• l’année dernière
Transcription
00:00 J'ai été victime d'une agression en 2013 à mon domicile.
00:03 Cette personne m'a mise à terre.
00:04 On s'est battu et il a réussi quand même à me mettre six coups de couteau sur les deux mains.
00:09 J'ai commis un vol en bande organisée avec armes et violences en 2010
00:15 et nous sommes passés tous les deux par la justice restaurative.
00:29 Comme on n'a jamais retrouvé mon agresseur,
00:30 ça m'intéressait vraiment de pouvoir rencontrer des auteurs
00:34 pour comprendre leur motivation,
00:35 qu'il y ait une personne qui puisse me répondre à ces questions.
00:38 Parce que pour mon cas, je suis sortie avec les mains en sang,
00:41 sans vraiment comprendre ce qui s'était passé.
00:43 On a assisté à cinq séances de trois heures
00:47 où il y avait trois auteurs et trois victimes de violences.
00:53 Je m'appelle Nawel.
00:54 J'ai 39 ans.
00:56 J'ai été agressée dans le supermarché dans lequel je travaillais il y a cinq ans.
00:59 Je rentrais dans le 19e arrondissement de Paris
01:03 où j'avais rendez-vous avec une copine.
01:05 Je suis arrivée et le café où elle était fermait.
01:08 Du coup, je suis rentrée à pied avec elle jusqu'à mon appartement qui était en rez-de-jardin.
01:14 J'ai été aux toilettes et je me suis fait un petit coup de poing.
01:17 Je me suis fait un petit coup de poing.
01:18 Je me suis fait un petit coup de poing.
01:19 J'ai été aux toilettes et en sortant des toilettes, j'ai vu une paire de baskets dans mon salon.
01:26 Je n'ai pas eu vraiment le temps de réaliser ce qui se passait.
01:28 C'était un jeune homme qui était entré dans mon appartement,
01:31 qui m'a mis une balayette avec la main dans la bouche
01:33 et qui a commencé à me donner des coups de poing.
01:36 J'ai réussi à lui mordre la bouche suffisamment fort pour pouvoir crier.
01:40 Il a repris un peu le dessus et j'ai mis mes mains devant mon visage.
01:43 Il m'a mis des coups de cutter partout.
01:45 J'ai réussi à hurler.
01:47 J'avais deux policiers qui habitaient en face de chez moi,
01:49 donc ils sont sautés là-haut.
01:51 J'ai voulu me prouver que je n'avais peur de rien,
01:53 parce que j'avais très peur en fait.
01:55 Ne serait-ce que d'aller faire des courses, ce n'était pas possible.
01:57 Je pensais que j'allais me faire agresser tout le temps.
01:59 Et puis, c'est passé petit à petit.
02:01 C'était costaud la première séance.
02:03 On est plein d'a priori, de peur.
02:06 Je pense que je tremblotais.
02:07 D'ailleurs, même là, ça peut m'arriver encore rien que d'en parler.
02:09 Les auteurs, la plupart du temps, le sentiment premier, c'est la honte de ce qu'on a fait.
02:14 Partager avec les victimes.
02:15 Oui, on avait la tête baissée.
02:17 Et les victimes aussi, il y a la honte certainement,
02:20 mais il y avait aussi la peur, l'appréhension de rencontrer des auteurs de violence.
02:26 Et du coup, de se replonger dans le trauma qu'elles ont vécu.
02:30 Ce qui m'avait marqué, sur lequel un auteur pouvait rejoindre une victime,
02:35 c'est qu'elles n'ont pas forcément beaucoup de personnes à qui raconter leur trauma.
02:41 Et du coup, ça les enfermait dans le silence.
02:44 En fait, un trauma, tu le vis au quotidien, en fait, t'apprends à vivre avec.
02:48 Et c'est vrai que tu ne peux pas compter trop sur les autres,
02:51 en mode de dire "c'est bon, c'est bon, c'est passé là".
02:54 Ce que vous proposez à ces gens, c'est l'inverse de ce que tout le monde leur a toujours proposé.
02:58 On ne parle pas à leur place.
03:00 On ne suggère rien.
03:01 On n'essaie pas de les transformer.
03:03 On écoute.
03:04 On accueille.
03:05 Inconditionnellement.
03:06 À cette époque-là, j'étais étudiant, plutôt brillant, pas connu de la justice.
03:10 J'avais une autre facette.
03:12 J'avais la fascination du grand banditisme, un vrai attrait pour l'argent,
03:17 pour l'argent facile, rapide.
03:19 Et du coup, en 2010, j'avais aussi des mauvaises fréquentations,
03:24 de par mon milieu social, avec deux autres personnes.
03:27 On a attendu la fermeture d'un restaurant.
03:32 Moi, j'étais chargé d'aller dans la salle des coffres.
03:35 Les autres personnes tenaient en joue avec des armes les employés.
03:40 Jusqu'au moment où j'ai entendu un coup de feu,
03:44 puisqu'en fait, une personne a voulu casser un téléphone portable
03:48 qu'il avait trouvé dans la poche d'un des employés,
03:51 avec la crosse du fusil qu'il avait à ce moment-là,
03:54 et ça a enclenché un tir en l'air.
03:57 On s'est échappé.
03:59 Une semaine après, on s'est fait attraper et incarcérer.
04:04 J'ai bénéficié d'une sentence plutôt clémente
04:08 par rapport à mon profil, mais aussi au travail de réinsertion,
04:12 parce que ça a été un électrochoc pour moi.
04:15 À cette époque-là, j'avais tout juste 20 ans, 21 ans.
04:19 Comment pensez-vous que les victimes ont vécu ce qui s'est passé ?
04:23 Je ne sais pas.
04:25 En fait, en tant qu'auteur, j'ai toujours été recentré sur moi-même,
04:31 sur l'acte que j'ai commis, mais pas forcément sur mes victimes,
04:37 y compris pendant mon incarcération.
04:39 J'avais construit une espèce d'insensibilité, malheureusement, aux victimes.
04:47 J'étais encadré par des psychologues,
04:50 mais qui se concentraient sur mon histoire à moi,
04:53 sur ma reconstruction à moi, mais pas sur celle des victimes.
04:58 Il n'y a pas de réinsertion pour les victimes.
05:00 C'est à toi de tout faire tout seul.
05:02 Soit tu restes prostré, soit tu fais des démarches.
05:04 Tu peux aller voir des psys, mais si ce ne sont pas des psys
05:07 qui sont spécialisés en traumatisme, on est souvent à côté de la plaque.
05:12 On devient souvent agoraphobes, on peut développer toutes sortes de phobies.
05:17 De toute façon, c'est à nous de gérer.
05:19 Mais il n'y a personne qui t'appelle pour savoir comment ça va,
05:21 savoir ce que tu vas faire de ta vie derrière, à part la justice restaurative.
05:25 Si vous leur laissez un espace pour réfléchir, ils vont réfléchir.
05:28 Sinon, ils vont dire ce qu'ils ont toujours dit à tout le monde.
05:31 Et ils vont taire ce qu'ils ont toujours tué.
05:33 Et ne pas regarder vers l'arrière,
05:37 ne pas regarder vers son trauma ou vers l'acte de violence qu'on a commis
05:44 et qui nous réduit à ça.
05:47 Mais regarder vers l'avenir et se reconstruire pour laisser ça derrière soi.
05:54 - C'est ça.
05:55 [Musique]

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