Agnès Thibault-Lecuivre, cheffe de l’IGPN, l’inspection générale de la police nationale, était jeudi 20 avril la Grande témoin de franceinfo. Elle répondait aux questions de Marc Fauvelle.
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00:00 C'est elle qui est chargée de faire la lumière sur les soupçons de violences policières en marge des cortèges contre la réforme des retraites.
00:04 Et elle est donc ce matin la grande témoin de France Info.
00:06 Bonjour Agnès Thibault-Lecuivre.
00:08 Bonjour.
00:08 Vous êtes la chef de l'inspection générale de la police nationale, la police des polices, première magistrate nommée à ce poste.
00:14 C'est vous qui enquêtez et qui proposez des sanctions contre les policiers qui ne respectent pas la loi.
00:19 Cela fait trois mois aujourd'hui que la contestation contre la réforme des retraites a commencé.
00:23 Combien y a-t-il d'enquêtes sur votre bureau ?
00:25 Depuis la première journée nationale d'action du 19 janvier 2023, nous avons été saisis de 59 enquêtes judiciaires,
00:34 principalement sur le ressort de la préfecture de police de Paris, mais pas seulement.
00:41 59 enquêtes judiciaires, ce chiffre démontre quoi ?
00:45 Qu'il y a des vidéos qui méritent que nous puissions expertiser, analyser ce qui s'est passé avant, ce qui s'est passé après.
00:56 Cette vidéo démontre un usage de la force.
00:58 Cet usage de la force est-il légitime ou illégitime ?
01:00 Qu'il y a des plaintes de manifestants qui considèrent qu'il y a eu une action violente à leur égard.
01:06 Là encore, à nous de démontrer si l'usage de la force est conforme à la loi ou non.
01:11 Quand il n'y a pas de vidéo, il n'y a pas d'enquête ?
01:13 Pas du tout, il peut y avoir des plaintes sans vidéo.
01:16 Mais dans ce cas-là, c'est plus difficile de faire la lumière ?
01:18 Non, je pense qu'il ne faut pas réduire nos investigations aux seules vidéos.
01:23 On fait un travail très minutieux de recoupement.
01:26 On va chercher les bandes radio, police, on va chercher toutes les vidéos qui peuvent être des vidéos privées certes,
01:32 mais aussi des vidéos publiques.
01:34 On va aussi chercher à retrouver des témoins.
01:39 Donc tous les éléments sont nécessaires pour nos enquêtes, pas seulement la vidéo.
01:44 Ce serait trop simple, parce que sinon tout le monde peut être enquêteur.
01:46 59 enquêtes ouvertes par la police des polices.
01:49 Est-ce qu'il y a eu une accélération depuis le 49.3 ?
01:52 C'est ce que dit la défenseure des droits au micro de France Info.
01:54 L'accélération est à mettre en lumière au regard d'un changement dans les manifestations,
02:04 avec une radicalisation de certains individus.
02:07 C'est-à-dire qu'il y a plus de violence présumée dans la police,
02:10 parce qu'il y a plus de violence présumée dans les cortèges ?
02:12 Non, ce n'est pas ce que je dis.
02:13 On a un rétablissement de l'ordre qui est rendu complexe
02:17 du fait de la radicalisation extrêmement violente d'individus.
02:21 Donc un rétablissement du maintien de l'ordre complexe,
02:25 avec un usage de la force par les policiers,
02:28 qui peut entraîner des plaintes,
02:30 mais encore une fois, celui qui est victime d'un usage de la force,
02:33 c'est peut-être un usage légitime.
02:35 C'est pour ça que c'est extrêmement important qu'on fasse ce travail d'investigation.
02:38 Certes, nous avons 59 procédures judiciaires aujourd'hui,
02:41 ça ne veut pas dire 59 déclarations de culpabilité.
02:44 C'est tout le travail d'investigation que nous devons mener.
02:46 L'une des enquêtes que vous menez porte sur les pratiques de la BRAVEM,
02:49 les policiers à moto qui travaillent à Paris.
02:50 Le 20 mars dernier, ils interpellent un groupe de jeunes en marge d'une manifestation.
02:54 L'un des jeunes enregistre la scène sur son portable, enregistrement audio.
02:58 On y entend un ou plusieurs policiers insultés, menacés,
03:01 et sans doute frappés.
03:02 L'un de ces jeunes, voici un extrait de cet enregistrement.
03:05 Tendez l'oreille.
03:06 - Ta petite tête, on l'a déjà en photo.
03:08 Tu as juste à te reponter dans l'armée au prochain moment.
03:10 Mais ne t'inquiète pas que la prochaine fois qu'on vient,
03:11 tu ne monteras pas dans le car pour aller au commissariat.
03:13 Tu vas monter dans un autre truc qu'on appelle ambulance pour aller à l'hôpital.
03:16 - T'as de la chance, on va se venger sur toute personne.
03:19 Si tu as l'occasion de regarder la télé, regarde bien.
03:22 La prochaine fois, tu sauras ce qui t'attend quand tu reviendras.
03:24 - La prochaine fois qu'on vient, tu monteras dans une ambulance.
03:26 Dans un autre extrait, on entend un policier le traiter de fillette.
03:28 Tu la fermes où t'en veux une.
03:30 Quand vous entendez ça, Agnès Thibault-Lecuivre,
03:32 comme citoyenne tout d'abord, quelle est votre première réaction ?
03:34 - Comme citoyenne et ainsi que j'avais déjà pu le dire,
03:38 choquée.
03:39 Extrêmement choquée.
03:41 Pourquoi ? Parce que,
03:43 qu'est-ce qui est attendu des policiers ?
03:45 Encore plus dans un contexte de défiance vis-à-vis de l'État.
03:49 C'est une exemplarité.
03:51 - Ça n'a pas été le cas ce jour-là ?
03:52 - Nous avons été saisis le soir même
03:55 de la révélation de cet enregistrement dans les médias
03:57 par le préfet de police d'une enquête administrative
04:00 au titre du devoir de réaction d'administration,
04:02 ce qui est fondamental.
04:03 Cette enquête administrative,
04:05 je suis sur le point d'en remettre les conclusions au préfet de police.
04:08 - Quelles sont vos premières conclusions aujourd'hui,
04:10 si vous pouvez nous les donner ?
04:11 - Alors, avant de vous donner ces conclusions,
04:14 et je ne pourrai pas rentrer dans ce détail à ce stade,
04:17 ce qu'il faut bien comprendre, c'est que
04:19 on a fait la retranscription de cet enregistrement.
04:22 Nous avons sollicité auprès de l'autorité hiérarchique
04:24 les rapports des agents.
04:26 D'ailleurs, je tiens à souligner que nous n'avons eu aucune difficulté
04:28 à avoir ces rapports.
04:30 Nous avons ensuite fait tout un travail de recoupement
04:32 entre les propos
04:34 et voir à quel agent on peut ou non
04:37 attribuer tel ou tel manquement.
04:38 C'est tout ce travail qui a été fait.
04:40 Des manquements qui vont, pour certains,
04:43 relever, quoi ?
04:45 Un comportement tout à fait contraire
04:48 à l'exemplarité attendue.
04:50 - Ça veut dire que vous allez probablement réclamer des sanctions ?
04:53 - Un comportement indigne de la fonction des policiers.
04:54 Et quand bien même un cycle a souligné
04:57 l'autorité hiérarchique,
04:59 ce sont des policiers qui étaient à l'issue d'une vacation
05:02 particulièrement complexe dans un contexte de rétablissement
05:05 de l'ordre tendu, ça n'autorise en rien,
05:08 ça ne justifie en rien,
05:10 d'avoir un comportement qui est contraire
05:12 à la bonne tenue, contraire à l'exemplarité
05:15 qui doit être attendue en toutes circonstances
05:17 de la part des policiers vis-à-vis de la population.
05:20 - En vous écoutant, on se dit que vous allez probablement réclamer des sanctions.
05:22 - Donc je vous confirme que nous allons réclamer des...
05:25 Nous allons proposer des sanctions au préfet de police
05:28 à cette fin, exactement.
05:30 - Autre affaire, la semaine dernière à Paris,
05:31 la police a voulu contrôler trois mineurs
05:33 qui circulaient sur le même scooter.
05:35 L'un d'entre eux n'avait pas de casque.
05:36 S'en est suivi, semble-t-il, une course-poursuite et une chute.
05:39 Une jeune fille est depuis entre la vie et la mort.
05:41 L'avocat de ces trois jeunes affirme
05:43 que la police a délibérément percuté le scooter.
05:46 Avez-vous des éléments qui confirment ou qui infirment cette thèse ?
05:49 - Nous avons été saisis par le parquet de Paris
05:52 dans le cadre d'une enquête judiciaire.
05:54 À l'heure où je vous parle, les investigations sont en cours.
05:57 Ces investigations, à quelle fin ?
05:59 Encore et toujours, pour parvenir à la manifestation de la vérité.
06:02 Pour faire toute la lumière sur les faits qui sont dénoncés.
06:05 Donc ces investigations, c'est faire des constatations,
06:09 bien évidemment, à la fois sur le véhicule de police
06:12 et sur le scooter sur lequel étaient les trois jeunes.
06:15 Ça va être un certain nombre d'auditions.
06:18 Un travail ici encore de recoupement
06:21 avec un objectif, c'est que s'il y a des responsabilités à établir,
06:25 nous devons apporter tous les éléments de preuve utiles à l'autorité judiciaire
06:29 pour que celle-ci décide ou non, ensuite,
06:32 de poursuite contre des policiers qui auraient commis des fautes pénales.
06:37 - Agnès Thibault-Lecuive, depuis 2014, quasiment 10 ans,
06:40 tous les policiers sont censés porter un numéro d'identification.
06:42 C'est le fameux numéro Rio.
06:44 On constate, et vous l'avez sans doute constaté vous aussi,
06:46 que ce n'est pas toujours le cas.
06:48 Pour quelle raison ?
06:50 - Le fameux numéro Rio,
06:52 et le code de déontologie des policiers et des gendarmes
06:56 l'indiquent très clairement,
06:58 ce code doit être porté par les policiers.
07:01 Dans la très grande majorité,
07:03 et j'insiste dans la très grande majorité,
07:05 ce numéro est porté.
07:07 Vous avez ensuite des cas, notamment en maintien de l'ordre,
07:10 où, compte tenu des tenues, compte tenu des boucliers,
07:13 le port du Rio n'est pas toujours, en tout cas, vu de façon évidente.
07:18 Mais, pour parer cette difficulté,
07:21 vous avez, et vous le voyez dans toutes les vidéos qu'on évoquait en début de cette interview,
07:25 des marquages sur les casques, sur les tenues,
07:28 pour parvenir à identifier.
07:30 - Il n'arrive jamais que vous ne puissiez pas identifier quelqu'un ?
07:33 - Tout notre travail, précisément, c'est d'identifier.
07:35 - Est-ce que ça arrive ou pas ?
07:36 - Ça peut arriver, je ne vais pas vous dire le contraire.
07:40 Après, le numéro Rio ne doit pas être l'alpha et l'oméga.
07:43 Et je pense que c'est important de le souligner.
07:44 Le Conseil d'État, d'ailleurs, l'a rappelé.
07:46 L'objectif, c'est quoi ?
07:47 C'est que l'usager de la police nationale puisse savoir à quel policier il a affaire.
07:52 Et nous, l'Inspection Générale de la Police Nationale,
07:55 pour pouvoir relever des manquements administratifs,
07:57 pour pouvoir proposer à l'autorité judiciaire de caractériser une infraction pénale,
08:02 évidemment que nous devons l'identifier.
08:03 Et c'est aussi pour ça que nos rapports avec toutes les directions d'emploi des policiers
08:08 sont particulièrement resserrés pour arriver à cette identification.
08:12 - Merci à vous, Agnès Thibault-Lecuivre,
08:13 chef de l'Inspection Générale de la Police Nationale.
08:15 Je rappelle ce chiffre que vous nous avez donné il y a quelques instants.
08:17 59 enquêtes judiciaires ouvertes par la police, des polices,
08:20 depuis le début de la contestation de la réforme des retraites,
08:23 il y a exactement trois mois.
08:24 Merci et bonne journée à vous.
08:26 - Merci à vous.