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Hondelatte Raconte _ L'affaire Julien Guérin et Alexandre Michaud (récit intégral)

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Transcription
00:00 *Musique*
00:02 On Delatte Raconte
00:04 Christophe On Delatte
00:06 Voici l'histoire d'un type qui tue deux de ses copains
00:10 et qui est absolument incapable de dire pourquoi.
00:14 Et d'ailleurs vous verrez, il ne dit rien.
00:16 Il ne dit rien du tout.
00:18 Il s'agit d'une affaire de 2011,
00:20 l'enquête sur le meurtre à Amiens
00:22 de Julien Guérin et Alexandre Michaud.
00:25 Pour la débriefer, je ferai appel au directeur d'enquête de la police judiciaire,
00:29 le major de police Stéphane Billier.
00:32 J'ai écrit cette histoire avec O'Kees, réalisation Céline Lemras.
00:36 *Musique*
00:38 Europe 1
00:40 Christophe On Delatte
00:42 *Musique*
00:47 Le 21 janvier 2011, à Amiens,
00:50 Aline, une jeune femme de 17 ans,
00:52 vient sonner à la porte du journal local le courrier Picard.
00:56 Un journaliste la fait entrer et elle se met à lui raconter son histoire.
01:01 "À propos de mon copain, Julien, il a disparu.
01:06 Je viens d'aller voir la police, ils me disent qu'on peut rien faire parce qu'il est majeur
01:11 et qu'il a le droit de disparaître.
01:14 Mais moi je suis sûr qu'il n'est pas parti de lui-même.
01:17 Je suis venu vous voir pour que vous m'aidiez.
01:21 Si vous voulez que je vous aide, il va falloir que vous me racontiez les choses dans l'ordre.
01:25 D'abord, il s'appelle comment votre copain ? On est d'accord que c'est votre petit copain ?
01:29 Ouais, carrément ! On a même un bébé ensemble.
01:32 Donc il s'appelle comment ? Julien. Julien Guérin.
01:37 Et qu'est-ce qui vous fait penser qu'il n'a pas disparu volontairement ?
01:41 Bah il est parti sans rien. Sans papier ni rien.
01:47 Et puis il est toxico Julien, enfin...
01:50 On s'il un toxico, un héro.
01:53 Il a décroché et depuis il prend du Subutex, de la méthadone.
01:59 Il ne peut pas s'en passer plus d'une journée.
02:02 Et là il est parti sans. Il n'a rien emporté, il a tout laissé.
02:07 C'est pour ça que ça m'inquiète.
02:10 Le journaliste du courrier Picard a été convaincu.
02:13 Le lendemain, son journal publie un appel à témoins.
02:17 Au même moment, quelqu'un d'autre s'inquiète de la disparition de Julien.
02:27 Son grand frère, Cédric.
02:30 Il sait que le jour de sa disparition, le 13 janvier,
02:33 Julien est allé en Belgique avec son copain David.
02:36 Et David lui confirme au téléphone.
02:39 Ah bah oui on est allé acheter des clopes avec Julien.
02:42 Et depuis David t'as pas de nouvelles ?
02:45 Ah non j'en ai aucune.
02:47 C'est toi qui l'a ramené à Amiens ?
02:50 Ah oui oui oui. Je sais pas moi, vers 2h du matin.
02:54 Il m'a demandé de le déposer à Amiens Sud, il voulait s'acheter du shit.
02:58 À Amiens Sud ?
03:04 Cédric se dit c'est bizarre ça parce que à Amiens quand on veut acheter du Bédo,
03:08 c'est plutôt au nord que ça se passe, pas au sud.
03:12 Et Julien, en plus que Julien et Aline, habite au nord.
03:15 Mais ça n'est pas le plus surprenant.
03:18 Le plus surprenant, c'est que si Julien est parti, s'il s'est cassé,
03:22 il ne lui est rien dit.
03:24 Son petit frère Julien ne le laisse jamais sans nouvelles plus de 3 jours.
03:28 Ils sont très, très soudés tous les deux.
03:31 Ils ont traversé main dans la main les mêmes galères familiales.
03:35 Ils ont été placés dans le même foyer quand ils étaient adolescents.
03:39 Et là, il aurait disparu volontairement sans l'appeler.
03:42 Et puis, pourquoi est-ce qu'il disparaîtrait maintenant ?
03:46 Maintenant qu'il a rencontré Aline, maintenant qu'il est papa,
03:50 maintenant qu'il a décroché de l'héroïne.
03:53 Julien était heureux, enfin.
03:55 Il ne peut pas être parti de lui-même.
03:58 Impossible, impensable.
04:06 Les jours passent, et puis les semaines.
04:09 Jusqu'à ce que le 14 février, dans ce coin damien qu'on appelle les ortillonnages,
04:14 des parcelles de cultures maraîchères au milieu des marais,
04:17 un employé municipal aperçoive une masse dans l'eau, prise par des branchages.
04:23 Il s'approche.
04:25 Nom de Dieu, mais c'est un corps.
04:27 Un cadavre manifestement très abîmé.
04:33 Alors, qui est ce cadavre ?
04:35 Et depuis combien de temps est-il là ?
04:38 Le médecin légiste qui réalise l'autopsie apporte les premières réponses.
04:42 Bon, il s'agit bien du nommé Julien Guérin.
04:45 A priori, il a passé trois semaines dans l'eau, d'où son état.
04:49 Alors, il est couvert de plaies, cinq plaies sur le crâne, une fracture de la tempe,
04:54 plusieurs dents cassées, puis des hématomes aux poignées droits et aux pieds.
05:00 Ça, docteur, ça veut dire qu'il a été battu avant d'être jeté à l'eau.
05:03 Non, non, je ne pense pas.
05:06 Je pense que tout ça, c'est l'effet d'une hélice de bateau.
05:10 À mon avis, il flottait sur le ventre et il a été pris par un bateau
05:14 qui lui a fait toutes ses blessures.
05:16 Alors, de quoi est-ce qu'il est mort, docteur ?
05:18 Il est mort de noyade.
05:20 Accidentellement ou pas, c'est difficile à dire,
05:22 dans la mesure où on retrouve dans son sang d'abord une grosse quantité d'alcool,
05:26 un gramme par jour,
05:28 un gramme par jour, un gramme par jour d'alcool,
05:30 un gramme, 32 exactement,
05:32 et puis tout un tas de produits psychotropes dans du cannabis.
05:35 Donc, il y a une hypothèse où il tombe à l'eau accidentellement et il se noie.
05:40 Une autre, évidemment, on le pousse à l'eau et il se noie.
05:45 Je suis désolé, mais je ne peux pas vous en dire plus, monsieur.
05:48 Vous, vous doutez que ça n'est pas un accident.
05:51 Sinon, à quoi ça servirait que je me décarcasse ?
05:54 [Musique]
06:01 Le copain David, avec qui Julien est allé acheter des clopes en Belgique,
06:05 confirme qu'en rentrant, il l'a déposé au sud d'Amiens.
06:10 Or, c'est à 2 km des ortillonnages où on a retrouvé son corps.
06:15 Et ces ortillonnages, ça vous devez le savoir, on n'y va pas par hasard.
06:19 C'est un marais. On ne peut y aller qu'à pied ou en bateau.
06:22 Alors l'hypothèse d'un accident existe, mais de moins en moins.
06:27 [Musique]
06:31 Et là, là je fais un petit bond dans le temps.
06:34 Un bond de 7 mois. Nous voilà en septembre 2011.
06:39 Et là débute une autre affaire, qui a priori n'a rien à voir avec la première.
06:44 Une jeune femme prénommée Sylvie débarque au commissariat d'Amiens.
06:49 Je viens vous voir au sujet de mon copain, Alexandre.
06:53 Ça fait 3 jours que je n'ai pas de nouvelles de lui. 3 jours.
06:57 Et il a quel âge votre copain Alexandre ? Alexandre comment d'ailleurs ?
07:01 Alexandre Michaud. Il a 24 ans.
07:04 24 ans mademoiselle, disparue depuis 3 jours.
07:08 Il n'est pas certain que vous deviez vous inquiéter.
07:11 3 jours, il va réapparaître entre ces 4. Je comprends, mais il y a autre chose.
07:17 Dimanche avec Alexandre, on s'est disputé.
07:22 Et de colère, il a donné un grand coup de poing dans le mur.
07:26 Il s'était déjà abîmé la main sur un chantier. Ça n'a pas rangé les choses.
07:31 Et sa main elle s'est mise à gonfler.
07:35 Il avait très mal. Et comme on n'a pas de voiture,
07:40 j'ai appelé un copain, David il s'appelle,
07:44 qui est venu le chercher pour l'amener à l'hôpital à Amiens.
07:48 Et David il m'a dit "ouais, je l'ai ramené vers 2h du matin.
07:53 Moi je dormais, je ne l'ai pas entendu rentrer.
07:57 Mais le lendemain matin, Alexandre il n'était pas là.
08:01 Et voilà, ça fait 3 jours que je n'ai plus de nouvelles de lui.
08:05 Cette gamine s'inquiète pour rien. Voilà ce que pense le flic qui la reçoit.
08:10 Sauf que 5 jours plus tard, le corps d'Alexandre Michaud
08:15 est repêché dans le canal de l'Arve au milieu des ortillonnages.
08:20 Comme celui de Julien. Et que dit le légiste ?
08:24 Alors celui-là il a été tué par balle.
08:27 Une dans le dos et l'autre dans la tête.
08:30 Et puis il a aussi une plaie importante à la tête causée par un objet contendant.
08:34 La mort remonte à quand docteur ?
08:37 À la nuit du 4 au 5 septembre.
08:40 Ce qui correspond au vu du dossier que j'ai consulté à la tête de disparition.
08:44 Et vous avez un scénario à nous proposer docteur ?
08:48 Oui, j'en ai un.
08:51 À mon avis il a d'abord été frappé à la tête.
08:54 Il est tombé au sol sur le ventre, on a des traces.
08:58 Et puis il a reçu 2 balles avant d'être jeté dans le canal.
09:05 Donc cette fois c'est sûr, c'est un meurtre.
09:09 Et ça colle assez bien avec les constatations des policiers de la PJ sur place.
09:13 À quelques mètres du cadavre sur la berge,
09:16 ils ont repéré une grosse tache de sang dans l'herbe.
09:20 C'est probablement là qu'Alexandre Michaud a été tué.
09:24 Concernant la mort d'Alexandre, les policiers se posent une question centrale.
09:33 Qu'est-ce qu'il fit chez là, au milieu de ce labyrinthe de verdure et de canaux d'irrigation,
09:38 en pleine nuit ?
09:40 Alors ils vont gratter du côté de son entourage.
09:43 Bon voilà ce que j'ai pu apprendre.
09:45 Le gars est lyonnais d'origine.
09:48 Il vivait à Miank depuis un mois, depuis le 5 août exactement.
09:51 Il est venu rejoindre sa compagne en vérité, Sylvie.
09:54 Cette fille il l'a rencontrée sur un site de rencontre.
09:58 Il paraît qu'ils font tous ça maintenant.
10:00 Cette fille dont tu parles, la fameuse Sylvie,
10:03 c'est celle qui est venue signaler sa disparition au commissariat ?
10:06 Oui, c'est ça.
10:08 Alors voilà ce que j'ai pu apprendre sur elle.
10:11 Elle a deux enfants d'un premier mariage, avec un dénommé Michel.
10:15 Et alors concernant Alexandre Michaud,
10:18 sa mère raconte qu'il est venu la voir quelques jours avant sa mort,
10:22 et il lui a dit que Sylvie était enceinte de lui.
10:25 Un mois après sa rencontre, ils ont pas traîné.
10:29 Ok, donc faudrait qu'on entende la mère.
10:32 Tu la convoques ?
10:34 Et voilà ce que raconte la mère entre deux sanglots.
10:38 Je sais pas si ça peut vous intéresser, mais...
10:41 Voilà, il y a à peu près un an, en octobre de l'année dernière,
10:46 Alexandre vivait dans la banlieue de Lyon.
10:50 Ne me demandez pas pourquoi ni comment, mais...
10:55 Il a accepté de cacher chez lui, pendant quelques jours,
11:00 de la drogue, de la cocaïne et du cannabis, je crois.
11:05 C'était une bêtise de jeunesse.
11:08 Et quand les dealers sont venus récupérer leur stock,
11:13 Alexandre, il a pas pu le leur rendre parce qu'on le lui avait volé.
11:19 Alors évidemment, les autres, ils l'ont pas cru.
11:23 Ils sont mis à le menacer.
11:26 Et du coup, Alexandre, il est venu se réfugier chez nous.
11:30 Mais les autres, ils ont vite retrouvé sa trace.
11:34 Et un jour, ils sont débarqués à la maison.
11:37 Ils étaient deux.
11:39 Et moi, j'ai tout de suite appelé les gendarmes.
11:42 Ils sont arrivés très vite.
11:45 Ils les ont interpellés.
11:48 Voilà.
11:51 On a eu très peur.
11:54 Ça, c'est une piste.
11:56 Une sacrée piste.
11:58 "Ok, tu trouves le nom de ces deux gars qui ont été arrêtés.
12:01 Pour l'instant, on se contente juste de vérifier si leur portable
12:05 a borné dans le coin le jour du meurtre, d'accord ?"
12:08 Et la réponse est non.
12:14 Le jour du crime, leur téléphone n'a pas quitté Lyon.
12:17 La piste se referme immédiatement.
12:20 Mais une autre piste s'ouvre dans la foulée.
12:23 Beaucoup plus intime.
12:26 Je suis certain que vous y avez pensé tout à l'heure
12:32 quand je vous ai dit que la copine Sylvie
12:35 venait juste de se séparer de son mec qui s'appelle Michel.
12:39 La jalousie, c'est un petit moteur très célèbre du crime.
12:43 Est-ce qu'on n'aurait pas affaire à la vengeance de Marie et Vinci ?
12:47 La copine Sylvie est immédiatement interrogée.
12:50 "Bon madame, qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur votre ex ?
12:54 Michel, c'est ça ?
12:56 Oui, Michel.
12:59 Disons que c'est...
13:02 quelqu'un d'assez nerveux.
13:05 Impulsif, quoi.
13:08 Comment est-ce que ça se passait avec votre nouvel amoureux, Alexandre ?
13:12 Pas très bien.
13:15 Il lui reprochait souvent de l'empêcher de voir ses enfants.
13:19 Ce qui était faux.
13:22 En réalité, c'est moi qui m'opposais à Michel au sujet des enfants.
13:26 Mais c'est vrai que Michel a tout reporté sur Alexandre.
13:30 C'est-à-dire qu'il l'appelait sur son téléphone pour l'insulter.
13:35 Une fois, il l'a même menacé de mort.
13:38 Et d'ailleurs, avec Alexandre, on est allé porter plainte contre lui.
13:42 Elle est assez séduisante, cette pisse de l'ex-Marie Jaloux.
13:46 Alors, si on allait le voir, ce Michel...
13:50 Dites-moi, monsieur, quel rapport aviez-vous avec Alexandre Michoud ?
13:54 C'est vrai qu'on ne s'est pas trop...
13:58 Enfin, c'est jamais facile de voir quelqu'un vivre avec son ex-femme.
14:02 Et surtout avec ses gosses.
14:05 Mais bon, trois jours avant sa mort...
14:09 Il faut dire qu'il a été cool avec moi.
14:13 Il m'a amené mes enfants. Lui-même.
14:17 Sans prévenir Sylvie.
14:21 Je l'ai vraiment apprécié.
14:23 Ce Michel a l'air sincère.
14:26 Et dans la tête des flics, il ne sort pas totalement de la liste des suspects,
14:30 mais un peu quand même.
14:36 On est d'accord que jusqu'ici, je vous ai raconté deux affaires
14:40 qui, pour l'instant, n'ont aucun rapport l'une avec l'autre.
14:44 Enfin, si.
14:46 Les deux corps, celui de Julien Guérin et celui d'Alexandre Michoud,
14:49 ont été retrouvés au même endroit.
14:51 Les ortillonnages d'Amiens.
14:53 Mais à ce stade, c'est le seul point commun.
14:56 Parce qu'à part ça, Julien, lui, s'est probablement noyé.
15:00 Alors qu'Alexandre a été clairement assassiné.
15:03 Il a pris deux balles.
15:05 Mais à y regarder de plus près,
15:07 il y a un autre point commun entre ces deux dossiers.
15:11 Et ça, les policiers de la PJ d'Amiens viennent tout juste de le réaliser.
15:15 Je vous concède que ça a pu vous échapper.
15:18 Concentrez-vous, nom de Dieu, concentrez-vous.
15:21 Dans les deux affaires, apparaît le même prénom.
15:26 David.
15:28 David, c'est celui qui amène Julien Guérin en Belgique pour acheter des clopes.
15:32 Et qui dit qu'il l'a ramené à 2h du matin chez lui.
15:35 Et que depuis, Julien a disparu.
15:37 Et dans l'autre affaire, c'est aussi un David, copain de Sylvie,
15:41 qui amène Alexandre Michoud à l'hôpital,
15:44 alors que celui-ci vient de se fracasser les points de colère contre un mur.
15:48 Et depuis, Alexandre a disparu.
15:50 C'est le même.
15:52 C'est le même David dans les deux dossiers.
15:55 David le fert.
15:57 Et ça, les flics viennent tout juste de le comprendre.
16:00 Ça peut pas être un hasard.
16:02 Ça peut pas être un hasard que ce soit le même David.
16:06 T'as regardé si on trouvait sa trace dans le fichier ?
16:09 J'ai regardé.
16:11 Et j'ai trouvé des tas de trucs qui vont t'intéresser.
16:13 D'abord, figure-toi qu'Aline, la compagne de Julien Guérin,
16:17 a porté plainte contre lui, contre David,
16:20 pour agression sexuelle, le lendemain de la disparition de Julien.
16:26 Agression sexuelle, tu dis.
16:28 On sait ce qui s'est passé.
16:30 Alors j'ai lu le PV.
16:32 Aline raconte que David Lefèvre a débarqué chez elle,
16:35 qu'il a voulu coucher avec elle,
16:37 et qu'elle, elle a pas voulu.
16:39 Et qu'il a été, comment dire, un peu pressant.
16:42 Pressant comment ?
16:44 Ben, il lui a touché les limbards.
16:46 D'accord.
16:47 Et quel rapport ça a avec notre affaire, tout ça ?
16:50 Le rapport, c'est une phrase qu'il a dite à Aline ce soir-là.
16:55 Elle rapporte ce qu'il lui a dit.
16:57 "Puisque tu veux rien faire avec moi, je te dirai pas tout."
17:03 Ok.
17:04 T'as raison, c'est assez intriguant.
17:07 Donc Aline a porté plainte contre lui.
17:09 Y a eu une suite ?
17:11 Oui, oui, oui.
17:12 Il a été convoqué,
17:14 et il a dit en gros qu'il avait essayé de séduire Aline
17:16 parce qu'il s'était embrouillé la veille avec Julien
17:19 et que coucher avec Aline, c'était en quelque sorte une manière de se venger.
17:23 Et je suppose que l'affaire ait pas allé plus loin.
17:26 Je te confirme, la plainte a été classée sans suite.
17:30 Mais c'est pas tout.
17:32 En passant le nom de ce David Lefebvre au fichier,
17:36 j'ai découvert qu'il avait un casier judiciaire, figure-toi.
17:39 Ah là, là tu m'intéresses.
17:41 Vas-y, raconte.
17:43 Cinq ans de prison pour vol avec violence
17:45 ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
17:48 Il avait 19 ans, il a tué un SDF au pistolet à plomb
17:52 pour lui voler son RMI.
17:54 Mais c'est pas tout.
17:56 Quand il sort de prison, il vole une bagnole.
18:00 En tout, ce David Lefebvre, qui a 31 ans,
18:04 a passé, tiens-toi bien, 8 ans en prison.
18:08 Il est gratiné, notre suspect, non ?
18:11 Moi, je parierais bien que c'est lui qui les a tués tous les deux.
18:14 Ouais, ouais, ouais.
18:20 Effectivement, c'est une piste séduisante.
18:22 Mais il y a un problème.
18:24 Il y a un gros problème.
18:26 Alexandre Michaud a été assassiné,
18:28 pan, pan.
18:30 Mais Julien Guérin, le légiste penche pour une noyade.
18:34 Un type qui a forcé sur le baie d'eau
18:36 et qui tombe à l'eau et glou, glou.
18:38 Alors moi, je veux bien qu'on rapproche ces deux dossiers,
18:41 mais rapprocher un accident d'un meurtre,
18:43 c'est assez audacieux.
18:45 À moins que le légiste de l'affaire Guérin se soit planté.
18:50 Et donc le juge décide de faire appel à un deuxième médecin légiste,
18:53 qui ne va pas pouvoir travailler sur le cadavre,
18:56 mais à qui il remet le rapport de la première autopsie,
18:59 avec des photos.
19:01 Et voilà ce que conclut ce nouvel expert.
19:03 Mon confrère avait estimé que les plaies que Julien Guérin avait à la tête
19:07 étaient dues à une hélice de bateau.
19:10 Moi, je pense plutôt qu'on l'a frappée à la tête,
19:13 assez fort,
19:14 et qu'ensuite on l'a jetée à l'eau qui s'est noyée.
19:17 Et ça, ça change tout.
19:19 Combien de meurtres ?
19:21 Et là, David Lefèvre a chaud aux fesses.
19:25 La suite, vous l'imaginez bien.
19:30 David Lefèvre est interpellé et placé en garde à vue.
19:34 Et avant ça, perquisition dans son petit studio.
19:38 Dites-moi, M. Lefèvre, c'est bien propre chez vous ?
19:42 Trop propre pour être honnête.
19:44 Ça sent le ménage en grand.
19:47 Les flics de la scientifique pulvérisent le fameux Blue Star
19:50 aux quatre coins de la pièce.
19:52 Positif, chef, venez voir !
19:54 Il y a des taches de sang sur une paire de tongs
19:57 et sur une paire de baskets.
19:59 Et il y en a aussi dans sa voiture, sur le levier de vitesse.
20:03 Bien, M. Lefèvre,
20:05 commençons par le meurtre de votre ami Alexandre Michaud.
20:09 C'est donc vous qui le conduisez à l'hôpital,
20:12 et vous êtes le dernier à l'avoir vu,
20:15 jusqu'à ce qu'on le retrouve mort.
20:18 Qu'est-ce que vous pouvez nous dire là-dessus ?
20:21 Je vais vous expliquer.
20:23 J'ai un peu menti à Sylvie.
20:26 Alexandre, il voulait la quitter.
20:29 Alors après l'hôpital, je l'ai amené chez lui.
20:32 Il a pris quelques affaires.
20:34 Et après, je l'ai amené à la garde à mien.
20:37 Après, ce qu'il a fait, je sais pas.
20:43 OK, les flics ont compris d'entrée
20:46 que ce David Lefèvre n'avouera pas.
20:49 Il va inventer des histoires à dormir debout,
20:51 mais il ne lâchera rien.
20:53 Alors il le laisse rentrer chez lui,
20:55 en se disant que pour le coincer,
20:57 il faut des preuves.
20:59 Alors ils le mettent sur écoute.
21:01 Et l'autre a l'air de s'en douter.
21:03 Oh, mais figure-toi que comme je suis le dernier
21:05 à avoir côtoyé les deux disparus,
21:07 ils pensent que je suis un serial killer.
21:10 Non, mais tu le crois.
21:12 C'est comme si j'allais tuer quelqu'un en tong.
21:15 Et une autre fois, il dit à un copain.
21:17 Ils ont trouvé du sang d'Alexandre dans ma voiture.
21:20 Sauf que c'est complètement normal.
21:22 Quand je l'ai amené à l'hôpital,
21:24 il avait la main qui pissait le sang.
21:26 Il en a laissé dans la voiture, c'est tout.
21:28 Il est finot, ce David Lefèvre.
21:31 Il utilise les écoutes pour tenter de se disculper.
21:35 Sauf qu'à l'hôpital, les infirmières sont formelles.
21:39 Ah non, il n'avait pas de sang sur les mains
21:42 quand il est arrivé, M. Michaud.
21:44 Il avait une fracture, mais il ne saignait pas.
21:47 Et ce qu'il ne sait pas, l'imbécile,
21:53 c'est que la tâche de sang retrouvée dans sa voiture
21:56 est inexploitable.
21:58 Mais maintenant, les flics savent
22:00 que c'est le sang d'Alexandre Michaud.
22:02 Autre découverte.
22:04 Le 12 février, Lefèvre est allé s'acheter
22:07 un holster dans une armurerie.
22:10 Vous savez, c'est le truc en cuir
22:12 dans lequel on glisse un pistolet.
22:14 Alors retour du zigoton en garde à vue.
22:17 Oh, mais ce holster, je l'ai acheté
22:19 pour compléter un déguisement.
22:22 Et après, je l'ai donné à un copain.
22:24 D'accord.
22:26 Le personnel hospitalier qui a soigné
22:28 la main d'Alexandre Michaud est formel.
22:31 Il ne saignait pas de la main.
22:34 Il n'avait aucune plaie.
22:37 Et vous, vous laissez entendre
22:39 le sang qu'on retrouve dans votre voiture
22:43 et le sang qu'il perd à ce moment-là.
22:46 Non, mais c'est impossible, ça.
22:48 Ma tête a coupé, il saignait de la main.
22:51 Bon, à partir de maintenant,
22:53 je ne veux plus répondre à vos questions.
22:55 Très mauvaise stratégie, M. Lefèvre.
23:00 Les flics le mettent à "maturer",
23:02 comme on dit dans une cellule,
23:04 et après, ils le sortent, ils l'y remettent.
23:07 Ils le sortent, ils l'y remettent.
23:09 Rien n'a en tiré.
23:12 Et puis, vers 20h,
23:14 David Lefèvre annonce qu'il veut parler.
23:16 Je vous écoute, M. Lefèvre.
23:19 Voilà, je suis prêt à vous dire
23:21 ce qui s'est passé avec Alexandre Michaud.
23:23 Mais si vous me posez ne serait-ce qu'une question
23:25 au sujet de Julien Guérin,
23:27 je ne vous dis plus rien.
23:29 Marché conclu.
23:31 Allez-y, je vous écoute.
23:33 Alexandre,
23:35 il avait des ennuis avec Michel, l'ex de Sylvie.
23:38 Et pour ça, il m'avait demandé
23:40 de lui procurer une arme.
23:42 Alors, après l'hôpital,
23:44 je l'ai amené au sortillonnage,
23:46 dans un endroit isolé.
23:49 En fait, je n'avais pas l'intention
23:52 de lui vendre le fusil que j'avais,
23:55 mais je voulais lui faire peur.
23:58 Parce que ce gars, je sentais
24:00 qu'il allait me mener des emmerdes.
24:02 Et là, on a commencé à se bagarrer,
24:04 et puis, le coup est parti.
24:07 Je n'ai pas fait gaffe,
24:09 le coup est parti.
24:11 Et la deuxième balle, M. Lefèvre.
24:14 Je ne pouvais plus faire ma marche arrière.
24:18 Alors, je l'ai achevé.
24:20 Bien.
24:22 L'histoire ne peut être pas tout à fait celle-là,
24:24 mais il vient d'avouer.
24:26 C'est déjà ça.
24:28 Le bagarrin, on verra plus tard.
24:31 David Lefèvre est conduit dans le bureau
24:33 du juge d'instruction, en vue de sa mise en examen.
24:36 Donc, si j'ai bien compris, M. Lefèvre,
24:40 vous cherchez un endroit reculé
24:42 pour faire peur à Alexandre Michaud,
24:45 et vous avez choisi les sortillonnages
24:47 au bord du canal.
24:49 Mais pourquoi cet endroit, précisément ?
24:53 Je l'ai emmené là,
24:55 parce que c'est là qu'avait été tué Julien Guérin.
24:59 Et comment le saviez-vous ?
25:02 Je l'ai lu dans le journal.
25:04 Je suis même allé voir l'endroit par curiosité
25:07 après avoir lu l'article.
25:09 Entendu, monsieur.
25:11 Mais il y a une chose que vous ne savez pas.
25:15 Concernant le meurtre de Julien Guérin,
25:18 les policiers ont établi qu'il n'est pas mort
25:22 là où on a retrouvé son corps.
25:25 Son corps a dérivé dans la rivière.
25:29 Donc, si vous saviez où il avait été tué,
25:34 c'est parce que, sans doute, vous l'avez tué vous-même.
25:38 Et oui, monsieur Lefèvre,
25:41 il s'est trahi, l'abruti.
25:44 Il est coincé.
25:46 Et le juge le met en examen pour l'assassinat
25:48 d'Alexandre Michaud
25:50 et pour le meurtre de Julien Guérin.
25:54 Trois mois plus tard,
26:00 David Lefèvre écrit une longue lettre au juge
26:03 depuis sa cellule.
26:05 Et dans cette lettre, il reconnaît enfin
26:07 qu'il a tué Julien Guérin.
26:10 Il raconte qu'au retour de Belgique,
26:12 il a emmené Julien aux ortillonnages,
26:15 que dans son coffre, il y avait une batte de baseball,
26:18 qu'au début, ils ont commencé à jouer avec.
26:22 Et puis il dit qu'à un moment,
26:24 Julien a continué à jouer et que ça l'a énervé.
26:27 Que Julien a continué.
26:29 Et que là, il a pris un pied de biche dans son coffre
26:32 et bam !
26:34 Il dit que Julien est tombé dans l'eau du canal
26:36 et que quand il est parti, il écrit,
26:40 il était encore vivant, debout dans l'eau,
26:43 et il criait.
26:46 Autrement dit, il l'a frappé,
26:49 mais il ne l'a pas tué.
26:52 Vous y croyez si vous voulez.
26:55 Le procès de David Lefèvre s'ouvre le 12 novembre 2013
27:05 devant les assises de la Somme.
27:08 Et dès le début, Lefèvre fait une grosse bêtise.
27:12 J'ai décidé du gênement droit au silence.
27:15 Donc inutile de me questionner.
27:18 Je ne dirai rien.
27:20 Et il passe tout le procès, la tête baissée.
27:24 C'est une très mauvaise idée.
27:26 Les jurés détestent les muets.
27:29 L'enquêteur de personnalité vient raconter son enfance.
27:33 Je dirais que c'est une enfance qui a été marquée
27:36 véritablement par le désamour,
27:39 par les mauvais traitements,
27:42 par la violence,
27:45 par l'alcoolisme de ses parents
27:48 et par l'inceste.
27:51 Ses frères, ses sœurs et lui-même
27:56 ont tous terminé leur enfance
28:00 dispersés dans des foyers
28:03 et des familles d'accueil.
28:05 Et maintenant, on aimerait bien avoir l'avis d'un psychiatre.
28:09 J'informe les jurés que M. Lefèvre a refusé
28:13 de se soumettre à l'expertise d'un psychiatre en prison.
28:18 Deuxième grosse bêtise.
28:25 Et comme il refuse de parler, de s'expliquer,
28:28 on n'aura pas d'explication assez de meurtre.
28:31 On n'aura pas le mobile.
28:33 Est-ce qu'on peut en rester à l'idée qu'il a tué Julien Guérin
28:36 parce qu'il l'énervait à jouer avec la batte de baseball ?
28:39 Ça paraît court.
28:41 Est-ce qu'on peut croire qu'il a tué Alexandre Michaud
28:44 parce qu'il le prenait pour un con ?
28:46 Ça paraît court aussi.
28:48 Et avec son refus de s'expliquer,
28:51 il met son avocat en difficulté.
28:54 Que puis-je vous dire d'autre ?
28:57 Sinon que mon client pratique une sorte de suicide judiciaire ?
29:04 Suicide judiciaire qui va jusqu'à l'autodestruction.
29:10 Et ça se confirme quand David Lefebvre prend la parole en dernier.
29:14 "J'attends rien de vous.
29:17 Ni pitié, ni circonstances atténuantes.
29:21 J'ai fait ce que j'ai fait, mettez-moi une peine lourde."
29:24 Et du coup, le verdict est sans surprise.
29:32 David Lefebvre est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
29:36 A sortie d'une période de sûreté de 22 ans.
29:39 C'est le max !
29:41 Et c'est avec le chef d'enquête de la police judiciaire de Lille,
29:51 de l'antenne d'Amiens de la police judiciaire de Lille,
29:53 que je vais débriefer cette histoire.
29:55 Le Major Stéphane Billier,
29:57 petite curiosité,
29:59 évidemment vous avez été amené à témoigner dans ce procès.
30:03 Est-ce qu'à la fin, vous vous rencardez sur le verdict ou pas ?
30:07 Ou vous passez à autre chose ?
30:09 - Non, je suis mes affaires.
30:11 C'est-à-dire que systématiquement,
30:13 si vous voulez,
30:15 ce sont des affaires qui nous prennent pas mal de temps.
30:19 Et on est quand même curieux de savoir la peine qui a été prononcée.
30:23 - Bon là on a un verdict qui est sans surprise, on est d'accord ?
30:26 - Oui, oui, oui, oui, effectivement.
30:28 - Vous vous envoyez des vertes et des pas mûrs dans votre métier.
30:31 Est-ce que cette histoire-là, en particulier, vous a marqué ?
30:36 Est-ce que pour vous, au regard de tous les dossiers que vous traitez,
30:39 elle sort du lot ? Et comment ?
30:42 - Oui, elle a été particulièrement marquante
30:44 parce que c'était au tout début où une loi était passée,
30:47 où on offrait la possibilité aux personnes placées en garde à vue
30:51 de pouvoir garder le silence.
30:53 Et donc là il faut rappeler qu'au cours de cette affaire,
30:56 même si on avait de sérieuses présomptions concernant le fait F. David,
31:01 on n'avait qu'un faisceau d'indices qui concordait,
31:04 mais on n'avait pas de preuves formelles.
31:06 Et donc automatiquement, on le suivait sous écoute téléphonique.
31:12 Ce dernier s'amusait avec nous, et à certains moments,
31:16 il nous faisait même comprendre qu'il pouvait réitérer.
31:19 Et donc c'était assez stressant.
31:21 Mais a priori, quand il a fini par avouer,
31:27 on a réussi à le faire parler en fin de compte,
31:29 en exploitant un petit peu son sentiment de supériorité
31:32 et le défi qu'il nous avait lancé.
31:34 - J'aimerais que vous me le racontiez, ce David Lefebvre.
31:38 Vous l'avez eu en face de vous à de nombreuses reprises,
31:40 vous l'avez écouté pendant des jours et des jours,
31:43 vous avez témoigné à son procès.
31:45 Moi je l'imagine, mais je me dis que j'ai sans doute tort,
31:47 parce que l'imagination n'est pas bonne conseillère.
31:50 - J'imagine frustre, introvertie, perturbé. Est-ce que c'est le cas ?
31:54 - Pas du tout. Lefebvre David, bon déjà, il a un physique très agréable,
31:59 il est narcissique, il est manipulateur, à savoir que,
32:04 en gros, il veut exercer une domination sur des personnes
32:07 qui, généralement, sont en rupture sociale, telles que Sylvie,
32:12 et ces personnes en rupture sociale, il les met sous sa dépendance,
32:16 parce que lui a un véhicule, et il leur permet, en fin de compte,
32:19 plein de services, c'est quelqu'un d'extrêmement dévoué,
32:21 mais dans un but bien précis.
32:23 - De manipulation ?
32:24 - De manipulation et d'emprise, oui.
32:28 C'est quelqu'un qui a une absence totale d'empathie,
32:31 notamment pour les personnes faibles ou encore les toxicomanes,
32:35 il considère les toxicomanes comme des nuisibles.
32:38 Il a un côté très ordonné, voire maniaque,
32:41 dont vous avez fait état, évidemment.
32:44 - Son studio, là, son studio trop rangé.
32:46 - Mais même, même, son véhicule, pour quelqu'un de célibataire de son âge,
32:52 c'est poussé à l'extrême.
32:54 Bon, après, il est évident qu'il a voulu effacer l'épreuve,
32:58 ça c'était éclairé.
33:00 Et d'autre part, le fait d'aviser, c'est pas du tout un frustre,
33:03 c'est quelqu'un qui a une intelligence qui, à mon sens,
33:05 est au-dessus de la moyenne, compte tenu de son enfance malheureuse.
33:08 - Au-dessus de la moyenne ?
33:10 - Ah, moi, oui, compte tenu, j'entends bien,
33:13 compte tenu de son enfance malheureuse.
33:15 C'est-à-dire que si ça avait été quelqu'un qui avait été élevé dans un foyer,
33:20 qu'il l'aurait suivi et tout ça,
33:22 moi, je pense qu'il aurait pu prendre un autre chemin.
33:25 - Parce que, mais ça, vous, c'est pas votre boulot,
33:28 ça, l'enquête de personnalité, l'histoire du mec,
33:31 ça, c'est fait plus tard pour le procès.
33:33 Vous, ces sujets-là, qui concernent son enfance,
33:37 les violences, l'inceste, l'alcoolisme de ses parents,
33:40 le placement en foyer et en famille d'accueil,
33:43 vous êtes au parfum de ça pendant l'enquête ou pas ?
33:46 - Oui, oui, c'est très important.
33:48 C'est très important, d'une part, pour...
33:51 Alors, on n'est pas psychologues, si vous voulez,
33:53 mais c'est très important d'avoir des renseignements
33:55 sur la personnalité de cette personne,
33:58 parce que ça permet de détecter d'éventuelles faiblesses.
34:02 Et là, sa faiblesse, en gros, c'est son sentiment de supériorité.
34:07 Il nous a totalement défiés pendant toute l'enquête,
34:09 au travers des écoutes et tout ça,
34:11 et on l'a encouragé à répondre à nos questions,
34:14 ce qu'il a fait dans un premier temps.
34:16 Et quand il a vu qu'il s'est enfermé au fil des questions et tout ça,
34:19 et quand il a commencé à douter,
34:21 c'est là où il use de son droit au silence.
34:24 Et après, pourquoi il nous reparle,
34:26 pourquoi il demande à nous reparler après ?
34:28 C'est simplement parce qu'il ne veut pas perdre sa superbe.
34:31 Et donc, il veut reprendre la main,
34:33 et donc, c'est là où il nous dit,
34:35 "Écoutez, vous restituez le matériel que vous avez saisi à mon domicile,
34:40 au cadre de vos perquisitions,
34:41 et moi, je vous dis exactement ce qui se passe."
34:43 Donc, au départ, on ne le prend pas pour argent comptant,
34:45 mais il nous donne, comment dire, le calibre de l'arme qu'il a utilisée.
34:49 On appelle l'expert légiste,
34:51 et l'expert légiste nous dit que le calibre est totalement compatible
34:55 avec les blessures constatées sur le corps d'Alexandre Michaud.
34:58 - Alors, pourquoi, Major, est-ce que d'après vous,
35:01 il n'avoue pas les évidences ?
35:05 Jamais, jusqu'au bout.
35:07 Il finace, il trouve des excuses à la noix,
35:10 mais la vérité, il ne veut pas.
35:13 Et peut-être qu'il ne peut pas la dire.
35:15 - Bah, moi, je pense qu'il ne peut pas la dire,
35:17 parce que, moi, le mobile, que j'ai cru décelé dans ses actes,
35:23 c'est... il considère les toxicomanes
35:27 et les personnes qui risquent de lui faire perdre son emprise,
35:31 notamment sur Sylvie,
35:33 comme étant ses adversaires et comme étant des nuisibles.
35:36 Nuisibles, il considère que la toxicomanie, en fin de compte,
35:40 Guérin, en gros, puisqu'il était toxicomane,
35:43 n'avait pas le droit de vivre, quoi, en fin de compte.
35:45 - Et pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'il ne supporte pas les toxicomanes ?
35:48 Parce que lui-même, au fond, avait toutes les raisons d'être toxico,
35:51 puisqu'il avait eu une enfance très, très, très douloureuse,
35:54 et qu'il ne l'a pas été, à la force de son courage ?
35:57 - Moi, je pense qu'il s'est forgé une personnalité,
36:00 il a des notions du bien, du mal,
36:03 et il essaie de cadrer à ce qu'elle ne va,
36:06 et toute personne qui ne cadre pas à ce que lui pense,
36:10 pour lui, c'est quelqu'un qui... c'est un inutile.
36:14 - J'ai adoré le moment où la jonction se fait
36:17 entre les deux affaires Guérin et Michaud.
36:20 C'est donc ce moment où vous réalisez qu'il y a le même David dans les deux dossiers.
36:24 Comment est-ce que vous le réalisez ?
36:26 Est-ce que c'est juste quelqu'un de votre équipe qui a un flash, comme ça,
36:30 ou est-ce que c'est l'oeuvre d'un de ces fameux logiciels d'enquête
36:33 qui repère le même bonhomme dans les deux dossiers ?
36:36 - Non, pas du tout. Alors si vous voulez, nous,
36:39 au Pôle judiciaire, nous sommes saisis
36:42 juste après l'assassinat d'Alexandre Michaud.
36:44 Donc on n'a pas travaillé sur Julien Guérin dans un premier temps,
36:48 mais au niveau du parquet,
36:51 le dossier est à l'étude, et on a été alerté sur ce dossier-là,
36:55 pour, justement, qu'on puisse dans un premier temps
36:59 faire une évaluation, voir un petit peu les pistes
37:02 si rien n'était passé à côté.
37:06 Et donc, David Lefèvre, c'est quelqu'un...
37:12 C'est la principale piste qu'on a
37:15 dès le départ de notre enquête concernant Alexandre Michaud.
37:18 - D'accord, vous êtes déjà sur lui.
37:20 - On a connaissancement. Par contre, ce qu'on ne veut pas faire,
37:23 c'est perdre notre objectivité.
37:25 A savoir qu'il y a tout un nombre de pistes périphériques
37:28 qui peuvent expliquer la mort d'Alexandre Michaud.
37:31 Et donc, ce qu'on fait, c'est, en même temps qu'on rassemble
37:35 des indices à l'encontre de Lefèvre David,
37:38 notre boulot aussi, c'est d'éliminer toutes les pistes périphériques
37:42 pour être sûr qu'on est dans le vrai.
37:45 - Fermez les portes, comme on dit.
37:47 - Fermez les portes, oui.
37:49 - Alors, dans le meurtre de Julien Guérin,
37:51 j'adore cette séquence, devant vous, il nie.
37:54 Et puis donc, il est déféré devant le juge d'instruction,
37:57 qui le coince assez habilement,
38:00 en lui démontrant qu'il ne pouvait pas savoir où il avait été tué,
38:03 puisque le corps avait dérivé.
38:05 Ça, ça soit d'avoir vous mettre un peu les boules.
38:08 Qu'il le fasse devant le juge et pas devant vous.
38:10 - Non, parce que, alors si vous voulez, dans le marché,
38:13 qu'il avait passé avec moi, il est hors de question
38:16 qu'on parle de Julien Guérin.
38:18 Moi, ce que je voulais dans un premier temps, c'était Alexandre Michaud,
38:21 et je ne voulais pas me contenter d'aveux non circonstanciés,
38:24 dans le sens où je me disais, mais il pourra revenir après,
38:27 largement, en disant que j'exercie des pressions, ce genre de choses.
38:30 Donc, je voulais un élément précis,
38:32 à savoir qu'il nous donne l'endroit où il avait jeté l'arme.
38:35 Et, si vous voulez, pour ne pas le braquer,
38:38 j'ai respecté le deal.
38:43 - Après, je trouve que le juge, là, il a un peu futé.
38:45 C'est pour un téléfilm ou un film,
38:49 c'est une très très bonne astuce,
38:51 de l'amener comme ça, à se couper, en fait.
38:54 - Ah oui, non, mais c'est clair.
38:57 - Alors, il y a une dernière chose que je veux vous demander.
39:01 Son avocat, finalement, le pauvre,
39:04 dont il doit le défendre, ce qui est une tâche assez vaine
39:07 devant la cour d'assises,
39:09 il utilise une expression qui est vraiment intéressante.
39:12 Il parle de "suicide judiciaire".
39:14 Qu'est-ce que vous pensez de cette expression ?
39:16 - "Suicide judiciaire", dans le sens où
39:19 il n'a pas voulu, a priori, parler,
39:22 expliquer pendant son procès,
39:24 ce que vous avez dit, c'est très mal ressenti par un jury.
39:27 Le fait qu'il aurait pu exploiter son enfance malheureuse,
39:31 etc., etc., et le fait qu'il apparaisse au procès
39:34 totalement détaché de son propre procès.
39:36 Il est là, dans le box, parce qu'il n'a pas le choix.
39:38 Mais, lui, pour lui, je pense qu'on revient à sa personnalité
39:42 où il a pris conscience qu'il a commis deux homicides
39:46 et qu'à priori, il doit payer pour ça.
39:51 Et d'ailleurs, il ne fera pas appel de son procès.
39:55 - Alors que si il avait accepté l'expertise psychiatrique,
39:58 il peut-être aurait souligné des failles
40:01 et accepté aussi de mettre en jeu son enfance
40:05 et les souffrances qu'il a pu avoir.
40:07 En tout cas, il aurait pu éviter la peine de sureté
40:09 et peut-être avoir 30 ans au lieu de perpète.
40:12 - Je pense que, compte tenu de cette affaire,
40:15 parce qu'Alexandre Michaud, il s'agit d'une véritable exécution.
40:19 - Oui, oui.
40:20 - Je veux dire...
40:21 - Il n'a pas grand chose à jouer.
40:23 - Moi, je ne pense pas qu'il ait...
40:25 Là-dessus, je veux dire...
40:27 Vous savez, je pense qu'il n'était pas le seul
40:29 à avoir eu une enfance difficile.
40:31 Et je crois qu'heureusement pour nous,
40:33 toutes les personnes qui vivent une enfance malheureuse
40:35 ne deviennent pas forcément psychopathes.
40:37 - C'est vrai.
40:38 Mais, en revanche, tous ceux qui deviennent psychopathes
40:40 ont eu une enfance malheureuse.
40:42 Vrai ou faux ?
40:43 - Oui, enfin, ça, je...
40:45 Sincèrement, je ne sais pas.
40:47 - Vous connaissez mieux la matière que moi,
40:48 vous ne me racontez pas d'histoire.
40:49 - Oui, mais enfin, vous savez, des psychopathes sur Amiens...
40:52 Je veux dire, pourquoi ça a été une affaire marquante ?
40:54 - Oui.
40:55 On n'en a pas tous les jours.
40:56 - A priori, on n'en a pas tous les jours, c'est évident.
40:58 - Merci.
40:59 Qu'est-ce que c'est agréable de parler avec quelqu'un
41:01 qui connaît le métier.
41:02 Le Major Stéphane Billier,
41:04 de l'antenne d'Amiens de la police judiciaire de Lille.
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