"Un matin de Virginie" de William Styron - La chronique de Juliette Arnaud

  • l’année dernière
Aujourd'hui, Juliette poursuit la présentation du livre de William Styron, "Un matin de Virginie".

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Transcript
00:00 Vous poursuivez la lecture entamée la semaine dernière d'un recueil de nouvelles qui s'intitule
00:05 « Un matin de Virginie », Virginie l'Etat américain.
00:08 C'est un recueil de nouvelles de William Styron où le narrateur se souvient de trois
00:13 moments de sa jeunesse.
00:14 Et vous nous aviez laissé la semaine dernière sur cette phrase où il dit « Nous n'étions
00:19 pas une petite famille très heureuse ».
00:21 Voilà, la phrase exacte, c'est « Non sans raison valable, nous n'étions pas une petite
00:26 famille très heureuse ». Et ce qui m'a fait sursauter, ce n'est pas le fond de ce que
00:28 raconte cette phrase, c'est sa forme.
00:30 Parce que Styron, il aurait très bien pu écrire « Non sans raison valable, nous
00:33 étions une famille malheureuse ». Mais non, une phrase avec deux négations.
00:37 Et moi je l'entends comme « Nous aurions pu, nous aurions dû, j'étais petit, il
00:41 est convenu que le malheur c'est une chose de grande personne et pourtant ma famille
00:45 était malheureuse ». Et quand Styron écrit cette phrase, il a 68 ans, il souffre de dépression
00:49 comme son père avant lui, il a déjà écrit sur les sujets les plus traumatisants de son
00:53 époque, l'esclavage, les camps de concentration et la maladie mentale.
00:57 Et ce livre, qui sera son dernier livre, commence par la nouvelle où, jeune homme, tout en
01:01 feignant d'écouter une histoire drôle racontée par son colonel Marins, le jeune
01:05 homme il repense à sa petite famille, pas heureuse donc, dans les années 30, quand
01:08 son père prédisait que tôt ou tard les Etats-Unis seraient en guerre avec le Japon.
01:12 Et tandis qu'il mime le jeune homme, qu'il pleure de rire, parce que l'histoire évidemment
01:16 elle est grivoise, en fait la prostituée, ah ah ah c'est un homme, les hommes, le jeune
01:26 homme se met à pleurer pour de vrai.
01:29 Je cite Styron « Que fais-je donc dans cette étrange et saloperie de guerre ? ». Et tout
01:34 à coup la trouille de mourir à 20 piges lui arrive, celle de passer du statut d'être
01:39 humain vivant à victime morte.
01:41 Était-ce sa première rencontre avec la mort ? Non.
01:43 Alors s'ouvre la seconde nouvelle.
01:45 Là y'a un saut dans le temps, le narrateur a 10 ans, on ne sait toujours pas pourquoi
01:49 sa petite famille n'est pas heureuse et on la veut cette raison, parce que la phrase
01:52 elle nous a fait sursauter il y a déjà un moment, parce qu'on se souvient de l'inquipide
01:56 Anna Karenin de Tolstoy, toutes les familles heureuses se ressemblent mais chaque famille
02:00 malheureuse l'est à sa façon.
02:02 Alors pourquoi ? Mais encore une fois Styron esquive et raconte autre chose, il raconte
02:05 un souvenir, il a 10 ans, il joue au billet avec des gosses, les frères d'une famille
02:09 nombreuse dans la rue, une famille de redneck, une famille blanche, pauvre, illettrée.
02:13 Je cite Styron « Les Dabnell, cette famille, ils vivaient dans une maison dépourvue de
02:18 livres.
02:19 Je leur enviais, leur débraillais bon enfant, leur lit à l'odeur acre jamais retapé,
02:24 leur cafard, le lino craquelé au sol, leur chien bâtard familier infesté de gale qu'ils
02:29 fourrageaient librement dans la maison.
02:30 Les Dabnell, ils jurent, ils blasphèment souvent, leur père survit en fabriquant de
02:35 l'alcool parfaitement illégal, la maman picole pas mal, les sœurs sentent bon, ils
02:39 ont des vies sexuelles et des grossesses précoces, les frangins sentent mauvais, mais lui, il
02:44 sent bien parmi eux.
02:45 Alors que lui et les frères Dabnell jouent dans la poussière, arrive un vieillard noir
02:49 subclaquant qui s'effondre littéralement devant eux.
02:52 Le vieil homme vient de parcourir des centaines de kilomètres à pied à son âge biblique
02:56 pour retrouver la Virginie de sa jeunesse, celle qu'il a connue avant d'être vendue
03:00 90 ans auparavant à une plantation en Alabama.
03:03 Ce sera le dernier voyage de Shadrach, ce vieil homme noir, ce vieil esclave dépouillé
03:08 de tout, et la première expérience directe du narrateur avec ce truc finalement assez
03:12 mystérieux qu'est la mort.
03:13 Et là, ressaut dans le temps, troisième nouvelle, le narrateur a 13 ans et son contact
03:17 avec la mort va devenir beaucoup plus proche, beaucoup plus traumatisant encore, ça va
03:20 avoir lieu un matin dans sa Virginie natale, comme l'indique le titre, au sein même de
03:26 sa petite famille pas heureuse, qui est composée, je vous le rappelle, du père, qui est un
03:29 peu visionnaire, le narrateur, l'enfant qui aurait voulu vivre chez tout le monde
03:33 sauf chez lui, et le dernier membre que je me suis gardée dévoquée jusqu'ici, la
03:37 mère, lettrée, musicienne, progressiste, c'est pas une fille du sud elle, attachée
03:41 à son mari, attachée à son fils, à l'idée de faire de son fils un type bien.
03:45 Je pourrais vous parler d'elle, mais sans souvenir, mettre un trop, allez-y, moi je
03:49 sais. Merci, bisous, merci.
03:51 *Juliette Arnault, rappelez-nous les références ?*
03:55 Un matin de Virginie, trois histoires de jeunesse, William Syron, et si vous n'avez pas les
03:59 moyens de vous payer une psychanalyse, ça arrive, je vous conseille ce livre pour comprendre
04:03 comment ça marche l'écriture et à quoi ça peut servir et comment on fait bosser
04:06 sa mémoire.
04:07 *Très bien, merci beaucoup Juliette, disponible en livre de poche et dans les bibliothèques
04:12 bien sûr, on salue tous les bibliothécaires.*

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