Chaque lundi dans la matinale de Dimitri Pavlenko, Philippe Val livre son regard sur l'actualité.
Retrouvez "Philippe Val - Les signatures d'Europe 1" sur : http://www.europe1.fr/emissions/philippe-val-les-signatures-deurope-1
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00:00 - Il est l'heure de vos signatures en Europe du lundi, il est tout seul en ce lundi mais il est content.
00:03 Bonjour Philippe Ball. - Bonjour Dimitri, bonjour tout le monde.
00:06 - Plaisir de vous avoir ce matin mon cher Philippe, d'autant plus que ce matin,
00:10 alors vous nous emmenez chez le psy,
00:12 oui parce qu'apparemment on a un peu d'agressivité à extérioriser dans le pays.
00:15 - C'est vrai, alors la semaine dernière, en passant Boulevard Saint-Jacques,
00:19 je regardais un petit groupe de personnes qui attendaient leur bus sous la pluie battante.
00:24 Une jeune femme d'origine africaine qui tentait d'abriter comme elle pouvait un bébé dans son landau,
00:29 un aveugle qui se tenait raide sous la pluie, sa canne serrée contre lui,
00:33 et 4 ou 5 noufragés du déluge, dégoulinant de flotte, attendaient l'arrivée du bus.
00:39 En vain, mais sans doute par habitude, ils étaient serrés sous l'abri bus pour se protéger du déluge.
00:44 - Mais pourquoi dites-vous en vain ? - Et bien parce qu'il n'y avait plus d'abri bus.
00:47 Le Boulevard Saint-Jacques est sur le passage des manifestations
00:50 et pour exprimer leur opposition à la réforme des retraites,
00:53 des manifestants avaient littéralement rasé l'abri bus
00:56 et pour bien montrer leur désaccord, ils avaient aussi renversé un conteneur de verre,
01:01 défoncé une vitrine et mis le feu à un tas de poubelles.
01:05 L'attitude résignée et silencieuse du petit groupe qui attendait son bus
01:10 tranchait avec la brutalité du décor.
01:12 La semaine précédente, à l'autre bout de la France,
01:16 c'est à Sainte-Soline que les militants écologistes ont organisé la manifestation
01:22 délibérément violente dont on connaît le bilan désastreux.
01:27 - Mais on vous dira Philippe que cette violence, c'est le message d'une colère populaire.
01:31 - Oui mais justement, rien n'est moins sûr et c'est toute la question.
01:36 La psychanalyse pourrait nous fournir quelques réponses
01:39 s'il n'y avait la difficulté d'allonger un militant black bloc
01:43 sur un divan entouré d'étagères où les livres d'art voisinent avec les volumes des séminaires de Lacan.
01:49 Mais certaines réflexions sur les années 70,
01:53 au plus fort de l'engagement des intellectuels pour la révolution culturelle de Mao Tse-Tung,
01:58 peuvent nous éclairer.
02:00 Elles suggèrent que si la France, au contraire de l'Allemagne et de l'Italie,
02:05 n'a pas sombré dans le terrorisme des Brigades Rouges et de la bande abadère,
02:09 c'est qu'en France, la plupart des leaders du mouvement étaient en psychanalyse avec Lacan.
02:15 - C'est vrai ça ? J'ai envie de vous dire "et alors ?"
02:17 - Oui c'est vrai. Et alors il semblerait que le malicieux psychanalyste ait réussi à dissocier
02:23 leur désir de violence de son objet, à savoir remplacer la méchante
02:28 Constitution de la Vème République par le gentil petit livre rouge de Mao.
02:32 Bon, je vais schématiser à outrance, mais par exemple,
02:35 Toto, militant de la cause du peuple, entre deux sanglots, finit par avouer à son psychanalyste
02:40 que s'il veut foutre le feu à la France bourgeoise,
02:43 c'est parce que son papa lui a toujours préféré sa petite sœur.
02:47 Soudainement, il découvre qu'au fond, il aime bien sa petite sœur et regrette amèrement
02:51 de lui avoir tiré les cheveux pendant toute son enfance.
02:53 Et en sortant de la séance lacanienne, il a compris qu'il avait substitué
02:58 la société bourgeoise à sa sœur et qu'il avait envie de lui demander pardon.
03:01 - À sa sœur ou à la société ?
03:03 - Eh bien aux deux, car soudainement, son désir de violence n'avait plus d'objet sérieux.
03:09 C'est le même principe que l'angoisse.
03:12 L'individu angoissé trouvera toujours une raison de s'angoisser
03:16 et quand une raison de s'angoisser disparaît, elle est aussitôt remplacée par une autre.
03:20 Qu'elle s'exerce à Sainte-Soline, à Notre-Dame-des-Landes
03:23 ou pour défendre une espèce menacée de Dorifort,
03:26 la violence n'est nullement destinée à faire avancer des idées généreuses,
03:31 mais à donner un sens à des existences qui en manquent.
03:36 Sauf en cas de légitime défense, la violence n'a pour but qu'elle-même.
03:41 La justifier par la beauté de la cause, c'est raconter une lumineuse histoire collective
03:46 pour dissimuler une sombre histoire individuelle.
03:49 L'ignorer nous coûte cher.
03:52 - Mais pourquoi ?
03:53 - Pourquoi ça nous coûte cher ? Parce que par facilité ou par peur,
03:56 on interprète la violence de toute petite minorité souffrant d'angoisse paranoïde
04:01 comme la pointe émergée de l'opinion générale au mépris de l'intérêt général.
04:06 La preuve est sur nos factures d'électricité.
04:10 Combien d'années l'industrie nucléaire française mettra pour se relever d'un phénomène comparable ?
04:15 Comme le disait déjà Saint-Augustin, lointaine ancêtre de Jacques Lacan,
04:20 l'erreur est humaine mais persévérée et diabolique.
04:23 - Signature européen, Philippe Vall.
04:25 Merci beaucoup Philippe et je vous dis donc à lundi prochain.