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Raphaël Glucksmann, Député européen

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00:00 Bonjour Raphaël Glucksmann. En effet 9 mai, journée de l'Europe, au lendemain des commémorations de la victoire des alliés effectivement sur l'Allemagne nazie en
00:07 1945. L'Europe a donc choisi ce 9 mai effectivement pour célébrer les valeurs européennes, valeurs de paix notamment.
00:13 Est-ce qu'elles ont encore besoin et peut-être davantage d'être
00:15 réaffirmées cette année alors qu'effectivement la guerre est, j'allais dire, aux portes de l'Europe. Non, elle est presque en Europe la guerre maintenant.
00:21 La guerre elle est en Europe et plus que jamais nous avons besoin de dire
00:25 et de comprendre ce que l'Europe nous apporte et ce qui est visé par la guerre de Vladimir Poutine. La guerre de Vladimir Poutine ne vise pas
00:32 simplement l'Ukraine, elle vise nos démocraties européennes. Vous savez, moi je préside
00:36 la commission du Parlement européen sur les ingérences étrangères en Europe et j'ai documenté pendant plus de deux ans
00:41 la guerre hybride que mène Vladimir Poutine, non pas simplement contre ses voisins,
00:46 exactement
00:48 contre nos démocraties, au coeur même de nos cités, les cyberattaques contre nos hôpitaux,
00:53 les ingérences dans nos élections. Vous savez, il y a aussi les trolls et les bots
00:59 des armées numériques de Prygogine qui rentrent dans nos téléphones pour essayer de
01:03 bouleverser, de déstabiliser notre débat public. Et il y a aussi la corruption de nos dirigeants. Cette guerre elle nous vise en tant qu'européens
01:10 c'est pour ça que ce 9 mai est
01:13 particulier. Moi je ne suis pas très sensible aux rituels et aux cérémonies.
01:18 Mais aujourd'hui j'ai envie de célébrer l'Europe, j'ai envie de célébrer les démocraties européennes, j'ai envie de célébrer ce que nous sommes
01:25 parce que ce que nous sommes est visé par
01:27 Vladimir Poutine et le régime russe. Alors Ursula von der Leyen, la présidente de la commission, est arrivée à Kiev ce matin, cinquième visite
01:33 depuis le début de l'inversion russe.
01:35 Un nouveau paquet de sanctions d'ailleurs contre la Russie va être proposé aux dirigeants de l'UE en fin de semaine.
01:40 Est-ce que l'Europe est assez présente selon vous pour soutenir l'Ukraine ou est-ce qu'il faudrait en faire plus, beaucoup plus, comme le demande de
01:46 Vladimir Zelensky notamment ? Nous sommes dans un état d'entre deux en Europe, c'est-à-dire que nous nous sommes réveillés le 24 février
01:51 2022 en comprenant que nous étions visés, que notre avenir dépendait de la guerre en Ukraine.
01:56 Mais depuis nous avons hésité, nous avons tergiversé. À chaque livraison d'armes il y a un débat en Europe, à chaque train de sanctions il y a
02:03 des discussions de marchands de tapis au Conseil européen, faut-il exclure les diamants, faut-il exclure les nucléaires ?
02:08 On ne devrait pas être aussi comme ça timide ? Mais si notre avenir se joue en Ukraine,
02:13 il faut aider les Ukrainiens à vaincre, à défaire l'armée russe. Et c'est notre stabilité, notre propre sécurité. On ne le fait pas simplement
02:20 pour aider les Ukrainiens, on le fait parce que c'est notre intérêt fondamental. Et donc il y a dans les tergiversations européennes
02:26 une faute commise vis-à-vis des Ukrainiens évidemment, mais aussi vis-à-vis de nous-mêmes, de notre propre sécurité, de notre propre stabilité.
02:33 Vous écoutez, Arvel Glouzman, il faudrait presque intervenir également militairement en Ukraine.
02:37 La ligne rouge que nous avons fixée depuis le départ, et nous n'en départirons pas,
02:43 c'est pas de confrontation militaire directe avec l'armée russe, pas de confrontation entre les armées de l'OTAN et de l'Union européenne
02:49 et l'armée russe. Mais les Ukrainiens eux-mêmes ne nous demandent pas du tout d'aller mourir à leur place. Ils sont prêts à se sacrifier
02:55 pour leur liberté et pour la nôtre. Ils demandent des armes, du matériel, de l'armement.
02:58 C'est des choses que nous pouvons leur fournir. Et ce qui moi m'interpelle, c'est qu'en fait on a des mots, on a des grands discours
03:05 sur par exemple le passage à l'économie de guerre, la production de munitions pour le front ukrainien.
03:10 Et ce n'est pas suivi des faits parce que nous avons du mal à nous réveiller. En fait on s'est tellement habitués, si vous voulez,
03:15 pendant des années à vivre dans le mythe de la fin de l'histoire, à penser que nous n'avions plus d'ennemis,
03:20 que la guerre était finalement quelque chose qu'on commémorait tous les 8 mai.
03:23 On disait en 90 qu'il fallait maintenant toucher les dividendes de la paix.
03:26 Exactement, les dividendes de la paix c'était quoi ? C'était le sous-investissement dans nos outils militaires.
03:30 C'était l'acceptation qu'on démantèle notre industrie. Et ces dividendes de la paix, aujourd'hui nous en payons le prix fort.
03:38 Et il faut sortir de cette mentalité irénique là. Il faut comprendre que nous vivons dans un monde extrêmement dangereux
03:43 et qu'il est enfin temps de construire la défense européenne.
03:47 Alors avant de parler effectivement de nos relations peut-être et notre aveuglement, comme vous dites dans votre livre face à la Russie,
03:51 justement la Russie qui célèbre aujourd'hui ce 9 mai, elle est loin quand même d'avoir reculé encore sur le front Est en Ukraine.
03:57 Elle est malgré tout affaiblie. On voit que Vladimir Poutine ne va pas pouvoir faire cette journée peut-être de propagande,
04:02 de démonstration de force comme il avait l'habitude de le faire habituellement à 9 mai.
04:06 Oui, la grande surprise pour Vladimir Poutine, d'ailleurs aussi pour les services secrets occidentaux, c'est la résistance des Ukrainiens.
04:12 C'est la leçon de courage qui est donnée par l'Ukraine. C'est le fait que des gens qui n'avaient rien à voir avec la chose militaire,
04:17 qui étaient musiciens, qui étaient acteurs, qui étaient ouvriers ou agriculteurs, ont pris les armes et ont résisté.
04:25 Et cette leçon-là, elle doit nous encourager justement à célébrer nos démocraties et à comprendre la force que peut avoir une démocratie.
04:34 Quand les gens jouent leur vie pour leur liberté, c'est une force incroyable que Vladimir Poutine n'a pas réussi à vaincre.
04:40 Mais cette guerre, elle sera longue.
04:42 Est-ce qu'on risque pas de se lasser justement ? Les démocraties occidentales, de se lasser un peu face à ce conflit qui dure, qui s'enlise.
04:47 C'est tout le pari de Vladimir Poutine. Il pense que nous sommes des sociétés de poissons rouges et il mise sur notre lassitude, sur notre capacité au zapping.
04:54 Et moi, je dois dire que je suis aujourd'hui inquiet.
04:57 Je sens que l'Ukraine est à nouveau perçue comme un sujet étranger, voire lointain, qu'il est le numéro 5, si vous voulez, dans la liste des nouvelles que vous donnez dans les JT.
05:08 Et c'est ce moment-là qui est dangereux parce que si nous ne sommes pas capables de fournir un effort à long terme,
05:13 si nous ne sommes pas capables, si vous voulez, de soutenir les Ukrainiens de manière cohérente sur le long terme, de nous mobiliser sur cette guerre,
05:20 eh bien nous pouvons perdre et la défaite est interdite dans cette guerre.
05:24 J'aimerais qu'on comprenne ça parce que ce n'est pas simplement l'Ukraine qui est en jeu, c'est la stabilité du continent européen dans son ensemble.
05:31 Dans votre livre "La grande confrontation", vous dénoncez également l'aveuglement dont auraient fait part effectivement les dirigeants européens pendant des années vis-à-vis de Vladimir Poutine,
05:38 en étant notamment complètement dépendants de notre approvisionnement en gaz. Est-ce que cet aveuglement, ça y est, est terminé selon vous ?
05:45 Non, cet aveuglement n'est pas complètement terminé et nous n'avons toujours pas fait la lumière sur les 20 années qui nous ont littéralement affaibli face au régime de Vladimir Poutine
05:56 et qui ont été 20 années de corruption en plus d'aveuglement. Moi, j'explore dans ce livre les méandres des réseaux russes en Europe.
06:04 J'explore comment par exemple Vladimir Poutine a corrompu les élites allemandes pour rendre l'Allemagne complètement dépendante du gaz russe.
06:11 Notamment Gerhard Schröder que vous égratignez pas mal.
06:13 Gerhard Schröder et au-delà de Gerhard Schröder, des bureaucrates allemands qui sont censés mettre en place les politiques énergétiques allemandes
06:20 et qui se retrouvent à travailler pour Gazprom, le géant russe du gaz.
06:23 Et qu'est-ce que cela produit, cela ? Cela produit la dépendance de l'Europe. Cela produit le fait que le 24 février 2022, quand l'invasion totale de l'Ukraine est lancée,
06:32 les Européens versent 800 millions d'euros par jour pendant 6 mois pour financer la guerre de Vladimir Poutine que nous condamnons de par ailleurs.
06:41 En achetant le gaz très cher. Bien sûr, en achetant le gaz très cher et parce qu'on n'a pas simplement construit notre dépendance au gazoduc russe,
06:48 on a aussi en Allemagne vendu les stocks stratégiques allemands aux gaziers russes.
06:54 Cela veut dire que quand la guerre commence, les stocks de gaz allemands ont été méthodiquement vidés par Gazprom.
07:01 Et donc ces réseaux de corruption doivent être exposés.
07:04 Vous parlez effectivement de la Russie et la Chine dans tout cela.
07:07 Est-ce qu'on n'est pas en train de refaire la même chose ? Quand par exemple, vous dites dans votre livre, nous reproduisons exactement les mêmes erreurs
07:12 en pensant que parce qu'on fait du business avec eux, ils ne nous menaceront pas.
07:15 Vous trouvez les Européens si naïfs que cela, Raphaël Glucksmann ?
07:18 Je pense que les Européens sont voués au Dieu commerce et qu'ils croient que parce qu'on signe des contrats, on est amis.
07:25 Ils sous-estiment la dimension idéologique des relations internationales.
07:28 Quand vous allez signer des contrats avec Xi Jinping, il n'abandonne pas son agenda idéologique qui est hostile aux principes et aux intérêts stratégiques de nos nations.
07:37 Il n'abandonne pas ses tentatives d'ingérence au sein même de nos démocraties.
07:40 Vous savez qu'au moment où on se parle, il y a un commissariat secret chinois au cœur de la capitale française, Paris.
07:46 Qu'au moment où on se parle, les grandes boîtes liées au Parti communiste chinois investissent dans nos ports, dans nos aéroports, dans nos infrastructures de sécurité
07:55 et que nous tolérons cela.
07:57 Et en tolérant cela, nous n'abandonnons pas simplement les Ouïghours qui sont parqués dans des camps ou la démocratie taïwanaise.
08:03 Nous abandonnons notre propre sécurité.
08:06 Et moi, ce que j'aimerais, c'est que les gens deviennent réalistes.
08:08 Ce n'est pas un romantique ou un idéaliste qui vous parle ce matin, c'est quelqu'un de profondément réaliste qui a exploré les méthodes de ses régimes.
08:16 Juste un mot, effectivement, dans l'actualité concrète, peut-être pour parler de souveraineté européenne.
08:19 L'enseigne de marque à vêtements à très bas coût, Shain, qui a ouvert tout le week-end à Paris un magasin éphémère dans la capitale.
08:25 Des milliers de personnes ont attendu jusqu'à deux heures pour faire la queue.
08:27 Vous l'êtes élevée sur les réseaux sociaux contre ce modèle économique.
08:30 Et concrètement, comment on arrête ça ?
08:32 On ne peut pas dire demain, ça y est, vous n'avez plus le droit de vendre vos vêtements en France.
08:35 Nous pouvons dire que nous bannissons les produits du travail forcé de nos marchés.
08:40 Nous pouvons imposer le devoir de vigilance des entreprises, c'est-à-dire le fait que les entreprises sont responsables de la manière dont elles fabriquent leurs produits.
08:46 Et nous pouvons empêcher des entreprises comme Shain, qui sont fondées sur un business model qui est l'exploitation radicale, totale de l'être humain et la dégradation de l'environnement, d'exporter leurs produits.
09:00 Parce que moi, au Parlement européen, je me suis battu depuis quatre ans pour qu'on puisse avoir ces instruments qui protègent notre marché.
09:09 Aujourd'hui, c'est la libre concurrence qui fait foi.
09:11 Et à ce jeu de la libre concurrence sans règles, nous allons tout perdre.
09:15 Nous allons perdre nos industries.
09:17 Nous allons perdre nos règles.
09:18 Nous allons nous rendre complices de crimes contre l'humanité quand nous allons faire nos courses.
09:23 Donc il faut être responsable en achetant.
09:25 Il faut être responsable en achetant, mais surtout il faut être responsable quand on est législateur.
09:28 Il faut imposer un cadre parce que sans ce cadre, c'est très simple.
09:32 Dans 20 ans, il n'y a plus de production européenne.
09:35 Tout est dominé par Shain parce que vous ne pouvez pas entrer en compétition avec des gens qui imposent à des ouvriers le travail sans contrat de travail, 30 jours par mois, 18 heures par jour.
09:46 Juste un mot pour finir, Raphaël Guzman, parce qu'il n'y aura plus beaucoup de temps.
09:49 L'Assemblée nationale examine aujourd'hui une proposition de loi du groupe Renaissance pour rendre le drapeau européen obligatoire sur le fronton des mairies.
09:55 Il y a un grand débat. Ça ne plaît pas y compris au MoDem qui dit que ce n'est pas une priorité.
09:58 Et vous, avec votre regard européen, vous dites quoi ?
10:01 Il faut aller au bout de cette loi ?
10:02 C'est nos valeurs européennes qu'il faut défendre ou c'est secondaire ?
10:06 Je ne sais pas si c'était l'urgence, mais ce qui est sûr, c'est que quand je vois ce qui est dit du drapeau européen dans ce débat, je m'alarme.
10:13 Parce que ce drapeau européen, c'est un symbole de liberté.
10:16 Ce drapeau européen, c'est celui qui est agité par les Ukrainiens quand ils se battent pour leur liberté.
10:20 C'est celui qui est agité par les Géorgiens quand ils manifestent pour sauver leur démocratie.
10:24 Le premier ministre de l'Ouvrier de la France insoumise dit que c'est une forfaiture démocratique.
10:26 C'est tout ce qui nous distingue.
10:28 Et c'est bien la raison pour laquelle nous, à place publique, au Parlement européen, avec Orlaluc, ma collègue députée,
10:35 nous ne pouvons pas imaginer partir au combat électoral avec des gens qui ont une vision si différente de la nôtre de l'Europe,
10:42 qui ont une vision si différente de la nôtre des relations avec Vladimir Poutine.
10:46 Mais simplement pour une question de sincérité et de fond, pensons-nous la même chose sur la défense européenne ? Non.
10:52 Pensons-nous la même chose sur le régime de Vladimir Poutine ? Non.
10:54 Pensons-nous la même chose sur la Chine ? Non.
10:57 Pensons-nous la même chose de l'Europe, de ce que l'Europe peut nous apporter ? Non.
11:00 Merci Raphaël Glucksmann.
11:01 Je rappelle rapidement votre livre "La grande confusion, comment Poutine fait la guerre à nos démocraties"
11:05 par Ruch et à Larry, édition.
11:09 Merci Raphaël Glucksmann, bonne journée.

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