• il y a 6 mois
L'historien Patrick Boucheron, professeur au Collège de France et auteur de "Le temps qui reste" (Seuil/Libelle 2023), et le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférence à la Sorbonne et président du Collège de Philosophie, croisent leurs regards sur la situation politique en France.

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Transcription
00:00Comment comprendre le moment politique que nous traversons, ce qu'annonce cette séquence d'une campagne accélérée, imprévue ?
00:09Chers auditeurs, n'hésitez pas à nous envoyer vos messages sur l'application France Inter ou à appeler au standard au 01 45 24 7000
00:18pour nous dire comment vous vivez cette drôle de campagne où les références historiques, souvent les mêmes, sont reprises par tous les camps
00:26sans qu'on n'y comprenne plus rien. Les références à la seconde guerre mondiale, à 1936, évidemment, on va y revenir, à des grandes figures
00:35comme celles de Léon Blum, de Gaulle, l'historien Marc Bloch. Situation de chaos politique ou pas ?
00:42En tout cas, avec Marion Lourds ce matin, nous avons voulu croiser les regards, le regard d'un historien et celui d'un philosophe, pour penser ce moment maintenant.
00:53Bonjour Patrick Boucheron, bonjour Pierre-Henri Tavoyau et bienvenue à tous les deux.
00:57Bonjour.
00:58Vous êtes, Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, historien, vous êtes l'un de nos grands intellectuels.
01:06Vous publiez ce matin sur le site de Libération un texte d'intervention, un texte de combat, « Sortir de la torpeur maintenant ».
01:14Et quant à vous, Pierre-Henri Tavoyau, vous êtes philosophe, spécialiste de la philosophie des Lumières, maître de conférences à la Sorbonne.
01:21Vous avez beaucoup travaillé sur la question du peuple, comment gouverner un peuple roi, de la représentation.
01:27Et justement, c'est l'une des questions qui est posée, qui doit gouverner ?
01:34C'est le titre d'un autre de vos ouvrages, Pierre-Henri Tavoyau.
01:37Avant de commencer à rentrer dans le cœur du détail des questions qui se posent aujourd'hui, qui nous laissent dans le flou et l'incertitude,
01:46si vous deviez qualifier ce moment, Patrick Boucheron, en un mot ?
01:50Malheureusement, la torpeur, un silence qui prépare les grandes catastrophes.
01:55Là, on parle, mais ailleurs, je ne suis pas sûr que l'indifférence ou ce sentiment poisseux de l'inéluctable ne soit pas en train de prendre le dessus.
02:07C'était fait pour nous assommer. Au début, ça n'a pas marché.
02:10Il y a eu un sursaut, en tout cas à gauche.
02:13Et puis là, je ne comprends pas ce qui se passe. Vraiment, je ne comprends pas.
02:17Depuis quelques jours, c'est comme si ça retombait.
02:22Enfin, c'est maintenant qu'il faut agir.
02:24C'est curieux d'entendre un historien parler de quelque chose d'inéluctable.
02:28Mais pour moi, ça ne l'est pas.
02:31Mais pardon, Pierre-Henri Tavoyau, en un mot.
02:34Non, en un mot, je pense que c'est un révélateur de ce qui constitue le cœur de la crise de la démocratie.
02:39Aujourd'hui, ce n'est pas simplement ce qu'on dit très souvent, une crise de la représentation.
02:43Le fait que le peuple serait mal représenté.
02:44Mais je pense que c'est vraiment une crise de l'impuissance publique.
02:48C'est-à-dire le sentiment, la promesse de la démocratie, c'est la maîtrise par le peuple de son destin.
02:53Et c'est le sentiment dans tous les bords qu'on ne maîtrise plus notre destin.
02:57Je pense que ce moment-là est très révélateur.
03:00Et même le président ne maîtrise plus grand-chose.
03:02Donc, c'est dire qu'effectivement, cette maîtrise est en crise.
03:05Pourquoi parlez-vous de l'éminence d'un événement historique, Patrick Boucheron ?
03:09Ce qui est historique, et je suis d'accord avec vous, c'est que, d'une certaine manière,
03:14la crise de la démocratie, elle n'ouvre pas simplement une séquence électorale.
03:18Il ne s'agit pas d'échéance électorale.
03:20On ne va pas faire semblant de faire jouer programme contre programme.
03:25Tout s'est précipité.
03:27Et ce qui est en jeu, c'est une dégradation de l'esprit public.
03:32Et en fait, la démocratie, comme vous le dites bien d'ailleurs, ce n'est pas seulement le suffrage.
03:37La souveraineté populaire, c'est aussi l'état de droit, c'est aussi les corps intermédiaires,
03:43c'est aussi l'équité du débat public.
03:46Tout ce qui a été tellement mis à mal par le gouvernement Macron, et même peut-être au-delà.
03:52Et donc maintenant, ce dont il s'agit...
03:54Alors évidemment qu'il y a la question du vote.
03:57Évidemment qu'il faut prendre le pouvoir.
04:00Les électeurs du Front National prennent le pouvoir en votant.
04:04Ils savent très bien ce qu'ils font.
04:05Il y a un moment où il faut arrêter le misérabilisme et la culpabilisation.
04:11Il faut regarder en face ce que font les électeurs quand ils votent.
04:17Ils savent très bien ce qu'ils vont faire.
04:19Et les autres sont en train de ne plus savoir.
04:22Alors maintenant, il faut arrêter effectivement de finasser et il faut s'organiser.
04:27Alors concernant les autres qui ne savent plus, selon Patrick Boucheron, Pierre-Henri Tavoyau,
04:31hier, l'ancien Premier ministre Edouard Philippe parlait de faits politiques.
04:35Il disait que le Président de la République a tué la majorité présidentielle.
04:39Est-ce que vous souscrivez à son analyse ?
04:42Je ne vais pas rentrer dans ce débat-là.
04:45Parce que ce qui me semble important dans cette affaire, c'est d'abord que c'est un fait majeur.
04:48C'est la victoire du Rassemblement National.
04:5113 millions de voix aux présidentielles, 7 millions de voix lors des européennes.
04:55C'est un fait majeur et il faut arrêter de dire que ça n'existe pas.
05:00Et arrêter aussi, comme l'a fait malheureusement aussi le Président dans sa conférence de presse,
05:03de considérer que, je le dis en substance et rapidement,
05:06mais que ces gens-là sont soit des idiots, soit des salauds.
05:09Soit des idiots parce qu'ils ne comprennent pas que c'est de l'extrême droite,
05:11soit des salauds parce qu'ils sont vraiment d'extrême droite.
05:14Donc la majorité était déjà morte en fait ?
05:15Je pense que la majorité était dans une situation très, très, très, très, très grave.
05:21Le fait, c'est que cette élection qui s'annonce, c'est que chacun fait en quelque sorte un double barrage.
05:26Il faut faire un barrage à la fois au macronisme et à l'extrême droite pour le Front Populaire.
05:31Il faut du côté de la RN faire un barrage au macronisme et à l'extrême gauche.
05:36Et au centre, il faut faire un double barrage aux extrêmes.
05:39Donc on dit souvent, on choisit au premier tour et on élimine au second tour.
05:43Là, on va éliminer dès le premier tour.
05:44Pourquoi dites-vous qu'Emmanuel Macron est sorti de l'histoire, Patrick Boucheron ?
05:49En tout cas, s'il y rentre à nouveau, ça sera pour y occuper la place la plus infâme,
05:54c'est-à-dire celui qui aura tout fait, d'abord en parlant comme l'extrême droite,
05:58ensuite en gouvernant comme l'extrême droite.
06:00Exemple ?
06:02Sa dernière déclaration sur l'Île-de-Sein, fustigeant un programme immigrationniste le 18 juin.
06:11Et ensuite, à Auradour sur immigrationniste, c'est le mot de passe de l'extrême droite depuis les années 80.
06:17Depuis Jean-Marie Le Pen.
06:19Et le 10 juin, c'était à Auradour sur Glane où il a parlé d'une grenade dégoupillée qu'il lançait.
06:26Et ça le faisait marrer.
06:28Vous avez remarqué qu'à chaque fois, ce sont des hauts lieux de la mémoire nationale dont il souille la dignité.
06:36Mais ce qui est en jeu à ce moment-là, c'est très simple.
06:40Évidemment, il y a des barrages de ci de là, mais au fond, ce qui est en jeu aujourd'hui,
06:45on pourrait dire, par exemple, un de mes collègues de l'enseignement secondaire me disait,
06:51une élève de 4ème m'a dit en classe, au fond, ce qu'on fait actuellement,
06:55c'est qu'on confond la droite avec l'extrême droite et la gauche avec l'extrême gauche.
06:59Ben oui, c'est ça.
07:01C'est une fausse symétrie des extrêmes qui est en train de ne pas nous faire voir,
07:06de nous aveugler sur l'éléphant qui est dans la pièce.
07:09Pierre-Henri Tavoyeux, sur cette question du usage politique de la mémoire et de l'histoire dont parlait Patrick Boucheron à l'instant.
07:14Je pense qu'il y a un concept un peu extensif d'extrême droite.
07:19Je pense qu'aujourd'hui, et là ce sera un élément de désaccord profond avec vous,
07:25le RN est un parti qui sort du cadre de l'extrême droite.
07:29Si on définit un certain nombre de traits précis, qu'est-ce que l'extrême droite ?
07:32C'est un, l'anti-parlementarisme.
07:35Deux, une philosophie politique révolutionnaire conservatrice,
07:39c'est-à-dire la nostalgie d'une société organique passée.
07:43Et trois, c'est une conception ethnique, d'une pureté ethnique de la nation.
07:48Je vois bien qu'il y a un pédigré d'extrême droite au RN,
07:54mais je considère qu'aujourd'hui, dans la vitrine du RN,
07:58il y a, parce que le pouvoir se rapproche,
08:01il y a en effet un changement sur ces trois points,
08:04et qu'en effet aujourd'hui le RN ressemble davantage à ce qu'on appellerait,
08:08c'est un concept rigoureux, c'est pas un concept abstrait,
08:10l'illibéralisme, ou un régime autoritaire, plutôt qu'une position d'extrême droite.
08:15Donc ça c'est un point de désaccord, je pense, profond, que nous avons ensemble.
08:18Oui, en même temps, il faut aussi dire les choses simplement.
08:22Par exemple, le ministère de l'Intérieur a fait des classements
08:26pour dire comment il va en fait annoncer les résultats.
08:32Entre une analyse de philosophie politique et un classement administratif.
08:35C'est un classement administratif qui est un classement juridique
08:38parce qu'il repose sur un arrêt du Conseil d'État.
08:42Désolé, mais je revendique le fait que le Conseil d'État
08:46n'est pas sur le plan de l'analyse politique.
08:49Je termine quand même, il y a d'un côté une union des gauches
08:52et de l'autre côté une union de l'extrême droite.
08:55Et si vous voulez qu'on discute philosophie politique, moi je suis tout à fait...
08:58On va y venir justement, on va y venir avant d'aller au standard messieurs.
09:00Je ne suis pas ni au ministère de l'Intérieur, ni au Conseil d'État.
09:03Mais il se trouve que vous êtes tous les deux spécialistes de philosophie politique
09:07notamment de Machiavel qui est l'un des très grands noms de la pensée politique.
09:11Il y a 7 ans, en 2017, Patrick Boucheron, vous écriviez ce que Macron doit à Machiavel.
09:18Et vous poursuiviez Emmanuel Macron, c'est l'homme de l'effraction.
09:21Son élection démontre que l'imprévisible reste possible,
09:24qu'il peut y avoir des accélérations dans l'histoire.
09:27Qu'est-ce que ça veut dire, être l'homme de l'effraction ?
09:30Non, ça ne veut plus rien dire.
09:32Aujourd'hui ça ne veut plus rien dire ?
09:33J'ai vraiment plus envie de parler d'Emmanuel Macron.
09:35C'est terminé, c'est terminé.
09:37Mais en revanche, ce qu'il ouvre là, par son inconséquence,
09:41peut être très lourd de menaces.
09:46Et ça, pardon, c'est l'extrême droite.
09:48Enfin, regardez, ça m'intéresse Machiavel, ça m'intéresse Montesquieu,
09:52vous êtes un éminence spécialiste de la philosophie politique.
09:56Mais ce n'est pas l'extrême droite en Italie ?
09:59Giorgia Meloni, ce n'est pas l'extrême droite ?
10:01C'est l'union de l'extrême droite ?
10:02Je suis désolé, mais je suis en total désaccord avec vous.
10:05Et c'est de cela dont il s'agit.
10:07Pierre-Henri Tavoyo, en plus, est-ce qu'un parti que vous ne considérez plus comme d'extrême droite
10:11est pour autant un parti de gouvernement,
10:13qui est capable d'avoir un gouvernement stable ?
10:15C'est la grande incertitude.
10:17Dans les scénarios qui se présentent à nous,
10:20nous n'avons que des scénarios qui sont négatifs.
10:24Et même catastrophiques, on peut dire.
10:27Les deux scénarios qui se présentent à nous,
10:30ce sont des scénarios d'ingouvernabilité.
10:33C'est-à-dire le fait que si, vu l'équilibre actuel et vu les sondages...
10:37Je ne dirais pas qu'on est dans une situation de torpeur,
10:40parce que là, ce qu'on voit dans les sondages,
10:42c'est que chaque camp mobilise considérablement des abstentionnistes.
10:45Tout le monde.
10:47Donc de ce point de vue-là, il n'y a pas de torpeur au niveau électoral.
10:50Oui, mais aussi, on est en train de le faire, donc tout va bien.
10:53Ça, c'est le premier point.
10:55Et donc, le vrai défi, c'est la gouvernabilité.
10:58Et donc, ce qui se dessine pour le moment,
11:01c'est trois clans et personne ne pourra gouverner.
11:04C'est-à-dire personne n'aura la majorité absolue.
11:06Le point qui serait gouvernable, ce serait ce scénario
11:09d'une majorité absolue au RN.
11:12Il en est apparemment très près, mais probablement pas.
11:16Et un gouvernement du Rassemblement national
11:19qui serait placé sous une situation de tutelle institutionnelle
11:22par le président qui retrouverait, de ce point de vue-là,
11:25une fonction comme gardien des institutions.
11:28Donc, c'est les deux scénarios.
11:29Je pense que les deux scénarios sont mauvais, personnellement,
11:32parce que dans le cas d'une victoire au RN,
11:35évidemment, il y aura toute une série d'effets pervers économiques
11:38et même de situations de guérilla et de résistance
11:40qui seraient très problématiques.
11:41Est-ce qu'on peut tirer des leçons de l'histoire, Patrick Boucheron,
11:43d'un mot avant d'aller au standard ?
11:47L'histoire, c'est une ressource.
11:48C'est une ressource d'intelligibilité.
11:50C'est une ressource d'imagination.
11:51C'est une ressource d'encouragement.
11:53Quand Ruffin nomme le moment qui vient nouveau Front populaire,
11:57il donne une direction, en somme,
12:00qui n'est pas seulement celle d'un accord électoral,
12:04mais ce qui va le déborder.
12:06Alors, vous avez raison, le Front populaire,
12:09ça s'est laissé déborder.
12:12Mais à ce moment-là, il faut rendre vivante la métaphore.
12:18Le Front populaire, ce sont des gens qui s'engagent,
12:21des gens qui parlent de la démocratie.
12:23C'est ça dont on doit parler.
12:25Justement, Patrick Boucheron, c'est la question que veut vous poser Laurent,
12:29qui nous appelle.
12:30Bonjour, Laurent.
12:31Oui, bonjour.
12:32Merci de prendre ma question.
12:33Je voudrais savoir si, d'après des intervenants,
12:36ce n'est pas la pire idée qui soit d'appeler une liste Front populaire,
12:39puisque l'Assemblée de Front populaire a amené le pays à la défaite
12:42et a voté les pleins pouvoirs en maréchal pétain.
12:45Merci pour votre question, Pierre-Henri Tavaillot.
12:49Le Front populaire garde malgré tout, il faut en convenir,
12:52une image positive.
12:53C'est vrai que dans le détail, vous avez tout à fait raison,
12:56c'est vrai que les choses sont beaucoup plus compliquées que ça,
12:58mais le Front populaire, dans l'imagerie nationale,
13:00c'est les congés payés, c'est l'Union, c'est bon.
13:03Mais vous avez tout à fait raison.
13:04Moi, je vois surtout les différences.
13:06C'est ce que je disais tout à l'heure très rapidement.
13:08Le Front populaire, aujourd'hui, n'est ni un front,
13:10puisque l'écart entre les différentes tendances de ce Front populaire
13:14est absolument colossal.
13:15Quand on regarde François Hollande...
13:17À supérieur, à l'écart entre Maurice Thorez et le Parti radical...
13:21Je pense encore plus.
13:22Parce que, sur le plan, le programme est extrêmement hétérogène.
13:25Et surtout, c'est ça le point, pas populaire.
13:28C'est-à-dire, aujourd'hui, les classes populaires votent Rassemblement national.
13:31Et ce qui caractérisait le Front populaire, c'est qu'il était venu d'en bas.
13:34Ça avait duré d'abord deux ans,
13:35et c'était quelque chose qui émanait d'une demande,
13:38non pas des appareils politiques, pas du tout,
13:40mais vraiment de mouvements.
13:42Les fameuses manifestations où les deux courants se réunissent,
13:47la société civile.
13:48Donc c'est très très différent.
13:49Laissez Patrick Beauchamp vous répondre.
13:52D'une certaine manière, moi je pense que c'est quand même intéressant,
13:55malgré tout, de faire des comparaisons historiques.
13:58Et on voit bien que le personnage de Léon Blum surgit,
14:04y compris dans la détestation que Jean-Luc Mélenchon lui porte.
14:09Parce que qu'est-ce qu'a voulu faire Blum, au fond ?
14:13Il a voulu arracher la bourgeoisie qui était en train de basculer,
14:18et dont le parti radical était le parti,
14:20de basculer vers la tentation autoritaire,
14:23pour l'arrimer au peuple, justement, au Front populaire.
14:26Et il a réussi ça.
14:27Et c'est ça qui est en train, d'une certaine manière, de ne pas advenir.
14:32Et là, je veux que, malheureusement, vous donniez raison,
14:36mais j'en tire pas les mêmes conclusions.
14:38C'est-à-dire que, pour moi, évidemment,
14:41la solution, c'est de passer assez rapidement du Front populaire au Front républicain.
14:47Et c'est pour ça qu'il ne faut pas qu'on se balance des choses trop méchantes à la face.
14:52Parce que je pense que vous êtes, par exemple, pour la démocratie parlementaire,
14:59vous êtes, par exemple, pour le pluralisme dans les médias.
15:03Aujourd'hui, l'antiparlementarisme, il est quand même plutôt du côté de la France insoumise.
15:08C'est-à-dire qu'on a ici une logique qui est une logique de,
15:12comme on dit aujourd'hui, de troller le débat public.
15:15Ce qu'on appelle, avec Chantal Mouffe, la philosophe belge, la pratique agonistique.
15:20C'est-à-dire qu'il faut durcir les conflits,
15:23ne pas rentrer dans des logiques de délibération.
15:25Et c'est ça qui a pourri les débats à la Fondation.
15:27Parce que le débat qu'on a, tous les deux, là, est possible dans une France qui est...
15:33Il est possible aujourd'hui, bien évidemment, dans un système qui garantit le pluralisme de l'opinion.
15:41On appelle ça le service public.
15:43Le programme du Rassemblement National, c'est sa privatisation.
15:46Alors peut-être que ça ne vous privera pas de parler avec des gens comme moi.
15:51Mais moi, je veux parler avec des gens comme vous.
15:53Et ce n'est pas sur CNews que je peux le faire.
15:54Et ce n'est pas sur Europe 1 que je peux le faire.
15:56Donc il y a un moment où il faut aussi sortir le nez des livres et arrêter d'être naïf.
16:04Il y a de puissants intérêts financiers, industriels, qui ont préparé la situation dans laquelle nous sommes.
16:13Pierre-Henri Tavoyau, depuis le 7 octobre, on observe en France une résurgence de l'antisémitisme.
16:18Des actes antisémites multipliés par 4 au premier trimestre par rapport à l'an dernier.
16:22Avec dernièrement ce viol dénoncé par une mineure de 12 ans à Courbevoie.
16:26Dans une tribune qui a été publiée par Le Monde, l'avocat Arie Halimi et l'historien Vincent Lemire
16:30dénoncent le fait que l'antisémitisme est un objet politique qui permet de disqualifier l'un ou l'autre camp.
16:36Vous êtes d'accord ?
16:38Oui, il y a quelques raisons.
16:40Pour les dire les choses clairement, du point de vue de la France Insoumise,
16:43la logique de défense du Hamas a été une logique de clientélisme.
16:49C'est-à-dire de faire en sorte de solliciter un électorat plutôt abstentionniste.
16:56Et la stratégie sur le long terme, c'était de dire on va les attirer vers nous,
17:00et puis ensuite on se recentrera.
17:03Il y a le mot terrorisme dans le programme aujourd'hui des Nouveaux Fronts.
17:05Oui, le programme, quand on lit vraiment bien le détail, c'est un acte terroriste.
17:10Le Hamas n'est jamais considéré comme une organisation terroriste.
17:13On est là dans la scolastique et l'interprétation ultra-complexe.
17:17Quand je lis le texte, ça attire tout le monde.
17:21Tout le monde peut y trouver de quoi.
17:23Je trouve que le texte, typiquement un texte d'appareil, d'appareil chic, c'est un texte qui...
17:27Il fallait le faire quand même.
17:29Il fallait le faire compte tenu de l'état de l'anti-sémitisme.
17:32Arriver en quelques heures...
17:34Là, il y a un travail quand même.
17:36Un travail de conciliation.
17:38Et admettez quand même que le contraste est vigoureux entre le spectacle qu'a donné la gauche
17:44qui en quelques heures parvient quand même à un accord
17:47et celui d'Éric Ciotti barricadé dans son bureau.
17:51C'est intéressant. Pourquoi ? Parce que là, Macron a offert à la gauche les deux points qu'il a rassemblés.
17:55Il n'a rien offert du tout. Il a cherché à la piéger.
17:58La gauche est ultra-divisée.
18:00Il y a deux points qui rassemblent la gauche.
18:02C'est la conquête du pouvoir, c'est-à-dire les postes.
18:05Je vous rappelle qu'on a commencé par ça.
18:07Et ensuite, puisqu'il faut attraper les postes, on fait un programme.
18:10Le programme, franchement, sur le plan de la cohérence, me paraît complètement absurde.
18:14C'est-à-dire qu'on a là une incohérence absolue et une capacité de gouverner qui me paraît sidérante.
18:20Cela dit, attention, tous les programmes aujourd'hui sont évanescents.
18:25Si je fais un benchmark de tous les programmes actuels, c'est totalement évanescent
18:30avec des coûts astronomiques dans une situation d'endettement absolue.
18:33Juste sur l'antisémitisme, Patrick Boucheron, devenu un objet politique.
18:36Je suis d'accord.
18:38De toute façon, il y a deux choses qu'on doit penser en même temps.
18:41L'essor de l'antisémitisme et son instrumentalisation politique.
18:48C'est un piège.
18:50Mais ce dont on parle, effectivement, c'est de la manière dont on doit desserrer cette mâchoire.
18:54Je pense que ça avait plutôt bien commencé.
18:57Là, on est en train, évidemment, d'hésiter.
19:00Il faut des voix fortes.
19:02Arie Halimi, ce n'est pas n'importe qui quand même.
19:05C'est un avocat, le vice-président de la Fondation des droits de l'homme.
19:10Et donc, par conséquent, ça permet effectivement de calmer le débat.
19:14Et si vous trouvez que le programme économique du nouveau Front populaire est extravagant,
19:20c'est qu'au fond, ça fait 20 ans que l'on délégitime l'idée assez simple
19:26qu'on peut financer des services publics par la redistribution fiscale.
19:30Alors quand, effectivement, avec un endettement...
19:33En attendant le 30 juin prochain, de toute façon, et le vote et le scrutin des législatives,
19:39restons encore un instant sur la question de l'histoire.
19:42De l'histoire qui s'écrit en ce moment même.
19:44L'histoire ne récidive pas, Patrick Boucheron.
19:48C'est l'une de vos grandes phrases.
19:50Que veut dire cette expression ?
19:51Ça veut dire que ce n'est ni une maladie, ni un criminel.
19:54Et qu'elle revient toujours différente de la manière dont on croyait la prévenir.
20:02Et là, elle arrive, je suis un peu d'accord avec vous, à pas de loup.
20:06À pas de loup ? L'histoire ne récidive pas, Pierre-Henri Taureau ?
20:09Pas du tout. On est dans des contextes qui sont totalement différents.
20:12Le contexte différent et très important, c'est qu'aujourd'hui,
20:16quand on pense le fascisme par exemple, l'antifascisme,
20:20on est à des années-lumières du fascisme.
20:22Aujourd'hui, tous les partis politiques sont démocrates.
20:27Le fascisme, sa caractérisation, c'est un antidémocratisme profond.
20:32C'est d'ailleurs le culte de l'élite.
20:34Aujourd'hui, les populistes sont anti-élitistes.
20:37Et pourtant, il suffit de regarder ce qu'il se passe en Italie
20:39pour pouvoir utiliser le mot de fascisme.
20:41L'Italie est assez impressionnante là-dessus.
20:45Imaginez en France un parti qui s'appelle néo-fasciste
20:48et qui arrive au pouvoir.
20:49On se dit que c'est de la folie.
20:50Ce qui est absolument hallucinant pour l'Italie,
20:53c'est qu'effectivement le parti de Mélanie, néo-fasciste d'origine,
20:57même le mot nous fait partir au galop,
21:00devient un parti qui devient un peu illibéral,
21:03qui même à l'égard d'Orban devient critique à l'égard d'Orban
21:07qui est le plus illibéral des Européens.
21:09Et donc on a là une évolution.
21:11Pourquoi ? Parce que le populisme, c'est quoi ?
21:13C'est qu'on suit le peuple.
21:14Donc la France est à part ?
21:15Pardon ?
21:16La France est à part ?
21:17Si l'ORN passe, je pense que l'évolution sera de ce type.
21:22Patrick Boucheron ?
21:23Je suis d'accord.
21:24Je pense que comme souvent dans l'histoire,
21:25l'Italie est un laboratoire politique.
21:27Et là c'est le laboratoire politique de l'union des droites.
21:29Et il faut dire ce qui se passe.
21:31Ça fait deux ans.
21:32On a quand même un peu de recul.
21:33Tous les partis d'extrême droite, pardon je garde ce mot simple,
21:38en Europe font de l'immigration un argument de campagne.
21:44Ils se font élire là-dessus.
21:46Ensuite, évidemment, pour différentes raisons,
21:48Mélanie est atlantiste.
21:50Elle est contrainte par des institutions que nous on n'a pas.
21:55Et bien, elles ne peuvent pas faire ce qu'ils ont promis de faire.
21:59C'est-à-dire d'endiguer, je cite, le flux de l'immigration.
22:01Et qu'est-ce qu'ils font ?
22:02Ils se vengent ensuite.
22:03Ils se vengent de leur impuissance.
22:05Sur les femmes, sur les minorités sexuelles,
22:07sur les institutions culturelles, sur les libertés publiques.
22:10En Italie, la catastrophe annoncée n'a pas lieu.
22:14Elle a lieu à pas de loup.
22:16Elle a lieu de manière insensible.
22:18Et c'est cette question de l'insensibilité de ce qui se passe actuellement.
22:22On est insensible.
22:23Mais au sens du dentiste qui vous insensibilise une dent,
22:26on ne mord plus.
22:28Vous avez prononcé tout à l'heure, Patrick Boucheron,
22:30le mot de front républicain.
22:32L'autre front, parce qu'il y a le nouveau front populaire et le front républicain.
22:35Pierre-Henri Tavoyau, est-ce que ce front républicain,
22:38qui est en général une espèce d'appel à faire barrage
22:40dans une élection aux partis qui sont jugés en dehors de l'arc républicain,
22:43est-ce qu'il est possible, est-ce qu'il est envisageable dans cette élection ?
22:46Non. Non, très clairement non, parce qu'on l'a fait le coup plein de fois.
22:49Et là, je pense que la population et les électeurs français
22:52ont compris que le truc ne fonctionnait pas.
22:54En front républicain, ça veut dire effectivement qu'on considère
22:57que certains ne sont pas républicains.
22:59Donc là-dessus, je reviens à la pointe.
23:02Et de ce point de vue-là, la question de l'immigration
23:05est en effet très importante.
23:06Mais il faut bien comprendre les choses.
23:08L'immigration, ce n'est pas le racisme, ce n'est pas la xénophobie.
23:11L'immigration, c'est le fait qu'un pays puisse maîtriser son destin et ses frontières.
23:15Pendant très longtemps, la politique migratoire
23:18et l'histoire de la politique migratoire en France
23:20a toujours été connectée à l'intérêt national.
23:22Il s'agissait de faire venir des travailleurs, des soldats,
23:25et aussi même l'asile.
23:27L'asile, c'est l'intérêt national, c'est-à-dire les défenseurs de la liberté.
23:30Laissez Patrick Boucheron vous répondre,
23:32puisque c'est la fin de ce grand entretien, malheureusement.
23:35Patrick Boucheron ?
23:36Sur l'immigration, c'est intéressant,
23:38si vous lisez par exemple le livre de Félicien Fauré
23:42qui s'appelle « Des électeurs ordinaires »
23:44et qui est justement une manière de considérer,
23:46dans tous les sens du terme,
23:48avec respect, le vote Front National,
23:51maintenant Rassemblement National,
23:53et de dire qu'ils savent ce qu'ils font.
23:55Eh bien, l'immigration est évidemment le thème central.
23:59Ce n'est pas douteux.
24:00Mais la question, quand on les interroge,
24:02ils ne sont pas contre l'immigration,
24:04ils sont contre le mot qu'on accole à immigration.
24:08Immigration et chômage.
24:10Ça, c'était le Front National.
24:11Immigration et violence.
24:13Immigration et insécurité.
24:14Immigration et violence faite aux femmes.
24:16Et ça, pardon, mais c'est une construction médiatique.
24:20Et ce n'est pas parce qu'on la scène du matin au soir
24:23qu'on la fait advenir.
24:25Ce n'est pas vrai.
24:26Le débat se termine justement sur un point d'accord.
24:29Un point de désaccord.
24:32Malgré tout, la question de l'immigration,
24:34vous êtes capable d'en parler de manière posée
24:36et de dialoguer là où très souvent les débats sont hystérisés.
24:40Merci Pierre-Henri Tavoyau.
24:41Merci Patrick Boucheron d'avoir été les invités d'Inter.
24:43Merci.

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