Bernard Guetta, député européen Renew, auteur de "La nation européenne" (Flammarion) est l'invité du Grand entretien de France Inter. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-24-avril-2023-2706087
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00:00 Oui, avec Léa Salamé, nous recevons ce matin dans le Grand Entretien un Eurodéputé Rignoud,
00:04 vice-président de la Commission des droits de l'homme du Parlement Européen.
00:08 Il publie « La Nation Européenne » chez Flammarion et il est une voix bien connue
00:14 des auditeurs de France Inter.
00:15 Vos questions 0145 24 7000 et passez autrement par l'application de France Inter.
00:21 Bonjour Bernard Guetta.
00:22 Bonjour Nicolas.
00:23 Bonjour Bernard.
00:24 Bonjour Léa.
00:25 Dans ce micro, ce livre est à la fois le récit de votre expérience de député européen
00:30 depuis votre élection en 2019 et un essai sur les tensions qui traversent l'Union Européenne
00:36 et les moyens de construire une Europe plus forte.
00:38 On va y venir longuement évidemment.
00:40 Mais commençons par le commencement, par le journaliste Guetta qui franchit le Rubicon
00:46 et se retrouve donc député européen, élu député européen.
00:50 Qu'est-ce qui vous a le plus étonné, stupéfait, amusé ou peut-être atterré quand vous débarquez
00:57 il y a bientôt 5 ans au Parlement Européen ?
01:00 Une chose m'a un peu atterré et l'autre m'a profondément réjoui.
01:03 Ce qui m'a atterré c'est de découvrir de l'intérieur ce qu'est la vie politique
01:09 et plus précisément ce qu'est la vie parlementaire.
01:11 Je ne connaissais pas ça de l'intérieur, je le connaissais de l'extérieur évidemment
01:14 comme journaliste, je fréquentais des hommes politiques pour les interviewer etc.
01:18 Mais connaître leur vie de l'intérieur, alors ça c'est autre chose.
01:21 Et connaître surtout le fonctionnement d'un Parlement, d'un Parlement, de tout Parlement.
01:27 Le Parlement Européen c'est plutôt beaucoup mieux qu'un Parlement national.
01:31 Mais quand même, que de temps perdu, que de bataille d'amendements sur des virgules
01:38 uniquement pour se faire valoir et dire « je suis intervenu d'une manière décisive sur
01:43 tel texte, sur telle législation etc.
01:45 » Ça je n'aime pas, ça je n'aime pas, je ne m'y fais pas.
01:50 Je crois que je ne m'y suis toujours pas fait, je crains de ne pas m'y faire d'ici
01:55 la fin de mon mandat.
01:56 Mais en revanche…
01:57 Qu'est-ce qui vous a réjoui ?
01:58 Et bien voilà, ce qui m'a réjoui c'est que j'ai eu le bonheur d'arriver en 2019
02:04 au Parlement Européen au moment où l'Union Européenne commençait à radicalement changer,
02:10 où des tabous absolument fondamentaux tombaient.
02:13 Il y avait un tabou sur l'idée même de défense commune européenne qui était défendue
02:17 par la France, seulement, seulement par la France, depuis toujours.
02:21 Et puis soudain, M.
02:22 Trump, sa première campagne présidentielle, dit « mais si un jour l'Estonie, un pays
02:27 balte est attaqué, il ne dit pas par qui, mais on devinait bien que ce n'était pas
02:31 par les Martiens, mais par les Russes, et bien avant de la défendre, nous vérifierons
02:36 si elle est à jour de ses contributions à l'Alliance Atlantique ».
02:40 Et bien ce jour-là, tous les pays atlantistes ont réalisé que ce que disaient la France
02:46 et la France seules depuis plusieurs décennies, à savoir que la protection américaine n'était
02:52 pas forcément assurée ad vitam aeternam, et bien ils ont pris une douche froide et
02:57 le tabou sur la défense est tombé.
03:00 On va en reparler, mais puisque vous parlez de Trump, vous écrivez de manière assez
03:04 drôle dans le livre que « toutes les communes d'Europe devraient ériger une statue à
03:07 Donald Trump, père refondateur de l'Union Européenne ».
03:10 Et alors maintenant j'ai un amendement, c'est qu'en fait il faudrait une double
03:13 statue à Donald Trump et Vladimir Poutine.
03:16 Bien sûr, c'est ce qu'on s'est dit en lisant ça, on s'est dit « tant qu'à
03:19 faire des statues, il en faut une deuxième ».
03:22 À Donald Trump et Vladimir Poutine, père refondateur de l'Union Européenne.
03:24 Vladimir Poutine encore plus, sa guerre en Ukraine a encore plus resserré l'État.
03:28 Mais bien sûr que si, mais il y a eu tout un processus, et puis n'oublions pas surtout
03:32 le Covid au milieu, parce que le Covid a amené les Européens à une révolution invraisemblable,
03:40 c'est-à-dire décider d'emprunter 750 milliards d'euros en commun et donc de développer
03:47 des politiques industrielles communes, puisque l'usage de cet argent, un argent européen
03:52 emprunté par l'Union Européenne, allait être contrôlé par la Commission.
03:55 Vous écrivez dans ce livre que l'Europe est dans son troisième moment, qu'on vit
04:01 le troisième moment de l'histoire européenne.
04:04 Qu'est-ce que ça veut dire ? Et pour mémoire, quels étaient les deux premiers ?
04:08 Le premier moment, c'était le marché commun, le traité de Rome, tout simplement.
04:11 Le traité de Rome et puis toutes les régulations qui se sont accrochées à ce marché.
04:15 Le deuxième moment, ça a évidemment été l'introduction de la monnaie unique, bien
04:20 sûr l'euro qui a été un stiment incroyable de l'Union Européenne.
04:23 Et là, nous entrons dans le troisième moment que je définis comme le moment de la construction
04:29 d'une union politique.
04:31 Et regardons ce qui se passe.
04:34 Quand on commence à avoir une politique étrangère commune, car c'est le cas, souvenons-nous
04:39 de ce qui se passait au moment où les Américains intervenaient en Irak.
04:42 L'Union Européenne était mais cassée en deux.
04:45 Il y avait ceux qui soutenaient l'intervention américaine, ceux qui la combattaient, la
04:48 France et l'Allemagne notamment, mais pas seuls.
04:51 Aujourd'hui, à part un demi-Monsieur Orban, je dis un demi-Monsieur Orban, le Premier
04:58 ministre hongrois, parce qu'il s'oppose à la condamnation de l'intervention de
05:03 l'agression russe contre l'Ukraine, mais en même temps, il vote toutes les sanctions.
05:06 Donc, à part un demi-Monsieur Orban, il y a une unanimité complète, absolue sur l'objectif
05:14 qui est d'aider les Ukrainiens à infliger une telle défaite à M.
05:19 Poutine qu'il soit obligé d'arriver en bonne foi.
05:22 Laissez-moi terminer la phrase.
05:24 Je vous laisse.
05:25 Je vous laisse.
05:26 Non, non, mais je vous vois faire moins, moins, moins comme ça.
05:28 Non, non, non, il n'y a pas de moins, moins, moins.
05:31 L'amener à la table des négociations en bonne foi parce que soudain, le rapport de
05:37 force sera en faveur des Ukrainiens.
05:39 N'avez-vous pas des lunettes un petit peu roses, Bernadette ? Vous parlez, votre livre
05:43 s'appelle « La Nation Européenne ». Vous nous dites « ça y est, maintenant, tout
05:45 le monde est convaincu qu'il faut une défense européenne, que le parapluie américain ne
05:51 sera pas suffisant ».
05:52 Non, on n'est pas garanti pour l'éternité.
05:54 Oui, d'accord, mais quand on écoute la Pologne, les Pays-Baltes, ils misent aujourd'hui
05:58 avant tout sur l'OTAN plus que sur la défense européenne pour les défendre s'il y avait
06:01 un problème.
06:02 Et quand vous dites « tout le monde parle français aujourd'hui, on a convaincu tout
06:06 le monde et tout le monde parle comme nous qu'il faut une défense européenne et qu'il
06:09 faut… »
06:10 Mouais !
06:11 Mouais !
06:12 Et bien, ouais !
06:13 Alors, c'est pas tout à fait vrai.
06:14 Il est là le mouais.
06:15 Il y a beaucoup de mouais quand même.
06:17 Alors, reprenons tout ça.
06:19 Misez plus sur les forces de l'Alliance Atlantique, mais je le fais moi-même, évidemment,
06:26 puisque aujourd'hui la défense européenne n'existe pas.
06:29 Elle n'en est qu'à ses balbutiements.
06:31 Ce que je vous dis, c'est que le tabou est tombé.
06:34 Et y compris les Polonais, y compris les Baltes, réputés les plus atlantistes et donc les
06:38 plus hostiles, hier ou avant-hier, à une idée de défense européenne, aujourd'hui
06:44 la défense…
06:45 Alors, de qui est venue l'idée d'acheter en commun les munitions à fournir à l'Ukraine ?
06:51 Elle est venue de la première ministre de l'Estonie, du plus petit des pays baltes.
06:55 C'est-à-dire que c'est une première ministre balte qui a fait faire le pas le plus décisif
07:02 qu'on ait connu jusqu'à maintenant vers la défense commune.
07:06 Alors, entendez bien, je vous dis « des pas ». Je ne vous ai évidemment pas dit que
07:10 la défense commune existait.
07:12 Mais si demain les pays européens, c'est ce qui se passe d'ailleurs, décidaient
07:18 d'accroître leur défense, leur effort de défense, mais il faudra 10-15 ans pour
07:23 développer cet effort de défense.
07:24 Oui, mais Berdar, aujourd'hui, depuis le début de la guerre en Ukraine, chaque pays
07:28 européen augmente son budget militaire.
07:30 Et notamment l'Allemagne qui depuis longtemps…
07:32 100 milliards.
07:33 Et de manière colossale.
07:34 Mais chacun va augmenter sa propre armée.
07:36 Ils ne sont pas en train de construire une armée européenne.
07:38 Personne ne veut construire une armée européenne.
07:41 On parle d'une défense commune, ce qui n'est pas la même chose.
07:43 L'armée, c'est des régimes…
07:44 Mais l'argent est mis sur chacun, sur ça ?
07:47 Attendez, attendez.
07:48 Il y a beaucoup de coordination.
07:50 Il y a beaucoup de coordination qui commence.
07:52 Et pour une raison très, très simple, c'est que nécessité fait loi.
07:55 On est obligé d'acheter les munitions en commune, comme hier, on avait été obligé
08:00 et avec quel succès, d'acheter les vaccins en commun.
08:03 Je vous dis que les choses changent dans l'Union européenne.
08:07 Je ne vous ai pas dit, évidemment pas, qu'elles avaient changé d'un coup de baguette magique
08:11 du jour au lendemain.
08:12 Il faut toujours du temps.
08:13 Mais comment en déduisez-vous l'idée de « nation européenne » Bernard Guetta ?
08:18 Vous dites, bon, effectivement, dans l'urgence pour le Covid, il a fallu agir ensemble.
08:23 Dans l'urgence face à la Russie, il a fallu agir ensemble.
08:25 Et le fait d'agir ensemble est en soi une révolution.
08:27 Est-ce que agir ensemble crée une nation ?
08:30 Mais il ne s'agit pas de la créer, elle existe.
08:32 Alors, expliquez-nous.
08:33 Alors, je vous explique.
08:34 Je ne veux pas faire mal à Léa, mais moi, la définition d'une nation, je vous la donne
08:41 dans le petit Robert.
08:42 Groupe humain qui se caractérise par la conscience de son unité et la volonté de vivre en commun.
08:49 La conscience de son unité et la volonté de vivre en commun.
08:52 Alors, je vous cite ce que j'écris dans le bouquin, que j'avais dit 20 000 fois à ce
08:58 micro quand j'étais commentateur de Géopolitique.
09:02 Vous prenez un avion de la Finlande à l'Italie, du Portugal à la Pologne.
09:09 Vous ne changez pas de monde quand vous atterrissez.
09:13 Vous prenez un avion de n'importe quelle capitale du continent européen et vous atterrissez
09:18 même à New York, la ville la plus européenne de l'Amérique.
09:22 Évidemment, en Afrique ou en Asie, vous avez changé de monde.
09:26 Quand je dis nation européenne, ça ne veut évidemment pas dire, et heureusement pas,
09:32 qu'il y aurait une uniformité des peuples européens.
09:35 Évidemment qu'il n'y a pas d'uniformité.
09:37 Évidemment qu'il y a une diversité et donc une richesse.
09:40 Mais il y a nation parce qu'il y a conscience quand même d'une unité qui transcende largement
09:46 les différences et de plus en plus une volonté de vivre en commun.
09:50 Regardez les Ukrainiens.
09:52 Aujourd'hui, ils veulent nous rejoindre.
09:54 Regardez les Géorgiens.
09:55 Ils veulent nous rejoindre.
09:57 Ne parlons pas de la malheureuse, microscopique petite Moldavie qui est elle aussi menacée
10:02 par M.
10:03 Poutine.
10:04 Regardez la montée des populismes partout en Europe qui sont eurosceptiques.
10:07 Encore la semaine dernière, Marine Le Pen disait "moi je me différencie de Mélanie,
10:12 je suis beaucoup plus eurosceptique qu'elle".
10:14 Et elle représente, elle a fait 43% des voix.
10:19 Vous avez tout à fait raison.
10:20 Mais je vais vous répondre à cela.
10:22 Il y a encore cinq, six ans, pendant la première campagne présidentielle qu'il avait opposée
10:27 à M.
10:28 Macron, Mme Le Pen définissait l'Union européenne comme une prison des peuples.
10:34 Vous savez ça de ça ? La prison des peuples.
10:36 Et elle voulait sortir de l'euro.
10:38 Est-ce que vous entendez Mme Le Pen dire ça aujourd'hui ? Non, elle ne le dit pas.
10:44 Et pour une raison très simple.
10:46 C'est qu'elle sait très très bien que ce serait encore plus impopulaire que ça
10:51 l'avait été.
10:52 Parce que si elle avait perdu la première élection contre Macron, c'était largement
10:57 à cause de ses déclarations contre l'unité européenne.
11:00 Et vous savez, pardon, encore un point.
11:02 En janvier dernier, il y a eu une rafale de sondages organisés, demandés par la Commission
11:08 européenne sur le sentiment dans les opinions publiques européennes.
11:11 Eh bien, écoutez, le nombre de gens qui se déclaraient opposés à l'unité européenne
11:18 avait dégringolé d'une manière spectaculaire.
11:20 Et grâce à qui ? M.
11:22 Trump, Mme Covid, M.
11:24 Poutine.
11:25 Et pourtant, vous ne croyez plus vraiment aux Etats-Unis d'Europe, à la Victor Hugo,
11:28 ou alors plus aussi vite, plus dans la même urgence ?
11:32 Je dis à l'églomane d'Anthropo.
11:34 Voilà, pas de la manière aussi romantique peut-être que dans le passé.
11:37 Pour quelle raison ?
11:38 Pour une raison très simple, c'est que nous sommes entrés maintenant dans le vif
11:44 du sujet.
11:45 La défense, les projets, les politiques industrielles communes, éventuellement les
11:49 emprunts communs, etc.
11:51 Nous sommes maintenant à l'os de ce qu'on appelle le régalien.
11:54 Eh bien, on ne peut pas, dans une période de changements aussi profonds, qui s'ajoutent
12:02 aux changements aussi profonds causés par le changement climatique, les incertitudes
12:06 internationales, les incertitudes financières, économiques, etc.
12:09 On ne peut pas donner trop vite la gestion, la direction de l'Union européenne aux
12:18 institutions transnationales qui sont encore très neuves, comme le Parlement européen.
12:23 Donc, je pense, je suis toujours absolument fédéraliste, je pense qu'un jour nous
12:28 arriverons aux Etats-Unis d'Europe, et je le souhaite, mais je dis pas trop tôt, autrement
12:34 nous risquons de tout casser.
12:35 Sur la politique étrangère, vous vous réjouissez, ce sont vos termes que maintenant, désormais,
12:39 l'Europe parle français.
12:41 Oui.
12:42 Parce qu'ils avaient vu juste sous le tout de leur président depuis De Gaulle, parce
12:46 qu'ils avaient été les seuls à mettre en garde contre l'inévitable moment où
12:48 le parapluie américain se refermerait.
12:50 Les Français étaient maintenant aussi reconnus et attendus qu'ils avaient irrités auparavant.
12:56 L'Union parle-t-elle aussi français que vous le dites, Bernard Guetta ?
13:01 La politique étrangère, et là je vous demande de juger les dernières déclarations d'Emmanuel
13:07 Macron et sa politique étrangère depuis un an, que ce soit sur l'Ukraine, que ce
13:11 soit sur la Chine récemment, elle est mal comprise par beaucoup, notamment par les Polonais,
13:17 les Pays Baltes, qui se s'agacent de phrases comme "il ne faut pas humilier Vladimir Poutine"
13:23 ou "la Russie continue à lui parler", ou les dernières déclarations sur Taïwan.
13:27 Comment vous jugez ça ? Quel regard vous avez sur cette politique étrangère ?
13:31 Et qu'est-ce qu'ils vous disent les Polonais, les Baltes, quand vous les croisez au Parlement
13:35 européen à Bruxelles ou à Strasbourg ? Ils vous disent "mais on ne la comprend pas la
13:38 politique étrangère".
13:39 Qu'est-ce qu'il dit votre président ?
13:40 Il y a deux choses complètement différentes.
13:42 Quand je dis "l'Union européenne aujourd'hui parle français", c'est parce qu'elle a
13:47 admis la nécessité de la défense, elle a admis les emprunts communs, elle a admis
13:50 les politiques industrielles, communautiques, etc.
13:52 Oui, ça c'est un fait, c'est indiscutable.
13:54 Et en même temps, précisément parce que nous arrivons à l'os, parce que nous avons
13:59 franchi tous ces pas, et bien il va y avoir, et il y a déjà, des engueulades mais phénoménales
14:06 sur comment est-ce qu'on organise et bâtit cette défense commune, sur comment est-ce
14:11 qu'on organise et bâtit ces politiques industrielles communes.
14:14 Évidemment, si nous arrivons, et on va le faire, à des politiques industrielles communes
14:19 comme au début d'Airbus, chacun des pays va dire "ah mais le bassin d'emploi chez
14:24 moi, pas chez toi, et puis d'abord les brevets c'est moi qui les ai eus etc."
14:27 Bien entendu qu'il y aura des conflits d'intérêt et des conflits de conception.
14:32 Mais vous savez, je dis aussi une chose dans ce bouquin, en citant un auteur relativement
14:37 connu, je dis "levez-vous au rage désiré".
14:40 Et pourquoi "levez-vous au rage désiré" ? Parce que si les orages ne se lèvent pas,
14:45 ce serait la preuve que nous recommençons à ronronner et à ne rien faire.
14:50 S'il y a orage, c'est que réellement on avancera.
14:54 Et c'est pour ça que je souhaite les orages.
14:56 Mais quand vous me dites "il y a des divergences", mais naturellement qu'il y a des divergences.
15:00 Bien entendu, parce que, encore une fois, nous entrons dans le vif du sujet.
15:04 Vous dites, Bernard Guetta, que vous aviez la conviction en arrivant au Parlement européen
15:08 que la question russe était centrale.
15:10 Pour vous, il est évident également que la Russie a déjà perdu la guerre, Poutine
15:15 est mort politiquement dites-vous.
15:17 Mais là aussi, n'êtes-vous pas trop optimiste ? Parce que pour l'instant, la Russie certes
15:22 ne gagne pas la guerre, mais elle ne la perd pas non plus.
15:25 Actuellement, la Russie continue d'occuper une part importante du territoire ukrainien.
15:30 Alors expliquez-nous votre position.
15:34 Vous venez de l'expliquer ma position.
15:37 Vous venez de l'expliquer en disant "la Russie ne gagne pas, mais elle ne perd pas non plus".
15:43 Et je vais vous citer une phrase que j'aime bien citer.
15:50 "Quand la Russie ne gagne pas, elle perd.
15:55 Quand l'Ukraine ne perd pas, elle gagne".
15:58 Parce que, écoutez, cette guerre, la Russie contre l'Ukraine, c'est soudain comme
16:02 si un dictateur français fou, souhaitons que ça n'arrive jamais le dictateur français
16:10 fou en France, décidait d'envahir la Belgique.
16:14 Et qu'au bout d'un an, il n'était toujours pas arrivé à Bruxelles.
16:18 Il avait pris un quartier de Liège, par exemple.
16:20 Eh bien, écoutez, à ce moment-là, tout le monde unanimement dirait "la France a perdu".
16:26 La France se ridiculise.
16:28 Et ce chef d'État qui a voulu envahir et annexer la Belgique a perdu politiquement.
16:34 C'est exactement ce qu'il se passe.
16:35 Mais là, on est sur une guerre d'usure.
16:36 Là, on est sur une guerre qui est longue.
16:38 On est sur une guerre où chacun fait des petits pas tout petits.
16:44 Vous avez l'impression que Vladimir Poutine est en train de perdre là ?
16:47 Oui, bien sûr qu'il perd politiquement.
16:49 Pourquoi ? Militairement.
16:50 Mais militairement aussi.
16:52 Regardez, il n'ose même pas organiser le défilé du 9 mai.
16:56 Il n'ose pas organiser le défilé du 9 mai, c'est-à-dire de la victoire contre l'Allemagne
17:01 nazie en Russie.
17:03 Ça ne s'est jamais vu.
17:04 Pourquoi ? Parce qu'il ne peut pas montrer l'état de ses troupes.
17:09 Pourquoi est-ce qu'aujourd'hui, il ne lance pas de contre-offensive ?
17:13 Mais je voudrais vous dire autre chose, si vous me le permettez.
17:16 On dit tout le temps que Poutine est fort parce qu'il n'y aurait pas de successeur possible.
17:19 Le président de la République l'a dit.
17:21 Permettez-moi de vous dire que sur ce point, je suis en total désaccord avec lui.
17:25 Je pense qu'il a été très mal informé.
17:28 Alors, qui sont les successeurs ?
17:31 Dans les noms, je pourrais vous en citer au moins trois qui sont dans l'actualité en ce moment.
17:37 Alexei Navalny, Vladimir Karamurza qui vient d'être condamné à 25 ans de prison.
17:44 Est-ce qu'on se rend compte ? 25 ans de prison pour une déclaration,
17:48 même pas pour un appel à manifester.
17:50 Et si ce pouvoir devient totalement fou, c'est qu'il ressent le besoin de terroriser tout son peuple
18:00 par des jugements, des jugements enfin, des verdicts aussi invraisemblables.
18:05 Et s'il ressent le besoin de terroriser tout son peuple, c'est parce qu'il sent bien que ça ne va pas.
18:11 Regardez les déclarations de M. Prigogine qui vient de dire à Poutine
18:16 "Déclarer que la guerre est gagnée parce que le problème avec le peuple est le problème avec nos élites".
18:23 Évidemment que ça ne va pas du tout.
18:25 Et donc vous dites quoi Emmanuel Macron ? Vous dites que vous êtes en désaccord avec lui sur ces questions-là ?
18:29 C'est-à-dire quoi ? C'est-à-dire que vous lui dites qu'il faut plus soutenir les opposants ?
18:32 Bien sûr qu'il faut plus soutenir les opposants.
18:34 J'aimerais par exemple que le président de la République reçoive très rapidement, je lui ai suggéré,
18:39 j'espère qu'il va le faire, reçoivent très rapidement les épouses de Vladimir Karamurza et d'Alexei Navalny
18:48 pour manifester un soutien.
18:51 Je viens de lancer avec trois autres journalistes et universitaires européens très connus,
18:59 ça a été publié dans Le Guardian, La Republica, Gazeta, un appel à soutenir ces hommes,
19:05 Karamurza et Navalny, non seulement parce que le sort qui leur est fait est absolument inique,
19:12 mais aussi parce que nous aurons tous besoin de ces hommes-là le jour où il y aura un passage de témoins à Moscou
19:21 et ce jour arrivera vraisemblablement plus vite qu'on ne le pense.
19:24 Allez, on est au Standard d'Inter avec Fabien qui nous appelle d'Isère. Bonjour !
19:30 Bonjour !
19:31 On vous écoute !
19:32 Écoutez, moi une défense européenne, la France s'y est toujours opposée.
19:36 Aujourd'hui je ne vois aucune action concrète de la France, par exemple nous n'avons pas de militaires en Pologne,
19:44 les 500 militaires qui sont en Bulgarie ne semblent pas très actifs.
19:54 Et quand on part en mission, on ne demande pas l'avis aux européens, par exemple au Mali.
20:03 Aujourd'hui la France, comme d'habitude, a un double discours qui dit
20:08 « on est pour une défense européenne, mais fait tout pour garder son indépendance militaire ».
20:13 Bien reçu Fabien, merci. Bernard Guetta vous répond d'un mot.
20:16 Je crois vraiment que ça n'est pas du tout la situation.
20:19 Les 500 soldats français auxquels vous faites allusion, ils sont en Roumanie, pas en Bulgarie,
20:23 mais c'est évidemment un détail.
20:25 Il y a évidemment des forces françaises aussi en Estonie qui y sont considérablement appréciées.
20:31 Il y a eu évidemment un soutien de beaucoup de pays européens quand nous étions encore dans le Sahel,
20:38 avant le retournement de situation dont on ne va pas parler maintenant parce que ce serait trop long.
20:42 Et au contraire de ce que vous dites, monsieur, la France plaide ardemment depuis le général de Gaulle
20:51 pour l'idée d'une défense commune de l'Union européenne en disant que le parapluie américain se refermera un jour.
21:00 Et c'est ce qui est en train de se passer à moitié.
21:03 François-Xavier Austandard, bonjour, bienvenue.
21:05 Bonjour, je salue Bernard Guetta avec joie, l'icône éveille et le golfe du Morbihan.
21:10 Bonjour monsieur.
21:11 Que nous continuons à émener le combat européen, notamment en essayant d'empêcher un bateau russe,
21:15 le Standard, de participer à la semaine du golfe.
21:17 Mais la question ne porte pas là-dessus.
21:19 Ma question porte sur mon dada qui est l'unanimité au Conseil.
21:23 Est-ce qu'il lui paraît qu'en matière de politique étrangère,
21:25 on peut continuer à vivre avec l'unanimité tout en prenant des décisions fortes et courageuses,
21:31 comme il l'a rappelé, ou est-ce qu'il est vital de passer à la règle de la majorité au Conseil ?
21:36 Merci François-Xavier pour cette question institutionnelle.
21:39 Les questions institutionnelles sont dans votre livre, Bernard Guetta.
21:42 Longuement.
21:42 D'un mot, elles sont longues mais d'un mot.
21:44 Je souhaiterais évidemment qu'on puisse passer à la majorité qualifiée,
21:50 en tout cas dans le domaine de la politique étrangère.
21:53 Mais je crois véritablement que dans ce moment précis de l'histoire européenne,
21:59 la dernière chose à faire serait de lancer des initiatives de réforme institutionnelle.
22:05 Il faut évoluer en marchant.
22:08 Deux petites questions pour finir.
22:09 D'abord, dans une tribune au JDD hier,
22:11 Joseph Borrell, le chef de la diplomatie européenne, a appelé à avoir un regard froid sur la Chine.
22:16 Il a déclaré que l'Europe devait être très présente sur le dossier taïwanais,
22:19 ce qui contredit légèrement les propos d'Emmanuel Macron,
22:21 qui avait dit en substance que Taïwan, ce n'était pas notre affaire.
22:24 Qu'est-ce que vous en pensez, vous ?
22:25 Mais non, il ne contredit pas du tout Emmanuel Macron.
22:29 Je vous rappelle qu'il y a un seul bateau européen militaire,
22:33 navire militaire qui croise dans le décret de Taïwan,
22:36 c'est une frégate française aujourd'hui.
22:38 Et quel est le pays européen sous présidence d'Emmanuel Macron,
22:43 qui a tenté d'organiser et qui organise une riposte, un containment,
22:49 je ne sais plus comment on le dit en français, pardon,
22:51 de la Chine dans le détroit de Taïwan, si ce n'est la France ?
22:57 Il n'a pas dit, pardon, il n'a pas dit dans l'avion apolitico,
23:00 la France doit être, le dossier taïwanais n'est pas notre histoire
23:04 et on doit être à équidistance du rythme américain, de la surréaction chinoise.
23:07 Il n'a pas dit ça comme ça, il l'a dit à un moment et à un lieu
23:13 que je n'aurais pas souhaité, certainement pas,
23:16 il l'a dit peut-être maladroitement, mais il n'a pas dit ce que vous dites.
23:21 Non, pas du tout.
23:21 Il y est revenu après, mais il l'a dit.
23:24 Écoutez, la position de la France sur Taïwan
23:26 et la position de tous les pays européens et d'ailleurs des États-Unis,
23:31 il ne faut pas toucher au statu quo actuel,
23:33 c'est-à-dire il y a une politique d'une seule Chine,
23:36 mais aujourd'hui il y a deux Chines.
23:39 Bernard Guetta, vous êtes candidat pour un nouveau mandat de député européen ?
23:43 Mais écoutez, si on me le propose,
23:45 et pour l'instant on ne me l'a pas proposé,
23:47 ni à quiconque d'ailleurs, on est loin de la constitution des listes,
23:50 mais n'oubliez pas une chose,
23:51 je n'appartiens à aucun des partis de la majorité présidentielle
23:54 et les places seront chères et chaque parti défendra ses militants,
23:59 je ne sais pas qui me défendra, donc on verra.
24:02 Une dernière question de Renaud,
24:04 merci à Trump, Poutine, au Covid, mais merci aussi au Brexit.
24:09 Sans le retrait du Royaume-Uni,
24:11 cette réorientation de l'UE n'aurait pas été possible,
24:14 vous mettez Brexit dedans ou pas ?
24:16 Bien sûr, parce que si les Britanniques avaient toujours été là,
24:19 ils se seraient assis, comme toujours, sur le frein.
24:23 Alors évidemment leur absence a permis,
24:25 mais je ne pense pas profondément que ce soit le Brexit
24:29 qui ait permis cette évolution profonde de l'Union.
24:32 La Nation européenne chez Flammarion, signé Bernard Guetta.
24:35 Merci d'avoir été à notre micro ce matin.