgré une diminution des effectifs au fil des décennies,
02:26 cette politique sécuritaire débouche en 2013 sur la plus grosse opération extérieure française depuis la guerre d'Algérie.
02:33 L'opération Serval, avec plus de 4 500 soldats déployés au Mali.
02:39 L'objectif ? Soutenir l'armée malienne face à la montée en puissance des groupes djihadistes
02:44 alliés pendant un temps aux indépendantistes Touareg, dans le nord du pays.
02:48 J'ai été amené à prendre une décision, et une décision rapide,
02:52 et une décision qui n'était pas dans l'intérêt de la France,
02:55 même si à chaque fois qu'on peut lutter contre le terrorisme, on se protège soi-même.
02:58 Mais c'était une décision que les Africains de l'Ouest espéraient, voulaient, exigeaient même, d'une certaine façon.
03:06 L'opération Serval est alors considérée comme un succès, pour une raison simple.
03:10 Les objectifs de l'opération Serval étaient clairs,
03:13 il y avait une victoire militaire qui était indiscutable du côté français et malien,
03:22 qui donnait l'impression d'un Mali qui avait recouvré sa souveraineté sur le territoire.
03:29 Mais la menace terroriste est loin d'être anéantie.
03:32 En 2014, l'opération Serval devient Barkhane.
03:35 Elle élargit la lutte contre les djihadistes à quatre autres pays du Sahel.
03:39 La Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad.
03:44 Barkhane est une opération militaire qui est censée accompagner un processus politique, social, économique, etc.
03:52 visant finalement surtout à donner du temps aux acteurs locaux
03:56 pour qu'ils règlent les problèmes de fond sur lesquels se nourrissent les groupes armés djihadistes.
04:03 Alors même si l'armée française s'enorgueille de neutraliser des chefs djihadistes influents dans la région,
04:10 les actes terroristes augmentent.
04:12 Après le Nord, le centre du Mali, le Burkina Faso, le Niger,
04:17 la menace s'étend jusqu'à la Côte d'Ivoire, au Bénin ou au Togo.
04:21 Cette prolifération a une double explication.
04:24 1. Les effectifs français ne dépassent pas les 3000 soldats en mission sur le terrain,
04:29 alors que le théâtre d'opération est immense.
04:32 Et 2. Les rangs des djihadistes semblent se régénérer indéfiniment.
04:37 Ces groupes sont en fait assis sur un mouvement politique ancré avec les communautés locales
04:44 dans lesquelles ils peuvent recruter des acteurs locaux.
04:50 Bilan, l'opération Barkhane est un échec.
04:53 Un échec que les populations sahéliennes ont du mal à comprendre.
04:57 Beaucoup ne comprenaient pas que la force, la puissance militaire qu'elle était,
05:01 ne parvenait pas à mettre fin à cette menace terroriste
05:06 qui était climatisée dans l'imaginaire collectif.
05:08 C'était quelques terroristes sur des motos.
05:11 Selon le chercheur Baba Dakono, les forces nationales sahéliennes
05:15 ont aussi eu le sentiment que l'armée française agissait sans elles.
05:19 Du fait que quand les gens, les populations ont eu le sentiment que c'est un échec,
05:25 le premier responsable, bien entendu, c'est la France
05:27 parce que c'est elle qui a endossé la responsabilité au cours des 10 dernières années
05:32 de la lutte contre le terrorisme dans la région.
05:36 Au-delà des difficultés sur le terrain, s'ajoutent des thèses complotistes
05:40 qui accusent la France de soutenir les groupes terroristes
05:42 pour profiter du chaos et piller les richesses des pays sahéliens.
05:47 Des rumeurs amplifiées par un nouveau venu dans la région, la Russie.
05:51 Profitant du discrédit de la France, la Russie a progressivement établi une présence armée au Sahel
05:57 via le groupe paramilitaire Wagner et diffuse ses médias dans plusieurs de ses pays.
06:03 Nous sommes les démons de Macron, maintenant c'est notre pays.
06:10 Enfin, à partir des années 2020, l'instabilité de la région s'accentue
06:14 avec des coups d'État au Mali et au Burkina Faso.
06:18 En novembre 2022, la fin de l'opération Barkhane est actée.
06:22 Puis en 2023, le coup d'État au Niger pousse la France à évacuer ses troupes.
06:28 Une partie des soldats transitent par le Tchad avant de rentrer en France.
06:33 Voilà pour l'aspect militaire.
06:42 Mais la défiance à l'égard de la France a en réalité des racines bien plus anciennes.
06:47 Ce rejet a une base fondamentalement politique.
06:51 Depuis les indépendances des années 60 jusqu'aux années 90,
06:55 dans le contexte de la guerre froide et de ses jeux d'influence,
06:59 l'échange de bons procédés entre la France et le Sahel est assez simple.
07:04 Les pays sahéliens s'engagent à voter comme la France lors des assemblées à l'ONU
07:08 et ils favorisent les entreprises françaises.
07:11 En contrepartie, la France assure le soutien et la sécurisation de leur régime.
07:15 Mais en juin 1990, lors d'un sommet entre la France et l'Afrique,
07:20 le président François Mitterrand change la donne.
07:23 Cette aide traditionnelle, déjà ancienne, sera plus tiède en face de régimes
07:29 qui se comporteraient de façon autoritaire sans accepter l'évolution vers la démocratie.
07:35 Or, selon de nombreux observateurs, la France n'applique pas ce principe
07:39 de la même manière avec tous les pays.
07:42 Par exemple au Tchad, ce qui a été considéré par beaucoup de populations de la région
07:46 comme un coup d'État a été acté par la France.
07:50 Par contre, dans les autres pays, le coup d'État est devenu un crime.
07:56 Suivant les intérêts, suivant le positionnement stratégique,
08:00 une rupture de l'ordre constitutionnel peut paraître acceptable ou non.
08:05 Bref, ce deux poids deux mesures ne plaît pas aux Sahéliens.
08:09 Cela pousse aussi les gouvernements en place à se tourner vers d'autres alliés
08:13 qui s'abstiennent de donner des leçons de démocratie, en particulier la Russie.
08:18 Une alliance de plus en plus soutenue par l'opinion publique dans ces pays.
08:23 Mais la Russie n'est pas la seule à s'immiscer au Sahel.
08:26 La Chine et la Turquie assoient aussi une influence grandissante.
08:31 Enfin, un dernier point de tension diplomatique vient aggraver la fracture franco-sahélienne,
08:36 le durcissement de la politique migratoire française.
08:40 En 2023, la rupture s'accentue encore.
08:43 Paris suspend les visas des étudiants, des artistes et des chercheurs originaires du Mali,
08:47 du Burkina Faso et du Niger.
08:51 Mais ce n'est pas tout.
08:55 Au rejet politique s'associe le rejet d'une domination économique.
08:59 Dans le discours anti-français, un argument revient souvent.
09:04 En réalité, depuis 30 ans, les intérêts économiques de la France au Sahel sont en chute libre.
09:10 En 1990, entre 20 et 50 % du commerce extérieur des pays sahéliens était tourné vers la France.
09:17 En 2022, c'est entre 2 et 10 %.
09:21 En parallèle, sur la même période, le commerce extérieur avec la Chine, par exemple, s'est envolé.
09:27 Mais à côté de la France, il y a aussi le Sahel.
09:31 Mais à côté de ça, deux points de discorde subsistent.
09:35 Le premier est monétaire. C'est le franc CFA.
09:39 Créé en 1945, il est encore utilisé dans 15 pays d'Afrique.
09:47 Et un grand nombre de ses particularités sont lourdement critiquées.
09:51 Le taux de change fixe, aligné sur l'euro, est notamment accusé de gêner la compétitivité des exportations africaines.
09:58 Le dépôt de la moitié des devises sur un compte au Trésor français est perçu comme une sorte d'impôt colonial,
10:04 même si cet argent reste la propriété des États africains.
10:08 La présence de représentants français dans les banques centrales africaines s'apparente à une ingérence étrangère.
10:14 Enfin, l'impression débillée par la Banque de France résonne comme une offense à la capacité des pays africains à le faire eux-mêmes.
10:22 Bref, le franc CFA symbolise aux yeux de l'opinion publique sahélienne une dépendance vis-à-vis de Paris.
10:28 Et le projet de le réformer pour le renommer "éco" ne convainc pas, les problèmes de fond restant les mêmes.
10:34 S'il y a un doute quelconque sur ce que pourrait éventuellement gagner la France à participer à cette gestion,
10:41 levons ce doute, parce que c'est à l'intérêt de l'Afrique, et c'est aux Africains eux-mêmes,
10:47 de déterminer s'ils veulent avoir leur propre monnaie, il n'y a aucune raison de ne pas les y aider.
10:52 Deuxième point de crispation économique, les aides au développement.
10:59 En 2021, l'Afrique de l'Ouest et les pays du Sahel concentrent la plus grande part de ces aides.
11:05 Et depuis les années 90, pour en bénéficier, il faut remplir certaines conditions.
11:11 Système représentatif, élection libre, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature,
11:18 pas de censure, un chemin dont nous disposons, c'est la direction qu'il faut prendre.
11:24 Mais ce discours, une partie de la population sahélienne le perçoit comme une insulte à la souveraineté de leurs États.
11:31 Arrêtez ces discours paternalistes, dire que nous allons vous aider, nous allons, non !
11:36 Nous n'avons pas besoin d'aide, nous avons besoin de coopération, nous avons besoin de partenariat.
11:40 Ça fait près d'un siècle que l'aide au développement se balade en Afrique.
11:45 Ça ne marche pas.
11:47 On nous aide, mais en revanche, on nous dit, il faut que vous acceptiez tel principe, tel principe.
11:52 Et justement, ce sont des conditions qui paraissent de moins en moins acceptables pour les populations.
11:57 C'est que l'aide au développement pour ces populations ne doit pas être l'occasion d'imposer une façon de vivre ou une façon de comprendre le droit.
12:06 À la suite des coups d'État de 2020 à 2023, la France suspend ses aides au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
12:13 Ses fonds sont réaffectés au Tchad.
12:16 C'est un fait. La France n'est plus la bienvenue au Sahel.
12:24 Ce rejet est largement relayé par le mouvement néo-panafricaniste.
12:28 Un courant idéologique anticolonialiste, antifrançais, prorusse, et porté par des personnalités influentes.
12:35 Si la France ne veut pas permettre aux Africains de respirer, nous allons la forcer à nous écouter.
12:42 En 2023, l'avenir des relations franco-sahéliennes est de plus en plus incertain.
12:48 Il y a eu souvent, on parle de passer des tensions entre la France et certains pays, mais de façon généralisée, avec cette telle ampleur, je pense que c'est inédit.
12:56 Si ce n'est pas co-constructif, dans cette relation qu'on imagine, on n'en veut pas.
13:01 C'est ça.
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