Hier, Élisabeth Borne a rejeté en bloc la demande de révision du permis de conduire à vie. Le gouvernement fait-il fausse route ? Pour Anne Lavaud, déléguée générale de la Prévention routière, « c’est une excellente nouvelle ». En effet, l’association lutte depuis plusieurs années contre la stigmatisation des seniors et rappelle régulièrement que la bonne conduite n’est pas une affaire d’âge. Cet appel à réviser la loi intervient une semaine après un accident gravissime dans le Nord-Pas-de-Calais, provoqué par un homme de 76 ans qui aurait manifestement confondu la pédale d’accélération et la pédale de frein. Comment limiter les risques sur les routes ? La réponse avec Anne Lavaud.
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00:00 Il est 8h10, c'est le moment de retrouver l'invité d'actualité.
00:04 Estelle, vous recevez Anne Laveau, qui est déléguée générale de la prévention routière.
00:09 Bonjour Anne Laveau, merci d'être avec nous.
00:11 On commence tout de suite avec Elisabeth Borne, qui était notre invitée hier,
00:14 l'invité de Thomas Soto dans Les 4 vérités.
00:17 Elle a mis une fin de non-recevoir à une révision du permis de conduire à vie.
00:22 Écoutez et regardez.
00:24 Je pense que chacun, quand il prend le volant,
00:27 doit s'assurer qu'il est bien en état de conduire.
00:30 Ce n'est pas forcément qu'une question d'âge.
00:32 C'est une question de responsabilité et c'est sur cette voie-là que nous voulons rester.
00:35 Alors Anne Laveau, bonnes ou mauvaises idées ?
00:38 Pour notre association, c'est une excellente nouvelle.
00:41 Vous savez que l'association prévention routière considère que stigmatiser les seniors n'a absolument aucun sens
00:48 puisqu'il faut aller vers les plus de 75 à 80 ans pour retrouver le même taux de conducteur responsable que chez les 18-24.
00:55 Ça démontre bien que ce n'est pas l'âge qui est un problème.
00:58 Alors on a quand même vu le week-end dernier dans le Pas-de-Calais,
01:01 une personne qui a confondu la pédale d'accélération et la pédale de frein blessant 11 personnes,
01:06 dont 4 dans un état grave.
01:08 Il avait 76 ans.
01:10 Oui, bien évidemment, il y a toujours ce type d'accident et c'est vraiment dramatique.
01:14 Mais vous voyez bien, ça devient un sujet dans les journaux, d'actualité,
01:19 à partir du moment où la personne est une personne âgée.
01:22 Sans aucun doute que cet accident aurait été causé par quelqu'un de 40 ou 45 ans.
01:27 Ça n'aurait pas fait les gros titres.
01:29 Vraiment, il faut avoir en tête que vieillir n'est pas une maladie
01:32 et que la capacité à conduire n'est pas forcément liée à l'âge.
01:36 Alors, on est le week-end du 1er mai, un week-end très dense sur les routes.
01:41 La vitesse, c'est vraiment l'ennemi numéro 1, l'ennemi public numéro 1 ?
01:44 Alors, il y a deux causes qui, malheureusement, en France, se partagent le podium.
01:48 La première place du podium des accidents de la route et des accidents mortels,
01:52 c'est la vitesse et l'alcool.
01:54 Une année, c'est l'un, une année, c'est l'autre.
01:56 En tout cas, il faut vraiment avoir en tête que 30 % des accidents mortels sont liés à la vitesse.
02:01 Donc oui, c'est un ennemi public numéro 1.
02:03 Pourtant, dernière mesure en date, annoncée il y a tout juste quelques jours par Gérald Darmanin,
02:09 les légers excès de vitesse, 5 km/h, ne seront plus sanctionnés d'un retrait de points.
02:15 Ça, ça commence à partir du 1er janvier 2024.
02:18 C'est totalement inconscient ou pas ?
02:20 Pierre Chasseret, qui est d'ailleurs délégué général de 40 millions d'automobilistes,
02:24 dit que ça n'aura finalement aucune incidence.
02:27 Alors, vous avez dit "légers excès de vitesse".
02:30 Vous savez que, globalement, on parle de petits excès de vitesse.
02:33 5 km/h.
02:34 Voilà.
02:35 Et donc, avec cette espèce de conscience collective que, vous savez, on dit "petits enfants, petits problèmes",
02:41 "grands enfants, grands problèmes", "petits excès de vitesse", "petits dommages", "grands excès de vitesse", "grands dommages".
02:47 C'est absolument faux, et ça, c'est vraiment quelque chose qu'il faut avoir en tête.
02:50 Parmi, justement, ces accidents mortels qui sont liés à la vitesse,
02:54 on en a 46% qui sont liés à des vitesses excessives de 10 km/h maximum.
03:00 Donc, 5 km/h, ça fait vraiment la différence.
03:03 Oui, ça fait vraiment la différence.
03:04 Parce que, comme vous avez cette fameuse marge technique qui fait que, déjà,
03:07 vous n'êtes verbabilisé qu'à partir du 6e km au-dessus des vitesses maximales autorisées,
03:12 en réalité, là, on donne un blanc-seing pour ces fameux 10 km/h.
03:16 Or, 46%, je le répète, des accidents mortels qui sont liés à la vitesse,
03:21 sont liés à des vitesses uniquement entre ce fameux zéro et 10 km/h.
03:25 Alors, la question qu'on peut se poser, c'est est-ce que retirer un point, c'est vraiment dissuasif ou pas ?
03:29 Là aussi, pour notre association, ça pose un problème.
03:33 Vous savez que le permis à points, il a des vertus.
03:35 Il a une vertu pédagogique, d'ailleurs, et il a cette vertu qu'on peut finalement récupérer un point.
03:42 Donc, on a une tolérance à partir du moment où on a un comportement exemplaire
03:47 pendant 6 mois dans le cas de la perte d'un point.
03:49 Et les Français aiment ce permis à points.
03:52 Les Français, ils l'aiment parce qu'ils ont ce capital.
03:54 80%, d'ailleurs, des Français ont leur 12 points.
03:56 C'est peut-être votre cas, d'ailleurs.
03:58 C'est pas mal.
03:59 C'est beaucoup.
04:00 Globalement, les Français ont leur point et ils sont attachés à ce dispositif-là.
04:04 Et donc là, finalement, on donne comme une espèce de coup de canif
04:07 dans un dispositif qui est apprécié.
04:09 Ça ne s'explique pas.
04:11 Cette problématique de la vitesse, en fait,
04:14 est-ce que c'est pas au fond une carotte électorale un peu démago ?
04:17 On se souvient des 80 km/h.
04:19 Edouard Philippe, en 2018, il avait fait beaucoup, grinçait les dents.
04:24 Sur 5 ans plus tard, on revient, machine en arrière,
04:27 plus de la moitié des départements ont remis les routes départementales à 90 km/h.
04:33 Alors, si vous le permettez, moi, je vais monter d'un cran,
04:38 dézoomer et aller sur une dimension politique qui est peut-être à plus long terme.
04:44 La France, comme tous les pays européens,
04:47 comme la plupart des pays de l'ONU, s'est engagée à réduire de moitié
04:52 le nombre de tués et le nombre de blessés graves sur la décennie.
04:56 Cet engagement a été pris en 2020.
04:58 Donc ça veut dire que sur la décennie, il faudrait qu'en 2030,
05:01 en France, il n'y ait plus que 1500 tués sur les routes.
05:04 C'est tenable ou pas tenable ?
05:05 Vous voyez bien, vous venez de le dire.
05:07 On envoie des messages qui sont totalement contradictoires
05:09 avec cet objectif ultime et qui n'est qu'une étape vers zéro tué.
05:14 À partir du moment où on sait que la vitesse est le facteur aggravant
05:17 de toutes les autres causes, à partir du moment où on sait
05:20 que 30% des accidents mortels sont liés à la vitesse,
05:23 donner le sentiment qu'on lâche sur cet item de la vitesse,
05:27 ça veut dire de toute façon ne pas se mettre en condition
05:30 de remplir cet objectif.
05:31 Ça veut dire que les Français ont un problème avec la vitesse ?
05:34 Les 30 km/h en ville, c'est très peu respecté au fond.
05:37 Alors, quand moi j'ai passé, moi je suis une vieille dame,
05:40 quand j'ai passé mon permis, c'était 60 km/h en ville.
05:43 Aujourd'hui, on a une grande majorité des villes qui,
05:46 au moins sur leur hypersonde, sont à 30 km/h.
05:49 Est-ce que c'est respecté ou pas ?
05:51 C'est sans doute pas respecté à la lettre, mais globalement,
05:54 ça a fait baisser énormément la vitesse dans les centres-villes.
05:58 La zone 30, elle a 30 ans.
06:00 Et c'est vrai qu'aujourd'hui, on n'a pas une majorité
06:03 des villes qui le font, mais vous savez que l'association
06:05 a créé un label qui s'appelle "Ville prudente"
06:07 et qui labellise justement les communes qui agissent
06:10 en termes de sécurité et de prévention routière.
06:12 Et on est très fiers aujourd'hui de compter 383 communes
06:15 qui sont labellisées, soit à peu près 7 millions de Français.
06:18 Ceux-là vivent dans des communes où le centre-bourg
06:21 est en tout cas à 30 km/h.
06:23 Alors avec les nouvelles mobilités, on voit bien que le paysage
06:26 en ville a changé, trottinettes, vélos, c'est devenu une jungle,
06:30 en vérité, ces centres-villes.
06:32 Est-ce que c'est devenu plus dangereux ces dernières années ?
06:35 Alors là, il y a effectivement un paradoxe, c'est que
06:39 quand on est en ville, quand on circule en ville,
06:42 on est dans cette espèce de foisonnement
06:45 qui est d'ailleurs souvent discourtois.
06:48 - De trottinettes, de vélos. - Voilà, etc.
06:50 Et donc on est très anxieux.
06:52 Et donc il y a une anxiété qui en réalité ne révèle pas
06:55 la réalité des accidents mortels.
06:57 En ville, à Paris par exemple, ou dans les centres-villes,
07:00 on est sur une mortalité qui est autour de 19 à 22 tués
07:07 par million d'habitants, alors que globalement en France,
07:10 on est à 49 tués par million d'habitants.
07:12 Donc vous voyez, la réalité de la mortalité routière,
07:15 elle se fait malheureusement sur les réseaux secondaires.
07:19 Alors où se situe en fait la France par rapport à ses pays voisins,
07:25 par rapport à l'Europe ?
07:27 Eh bien juste à la moyenne.
07:29 C'est-à-dire qu'on est vraiment, la moyenne européenne
07:33 doit être à 48 ou 49 tués par million d'habitants,
07:37 et nous selon les années, on est à 49 ou 50 tués par million d'habitants.
07:40 Donc on n'est pas mauvais, mais on n'est pas très bon.
07:44 En revanche, on a, en tout cas je prêche pour ma paroisse,
07:48 on est un des pays où la prévention du risque routier
07:52 auprès des enfants, etc. est vraiment un des pays les plus exemplaires.
07:56 Bon, pour conclure, juste une petite phrase,
07:58 quelques conseils pour ce week-end de 1er mai,
08:00 puis tout ce mois de mai ?
08:02 On vient de voir la météo, donc si on croise la météo
08:05 et le bison futé, on fait attention, et surtout,
08:08 on sort de l'hiver, il y a cette fameuse fatigue printanière
08:11 qui est liée à un certain nombre de paramètres,
08:14 qui fait que si vous partez ce soir, et que vous êtes fatigué,
08:17 eh bien ne partez pas ce soir, partez demain !
08:20 Merci beaucoup Anne Laveau, merci d'avoir été avec nous.
08:23 Merci à toutes les deux.