Comme chaque semaine dans "À l'épreuve des faits", notre journaliste Céline Pitelet tente de démêler le vrai du faux dans l'actualité de la semaine.
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00:00 Le ministre des Comptes publics a présenté cette semaine son plan.
00:02 Il cible les ultra-riches et les multinationales.
00:05 Dans le même temps, il veut alléger la pression sur les classes moyennes et les petits contribuables.
00:08 Les ultra-riches sont-ils pour autant les plus gros fraudeurs fiscaux ?
00:11 On va voir ça avec vous.
00:12 D'abord, la lutte contre la fraude, ce sont des milliards d'euros à récupérer.
00:17 Oui, même si on n'a pas de chiffres précis, on l'a expliqué plusieurs fois dans cette émission,
00:20 c'est très difficile d'évaluer, d'estimer quelque chose qui par nature est caché.
00:24 Alors, on dispose d'une fourchette qui est très large.
00:26 La fraude fiscale en France est estimée entre 30 et 80 milliards d'euros,
00:31 voire 100 milliards d'euros selon les sources par an.
00:34 La première chose à faire, et il y a une certaine confusion sur ce point-là cette semaine,
00:39 c'est d'abord de différencier la fraude fiscale et l'optimisation fiscale.
00:44 Écoutez les explications d'Éric Vernier, il est chercheur et spécialiste de la fraude fiscale.
00:49 Il y a une grosse différence, c'est que la fraude fiscale est interdite et l'optimisation est autorisée.
00:55 Et donc on se situe aussi, il y a un troisième terme qui est la planification fiscale agressive
01:00 et qui est justement ce qui se trouve entre les deux,
01:04 c'est-à-dire on est avec de l'optimisation mais exacerbée
01:09 et donc qui correspond plus à de l'abus de droit que à ce qui est autorisé.
01:14 Et donc Gabriel Attal veut s'attaquer à la fois à la fraude fiscale
01:17 mais aussi à l'optimisation fiscale agressive qui flirte étroitement avec l'illégalité,
01:23 nous dit Éric Vernier, le ministre des Comptes publics, qui appelle ça la zone grise.
01:27 Et dans Le Monde, en début de semaine, Gabriel Attal affirme notre priorité,
01:31 c'est de faire payer ce qu'ils doivent aux ultra-riches et aux multinationales qui fraudent.
01:36 Explication le lendemain sur le plateau de BFM TV.
01:39 Je ne suis pas là en train de stigmatiser certains à dire qu'ils sont tous des fraudeurs.
01:43 Je dis, moi je veux pourchasser ceux qui fraudent, recouvrer ceux qui est dû aux finances publiques.
01:49 Et il est vrai que sur un certain nombre de dossiers du haut du spectre,
01:52 comme on dit notamment dans les multinationales,
01:54 ce sont des montants qui sont souvent très importants.
01:56 On pourrait se dire presque par logique que les plus riches sont les plus gros fraudeurs fiscaux.
02:01 Est-ce que c'est vrai ?
02:02 Alors d'abord, j'ai consulté le rapport de la Commission des infractions fiscales.
02:06 Le dernier porte sur l'année 2021 et il nous permet de voir
02:09 quelles sont les catégories socio-professionnelles
02:11 et les secteurs d'activité où la fraude est la plus importante.
02:14 Comme les années précédentes, ce sont les dirigeants d'entreprises
02:17 qui sont les plus gros fraudeurs en 2021.
02:20 Et sur les dossiers connus par cette commission,
02:22 donc c'est une partie de la fraude fiscale,
02:24 les patrons ont fraudé à hauteur de 16 millions d'euros
02:27 sur un total de 80 millions d'euros de fraude détectée.
02:31 Les dirigeants d'entreprises sont loin devant les professions libérales et les salariés.
02:35 Parmi les secteurs qui fraudent le plus, il y a le BTP, le gardiennage,
02:41 l'immobilier, l'automobile, l'hôtellerie, restauration.
02:44 Et enfin, on apprend que la fraude fiscale la plus répandue,
02:47 la plus importante, c'est la fraude à la TVA.
02:50 C'est ce qu'on peut lire dans ce rapport et c'est ce que souligne aussi Agnès Verdier-Molinier,
02:53 directrice de la fondation IFRAP et auteure de l'ouvrage "Où va notre argent ?"
02:59 Une grosse partie, c'est de la fraude à la TVA.
03:01 Ce n'est pas du tout des gros patrimoines ou des multinationales
03:05 qui font l'essentiel de la fraude fiscale.
03:07 Et là, dans la présentation du plan, il y a quelque chose qui est un peu tronqué en réalité.
03:12 Même son de cloche du côté d'Emmanuel Lechypre, notre éditorialiste BFM Business.
03:17 Le secteur le plus sanctionné, par exemple, c'est le secteur du bâtiment,
03:20 que ce sont plutôt des PME qui sont plutôt aussi sanctionnés.
03:27 Ce sont souvent des dirigeants de PME qui font des montages financiers un peu complexes.
03:31 Donc de dire que la fraude fiscale en France, c'est les multinationales et les ultra-riches
03:36 et que si on renforce la lutte contre la fraude fiscale vis-à-vis d'eux,
03:41 on va engranger des milliards d'euros qui vont finalement rentrer dans les caisses de l'État.
03:47 C'est un récit qui est sans doute un peu trop beau pour être vrai.
03:52 Et sur le profil des fraudeurs à la TVA,
03:54 Emmanuel Lechypre nous parle des patrons de PME.
03:57 Ça va parfois bien au-delà, nous dit Éric Vernier.
04:01 Ça va de l'entreprise avec un chef d'entreprise qui aurait des dérives comportementales,
04:09 en quelque sorte, jusqu'à des organisations criminelles
04:13 qui organisent cette fraude de manière collective.
04:19 Là, on est dans le crime organisé, donc on va jusqu'à ces sphères.
04:26 Pourquoi est-ce que Gabriel Attal cible les ultra-riches ?
04:29 Il le dit lui-même dans Le Monde.
04:31 Il dit "je ne dis pas que les plus riches fraudent davantage,
04:34 mais que quand cela arrive, les montants sont importants".
04:37 Aujourd'hui, 80% des droits redressés sont le fait de 10 à 15% des dossiers,
04:42 dit-il, sans prendre au plus riche.
04:45 C'est la valeur d'exemple, c'est ce que nous dit aussi Laurent Neumann.
04:49 Souvenez-vous de la valeur d'exemple qu'ont eues les affaires Cahuzac, par exemple.
04:53 600 000 euros d'argent en Suisse de la prison ferme.
04:57 Souvenez-vous de l'affaire Belkady.
04:59 On parlait de 13 millions d'euros de fraude fiscale.
05:02 On n'est pas sur des petites sommes à l'arrivée de la prison.
05:05 Ces affaires ont eu valeur d'exemple.
05:08 Et là, l'idée, c'est l'exemple que veut envoyer le gouvernement.
05:11 Alors ça marchera ou pas, c'est nouveau ou pas,
05:14 on donnera les moyens à Bercy ou pas,
05:16 mais en tout cas, il y a un message qui est envoyé clair.
05:18 Et celui-là, vous avez raison, c'est un message politique.
05:21 C'est de dire "on ira traquer les gros comme on traque les petits".
05:25 Pour mettre Stéphane Babonneau aussi, c'est un message politique.
05:30 Il nous dit que quand on regarde les poursuites pour fraude fiscale,
05:33 en fait, il se rend compte que ce sont souvent les mêmes types de personnes
05:37 qui recomparaissent devant les tribunaux.
05:39 Il nous explique.
05:41 Vous avez des secteurs qui génèrent beaucoup de fraude fiscale.
05:44 Le bâtiment, l'automobile, vous avez la restauration.
05:48 Et je pense que dans le message qui est annoncé en disant
05:50 "on va pas, on va s'en prendre aux ultra riches",
05:52 c'est aussi une façon de faire passer finalement
05:56 l'accroissement des moyens pour lutter contre la fraude fiscale
05:58 sans donner nécessairement l'impression que c'est encore sur les mêmes qu'on va taper.
06:01 Parce qu'on tape beaucoup sur les mêmes, mais pour une raison simple aussi.
06:05 D'abord, c'est qu'il y a beaucoup de fraude dans certains domaines
06:07 qui sont malheureusement structurellement générateurs de fraude,
06:10 mais aussi parce que c'est plus facile d'aller là.
06:12 C'est-à-dire que quand vous arrivez sur des petites sociétés
06:14 qui déclarent pas la TVA depuis des années,
06:16 en deux temps, trois mouvements, on a des redressements assez importants.
06:20 En revanche, aller chercher sur de la fraude fiscale complexe,
06:23 et bien prouver les éléments de la fraude,
06:26 ça c'est beaucoup plus compliqué, ça prend plus de temps,
06:29 et parfois on laisse tomber en cours de route en se disant
06:31 pourquoi aller chercher finalement de la fraude complexe,
06:34 alors qu'on peut trouver une société de BTP au coin de la rue
06:36 où on est sûr quasiment de trouver des redressements.
06:38 Alors revenons sur ce que le ministre des Comptes publics
06:41 appelle la "zone grise" à laquelle il veut s'attaquer, c'est quoi ?
06:44 Alors on va voir ça avec Emmanuel, le chiffre qui nous précise précisément.
06:49 Voilà, au moins c'est bien précis de quoi il s'agit.
06:53 C'est vrai que les multinationales pratiquent à grande échelle
06:57 ce qu'on appelle l'optimisation fiscale.
06:59 C'est l'utilisation, parfois jusqu'à la limite de l'honnêteté,
07:05 mais c'est l'utilisation optimale de tous finalement les outils fiscaux
07:10 à disponibilité des entreprises pour minimiser leurs factures fiscales.
07:14 Même chose pour les ultra-riches, ils ont tous des bataillons
07:17 d'avocats fiscalistes qui leur permettent d'optimiser finalement au mieux leur placement.
07:22 Alors est-ce que...
07:23 C'est assez précis.
07:25 Maintenant, est-ce que ce sont les plus riches et les multinationales
07:28 qui se livrent à cette optimisation fiscale, parfois agressive ?
07:32 Écoutez la réponse d'Éric Vernier.
07:34 C'est principalement les multinationales,
07:38 puisque l'entreprise locale a quand même beaucoup plus de mal
07:41 à partir sur des montages internationaux, même si ça existe.
07:46 On a pu le voir par le passé.
07:48 Le problème de ces multinationales, c'est qu'elles ont effectivement
07:52 à leur disposition d'excellents fiscalistes internationaux,
07:56 d'excellents spécialistes de la finance internationale,
07:59 face finalement à ces États qui sont parfois sans moyens.
08:06 On parle aujourd'hui évidemment de la France,
08:08 qui n'est pas la moins bien dotée, mais qui manque cruellement de moyens.
08:13 Mais on a d'autres États qui sont très très très très faibles
08:16 par rapport à des multinationales très puissantes.
08:18 Je pense à certains États africains qui finalement,
08:21 contre parfois quelques menus avantages,
08:25 ont accepté que ces multinationales ne payent pas d'impôts sur le territoire.
08:29 Et puis aussi certains États que l'on considère comme des paradis fiscaux
08:33 et bancaires aujourd'hui, qui n'ont comme ressources
08:36 que ces entreprises implantées sur le plan bancaire sur le territoire.
08:44 Donc si nous revenons au début de nos échanges,
08:46 Gabriel Attal a donc promis de s'attaquer aux ultra-riches et aux multinationales.
08:50 Oui, alors son plan prévoit une hausse de 25% des contrôles fiscaux
08:54 sur les gros patrimoines d'ici la fin du quinquennat,
08:56 avec 1500 effectifs supplémentaires.
08:59 Un plan sans objectif chiffré.
09:01 Alors est-il à la hauteur ce plan ?
09:03 Écoutez la réponse d'Éric Vernet.
09:05 Dans ce plan, je ne vois rien de nouveau.
09:07 C'est-à-dire qu'il y a énormément de mesures qui existent déjà.
09:10 Et surtout, c'est assez récurrent ces annonces.
09:14 Et à chaque fois, finalement, l'effectivité est très très faible.
09:17 C'est-à-dire que les suites sont quasi inexistantes très souvent.
09:21 Alors ce qui a peut-être d'intéressant,
09:23 c'est effectivement un peu plus de moyens humains
09:26 dans la lutte contre la fraude fiscale,
09:29 avec l'annonce d'un recrutement de 1500 agents, dont 100 spécialistes.
09:34 Alors 100 spécialistes, il faudra les trouver.
09:36 Ça ne va pas être facile.
09:37 On connaît la difficulté pour recruter aujourd'hui.
09:40 Et puis 100, ça sera de toute façon insuffisant,
09:43 compte tenu de la complexité et de la sophistication de ces montages.