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Xerfi Canal a reçu Timothée Parrique, chercheur en économie écologique à l'université de Lund (Suède), pour parler d'une décroissance économique. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00 Bonjour Timothée Parique.
00:14 Bonjour.
00:15 Timothée Parique, vous êtes chercheur à l'université de Lund, vous publiez aux éditions
00:19 du Seuil "Ralentir ou périr, l'économie de la décroissance".
00:22 Vous venez d'être invité à HEC Paris pour ouvrir dans le cadre des enseignements
00:28 d'HEC de la sensibilisation à la question environnementale, ouvrir les conférences
00:32 aux étudiants pour les sensibiliser à tout ça.
00:35 Ce n'est pas un petit sujet quand même et vous ne le traitez pas d'une petite
00:38 manière, vous y allez fort, vous y allez franco, vous nous dites voilà, plaidoyer
00:44 pour une économie stationnaire et en plus ça va nous rendre heureux.
00:47 Alors déjà il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, c'est-à-dire que pour
00:53 qu'on puisse avoir une économie stationnaire, une économie à l'équilibre, il va falloir
00:57 passer par une phase de décroissance.
00:59 Ça c'est le premier argument du livre, mais de se dire que cette phase de décroissance
01:02 ça ne va pas forcément être une transition qui va se faire dans le sacrifice, dans la
01:06 réduction de la qualité de vie, un retour à la lampe à huile au Moyen-Âge comme
01:10 on a souvent dans les associations, dans la presse, avec la décroissance.
01:13 On peut trouver énormément de co-bénéfices.
01:16 On sait par exemple que quand on passe d'un mode de mobilité très basé sur l'automobile
01:22 individuelle à un mode de mobilité active, on fait baisser l'empreinte écologique
01:26 et on améliore aussi les indicateurs de santé.
01:28 On arrive aussi à avoir une baisse de la pollution sonore dans les villes, une baisse de la pollution
01:33 de l'air, donc on a plein d'effets boules de neige.
01:35 Donc là, moi ce que j'ai essayé de mettre en avant dans le livre, c'est que beaucoup
01:39 des choses que l'on doit faire pour survivre sont aussi des choses qui vont nous permettre
01:43 de mieux vivre.
01:44 Oui, il faut d'abord passer par la décroissance avant de penser le stationnaire.
01:49 Exact.
01:50 Vous avez raison de me corriger.
01:51 Vous le dites tout le temps, vous le dites finalement, tout le monde dit « ce n'est
01:58 pas possible, ce n'est pas possible de décroître, on ne sait pas décroître ». Il y a une obsession
02:02 de croissance, on a été élevé dans cette obsession, toutes nos élites ne pensent que
02:06 croissance et vous répondez finalement « si on avait toujours fait fausse route, est-ce
02:11 qu'il ne faut pas arrêter de courir après le prochain désir insatiable ? »
02:14 Je trouve ça paradoxal parce qu'on est censé justement aujourd'hui, la start-up
02:19 nation avec cet imaginaire autour de l'entreprenariat, d'avancer dans le noir, de créer des choses
02:25 qui n'ont jamais existé, ça il n'y a pas de souci, on le fait dans la Silicon Valley,
02:28 on le fait dans nos entreprises, mais dès qu'on parle de faire ça sur notre modèle
02:32 économique, là d'un coup il n'y a plus personne.
02:34 Si un pays avant ne l'a pas essayé pendant 30 ans et on peut faire la même chose, là
02:38 on n'essaiera rien.
02:39 Aujourd'hui, il faut qu'on applique cette même pensée de l'innovation radicale,
02:43 de se dire aujourd'hui « oui, on a un modèle à inventer qui n'a jamais existé
02:46 avant ». Ça ne veut pas dire que c'est complètement nouveau, on va pouvoir aller
02:48 chercher des expériences ici, dans plusieurs pays, moi c'est ce que j'essaie de rassembler
02:52 dans le livre, je montre que dans plein de pays du monde, il y a des expériences, que
02:55 ce soit l'agroécologie cubaine, que ce soit l'économie sociale et solidaire française,
03:00 que ce soit la mobilité électrique norvégienne, la taxe carbone suédoise, la mobilité active
03:05 en Hollande, que ce soit les monnaies temps au Japon, on peut vraiment aller chercher
03:10 des expériences partout, ce qu'il nous faut.
03:12 Le revenu universel.
03:13 Le revenu universel et plein d'autres choses, il faut les ficeler ensemble, c'est ce que
03:16 j'essaie de faire pour montrer que ça ferait système et qu'au fond du tullel, on aurait
03:21 une économie qui serait beaucoup plus performante que celle d'aujourd'hui.
03:25 Performante pas en termes de PIB, pas en termes de lucrativité, mais en termes de ce que
03:30 devrait faire une économie, contenter, satisfaire des besoins, être résiliente et pouvoir
03:34 fonctionner sur le long terme, donc être écologiquement soutenable.
03:37 J'ai envie de vous poser la question de manière très directe, tout le monde a en
03:40 tête la sobriété, vous évoquez la question de la sobriété dans l'ouvrage, comment
03:45 vous avez réagi quand ce mot a commencé à devenir le mot le plus utilisé par nos
03:51 hommes politiques aujourd'hui ? Est-ce que finalement, ils ne seraient pas tous en train
03:53 de se convertir à la décroissance ?
03:55 Doucement, pour l'instant, il y a une grande contradiction, c'est de se dire on veut
03:58 de la sobriété de consommation, mais on veut aussi produire plus.
04:02 Alors là, bien sûr, ça ne marche pas.
04:04 C'est de dire moi, j'aimerais bien freiner, mais tout en continuant d'accélérer.
04:07 Forcément, d'un moment, ça va poser problème.
04:11 La première étape, c'est de se rendre compte qu'on a besoin d'une sobriété
04:14 de consommation, mais qu'il faut allier cette sobriété de consommation avec un renoncement
04:19 de la production.
04:20 Par exemple, on réalise qu'il faut moins prendre l'avion, donc les consommateurs
04:24 décident d'organiser leur mobilité de manière différente, de moins prendre l'avion.
04:27 Mais si d'un autre côté, on a une entreprise à but lucratif qui va se dire on a les ventes
04:31 qui baissent, on va faire des soldes pour attirer plus.
04:33 Là, on va avoir un effet rebond.
04:34 Alors que si on a une coopérative à lucrativité limitée qui fait nous, on s'engage justement
04:39 à baisser le nombre de vols en fonction du baisse de la demande.
04:42 Sobriété de consommation, renoncement de production, qui elle-même va créer un cercle
04:47 vertueux sobriété de consommation, renoncement de production.
04:49 Et ça, ça nous permet de faire atterrir une économie de croissance en dépassement
04:53 écologique énorme, d'organiser ce régime et surtout un régime qui va permettre de
04:58 recentrer l'usage de nos ressources naturelles sur les activités les plus essentielles.
05:02 Donc là aussi, au sein de la discussion sur l'aviation commerciale, on va pouvoir venir
05:07 prioriser certains usages de l'avion et avoir une véritable discussion démocratique
05:12 sur l'accès par exemple à l'aviation qui aujourd'hui est très inégale.
05:14 J'ai envie de dire qu'en vous lisant, il y a un mot qui vient tout de suite à l'esprit,
05:19 c'est celui de responsabilité.
05:20 C'est-à-dire autant il y a 20, 30 ans, on pouvait se dire mais si on a besoin de la
05:24 croissance et si vous vous dites non, ça y est, nos besoins sont satisfaits.
05:27 Et donc finalement, c'est un problème de répartition des richesses, ce n'est plus
05:31 un problème de production de richesses nouvelles.
05:33 C'est une vraie responsabilité parce qu'il y a des pays dans le monde où on ne mange
05:38 pas à sa faim.
05:39 Comment on arrive encore à se regarder dans la glace, etc. tous les matins ? Et puis surtout,
05:44 c'est évoqué Paul-Ani dans l'ouvrage, l'économique s'est désencastrée du
05:49 politique.
05:50 On pourrait dire que le financier s'est désencastré de l'économique.
05:53 Peut-être que la réponse, elle est là.
05:55 Elle est effectivement, il faut ralentir.
05:56 Il faut ralentir face à cette machine qui est devenue folle.
06:00 Je pense que dans notre imaginaire collectif aujourd'hui, quand on entend croissance,
06:04 on pense innovation, prospérité, service public de qualité, éradication de la pauvreté,
06:10 réduction des inégalités, plein emploi.
06:12 Mais ces associations ne sont pas vérifiées dans les faits.
06:16 C'est-à-dire qu'en France, on a une décorrelation, un découplage, une dissociation
06:21 entre le PIB par habitant et les indicateurs de qualité de vie.
06:25 Donc aujourd'hui, on sacrifie nos écosystèmes et une grande partie de notre temps et on
06:29 met un obstacle énorme à la résolution de la crise écologique pour poursuivre cette
06:35 chimère de la croissance économique qui ne nous rend même pas heureux.
06:38 Dans le livre, je compare ça un petit peu à Sissif.
06:41 On continue à pousser notre rocher du PIB pendant plusieurs années jusqu'à ce qu'on
06:45 se tape une crise économique.
06:46 Ça redescend.
06:47 On continue.
06:48 Mais on n'en tire rien socialement.
06:49 C'est futile et c'est un coût écologique désastreux.
06:53 On l'a vu pour les populations d'abord les plus vulnérables et à long terme, même
06:56 pour nous et pour tout le monde.
06:58 Enfin, le débat redevient politique, un débat d'économie politique majeure.
07:02 Ralentir ou périr, l'économie de la décroissance.
07:05 Vous citez à très nombreuses reprises les rapports du GIEC, évidemment, mais tout
07:09 le monde a constaté aujourd'hui combien le sujet est urgent.
07:12 Merci à vous, Timothée Parik.
07:14 Merci.
07:16 [Musique]
07:22 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]

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