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00:00 Salut à tous et merci de nous retrouver dans PONTUATION, le magazine consacré aux livres
00:17 sur la CRTV.
00:20 Une malédiction particulièrement coriace frappe une jeune dame de 33 ans, elle est
00:30 interdite d'accoucher.
00:31 Elle s'est renseignée, elle a appris que sa maman, ses grands-mères, ses arrières
00:38 grands-mères ont été poursuivies à la trace par cette malédiction.
00:44 Il faut chasser la frotte, il faut espier le péché qui s'origine du lointain et
00:52 cela donc passe par un certain nombre de rites, de règles décrites dans un ouvrage.
00:56 Quand les racines chantent, ici il ne s'agit pas seulement de faire chanter la racine du
01:02 mal mais aussi la racine d'une communauté, d'un peuple, les Sawa, communauté bonendale
01:09 et l'autrice Daniel Eyango se charge de nous parler à travers cette intrigue de la
01:14 beauté d'une culture.
01:16 Daniel Eyango, vous n'êtes pas happé par la culture dominante occidentale.
01:21 J'adore ma culture, je ne dis pas qu'elle est parfaite mais j'adore ma culture.
01:30 Cela passe par des plats traditionnels, cela passe par un certain type d'exclamation,
01:38 cela passe par une certaine façon d'être qui fait en sorte que pour moi une écrivaine
01:45 puisse tout cela et mette tout cela en scène me donne une certaine identité, une certaine
01:50 spécificité.
01:51 On doit rappeler quand même que vous êtes autrice d'un premier roman qui a été dédicacé
01:58 à votre défunt oncle, "Kotobas comme un oiseau en plein envol", c'était en 2012,
02:06 puis il y a eu un recueil de poèmes en 2020, "Le parfum de ma mère", "La famille
02:12 est toujours là, elle ne vous lâche pas" mais en 2021 vous avez venu voler au secours
02:17 des familles meurtries par le drame de Kumba, des enfants assassinés de Kumba, un projet
02:24 de Dr Sophie Aprué, nous étions ensemble un collectif d'écrivaines, avec comme accompagnement
02:30 le ministère de la promotion de la femme et de la famille.
02:34 Et là maintenant c'est un nouveau roman, "Quand les racines chantent", on va dire
02:39 que la production a été de combustion un peu lente quand même, ça fait quelque temps
02:44 moi qui vous connais que vous préparez cet ouvrage, il y a même une première version
02:51 qui a failli sortir, que s'est-il passé ?
02:53 - Qui a failli sortir à la place du "Parfum de ma mère", mais sauf que ce qui s'est
02:58 passé c'est que le poème éponyme "Le parfum de ma mère" a remporté un prix, décerné
03:04 par la société des poètes et artistes cameronais, et donc ce prix a bousculé la sortie du
03:10 recueil de poème "Le parfum de ma mère" et a remis à plus tard, et d'ailleurs c'était
03:16 très bien puisque non seulement il y avait cet événement, ce prix, mais il y avait
03:21 aussi l'auteur Moutlon, qui j'avais envoyé ce sujet, et qui m'avait demandé de le porter
03:32 encore à maturation, donc il m'avait fait déchirer, Moutlon m'a fait déchirer 250
03:36 pages et recommencer à zéro.
03:38 - Alors ça c'est bien, pour ceux qui sont au début de leur carrière, ils savent pas
03:41 que parfois il faut pouvoir faire des ratures, et même jeter ses ratures.
03:47 - Donc j'ai déchiré.
03:48 - Vous écrivez en tout début, ça fait partie des textes d'escorte, ce proverbe d'Ouala,
03:58 "offense ta confrérie mais n'offense jamais toute ta tribu".
04:01 - Et "Bula Isango" dit aussi "Bula ton pa", c'est un proverbe très connu, particulièrement
04:08 chez le peuple d'Ouala, parce que tu peux, Isango ça veut dire la confrérie, c'est
04:15 pardonnable, mais quand ça touche toute la communauté c'est impardonnable.
04:19 - Est-ce que c'est ça la malédiction qui frappe Niaké ?
04:23 - Justement, Niaké, dont personne ne doit prononcer le nom dans le roman, a commis une
04:30 faute, on ne sait pas encore laquelle, il y a plus de 100 ans, mais qui a blessé toute
04:35 la communauté de son village, Bonindale, elle a donc été maudite, il a été interdit
04:39 de prononcer son nom.
04:41 Et donc à cause de cette faute, sa descendante Jasmine se retrouve sous l'emprise de cette
04:47 fatalité, de cette malédiction, elle doit réparer la faute de son aïeul, une aïeul
04:51 qu'elle ne connaît même pas.
04:52 - Je dois préciser que pour ceux qui vont lire, vous avez une façon d'écrire qui met
04:58 plusieurs tableaux et parfois les mêle, donc quelqu'un peut se perdre pensant que les noms
05:05 du début sont forcément les seuls et on découvre après qu'il y a des effets flashback,
05:09 c'est pour ça que vous ponctuez votre écriture ?
05:11 - J'ai essayé d'avoir une écriture que j'appellerais normale, j'ai vraiment essayé,
05:16 c'est à dire que… - Ordinaire, classique ?
05:19 - Oui, le mot m'échappe même, c'est à dire que dans le temps, commencer par le
05:23 premier événement, merci beaucoup, le mot m'échappait, j'ai essayé d'avoir une
05:28 écriture linéaire, mais quand je me forçais, ma muse me fuyait, je n'avais plus d'inspiration,
05:34 et ce que j'écrivais n'avait plus d'âme.
05:36 J'aime beaucoup la nature humaine, beaucoup, je la trouve méveilleusement complexe, elle
05:44 n'est jamais toute lisse, elle n'est jamais toute parfaite, et c'est ça qui fait sa
05:47 beauté, donc j'aime les personnages creusés, je n'aime pas les personnages lisses, le
05:52 Rokia, Rokia, parce que quand on apprend et quand on voit ce que Rokia M. a subi dans
05:57 le roman, on comprend qu'elle ne peut que donner ce qu'elle a.
06:00 - En fait votre écriture nous amène à fouiller dans le sous-sol, tel qu'ils apparaissent
06:07 ces personnages, jolis, beaux, il y a toujours quelque chose d'un peu bizarre, il faut fouiller
06:12 en creusant sur l'écorce des arbres, on va jusqu'à la racine.
06:17 - Parce que quelque chose nous arrive toujours, parfois moi ça me pique, je vais demander
06:22 à quelqu'un comment tu vas, je vais demander à une amie anglophone, what happened to you,
06:26 et ça me fait pleurer, qu'est-ce qui t'est arrivé, c'est très profond.
06:29 - Les hommes ont parlé à la place des mots.
06:32 - Oui, what happened to you, parce qu'on n'est jamais totalement fortuitement méchant, on
06:36 n'est jamais totalement fortuitement bon, il y a toujours quelque chose, il y a toujours
06:39 un père qui frappait, un oncle qui violait, on est des coffres forts de multiples sévices
06:45 et une assemblée, des mascottes genre non tout va bien, donc j'aime dans mes romans
06:52 gratter, aller derrière, et j'adore, je trouve que ça donne du corps.
06:55 - Gratter le vernis, les psychologues parlent de psychologie des profondeurs, avant de faire
07:00 ça on doit préciser que Jasmine est cadre d'entreprise, elle est bien épanouie, elle
07:06 est partie du cocon familial, s'est émancipée, elle est là, mais on a découvert qu'il
07:11 y a une lampe de fond, et donc pour revenir à cette lampe de fond vous ouvrez l'ouvrage
07:17 par la scène, le début de scène d'expiration, la scène d'ouverture, qui est donc une scène
07:25 qui inaugure la neuvaine.
07:27 - Alors la tradition de Bonendallé dans le roman lui impose 9 nuits, le chiffre 9 est
07:33 sacré, et d'ailleurs Giannia le chauve traditionnel va l'expliquer au prêtre qui accompagne
07:38 Jasmine, que le chiffre 9 est sacré, parce que dans la tradition de Bonendallé l'homme
07:42 est composé de sa chair, de son coeur et de son moudi, moudi ce n'est pas âme, vous
07:47 savez souvent le français fait par rapport à nos langues, c'est plus que esprit, c'est
07:51 l'être de ton être, parce que la tradition doit l'estimer que Dieu a pris ton être et
07:59 l'a caché sous ça, ce n'est pas toi ici.
08:02 Donc il y a cette pyramide là, cette pyramide de l'être, et donc pour espier elle doit
08:09 subir dans chaque stade de sa pyramide, elle doit subir des tortures, et donc pendant
08:19 cette première nuit là, cet homme s'attaque à sa chair, c'est d'abord ce qui est visible,
08:25 dans sa chair on lui dit tu vas aller dans la nuit, tu vas marcher nu et tu vas aller
08:34 taper, faire résonner l'eau, en pleurant, le bruit que ta main fait en frappant l'eau,
08:44 la surface de l'eau, tout à fait, je pense qu'il y a ça dans beaucoup de nos tribus,
08:48 il y a ça chez les Bétis, les femmes à la rivière font des chants avec l'eau, sauf
08:51 que ce qu'elles font le matin c'est joyeux, mais c'est un rite qui peut réparer, parce
08:58 que l'eau est passée à un rite, quand il est fait avec une intention, cette intention
09:03 polarise le rite, ça devient autre chose, tu es en train d'envoyer un autre message
09:07 à l'univers, que ce n'est plus un kumbé normal, c'est un kumbé expiatoire, et donc
09:13 parce que dans la tradition du Dwala, la main représente le mâle, c'est à dire le mâle,
09:20 genre l'homme, et l'eau représente la femelle, et donc tu frappes, ce mouvement là devient
09:28 un mouvement sacré, parce que dans la tradition du Dwala, Dieu est androgyne, donc androgyne
09:35 veut dire homme et femme, et donc quand tu fais comme ça, en fait c'est Dieu que tu
09:39 es en train d'appeler, donc elle se met à frapper, à chanter et à pleurer.
09:43 Ces premières pages montrent ce cheminement, ce chemin de croix, pas de joie, donc elle
09:52 évolue, il y a une souffrance derrière, mais entourée, environnée de l'expression musicale,
09:58 vous avez parlé du kumbé tout à l'heure, qu'est-ce que sont les différentes musiques
10:01 à ce moment là?
10:02 Dans cette tradition là, rien ne se fait sans chant, on chante quand on pleure, on
10:07 chante quand on rit, et donc tu ne vas pas frapper le kumbé comme ça, il y a un chant
10:12 que ses aïeux de l'autre côté lui inspirent.
10:14 En page 42 justement vous écrivez…
10:18 Et donc je pense que ce chant c'est… C'est le kumbé, alors vous êtes ici,
10:22 mais le kumbé de Jasmine est différent, il était un kumbé de lamentation et de rachat,
10:28 c'était le kumbé de sa rédemption, la rédemption de toute sa lignée, la rédemption
10:33 de toutes les femmes de sa famille, la rédemption de ses entrailles.
10:37 À ce moment on est dans ce kumbé, il va y avoir l'apparition d'autres êtres,
10:45 de ses aïeux.
10:46 Oui, vous faites intervenir ici les vivants et les invisibles.
10:51 Oui, puisque effectivement dans la matriâche, le sitaïyo que le chef traditionnel lui donne
11:00 à Jasmine pour l'initier, pour la préparer, pour lui dire comment ça se passe, et donc
11:03 on dit à Jasmine, nous on n'est pas peur, quand tu vas commencer à frapper, à un moment
11:07 tes aïeux vont apparaître et ils vont t'inspirer un chant.
11:11 C'est ce qui se passe, ses aïeux apparaissent et elles se mettent à dire "muna nya k'en
11:16 dje dje bim bena ee, a nya k'e windi wei, windi wei, muna nya k'e dje dje bim bena ee,
11:21 a nya k'e windi wei, windi wei".
11:23 Et elles se mettent à chanter ce chant.
11:26 C'est l'enfant de Nya Ké qui pleure comme ça, Nya Ké tu es où, Nya Ké viens la sauver.
11:30 De temps en temps vous faites apparaître des tranches de poèmes sous la forme de chansons.
11:37 Ça peut paraître étrange mais ces chants n'existent pas et je les entendais.
11:41 Ah vous même ?
11:44 Oui, je les entendais.
11:45 Est-ce que c'est vrai que vous avez déjà parlé de ce dialogue entre le visible et
11:51 l'invisible dans le roman de Kotobaski où vous parlez la nuit ?
11:54 Tout à fait, donc dans ce roman, je l'ai dit à la dédicace, à la présentation officielle
12:00 de l'ouvrage de 4 mars dernier que je…
12:03 C'est une inspiration ?
12:06 C'est-à-dire que je suis… quand je déchire, il faut que je raconte un peu, quand je déchire
12:12 le premier tapuskri de base, je ne sais pas quoi écrire.
12:14 Et donc quelque temps après, une nuit à minuit, parce que je ne dors pas vraiment
12:20 à minuit, quand je suis chez moi, je vois une tranche, une apparition, une grand-mère
12:26 qui a, en diamarangu, "kakal musuka", elle a attaché une sorte de pagne.
12:31 Et donc elle chante.
12:34 Et c'est le chant de Lissokoloko.
12:36 Lissokoloko chante, l'oiseau mythique, Edouard la chante à Jasmine dans la nuit.
12:41 "Mon diamon, nous m'adangoboulunaé, dja, noumabambédikidonaé"
12:48 Qui marche comme ça, nu dans la nuit, mais qui porte ainsi la malédiction.
12:51 Et c'est ce que l'oiseau, quand l'oiseau apparaît à Jasmine, il dit "mais toi tu
12:54 vas même où chaque nuit quand je te vois ?"
12:56 Et donc quand je vois cette femme, que j'entends ce chant et que j'entends trans, et donc
13:01 là j'entends, me dit "ti ne yande miangoma jasmin", tu vas écrire l'histoire de Jasmine.
13:07 Voilà cette histoire.
13:08 Et donc effectivement tous ces chants, que ce soit les chants de la rivière, que ce
13:11 soit les chants, à part effectivement, excepté le chant de Missengo,
13:16 Oui, qui est un Missile-Ve-François bou et poupa.
13:19 Bou et poupa, que ma grand-mère, ma soeur grand-mère adorait, et qui elle chantait
13:24 toujours quand il pleurait, et qui m'a vraiment bercé.
13:27 Et c'est vraiment le chant des, comme on a commencé à le voir vers la fin du roman,
13:31 des femmes de la lignée de Jasmine, ces femmes tristes frappées par le désespoir, et à
13:35 chaque fois qu'il pleuvait, elles chantaient "sonné en bou et poupa, oui olé, pitié
13:40 puis les tempêtes ne tombent pas".
13:42 Une histoire de l'eau.
13:44 Alors ces belles eaux-là, retour quand même, parce que quand on parle de Niaquer, le roman
13:50 par certains endroits nous fait un petit résumé de la généalogie, cette belle généalogie
13:56 que vous pouvez reprendre.
13:57 On a Jasmine, on a Rokia, on a Makolo, et on a Niaquer.
14:04 Et on a Mbemba et Ngome.
14:06 Je suis fascinée par, parce que quand on s'intéresse pour ma part à l'être humain,
14:12 comme je l'ai dit, à tous ses côtés, on ne peut ne pas tomber du siècle.
14:17 Et je suis persuadée dans ma conviction d'écriture et dans ma conviction cathartique,
14:24 parce que ça rejoint ce que j'ai toujours dit, j'écris pour guérir.
14:27 Quand je dis que je veux regarder les comptes de l'être humain, on n'est pas méchant
14:31 parce qu'on est fortuitement méchant.
14:32 Donc ça rejoint ma conviction d'écriture qui est que nous sommes la somme, parfois
14:42 de notre passé génétique.
14:43 -Où nos racines nous suivent.
14:45 -Où nos racines nous suivent, et parfois sans s'en rendre compte.
14:47 -Et les racines chantent, c'est le titre de l'ouvrage.
14:49 -Tout à fait.
14:50 -Mais ouverture quand même aussi sur, vous nous offrez notre grille de lecture, c'est
14:58 du point de vue de l'homastique, l'histoire des lieux, des espaces, et ici c'est Bona
15:06 Indale, les gens de Indale.
15:10 -Les descendants d'Indale.
15:12 -Voilà, alors cette, on va dire quoi, cette damnation a aussi parti liée à l'histoire
15:20 fulgurante de cette fille, cette jumelle qui l'a emportée devant son frère Guilla.
15:28 -Oui, en fait, je suis de Bona Indale du côté maternel.
15:34 -Donc maman.
15:35 -Ma mère, Eve Bona Indale, lui Catherine et Yann Gorgon.
15:40 -Catherine et Yann Gorgon, et Bona Indale du côté de sa mère.
15:47 Mais c'est volontairement que j'ai mis les vrais noms de mes aïeux.
15:50 Pourquoi, je m'explique.
15:52 Parce que dans une optique de reconstruction de mon histoire personnelle, j'avais de gros
15:57 vides.
15:58 C'est un peu comme un enfant qui ne sait pas qui était son grand-père, qui s'amuse
16:02 à lui inventer une histoire, juste pour qu'il y ait un lien.
16:05 Les Camilles diront pour le vivifier, ça revient au même.
16:08 Pour qu'il y ait un lien.
16:09 Et donc j'ai mis les vrais noms de façon volontaire.
16:12 Makolo, Nyake.
16:13 Et donc Indale est pour tout nouveau sortissant de ce village-là, ce noyau génétique premier-là.
16:24 Mais elle a un mythe.
16:26 On dit qu'elle est comme ça, elle a été trop têtue, elle n'a pas voulu qu'elle
16:29 soit en mariage, mais on ne sait vraiment pas qui elle était Indale.
16:32 Alors un bon écrivain, je lui ai donné vie, je lui ai donné une histoire.
16:37 Voilà, parce que c'était important pour moi.
16:39 - Il faut dire quand même que dans cette histoire de Bonindale, c'est la femme qui
16:42 est reine.
16:43 - Oui, c'est la femme qui est reine.
16:44 C'est Indale qui a fondé son village et qui a été reine de Bonindale.
16:49 - Mais de quelle prostitution parle-t-on quand on doit, quand on désigne à la vindique
16:53 populaire ces dames condamnées à ne pas accoucher ?
17:00 Et ça c'est quelle prostitution ?
17:01 - Prostitution parce que peut-être dans le roman, elles ont osé divorcer à une époque
17:06 où une femme ne divorçait pas.
17:07 - Donc en fait l'audace.
17:08 - L'audace de ne pas supporter la polygamie dans une société encore des années, je
17:15 ne sais pas, avant même que la colonne arrive, Indale qui te dit non, non, non, ne fais pas
17:17 ça.
17:18 Et cette expression effectivement reste jusqu'à aujourd'hui.
17:19 Indale dit, Jean de Bonindale dit, "tolambodi matika bisolinko, yé nonou kalokou".
17:23 Même quand Niaké apparaît à Jasmine, elle ne lui apparaît pas comme une repentie, c'est
17:29 quelqu'un qui assume, ok j'ai péché et puis basta.
17:31 Et moi j'adore ça, genre des femmes qui sont debout sur le soleil, voilà un peu.
17:36 - Troisième élément qui intervient dans cette série de tableaux, c'est le dialogue
17:41 interreligieux.
17:42 J'ai l'impression que si l'Église nous parle de résurrection qui sous-entend la
17:50 rédemption et la remission des péchés, donc l'expiation de la faute originelle,
17:55 là, Djanéa revient avec cette histoire d'expiation de cette faute commise par la
18:01 dame dont on ne peut pas dire le nom.
18:03 Est-ce que vous ne mettez pas en balance là les deux formes d'expiation?
18:07 - Je suis chrétienne catholique, mais je dis toujours, il y a toujours en tant que chrétien
18:13 une sorte de malaise.
18:14 Depuis la catéchèse basique, quand on grandit, il y a une sorte de malaise, c'est-à-dire
18:20 que dès que la grand-mère peut-être même vient à rêve, te dit que non, va boire telle
18:24 chose et puis tu te dis, oh, le feu de Jésus Satan.
18:28 Pourquoi?
18:29 Parce que je suis forcément Satan.
18:30 Donc, je ne flagelle ni l'Église, ni la tradition, mais effectivement quand le prêtre qui représente
18:42 l'Église est dans l'expiation d'une faute d'Adam et Ève, Djanéa lui dit non, ce n'est
18:46 pas Adam et Ève.
18:47 Ce n'est pas un mythe.
18:48 Elle a existé, c'est Adam et Ève.
18:49 Elle est de Bodendala, elle s'appelle Nyake.
18:50 Voilà ce qu'il a fait.
18:51 Donc, la faute de Nyake, c'est le péché.
18:56 C'est le péché.
18:57 Il n'est pas dans la spéculation, lui.
18:59 Il ne spécule pas.
19:00 Ce n'est même pas de la religion.
19:02 Ce n'est pas un péché désincarné.
19:05 Oui, dans la science africaine, on ne parle pas de religion, on parle de science.
19:14 Lui parle de science.
19:15 C'est-à-dire que le négro africain te dit non, tu tournes comme ça, tu prends l'herbe,
19:19 si tu fais comme ça, le soir tu as 10 000.
19:21 Il n'est pas dans...
19:22 Pitié pour moi, Jésus envoie-moi des...
19:23 Il ne spécule pas.
19:24 Contrairement...
19:25 Oh, mais ici il y a deux personnes apparemment antagonistes, mais qui commencent à finir
19:32 par se retrouver.
19:34 Et ce qui me touche principalement, c'est que les deux s'unissent.
19:38 Pourquoi?
19:39 Il faut sauver Jasmine.
19:40 Il faut enlever le péché.
19:43 Il faut sauver Jasmine.
19:44 Quoi qu'il en coûte.
19:45 Alors pour sauver Jasmine, ok, je suis traditionnel, je suis chrétien, on ne s'entend pas, mais
19:48 vraiment mon frère, il faut sauver Jasmine.
19:50 Est-ce que ce n'est pas une sorte d'exposition des batailles en vous, personnelles, vous
19:56 l'autrice, vous Daniel Ayango, chrétienne, mais qui est balancée aussi, est-ce que ce
20:04 n'est pas ces combats que vous mettez en écriture?
20:09 Je n'appellerais pas ça combat.
20:11 J'appellerais ça découverte de sa propre histoire, de sa propre origine.
20:17 Parce que quand on met combat, forcément il faut un vainqueur et forcément il faut
20:24 un vaincu.
20:25 Donc je suis dans cette initiation d'apprendre à connaître moi-même mes racines, d'apprendre
20:30 à connaître où je viens.
20:31 Et effectivement, je ne voudrais pas que cette recherche soit du coup satanisée et
20:41 dites "Oh c'est le diable, non, pourquoi?"
20:42 C'est une expérience de mise en commun, qu'est-ce qui peut faire en sorte que la
20:47 religion de Dieu qui a tout créé parle de la même chose, le salut, l'expiation d'un
20:55 péché.
20:56 Alors on va essayer rapidement de voir qu'il y a une première nuit, une deuxième, puis
20:59 une troisième nuit, puis un tome 1.
21:01 On s'attendait à voir tout ça à la fois, pourquoi on choisit de faire le tome 1 simplement?
21:07 C'est l'éditeur qui a…
21:10 - Vous avez beaucoup écrit, c'est ça?
21:13 - Oui, et mon agent littéraire aussi, Réne Desbys, qui a pensé que c'est déjà assez
21:19 lourd.
21:20 - Oui, c'était costaud.
21:21 - C'est assez lourd, non seulement en termes de page, mais surtout en termes de souffrance,
21:27 c'est trop bombardé le lecteur, il ne passe pas tellement de choses.
21:30 - Le jet d'émotion.
21:31 - Voilà, le jet d'émotion est trop fort, il faut t'en poser.
21:34 - Et après, on va voir le 2 d'ici quelques années, mais là, parce que de vous à moi,
21:42 il y a plusieurs lecteurs qui ont du mal à sortir de l'univers de Jasmine, il y en a
21:46 qui est traumatisé pendant 10 jours et qui reviennent inbox, Facebook disent j'arrive
21:50 pas à sortir de l'univers de Jasmine.
21:52 - Ce qui est quand même bien, c'est que vous avez peut-être résumé ça, les trois
21:56 étapes, ces trois nuits-là, il y a une description en détail par le menu.
22:01 Vous êtes allé en atelier voir grand-mère, voir un oncle, vous avez voyagé à Bodendalé
22:08 pour aller voir comment ça se passe, pourquoi on vous raconte ces étapes-là, parce que
22:12 la description est abondante.
22:13 - Je vais dire la vérité, comme j'ai commencé à l'édit pour le premier livre qu'Autobus,
22:20 je vais dire la vérité, quitte à ce qu'on me croit ou pas, parce que si je commence
22:23 à mentir, si je vais m'amener l'épidale et on me propose la même question, je vais
22:26 sortir notre mensonge, ça ne sert à rien.
22:29 Je n'ai vu personne, j'ai décrit la scène, que c'est l'apparition, c'est la vision, mais
22:37 je dois avoir une connexion avec l'autre côté, c'est la muse qui me fait entendre des choses.
22:42 Et donc, je m'en vais vérifier, je m'en vais chercher à rencontrer des gens quand je commence
22:48 l'écriture du troisième et dernier tome.
22:52 Quand je finis d'écrire le synopsis du troisième et dernier tome, je doute, je dis non, là,
22:58 peut-être je suis en train de devenir folle, il me faut me rapprocher de certains érudits
23:02 pour qu'ils me confirment que ce que je dis, c'est un rite là, est-ce que c'est vraiment
23:06 ça et tout.
23:07 Parce que même si c'est de la fiction, j'aimerais quand même me rassurer sur un ou deux points.
23:11 Et c'est comme ça qu'on me fait rencontrer un certain Tete Manjombe, qui est très érudit,
23:17 qui connaît, et quand je lui décris le premier tome, le deuxième, le synopsis du troisième,
23:23 il marque un temps de silence, il me dit "qui t'a dit ça?"
23:26 Je dis je ne sais pas, j'entends, il me dit mais c'est exactement ça, ce que tu as écrit,
23:32 c'est ce que dit Ka Aqwa, Niabou Nambila, qui a fait le Niambéisme, qui a cristallisé
23:38 la pute avec son doigt là, c'est exactement ça.
23:41 Vous êtes une reine?
23:43 Du côté de mon père, oui.
23:46 Et on dit que les rois et les reines ne sont pas seuls, ils sont toujours accompagnés
23:52 par ceux qui les ont précédés.
23:53 Ce sont ces gens qui vous parlent?
23:56 On ne tombe pas de nulle part.
23:58 Et ma conviction est que le lien ne se coupe pas, c'est comme une toile d'araignée,
24:04 c'est parce qu'ils sont morts qu'ils sont morts, les morts ne sont pas morts.
24:07 Donc il faut bien que même s'ils ont une mission qui n'est pas terminée,
24:10 ou bien pour vous guider ou vous protéger, le lien est la toile d'araignée.
24:15 Dites-nous simplement, quel est le degré de progression de Jasmine dans cette étape,
24:22 dans le premier tome?
24:23 Est-ce que le lecteur voit venir déjà la lueur?
24:28 Qu'a-t-elle éprouvé?
24:31 Parce qu'on voit qu'à la fin, Janihaï souffre lui-même.
24:35 Il a l'impression...
24:37 Il s'attendait, il était intimement persuadé qu'elle allait mourir ou qu'elle allait capituler.
24:41 Alors qu'est-ce qu'elle a fait comme prouesse?
24:44 Elle a survécu.
24:46 À temps de danger?
24:48 Elle a survécu au premier cycle, aux trois premières nuits.
24:52 Avec des pieds écorchés, avec des orteils coupés?
24:57 Non, ce n'est pas du sain, l'humain où on mange...
25:00 Oui, une main de bébé, elle tombe sur des sorciers qui mangent la chair humaine.
25:06 Elle a survécu et je crois qu'elle n'aurait pas survécu si elle n'avait pas survécu la dernière nuit de Niaké.
25:11 Elle ne lui apparaissait pas parce que c'est Niaké, c'est son aïeu qui lui apparaît et qui la sauve, je pense.
25:18 De tout ça?
25:19 Oui, la dernière nuit. Donc elle a survécu.
25:21 On mange, on mange là-bas et elle est placée.
25:25 Elle mange beaucoup?
25:26 Mais de bonne qualité quand même, de bon fumet.
25:29 Il y avait une description des lieux de mémoire, des lieux de culture.
25:36 Le Mwébé par exemple, la cuisine traditionnelle.
25:40 Vous sentiez l'intérêt pour vous d'écrire ce qu'a été cette tradition?
25:45 Parce que vous savez, les enfants qui ont été élevés la plupart du temps par leur grand-mère.
25:50 Ma grand-mère a beaucoup participé dans mon éducation.
25:53 Beaucoup, il y avait tonton Vier Cotobas et il y avait ma grand-mère.
25:56 Parce que quand tonton Vier Cotobas partait au studio, vous savez, ils peuvent passer des journées au studio.
26:00 Ma mère va au travail pendant les vacances. Je suis avec qui? Je suis avec Mémé.
26:04 Et donc Mémé, si elle n'est pas sur sa note en train de chanter, elle est dans son sac.
26:09 Les grands-mères n'aiment pas la cuisine de blanc. Elles n'aiment pas ça.
26:12 Elle avait sa cuisine traditionnelle où il y avait son fargot de bois, où il y avait les vieilles casseroles derrière,
26:18 et là nous, assis, c'est là où tu as l'impression que c'est quand on prépare la baque, c'est bon.
26:22 Donc j'étais avec grand-mère et elle me racontait des histoires et elle préparait.
26:26 Et c'était plus bon que ce que le boy faisait là-bas dans la cuisine de blanc.
26:29 Donc moi j'ai grandi avec cette culture typiquement, doualala, qui chante quand on prépare,
26:34 ou qui piaf quand une femme passe, il y a un mot d'associé là. C'est comme ça en fait.
26:41 En fait on jette un peu des trucs comme ça.
26:44 Oui, en fait.
26:46 Et la femme a coupé le Bopolo Polo.
26:50 Bopolo Polo qui est une boisson inévitable. Chez moi j'ai une grosse mamie de Bopolo Polo.
26:56 C'est des écorces, on appelle ça en Chine, le cockmort, je pense qu'il y en a même chez les Bétis,
27:00 qui soignent du palud et de la fièvre.
27:02 Alors il est question du premier voile. Le premier voile est la première barrière,
27:06 c'est l'explication que donne Jeannea.
27:08 Il y en a trois, trois barrières, huit, trois barrières.
27:11 Et pourquoi doit-on déchirer le premier voile ?
27:14 Trois barrières retiennent Nia, celle dont on ne doit prononcer le nom,
27:20 prisonnière pour l'éternité, coupée du repos éternel, dont jouissent les âmes juste enchaînées.
27:27 Donc déchirer le voile après chaque cycle de trois nuits d'expiration signifie libérer Nia.
27:35 Voilà pourquoi on met un terme au premier tome, c'est ça, parce que trois nuits sont passées,
27:41 le premier tome finit et puis il y a le premier voile déchiré.
27:44 Oui, enfin le premier voile, dans le deuxième tome, ils ont supposé donc aller déchirer le premier voile.
27:48 Voilà.
27:49 Il faudra bien décrire cette immersion dans l'eau.
27:51 Pour à la fin dévoiler le mystère.
27:56 Merci beaucoup.
27:57 Merci à vous, merci.
27:59 Mais je note quand même que dans votre écriture, l'esthétique poétique intervient, voisine l'esthétique romanesque.
28:09 Oui, mais c'est plus fort que moi, j'ai une écriture poétique, j'ai une écriture chantante.
28:14 En fait vous êtes poète.
28:15 Oui.
28:16 Voilà, faisant le roman, souvent.
28:19 Ah oui, beaucoup, j'ai fait beaucoup de romans.
28:23 Et votre poésie de poésie, c'est quoi ?
28:26 Trois points de suspension.
28:28 Ah, trois points de suspension.
28:29 Vous aimez bien la suspension, vous suspendez le lecteur.
28:33 J'aime bien le mystère.
28:34 Voilà.
28:35 Mystère et boule de gomme.
28:38 Merci beaucoup.
28:39 Merci.
28:40 Cette épontuation avec une belle immersion dans la culture saoua, chez les Bonés de Dallais,
28:45 et surtout un grand chant d'hommage aux traditions de dévoilement, de célébration de nos racines africaines.
28:56 A mardi prochain.
28:58 [musique]