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Style de vieTranscription
00:00 Ce jour là, on m'a mis dans un wagon à bestiaux avec ma mère et 50 autres personnes
00:11 gémissantes autour de moi.
00:13 Et je ne savais pas ce qui se passait.
00:16 J'étais encore dans mon univers de louveteau, j'adorais les scouts, et je ne savais pas
00:24 que j'avais été condamné à mort et que ce train allait me conduire sur les lieux
00:29 de mon exécution.
00:31 Et par miracle, j'ai sauté de ce train et je me suis échappé.
00:36 Ce train a quitté la caserne de Sainte-Maline le 10 avril dans la soirée, à ce moment
00:44 là dans ce wagon c'était le noir total, et rapidement du fond de mon wagon, j'ai
00:50 senti que le train s'arrête et j'entends qu'on court le long du train en tirant des
00:56 coups de feu, en hurlant en allemand, je ne vois rien, je ne sais rien, mais j'ai appris
01:03 après la guerre ce qui s'est passé.
01:05 Là, à hauteur d'une petite ville du Blanc-Blanc, Flamand, Boursmeerbeek, entre Malines et Louvain,
01:15 là trois jeunes garçons, des résistants amateurs, ont arrêté le train en mettant
01:23 sur les rails une lampe tempête.
01:25 Avec un papier rouge, signal d'arrêt pour le machiniste, ils ont fait le premier wagon
01:32 qui se présentait devant eux, pas le mien, et ils ont fait sortir et libérer 17 personnes.
01:40 Fait unique de toute la guerre, de toute l'histoire.
01:45 Après avoir sauté, c'était le 20 avril 1943, et je dois encore attendre 17 mois la
01:56 libération de Bruxelles qui n'a été libérée que le 3 septembre 1944.
02:03 Pendant 17 mois, j'ai été recueilli et caché dans des familles catholiques qui m'ont
02:12 traité comme leur enfant.
02:15 J'ai changé deux ou trois fois de cachette, de famille, par sécurité.
02:23 Et quand j'arrivais quelque part, j'allais d'abord dans le grenier pour voir comment
02:30 je pourrais fuir par les toits.
02:32 S'ils venaient me chercher, chaque coup de sonnette m'effrayait.
02:37 Chaque nuit, je rêvais que j'étais poursuivi par la Gestapo.
02:40 Pendant 17 mois, j'ai été peut-être deux ou trois fois en grue.
02:45 Je n'étais pas un enfant caché, j'étais un enfant enterré.
02:49 Dans les familles, je me rendais utile en aidant au ménage.
02:56 Je travaillais aussi un peu dans les livres d'école des enfants, des familles, pour
03:01 me tenir au courant, puisque je ne pouvais pas aller à l'école.
03:06 Dans la famille Pierry, par exemple, M.
03:08 Pierry était un homme d'une gentillesse extrême et très bruxellois.
03:14 Notamment, je faisais la vaisselle, j'étais devenu une petite femme de ménage.
03:21 Et donc, je pelais les pommes de terre, en laissant parfois des petits nœuds dans les
03:27 pommes de terre.
03:28 Et un jour, M.
03:29 Pierry m'a dit « Simon, tes patates me regardent au travers ! ».
03:35 Alors, j'ai rigolé vraiment de bon cœur.
03:41 Mais au fond de mon cœur, je ne riais pas, parce que je pensais à ma mère et à ma
03:49 soeur envoyées dans un camp, parce que j'ignorais qu'elles étaient mortes depuis longtemps.
03:56 Après la guerre, j'étais d'abord dans une famille d'accueil de braves gens, puis
04:01 j'étais habité dans la maison que mes parents avaient construite à Etterbeek, Chausse-et-Doivre,
04:08 639.
04:09 Et j'étais habité à 16 ans dans une petite chambre.
04:15 J'avais des locataires qui me payaient un loyer.
04:18 Et avec cet argent, j'ai payé mes études.
04:21 J'ai absolument fait des études.
04:24 Et ainsi, à 23 ans, j'étais docteur en droit et avocat, ce que je suis encore maintenant.
04:33 Et pendant 60 ans, je n'ai presque pas parlé de ce drame.
04:40 Ce n'était pas un secret, mais je n'en parlais pas, pour différents raisons.
04:44 Mon père est né en Pologne, dans un petit village.
04:47 Il aimait la Pologne.
04:50 C'était sa patrie.
04:51 Sa famille habitait le village depuis très longtemps, depuis des générations.
04:57 Mais après la première guerre mondiale, 14-18, il y a eu beaucoup de problèmes en
05:02 Pologne.
05:03 Du chômage, de la misère, de l'antisémitisme, de la brutalité.
05:09 Mon père alors s'était enfui, a quitté sa patrie bien-aimée.
05:14 Il a traversé l'Allemagne.
05:17 Il est entré en Belgique en fraude, en traversant la frontière, mais en marchant toute une
05:26 nuit dans une forêt.
05:27 C'était un sans-papier avant la lettre, mon père.
05:31 Un illégal.
05:32 Un clandestin.
05:34 C'est pourquoi moi, aujourd'hui, je suis solidaire des sans-papiers, des réfugiés,
05:44 des immigrés.
05:45 Il faut les accueillir avec humanité et dignité.
05:50 C'est l'honneur de mon pays, la Belgique.
05:55 Parce qu'au bout de 60 ans, ma vie est d'écrire un livre.
05:59 Et depuis que j'ai écrit ce livre, mon cas est assez connu et je suis invité partout,
06:05 en Belgique et ailleurs, à témoigner de la barbarie et à lancer un message d'espoir
06:11 et de bonheur à tout le monde, surtout aux jeunes.
06:16 Et je parle également pour quatre raisons.
06:19 D'abord pour confondre les négationnistes, qui ne sont pas des fous, qui sont des nazis,
06:28 et qui nient les crimes d'hier pour en commettre d'autres demain.
06:31 Et je parle pour remercier les héros qui m'ont sauvé la vie en risquant leur vie.
06:40 Aussi au nom des victimes, toutes les victimes, juives et non-juives, parce que les juifs
06:53 n'ont pas le monopole de la douleur.
06:55 Également les victimes d'autres barbaries, comme le génocide arménien ou le génocide
07:04 du Rwanda.
07:05 Et aussi, je parle également parce que je veux combattre l'extrême droite, parce
07:15 que l'extrême droite est un danger pour l'humanité et pour les jeunes.
07:20 Car c'est le berceau du fascisme, du nazisme, du racisme, de l'antisémitisme dont j'ai
07:31 été victime.
07:32 C'est le berceau de la haine.
07:35 Je veux combattre l'extrême droite.
07:42 Et il faut le combattre par l'éducation, l'information, le devoir de mémoire, et
07:49 par le vote, les élections.
07:51 Il faut voter uniquement pour des partis démocratiques.
07:54 [Musique]