Une semaine après la censure, la France est toujours dans l'attente d'un nouveau Premier ministre. Analyses et commentaires avec la journaliste Natacha Polony, le politologue Jérôme Jaffré et l'historien Marc Lazar. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-12-decembre-2024-8685899
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00:00« France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7-10 »
00:07Et avec Léa Salamé, on fait le point sur la situation politique française.
00:11Toujours aussi incertaine, nébuleuse, illisible.
00:16Alors pour y voir plus clair, trois regards aiguisés ce matin, Léa.
00:21Jérôme Jaffray, directeur du Centre d'études et de connaissances sur l'opinion publique,
00:25chercheur associé au Cevipof, bonjour à vous, bonjour à Marc Lazare,
00:28historien, professeur d'histoire et de sociologie politique à Sciences Po,
00:30et bonjour à Natacha Polony, la directrice de la rédaction de Marianne.
00:33Soyez les bienvenus, merci, soyez les bienvenus.
00:36Sur le moment d'abord, on attend toujours la fumée blanche
00:39et le nom du quatrième Premier ministre de l'année,
00:43après Élisabeth Borne, Gabriel Attal et Michel Barnier.
00:46On avait coutume de dire que l'instabilité gouvernementale, c'était pour les Italiens,
00:51alors que nous, en France, nous incarnions la stabilité.
00:55Sommes-nous devenus Italiens, Marc Lazare ?
00:58C'est vrai qu'il y a un peu une forme d'italianisation de la vie politique française,
01:02même si les institutions sont différentes.
01:04Les Italiens, habitués à une instabilité, 71 gouvernements entre 1946 jusqu'à nos jours.
01:10Je remarque d'ailleurs que même dans les pires moments d'instabilité,
01:13il n'y avait pas plus de deux gouvernements par an, ça a été le maximum.
01:16Ici, on en est quatre.
01:18On les a battus.
01:19Oui, on les bat largement.
01:21Les Italiens avaient une immense capacité d'invention, à la fois journalistique
01:25et reprise par les différents acteurs politiques,
01:28pour essayer de définir les différents gouvernements dans ces situations d'instabilité.
01:32Il y avait des formules neutres, des gouvernements de grande entente,
01:35mais j'en retiens trois.
01:38Le premier, c'est le gouvernement de la non-défiance, qui fait penser à la non-censure.
01:42En effet, le président du conseil devait avoir la confiance du Parlement.
01:46Je rappelle que c'est un système bicaméral,
01:48c'est-à-dire avec le même pouvoir pour la Chambre des députés et le Sénat.
01:52Donc, ceux qui voulaient soutenir le gouvernement, mais sans vraiment se mouiller, s'abstenaient.
01:56Comme ça, on avait une majorité relative qui pouvait permettre le gouvernement.
01:59Avec un petit détail intéressant, c'est qu'au Sénat, si on s'abstient, c'est un vote contre.
02:04Donc, les sénateurs sortaient dans ce cas-là, ceux qui voulaient s'abstenir.
02:07La deuxième chose, c'est le gouvernement dit de refroidissement.
02:10Ça, c'est quand les tensions étaient très fortes.
02:13Donc, on faisait un gouvernement avec des responsables politiques et des techniciens.
02:18On attendait que ça se calme.
02:20Le plus beau, c'est le gouvernement balnéaire.
02:23Ce gouvernement commençait à la veille de l'été.
02:26On savait que c'était pour une période de six mois.
02:28D'ailleurs, Emmanuel Macron aurait dû le faire juillet dernier.
02:31Il aurait dû faire un gouvernement balnéaire.
02:33Donc, on se mettait d'accord avec différents partis politiques.
02:36Attention, ça vous fait sourire.
02:38C'était très sérieux parce que parfois, effectivement, c'était des compromissions.
02:42C'était la fameuse ingouvernabilité, difficulté de gouverner l'Italie.
02:46Mais parfois, ça a été des gouvernements efficaces.
02:48Le gouvernement de Giuliano Amato, en 1992, dans une situation catastrophique pour l'Italie,
02:52les finances en danger, l'Allier attaqué, va s'installer à la veille de l'été, au mois de juin.
02:58Il fait un programme d'austérité rude, un traitement de cheval pour l'Italie.
03:04Et le 10 juillet 1992, il décide en pleine nuit, par l'intermédiaire de la Banque d'Italie,
03:09de prélever 6 pour 1 000 sur tous les comptes courants des Italiens pour combler les finances publiques.
03:14J'espère que je ne donne pas un bon conseil au futur gouvernement.
03:17Oui, enfin, je n'en sais rien.
03:19Il n'y a pas eu de révolution en Italie.
03:22Mais M. Giuliano Amato n'a pas laissé obligatoirement un bon souvenir.
03:25C'est un homme d'État remarquable, je le précise.
03:27Natacha Polony, cette instabilité politique, elle vous désole, vous inquiète ?
03:30Ou finalement, il va falloir s'y habituer et puis voilà, c'est ainsi ?
03:33Je pense surtout qu'elle doit nécessiter un sursaut.
03:36C'est-à-dire qu'il y a différents degrés dans cette instabilité, ou plutôt différentes temporalités.
03:41Il y a du court terme.
03:42C'est-à-dire qu'on a un blocage complet qui est dû à la pratique des institutions par Emmanuel Macron.
03:47La dissolution, le moins qu'on puisse dire, n'est pas que les Français ne l'ont pas comprise,
03:53comme Emmanuel Macron le prétend, mais tout simplement que tout le monde a constaté que c'était une folie totale.
03:58Et là, ce que l'on voit, c'est qu'Emmanuel Macron, une fois de plus, n'arrive pas à sortir de ses travers.
04:03C'est-à-dire qu'il a cru que la censure le remettait au centre du jeu.
04:08Or, c'est le contraire qu'il faut faire.
04:10Pour débloquer, il faut appliquer l'article 20 de la Constitution.
04:13Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation.
04:16Le Président de la République se met en retrait, en arbitre,
04:20mais il nomme un Premier ministre qui est chargé, lui, de discuter avec les partis politiques.
04:26C'est ce qu'il a fait avec Michel Barnier, ça n'a pas marché.
04:29Pour diverses raisons, notamment du fait du blocage des socialistes qui sont entre les mains de la France insoumise.
04:37Et là, on pourrait discuter mode de scrutin, c'est-à-dire que les socialistes, par leur attitude,
04:43ont fait en sorte que Michel Barnier soit entre les mains de Marine Le Pen,
04:47puisqu'eux avaient annoncé la socialité.
04:49On va y venir, on va y venir à la gauche.
04:51Je reviens à mon raisonnement.
04:53Moyen terme, le problème vient de l'offre politique.
04:58Et c'est là où la situation n'est pas désespérée.
05:01Puisqu'il suffit d'analyser le fait qu'il y a une offre majoritaire possible
05:07si l'on comprend bien ce qu'attendent les uns et les autres.
05:10On a deux tiers des Français qui ne veulent pas du Rassemblement National,
05:14pour ce qu'il est, pour ce qu'il incarne.
05:16On a deux tiers des Français qui veulent une rupture avec les politiques de dérégulation,
05:21de libre-échange qui ont été menées depuis trente ans.
05:24Et on a deux tiers des Français qui ne veulent pas des dérives,
05:29notamment de la France insoumise, sur le thème la polystue,
05:33les ambiguïtés sur la laïcité, etc.
05:37Si on arrive à comprendre cela, on comprend qu'il y a une attente d'une offre majoritaire
05:42qui serait pour une production locale, donc écologique.
05:46Parce qu'on appuie la production, on redresse l'économie du pays.
05:50Et on le fait sur une base républicaine, laïque.
05:53Ça y est, elle a trouvé la solution, Natacha Poirier.
05:56Mais vous trouvez, pour l'instant, une offre politique qui correspond à ça ?
06:00Il est là, le problème.
06:02Jérôme Jaffré, vous qui êtes un vieux sage de la vie politique française,
06:06et on le dit avec le plus grand respect,
06:09à un moment aussi gazeux, aussi illisible, aussi glissant,
06:13vous en aviez vu comme ça dans la Ve République ?
06:16Merci de faire référence à mon grand âge et à mes grandes connaissances du passé.
06:21Il y a des choses que j'ai quand même apprises dans des livres d'histoire,
06:25et pas seulement en les vivant.
06:27Par exemple, la crise de 1877, c'est-à-dire Mac Mahon,
06:32et l'établissement d'une troisième république différente,
06:36où le droit de dissolution, on y renonce.
06:39Sous la troisième république, c'est le changement de ce qu'on appelle la constitution Grévy,
06:43pour nos auditeurs férus d'histoire.
06:461958, c'est aussi une crise majeure, c'est la fin de la quatrième république,
06:50et le passage au pouvoir du général de Gaulle.
06:54Donc on a ça.
06:55Ce qui caractérise ce qui se passe actuellement,
06:58c'est que c'est l'inverse de la promesse de la cinquième république.
07:02C'est ça le problème.
07:03C'est-à-dire, quelle est la promesse de la cinquième république ?
07:06En finir avec le gouvernement des partis.
07:08Par exemple, et dans le conception du général de Gaulle,
07:11d'abord le maître, en fin de compte, c'est le suffrage universel.
07:15Et en cas de crise politique majeure, on recourt au suffrage universel.
07:19Ce n'est pas possible aujourd'hui.
07:21Sauf démission du président de la République,
07:23qui à ce moment-là aggraverait d'une certaine façon la crise des institutions,
07:27alors qu'on est à la recherche de solutions.
07:29Deuxième caractéristique majeure de la cinquième, nous y échappons,
07:33c'est fixer qui a le pouvoir en France.
07:37Et même quand nous avions des cohabitations,
07:39par exemple, on savait où était le pouvoir,
07:42il était transféré, rêve de Natacha Polony,
07:45article 20 au premier ministre,
07:47au gouvernement qui détermine et conduit la politique de la nation.
07:51Le problème d'aujourd'hui, c'est qu'il n'y a pas de solution durable,
07:55claire à la crise politique.
07:57En d'autres termes, quel que soit le chef du gouvernement
08:00qui sera normalement nommé aujourd'hui,
08:02il n'est assuré ni de sa durée, ni de son pouvoir.
08:06Donc on va de crise en crise, c'est ça l'extraordinaire difficulté.
08:10Où va être le pouvoir ? Quel que soit le nom, où va être le pouvoir ?
08:13A l'Élysée, au Parlement, où ?
08:16Alors le pouvoir, d'abord affaiblissement du pouvoir exécutif,
08:19c'est la caractéristique, là aussi c'est l'inverse de la cinquième république,
08:22où le pouvoir exécutif, président, premier ministre, gouvernement,
08:26pensez à De Gaulle et Debré et ce que ça représentait,
08:29par exemple au début de la cinquième,
08:31il pourrait être transféré au Parlement,
08:33et c'est par exemple le jeu des socialistes, très clairement,
08:36les socialistes essayent de transférer le pouvoir au Parlement,
08:39mais le Parlement n'a pas une logique de compromis
08:42et de fonctionnement qui permet d'exercer réellement le pouvoir.
08:46Alors le fait de réunir les partis à l'exclusion du RN
08:49et de la France Insoumise, pour bâtir un contrat de méthode,
08:53éviter une nouvelle censure,
08:55est-ce que ça va dans le bon sens, Marc Lazare ?
08:58Est-ce que vous voyez un vrai changement de logiciel,
09:01ou n'est-ce qu'un jeu de rôle, une pièce de théâtre,
09:04où tout le monde, d'Emmanuel Macron au Parti Socialiste,
09:07fait semblant d'y croire, mais campe in fine sur ses positions ?
09:11Je pense qu'il y a un peu des deux,
09:12ce n'est pas une réponse de Normand,
09:14mais effectivement, par rapport à la cinquième république,
09:16à ma connaissance, c'est la première fois qu'on voit un président de la république
09:19réunir autour de lui les différents partis politiques
09:22pour essayer de trouver une solution dans laquelle lui-même a mis la France.
09:25Et ça, c'est effectivement une nouveauté.
09:28Alors, ça pourrait être, ce que vous dites, Natacha,
09:31c'est-à-dire la possibilité pour les partis de se mettre autour d'une table,
09:34ce qui existe dans beaucoup d'autres pays,
09:36et là, on a un problème de temporalité,
09:38des doubles temporalités qui sont antagoniques.
09:40D'un côté, il y a la temporalité, justement, de l'urgence,
09:43surtout qu'en France, on n'est pas habitué à cette situation,
09:45il y a même une pression médiatique,
09:47la preuve, on en parle ce matin, de l'opinion,
09:49également, parce qu'on sent qu'il y a une inquiétude dans l'opinion,
09:52et de l'autre côté, la temporalité de ce type de coalition
09:55qui suppose beaucoup de temps, comme dans d'autres pays,
09:58pour se mettre d'accord sur un certain nombre de bases programmatiques.
10:01Et pourquoi je dis qu'en même temps, c'est un jeu de dupes ?
10:03C'est parce que chacun, évidemment, a une pensée derrière la tête,
10:06et on le voit bien.
10:07Alors, le cas des socialistes est très intéressant
10:09parce que c'est l'entre-deux classique des socialistes.
10:12On fait un pas, oui, on pourrait rentrer,
10:15à condition que le Premier ministre soit un Premier ministre de gauche,
10:19il faut mettre un certain nombre d'éléments dans le programme,
10:22mais attention, on va rester unis dans le Nouveau Front Populaire
10:25parce qu'on ne veut surtout pas assumer la responsabilité de la rupture.
10:28Et ça, historiquement, me semble-t-il, dans le socialisme,
10:31c'est une hésitation continue parce que ça renvoie à une question,
10:35c'est assumer son réformisme.
10:37Et ça, au Parti Socialiste, c'est très difficile,
10:39d'autant plus que le PS est divisé là-dessus.
10:41Jérôme Jaffray, sur le PS, il y a un bougé, ou pas vraiment,
10:44ou c'est un jeu de rôle ?
10:45Sur la réunion elle-même, c'est une réunion historique
10:47qui s'est tenue à l'Élysée, mardi,
10:50entre le président de la République et les chefs de parti.
10:53Et quand on y réfléchit, elle avait trois fonctions,
10:56parce qu'on peut se dire à quoi ça sert.
10:58Première fonction, ni chaos institutionnel.
11:01Tous les participants présents à cette réunion
11:03refusaient le chaos institutionnel.
11:06Tous les participants à cette réunion avaient une fonction commune,
11:09un objectif commun, pas de demande de démission d'Emmanuel Macron.
11:13C'est pour ça qu'Emmanuel Macron convoquait lui-même la réunion,
11:16c'est pour se réassurer dans le système politique,
11:19c'est-à-dire que Macron pensait à Macron dans cette affaire.
11:22Et dernière chose, pas d'arrêter d'être dans la main du RN,
11:29était l'objectif commun des participants.
11:32Donc, c'est une réunion qui sera, je crois, dans les livres d'histoire.
11:36Natacha ?
11:37Premier point, l'objectif de ne pas être dans la main du RN
11:42est tout à fait louable, mais c'est d'abord politiquement,
11:46au sens le plus profond de ce terme,
11:49que l'ensemble des participants est aux mains du RN
11:53qui représente 11 millions d'électeurs.
11:55Et le problème, l'un des problèmes de la situation actuelle,
11:58c'est cette conception de l'arc républicain à géométrie variable
12:02dans lequel, tout à coup, on considère que les Insoumis
12:05ne sont plus dans l'arc républicain, puis ils rentrent quand on a besoin d'eux
12:08pour faire voter contre le RN.
12:10Mais le RN doit faire tenir le gouvernement Barnier
12:13tout en n'étant pas dans l'arc républicain.
12:15Je pense que ce genre de jeu est profondément mal fait.
12:19Mais il fallait les inviter à la réunion, Jérôme Jaffré,
12:22dans la réunion historique.
12:23Il ne fallait pas faire cette réunion.
12:24Pour vous, il ne fallait pas faire la réunion ?
12:26Ce n'est pas à Emmanuel Macron de faire cette réunion.
12:30Je ne vois pas pourquoi,
12:32mis à part pour la raison que vous venez d'indiquer, cher Jérôme,
12:39à savoir qu'Emmanuel Macron le fait pour Emmanuel Macron.
12:43Oui, c'est ce que j'ai dit.
12:44C'est-à-dire ?
12:45Bien sûr, c'est ce que vous avez dit et je suis d'accord avec vous.
12:47C'est pour se réassurer.
12:49Ou on peut estimer que ça fait huit ans qu'il tient le pouvoir
12:52de manière solitaire.
12:54Sept ans, ne vous affolez pas.
12:57Sept ans, si vous préférez, on va recompter.
13:00Et qu'il ne veut pas le lâcher.
13:02Je vais m'appuyer sur ce qu'a fort justement expliqué Jérôme Jaffré
13:06sur la Ve République.
13:08La question est celle de la souveraineté du peuple
13:11et donc de la légitimité du pouvoir.
13:13Les institutions sont stables à partir du moment où on comprend bien
13:18que la légitimité émane du peuple souverain.
13:23Le problème, c'est d'utiliser ces institutions
13:26pour contourner la souveraineté du peuple.
13:28Or, ça a été fait systématiquement.
13:30Ce n'est pas le seul fait d'Emmanuel Macron, mais disons...
13:33Il peut dire qu'il est le maître étalon en la matière.
13:35Il a été élu il y a deux ans et pas trois, contrairement à ce que je disais.
13:40Tout le problème est de bien comprendre pourquoi il a été élu.
13:44Et je pense que l'épisode de la réforme des retraites
13:47est caractéristique du malentendu.
13:50A savoir qu'il a estimé que son élection de 2022 sans campagne
13:55avait validé la réforme des retraites,
13:59alors même que nous savons tous très bien
14:02que l'émergence du Rassemblement National,
14:04qui gèle un tiers de l'électorat,
14:06fait que le sens du vote n'est plus interprétable
14:10puisque la plupart des gens votent
14:12pour éviter d'avoir le Rassemblement National
14:14et non plus pour valider un programme.
14:16Tant qu'on n'aura pas résolu ça,
14:18on va présenter tous les artifices,
14:20on n'en sortira pas.
14:22Le problème, c'est de savoir comment on sort de cette situation.
14:25Et la réunion historique, selon la formule de Jérôme Jaffray,
14:29c'est à la fois vrai et en même temps,
14:31on sait ce qu'il y a derrière,
14:33comme arrière-pensée de chacun des protagonistes.
14:35Parce que quel était leur objectif ?
14:37Il y a l'objectif de Macron, que Jérôme Jaffray indique,
14:39mais il y a l'objectif aussi des partis qui étaient là
14:41pour éviter à tout prix la proposition de LFI,
14:44c'est-à-dire la démission d'Emmanuel Macron,
14:46parce qu'ils ne sont pas prêts.
14:48Et donc, ils sont prêts à faire n'importe quoi
14:50pour éviter une élection présidentielle anticipée.
14:52À propos des références historiques que faisait Jérôme Jaffray,
14:55il en a oublié une, alors qu'il a une immense connaissance historique,
14:57c'est 1924, c'est-à-dire Alexandre Millerand.
15:00Ça a été assez bref.
15:01Oui, Alexandre Millerand, mais c'est très intéressant
15:03parce que c'est le cartel des gauches qui gagne,
15:05c'est-à-dire les socialistes et les radicaux de l'époque,
15:08ou plus exactement, dans l'ordre des radicaux et des socialistes.
15:11Alexandre Millerand voulait un pouvoir exécutif plus fort,
15:13le cartel des gauches y opposait.
15:15Millerand a essayé de proposer plusieurs gouvernements
15:17et au bout d'un moment, il a dû donner sa démission.
15:20Donc, il y a aussi cette question de la démission
15:22qui, je crois, explique le comportement des partis politiques.
15:25Ce qu'on peut regretter, et moi je vous rejoins
15:27de ce point de vue là, Natacha,
15:29c'est est-ce que ces partis seraient capables d'essayer
15:31d'indiquer, au moins pour une période donnée,
15:33parce que ça ne pourra pas durer très longtemps.
15:35C'est un intérim, forcément.
15:36Voilà, un intérim, en disant il y a un certain nombre de priorités
15:39et on fait un certain nombre de concessions,
15:41c'est-à-dire un basculement, là, des cultures politiques
15:43de nos partis politiques.
15:45Et vous en doutez, Marc Lazare ?
15:46Personnellement, j'en doute, oui.
15:47Personnellement, j'en doute, parce que je crois que c'est pour
15:49différentes raisons, à la fois de tactique politique.
15:51Olivier Faure, il pense, je l'ai dit tout à l'heure, à 2027,
15:54mais il pense à son congrès de 2025,
15:56et c'est pour ça qu'il est dans cet entre-deux permanent.
15:58C'est-à-dire, de temps en temps, dire qu'il faut qu'on soit responsable,
16:00mais en même temps, attention,
16:02on doit rester sur nos fondamentaux.
16:04Donc je crois que c'est ça qui empêche, pour le moment,
16:07me semble-t-il, les partis politiques de faire un progrès
16:10que peut-être un certain nombre de Français
16:12attendent aujourd'hui dans cette situation d'incertitude.
16:14Mais c'est un pas difficilement encore affranchi.
16:17Jérôme Jaffray ?
16:18Alors, quelques remarques.
16:19D'abord, Miron, c'est très intéressant, en 1924,
16:21c'est pas seulement le pouvoir exécutif fort,
16:23c'est que Président de la République,
16:25élu par les parlementaires,
16:27ne devant pas intervenir dans la vie politique,
16:29il a pris position contre le cartel des gauches.
16:32Et c'est pour ça que le cartel des gauches refuse.
16:34Mais ça dure un mois,
16:35et après, le cartel des gauches prend le pouvoir,
16:38qui ne va pas garder longtemps.
16:39C'est un détail, mais c'est intéressant.
16:41Olivier Faure, évidemment, il faut bien comprendre son jeu.
16:45Vous avez raison, Marc Lazare,
16:47le Congrès socialiste compte beaucoup.
16:49Et là, la technique est assez connue,
16:51c'est celle de Guy Mollet.
16:52Il a pris la tête de ses opposants,
16:54puisque le problème de ses opposants,
16:56c'est qu'ils allaient faire campagne sur la soumission aux insoumis.
16:59Et donc, désormais, Olivier Faure,
17:01largue les amarres, on le comprend très bien.
17:03L'erreur d'Emmanuel Macron par rapport au Rassemblement national,
17:06c'est pas que le Rassemblement national soit à la Réunion.
17:09Parce que la Réunion, elle unissait des visions politiques,
17:12et la présence du Rassemblement national n'aurait pas été possible.
17:15Elle aurait perturbé totalement cette Réunion
17:18par rapport aux objectifs des uns et des autres.
17:20En revanche, l'erreur d'Emmanuel Macron,
17:23c'est de ne pas avoir reçu préalablement
17:25Marine Le Pen et Jordane Bardella dans cette affaire,
17:28pour pouvoir constater qu'il n'était pas possible
17:31d'envisager avec eux un travail commun.
17:33À ce moment-là, il n'aurait pas pris...
17:35Mais il l'avait fait, Jérôme Jaffrey.
17:37Il l'avait fait avant Michel Barnier, il les avait reçus, il les avait traités.
17:40Il l'avait fait avant X d'aujourd'hui, c'est-à-dire après la censure.
17:42Pourquoi ?
17:43Parce que c'est une erreur en plus de Macron,
17:46mais on pourrait continuer longtemps de parler de front anti-républicain,
17:49de ceux qui votent la censure.
17:51Ben non, voter la censure, c'est un droit parlementaire,
17:54on ne peut pas parler de front anti-républicain.
17:56Donc il reçoit une partie des gens qui ont voté la censure,
17:59les socialistes, les écologistes, les communistes,
18:02et il ne reçoit pas le Rassemblement National.
18:04Il aurait dû le faire, ce qui est justifié à ce moment-là
18:06de ne pas le convoquer à la Réunion.
18:08Enfin, dernière chose, on est passé, il faut bien le comprendre,
18:11du front républicain du mois de juillet, c'est fini.
18:13Ça n'est plus ça, la critère, à partir du moment
18:16où LFI ne participe pas à la Réunion,
18:18mais n'a pas voulu intégrer le jeu,
18:20et où LR, qui n'a pas participé au front républicain,
18:23vient à la Réunion.
18:25Alors, Macron parle d'un front anti-républicain,
18:27ça n'a pas de sens.
18:29En fait, maintenant, on est dans un troisième front,
18:31le front anti-chaos institutionnel.
18:33C'est Jean-Luc Mélenchon qui dit qu'il faut des...
18:35La seule solution, c'est une présidentielle anticipée.
18:37Ça s'entend, ça ?
18:39Alors, une présidentielle anticipée maintenant,
18:41nous le savons tous, ne change rigoureusement rien,
18:43puisqu'il ne peut pas y avoir de législatives derrière.
18:45Nous le savons.
18:47Et puis, pire que cela, moi, ce qui me semblerait
18:49profondément dangereux, ce serait qu'on enjambe
18:51une fois de plus un scrutin essentiel.
18:53Notre problème,
18:55j'y reviens, c'est un problème
18:57d'offre politique.
18:59C'est-à-dire qu'il faut que nous nous mettions d'accord
19:01collectivement, l'ensemble des Français,
19:03sur le système économique, politique, social
19:05dont nous voulons, sur la vision que nous avons
19:07de la France à moyen et long terme.
19:09Donc ça, ça nécessite un vrai débat.
19:11En période de crise, ce n'est pas possible.
19:13Je rappelle, il n'y a pas eu de campagne présidentielle
19:15de 2022, elle a été totalement occultée
19:17par la guerre en Ukraine.
19:19Il n'y a pas eu de campagne législative
19:21puisqu'il y a eu une dissolution.
19:23Vous imaginez si, en plus, on fait
19:25la prochaine présidentielle entre 20 et 40 jours ?
19:27Donc, je me suis amusée,
19:29dans un dernier éditorial de Marianne,
19:31à imaginer une solution
19:33qui aurait, je l'espère,
19:35cher Jérôme,
19:37à imaginer une solution qui permettrait
19:39de sortir par le haut pour Emmanuel Macron.
19:41Ce serait d'annoncer,
19:43dans un an, jour pour jour, je démissionnerai.
19:45Donc, la campagne présidentielle
19:47commence maintenant. J'attends des médias
19:49qu'ils organisent un débat de fond
19:51sur l'ensemble de ces sujets.
19:53En attendant, nous nous réunissons
19:55pour gérer...
19:57Non, mon objectif, c'est de dire
19:59qu'il peut y avoir des solutions si on pense
20:01à l'intérêt global
20:03des Français.
20:05Vous imaginez une seconde qu'Emmanuel Macron
20:07va démissionner ?
20:09Et en plus, l'annoncer un an à l'avance.
20:11Exactement, mais je sais très bien
20:13que ça ne sera pas fait. C'était pour
20:15expliquer que ce qui compte, c'est d'avoir ce débat
20:17politique. En attendant, nous savons
20:19tous, là aussi, et Marc Lazare a très bien dit,
20:21que le gouvernement qui va
20:23être nommé sera un gouvernement
20:25d'intérim, momentané.
20:27Nous ne savons pas combien de temps ça va durer.
20:29Nous pouvons tous espérer que ça va durer suffisamment
20:31longtemps pour installer, pour éviter
20:33le chaos institutionnel. Mais ce chaos institutionnel,
20:35on n'en sortira pas.
20:37C'est un peu dignité de la part des incarnations
20:39des uns et des autres.
20:41Les personnes, François Bayrou,
20:43qui se dit prêt à aider à la sortie de crise.
20:45Marc Lazare, vous disiez, à l'opinion,
20:47qu'il présente beaucoup d'avantages.
20:49On entend d'autres noms. Catherine Vautrin,
20:51Jean-Yves Le Drian, Sébastien
20:53Lecornu.
20:55Comment comprendre tout ça ?
20:57Est-ce crédible ?
20:59Bien sûr que c'est un problème
21:01de personne, mais je crois qu'effectivement, c'est un problème
21:03aujourd'hui de démarche. C'est-à-dire, si j'ai
21:05bien compris, le président Macron dit maintenant
21:07je vais nommer un Premier ministre,
21:09mais ce Premier ministre aura la responsabilité
21:11justement de consulter les différents parties
21:13pour se mettre d'accord. Dans ce cas-là,
21:15je crois qu'il faut trouver effectivement quelqu'un
21:17qui ait cette capacité.
21:19Vous me
21:21interrogez souvent sur l'italianisation.
21:23Le mot-clé en Italie, c'est Mediazione.
21:25La médiation. C'est-à-dire d'être capable
21:27de mettre des gens qui ont des points de vue différents
21:29et d'arriver à faire des médiations.
21:31Et je me permets...
21:33Oui, non, parce qu'une combinazione,
21:35on ne l'emploie pas en Italien. Ça, c'est les Français
21:37qui l'avons.
21:39Non, mais je suis fermé.
21:41Je pensais
21:43faire un trait d'esprit.
21:45Je vais terminer par
21:47une provocation.
21:49Je vais terminer par une provocation,
21:51parce que je sais que ça va être très mal perçu par
21:53les auditeurs de France Inter.
21:55Moi, je suis un comparatiste. Je compare effectivement
21:57la France et l'Italie.
21:59En Italie, on aurait
22:01reçu le Rassemblement. Le président aurait reçu
22:03le Rassemblement National et la France Insoumise.
22:05La France Insoumise n'a pas voulu
22:07venir. Ne l'oubliez pas.
22:09Vous avez raison, Jérôme Jaffray, de me corriger.
22:11Excusez-moi, monsieur le professeur.
22:13Non, mais de faire ça pour une bonne raison.
22:15Ce qui me frappe dans le cas italien
22:17de cette démocratie qu'on présente toujours comme fragile,
22:19c'est sa capacité d'absorption
22:21et d'acculturation des forces
22:23anti-systèmes. Et même actuellement,
22:25Giorgia Meloni, qui fait une politique
22:27intérieure très dure, contrairement
22:29à ce qu'on dit en France, mais c'est cette capacité
22:31d'absorption des forces protestataires,
22:33des forces populistes, des forces anti-systèmes,
22:35parce que c'est un système parlementaire.
22:3710 secondes chacun sur les incarnations
22:39l'un et l'autre.
22:41Vous voulez dire les incarnations du futur Premier ministre ?
22:43La question n'est pas celle
22:45de l'incarnation, mais celle
22:47de savoir
22:49pourquoi on est là, c'est-à-dire
22:51pour tenir les institutions
22:53pendant quelque temps. Jérôme Jaffray,
22:55François Bayrou, Sébastien Lecornu...
22:57Il s'agit d'être prudent.
22:59À ce moment-là, pas d'absorption
23:01des forces. Et là, Marc Lazare met le
23:03poing sur l'essentiel.
23:05Nous sommes à moitié
23:07en système présidentiel tourné vers
23:09la présidentielle, à moitié en système
23:11parlementaire tourné vers le Parlement.
23:13Ça ne fonctionne pas, du coup, dans ces conditions, très
23:15clairement, et nous fonctionnons sur
23:17des polarisations négatives qui caractérisent
23:19l'opinion publique, sa relation à la politique
23:21et le jeu des forces politiques entre
23:23elles. Et la polarisation négative,
23:25elle détruit en partie le bon fonctionnement démocratique.
23:27Alors,
23:29un poids lourd de la politique, c'est nécessaire.
23:31Et ce qui caractérise, finalement,
23:33toute la période maintenant, c'est un bascule
23:35de la discussion de faire un budget, de l'économie,
23:37des économies, à gérer la politique,
23:39la stabilité institutionnelle,
23:41le fonctionnement politique. On a changé
23:43de priorité. Le choix du Premier ministre
23:45devrait logiquement dépendre.
23:47Merci à tous les trois.
23:49Jérôme Jaffray, Natasha Polony...
23:51On aura compris qu'on est pire que les Italiens.
23:53Et Marc Lazare, merci infiniment.