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Chaque lundi dans la matinale de Dimitri Pavlenko, Philippe Val livre son regard sur l'actualité.
Retrouvez "Philippe Val - Les signatures d'Europe 1" sur : http://www.europe1.fr/emissions/philippe-val-les-signatures-deurope-1

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Transcription
00:00 Emmanuel, mais d'abord Philippe Vall c'est à vous. Bonjour Philippe.
00:02 - Bonjour Dimitri, bonjour à tous.
00:04 - Vous vouliez rendre hommage ce matin au grand avocat pénaliste Georges Kejman, décédé la semaine dernière.
00:08 - Oui, comme les morceaux de banquise se détachent et fondent dans l'océan, avec Georges Kejman
00:14 c'est un bloc précieux de notre XXe siècle qui a disparu.
00:19 Depuis quelques mois, nous savions que la mort rôdait autour de lui, pourtant nous qui le connaissions et l'aimions,
00:26 nous avons été pris de court, il était tellement vivant qu'on n'imaginait pas qu'il puisse mourir.
00:31 - Alors c'était un avocat historique, à l'éloquence, redoutable.
00:35 - Bien sûr, et parce qu'il était, avec Richard Malka, un de mes deux avocats dans le procès des caricatures,
00:41 je peux témoigner qu'il valait mieux l'avoir avec soi que contre soi.
00:45 - Mais qu'est-ce qui faisait sa force Philippe ?
00:47 - Sa très singulière humanité.
00:49 Son éloquence n'était pas une habileté travaillée,
00:52 elle tirait sa force d'une sincérité sans laquelle il n'avait rien à dire.
00:57 Son intelligence, sa curiosité, sa culture et son humour hors du commun faisaient le reste.
01:03 Par la grâce de sa légèreté et de sa malice perpétuelle,
01:07 il glissait avec élégance sur le lac mystérieux de sa mélancolie.
01:11 Enfant d'émigrés juifs polonais, il a vécu une enfance misérable et traquée.
01:17 Son père est mort à Auschwitz, raflé avec sa mère,
01:20 il a eu la vie sauve grâce à un juge qui a fait semblant de croire au mensonge de sa mère
01:25 qui, parlant à peine le français, prétendit au mépris de toute vraisemblance être une Polonaise catholique.
01:32 Élevé par une mère qui luttait chaque jour pour la nourriture,
01:36 il a fait de brillantes études à l'école de la République,
01:39 il citait de mémoire le nom de tous les professeurs qui l'avaient encouragé.
01:44 Il était un pur produit du mérite républicain
01:47 et jamais on ne l'a entendu se plaindre de quoi que ce soit,
01:50 hormis de ses soucis de santé et encore, le plus souvent, pour en faire un bon mot,
01:55 il était ce qu'on appelait au XXe siècle un homme supérieur.
01:59 - Mais qu'est-ce qu'un homme supérieur ?
02:00 - Eh bien c'est quelqu'un qui a compris que l'amitié, la littérature, le cinéma, l'humour, le rire, la légèreté,
02:07 l'intelligence joyeuse et l'amour de l'amour, l'amour des femmes en l'occurrence,
02:11 sont les seules armes décentes pour affronter les tragédies de la vie.
02:16 Au cimetière du Montparnasse, Thierry Marambert, Pierre Norard, Richard Malka, Isabelle Huppert,
02:22 Inés de Lafraissange et les trois enfants de Georges ont pris la parole devant son cercueil.
02:27 Et peut-être est-ce là un des miracles de l'immortalité,
02:31 mais à travers chacun d'eux, quelque chose de Georges Kecsman s'est exprimé.
02:36 Et c'est ainsi que, sous la petite pluie froide,
02:39 nos yeux inondés ont été régulièrement balayés par l'essuie-glace d'un fourrir.
02:44 Toute l'assistance éplorée se gondolait jusqu'à sa fille qui, riant et pleurant, racontait
02:50 qu'au médecin de soins palliatifs qui demandait à Georges s'il était angoissé,
02:54 il a répondu "je suis asquenaze".
02:59 En ce siècle pleurnichard, il était une leçon,
03:02 celle de la fatalité de la tristesse combattue sans relâche par l'élégance de la fantaisie.
03:07 - Mais peut-être que parfois, Philippe, les survivants sont plus vivants que les vivants.
03:12 - Peut-être, mais chacun de nous, à des degrés divers, est un survivant responsable du talent
03:18 avec lequel il exerce le métier de vivre.
03:22 Au procès des caricatures, au moment les plus électriques,
03:26 Georges ne manquait jamais de décocher une de ses flèches hilarantes
03:30 et même la partie adverse peinait à dissimuler son fourrir.
03:34 Comme lorsque l'avocat de la Ligue Islamique Mondiale s'est dressé hors de lui
03:39 et, levant une main menaçante vers le ciel, s'est mis à crier
03:43 "je vous connais, maître Kejman, je sais qui vous êtes, maître Kejman".
03:47 Dans le silence qui a suivi, on a entendu Georges remarquer d'une voix calme
03:51 "eh bien, vous en savez plus que moi".
03:53 Tout Georges Kejman était là.
03:56 Quand arriva la suspension d'audience,
03:58 en sortant, je me suis retrouvé au coude-à-coude entre Georges et ce même avocat de la Ligue Islamique
04:02 qui m'a glissé à l'oreille.
04:04 "Je suis en désaccord avec tout ce que vous dites,
04:07 mais j'aimerais faire partie de vos amis".
04:10 Aveu stupéfiant, mais explicable.
04:14 Comment résister au plaisir de faire quelques joyeuses glissades
04:18 sur le lac mystérieux de la Mélancolie en compagnie de Georges Kejman ?
04:22 Malgré notre insistance, Georges n'a jamais voulu écrire ses mémoires.
04:26 Sans doute voulait-il ne laisser que sa joie de vivre en héritage.
04:30 - Très bel hommage, merci Philippe Vall.
04:32 C'était très touchant, d'ailleurs on peut découvrir la vie romanesque de Georges Kejman
04:36 dans un livre qui a été écrit avec Vanessa Schneider dans lequel il se raconte
04:39 "L'homme qui voulait être aimé s'est paru chez Grasset".
04:43 Merci beaucoup Philippe.

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