Anthony Caillé, secrétaire général de la CGT-Intérieur-Police, était jeudi 27 juillet le Grand témoin de la matinale de franceinfo. Il répondait aux questions de Marie Bernardeau.
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00:00 - Bonjour Anthony Caillet. - Bonjour.
00:01 - Merci d'être avec nous. Secrétaire général de la CGT Intérieur Police,
00:05 Naël est mort il y a un mois à Nanterre, tué par un policier sans son suivi des émeutes.
00:10 Une trentaine d'enquêtes sont ouvertes à ce jour par l'IGPN pour des soupçons de violences policières.
00:15 Vous avez peut-être entendu, Anthony Caillet, sur notre antenne il y a une demi-heure,
00:19 le témoignage d'un jeune homme de 19 ans de Montreuil, près de Paris.
00:22 Il a perdu un oeil, dit qu'il ne participait pas aux émeutes.
00:25 Ce n'est pas parce qu'on est jeune et qu'on vient des quartiers populaires qu'on est un émeutier, dit-il.
00:30 Que lui répondez-vous aujourd'hui ?
00:32 - Je lui réponds qu'aujourd'hui notre institution traverse une crise, et pas que l'institution policière d'ailleurs.
00:38 Les institutions de la République, et notamment celles de faire en sorte que tous citoyens soient en sécurité.
00:45 On le voit bien depuis les manifestations pour la COP, loi travail, retraite, gilets jaunes.
00:51 La violence est grandissante dans la gestion du maintien de l'ordre.
00:57 La faute à quoi je pense aux armes utilisées, en tout cas, ça c'est une certitude.
01:05 Et ensuite je pense qu'effectivement quand on a un gouvernement qui a un discours guerrier,
01:10 un discours martial à longueur de jour, et bien tout ça, ça crée des tensions.
01:15 - C'est de la faute des armes et du gouvernement, aujourd'hui ?
01:18 - Je pense qu'aujourd'hui il y a un mésusage de l'armement dans la police nationale, ça c'est sûr.
01:24 Utiliser un LBD dans une manifestation, pour moi c'est à proscrire.
01:29 C'est une arme qui a été destinée aux violences urbaines et non pas au maintien de l'ordre.
01:34 D'ailleurs les CRS et les gardes mobiles, qui sont des professionnels du maintien de l'ordre, s'en servent très très peu.
01:40 C'est essentiellement les BAC et les CSI qui utilisent ce type d'armes.
01:46 Et puis surtout je vous dis, la doctrine en fait, le cap qui est fixé par le gouvernement
01:52 et la façon dont le gouvernement répond aux maux de la société et aux revendications des citoyens aujourd'hui.
01:59 - Votre hiérarchie est en cause aussi. Je vous pose la question parce que vous me voyez venir,
02:03 le directeur de la police nationale, votre patron Frédéric Vaud, a dit à propos de l'incarcération d'un policier de la BAC à Marseille,
02:08 qu'avant un procès, un policier n'avait pas sa place en prison. Est-ce qu'il s'est placé au-dessus de la justice ?
02:13 - Alors, au-delà de l'aspect réglementaire qui impose à tout policier, et aussi bien aux premiers policiers de France,
02:20 un devoir de neutralité, une obligation de neutralité, je pense que ces paroles ne sont pas de nature à apaiser ce qui est en train de se passer dans le pays.
02:29 - Il doit quitter ses fonctions pour vous aujourd'hui ?
02:31 - C'est pas à moi de le dire ça. Moi je suis syndicaliste, je suis là pour représenter une profession, mes collègues.
02:37 Je suis pas là pour dire si effectivement le directeur doit quitter ses fonctions.
02:42 - Est-ce que, pour rebondir sur ce que dit votre patron, est-ce que le policier qui a tué Nahel doit être en prison ? Avant un éventuel procès ?
02:50 - C'est pareil, c'est pas à moi de le dire, c'est à la justice. Notre pays c'est un pays de droit, il y a la séparation des pouvoirs, la justice fait son travail.
02:58 Elle aura également des comptes à rendre, si effectivement elle a rendu, elle a fait effectivement une mesure d'exception,
03:05 une mesure juste pour pallier un manque de paroles de la part du gouvernement sur cette situation.
03:13 Mais en tout cas c'est à la justice de prendre ses responsabilités là-dessus.
03:17 - Le problème vient en partie du fonctionnement de la nature même aussi aujourd'hui de l'IGPN, la police des polices ?
03:24 - Oui, je pense qu'aujourd'hui on a un problème de transparence. Je ne dis pas forcément qu'il y a un dysfonctionnement dans le travail de l'IGPN,
03:34 je dis qu'en tout cas il y a un problème de transparence de cette entité.
03:38 - Comment on la réforme ?
03:40 - Comment on la réforme ? On peut la réformer de plusieurs manières.
03:43 Moi celle que je propose me semble être en tout cas une solution qui est acceptable par tout le monde,
03:50 c'est-à-dire de garder l'IGPN comme elle existe mais de la mettre sous contrôle d'une commission nationale.
03:57 - Changer de tutelle ? Changer d'unistère ?
03:59 - Changer de tutelle, évidemment. Qu'on puisse rendre des comptes régulièrement et de la situation des affaires qui sont en cours, ça existe déjà.
04:10 Je prends l'exemple de la SNCF, c'est la commission nationale qui contrôle les écoutes administratives,
04:18 donc c'est quand même quelque chose de grave et d'attentatoire aux libertés,
04:22 puisqu'on est dans un régime quasi d'exception sur les écoutes administratives.
04:26 Il y a une commission nationale de contrôle, donc c'est pas nouveau en fait.
04:30 Moi je n'invente rien, je reprends ce qui existe dans certains cas et je pense qu'en tout cas ça permettrait plus de transparence.
04:37 - Il y a matière d'inspiration chez nos voisins aussi en Europe ?
04:40 - Oui, il y a matière d'inspiration les pays nordiques, enfin scandinaves, l'Allemagne, l'Angleterre,
04:46 qui elle a fait le choix, un choix qui est totalement différent, qui est un choix radical,
04:50 de confier ses enquêtes à des personnes non policiées, voire même si vous avez été policier un jour,
04:56 vous ne pouvez pas faire partie de cette commission d'enquête.
05:00 - Et ça, ce serait une bonne solution ?
05:02 - Non, ça je pense que la méthode anglaise n'est pas la bonne solution, c'est ce que j'explique dans la tribune, c'est que...
05:08 - Publiez dans le journal Le Monde.
05:10 - Voilà, le droit est tellement compliqué, le métier de policier est aussi très compliqué,
05:14 je pense que se passer de policier ou de gendarme dans un organe de contrôle, ça serait courir à l'échec.
05:21 - Est-ce que ce serait accepté par les policiers, ce que vous proposez ?
05:25 - C'est toujours compliqué de mettre une réforme en place,
05:29 la réforme du défenseur des droits a été mal acceptée par les policiers,
05:33 tout un tas de réformes judiciaires qui sont mises en place,
05:37 enfin je veux dire, la venue de l'avocat dans les gardes à vue a été mal acceptée par les policiers,
05:41 aujourd'hui on ne s'en passerait plus, parce que c'est une garantie,
05:45 notamment pour l'enquêteur, c'est une garantie pour la garde à vue,
05:47 c'est une garantie pour le droit, c'est une garantie pour la mise en cause,
05:50 c'est une garantie pour les victimes, mais c'est aussi une garantie pour le policier-enquêteur,
05:54 aujourd'hui d'avoir l'avocat, et aujourd'hui on ne s'en passerait plus.
05:56 - Il y a un problème aujourd'hui entre la police et la justice ?
05:58 - Non, il n'y a pas de problème, il y a une méconnaissance du monde judiciaire de la part des policiers,
06:03 les jeunes policiers ne sont pas formés au monde judiciaire,
06:06 il y a un manque de transparence, il y a un manque de connaissance, il y a un manque de formation,
06:10 ces gens-là ne se parlent pas, mis à part les enquêteurs qui font de la police judiciaire,
06:15 mais c'est un monde complètement différent, et il n'y a pas de contact entre le policier de terrain,
06:21 celui qui bosse dans les commissariats, le gros des troupes, et le monde judiciaire,
06:26 et donc il y a une méconnaissance, et il y a une crainte de l'autre.
06:31 - Donc c'est la formation qu'il faut changer aussi ? Comment ?
06:34 - Je pense que la formation chez nous n'est pas assez longue, elle n'est pas assez pertinente,
06:38 il faut absolument ouvrir les écoles au monde de la société civile,
06:43 il faut faire rentrer des gens dans les écoles, des représentants de la société civile,
06:48 des avocats, des magistrats, notamment, pour développer tout ce volet judiciaire, juridique,
06:55 et savoir ce qu'est le travail d'un magistrat,
06:58 parce que là aujourd'hui on fait peser la faute sur les épaules d'un juge d'instruction,
07:02 mais de l'instruction il n'est pas tout seul, d'ailleurs il prend cette décision sur quel fondement,
07:06 et sur quel socle ? Sur une enquête de police, sur un dossier, sur des éléments de policier
07:12 qui lui ont été donnés, et c'est là-dessus qu'il va fonder son jugement,
07:15 et son jugement il ne le fait pas tout seul, il a ses pairs autour de lui,
07:18 il amène de la réflexion auprès de ses collègues, il a une hiérarchie,
07:23 et surtout, aujourd'hui, il y a un juge des libertés et de la détention,
07:27 qui est là pour contrôler justement la légalité des faits.
07:30 - Vous faites confiance aujourd'hui au ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin,
07:33 pour résoudre cette crise, pour mener à bien peut-être cette réforme-là ?
07:36 - Est-ce que je lui fais confiance ? J'avoue qu'en tout cas je ne comprends pas
07:43 la position aujourd'hui de l'institution et du gouvernement,
07:47 qui est assez... on a un gouvernement taiseux là, sur ce qui s'est passé,
07:52 notamment sur la sortie du directeur général de la police nationale.
07:57 Je pense que le gouvernement ne doit pas faire l'impasse de communiquer là-dessus,
08:02 il doit prendre ses responsabilités.
08:04 - En disant quoi ? Quelles responsabilités ?
08:06 - En replaçant les choses là où elles doivent être.
08:10 C'est-à-dire qu'aujourd'hui on est dans un état de droit,
08:12 que ce que demandent certains policiers, certains syndicats de policiers,
08:16 d'avoir une justice d'exception à l'endroit des policiers,
08:18 ce n'est pas aujourd'hui entendable, ce n'est pas acceptable,
08:20 ce serait grave dans une république, dans une démocratie.
08:24 Que par contre, effectivement aujourd'hui c'est un métier qui est en extrême souffrance,
08:29 on a qu'à le voir notamment sur le taux d'arrêt maladie et le taux de suicide
08:32 dans notre profession extrêmement importante,
08:35 mais à force de demander aux policiers de ne faire que des missions répressives, punitives,
08:41 ce n'est pas tenable.
08:43 Vous avez un chercheur d'ailleurs qui a fait un article là-dessus chez vos confrères,
08:46 ce n'est pas tenable aujourd'hui,
08:48 quelqu'un qui va tous les jours se lèver pour administrer des punitions
08:52 et faire de la répression, il ne rentre pas chez lui indemne.
08:55 Et tout ça vous l'écrivez dans une tribune publiée dans le journal Le Monde.
08:59 Anthony Caille est secrétaire général de la CGT Intérieur Police.
09:02 Merci d'avoir accepté notre invitation.
09:04 Merci à vous.
09:05 Grand témoin de France Info ce matin.