Eminem : la renaissance (2ème partie) - Dans La Légende - CANAL+

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Quel est le point commun entre JCVD, Street Fighter et Michael Jordan ? Ce sont des légendes ! 
Entouré d’experts triés sur le volet, Sébastien Abdelhamid vous invite Dans La Légende.

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Transcription
00:00:00 Bonjour à tous et bienvenue dans La Légende.
00:00:02 Dans La Légende, c'est l'émission qui retrace l'histoire de vos émotions.
00:00:06 On parle de musique, de cinéma, de jeux vidéo, de manga.
00:00:09 Bref, on parle de culture et aujourd'hui, on s'attaque à la deuxième partie
00:00:13 que vous nous avez demandé à maintes et maintes reprises.
00:00:16 Elle est là, c'est maintenant la partie 2 de Eminem.
00:00:20 Et pour cette deuxième partie consacrée à La Légende,
00:00:34 Eminem, je sais que vous l'attendiez depuis longtemps.
00:00:36 J'ai avec moi le Boog Arnaud.
00:00:39 Welcome back.
00:00:40 Merci beaucoup.
00:00:41 Podcaster, parole véritable, évidemment animateur sur la radio génération.
00:00:46 Bienvenue again, j'ai envie de te dire.
00:00:49 Ça fait plaisir de t'avoir avec nous pour cette deuxième partie.
00:00:53 Le plaisir est partagé.
00:00:54 Et nous retrouvons Pierre Eville, écrivain avec toujours son super bouquin
00:01:00 "Détroit sans pleurs".
00:01:01 Bienvenue encore une fois.
00:01:02 Merci.
00:01:03 En plus, tu nous as mis un joli costume et tout pour cette deuxième partie.
00:01:07 C'est pour honorer Eminem.
00:01:08 Ça va être plus solennel, je le sens.
00:01:10 C'est ça.
00:01:11 Baptiste, cofondateur d'Interlude, tu es avec nous aussi pour aborder
00:01:15 cette deuxième partie.
00:01:16 Bienvenue aussi.
00:01:17 Merci.
00:01:18 Les amis, on s'était arrêté sur quelque chose d'assez dramatique
00:01:23 dans la vie d'Eminem.
00:01:24 Désolé, on va devoir reprendre sur cette ambiance.
00:01:26 Est-ce que vous pouvez me parler de ce qui va fondamentalement changer la vie
00:01:32 et la carrière d'Eminem à ce moment-là ?
00:01:33 Pour recontextualiser, on était après la sortie de Encore.
00:01:37 Je vous invite à ceux qui n'ont pas vu la première partie,
00:01:39 évidemment, de regarder la première partie.
00:01:41 C'est toujours mieux quand c'est dans l'ordre.
00:01:43 Donc, on y est.
00:01:45 Que se passe-t-il dans la vie d'Eminem à ce moment-là ?
00:01:47 Il perd quelqu'un de très important dans sa vie,
00:01:51 qui est son partenaire déjà dans la vie, qui est son meilleur ami, Proof,
00:01:56 mais aussi dans la musique, parce que c'est quelqu'un avec qui
00:01:59 il a fait du rap depuis de nombreuses années,
00:02:01 si ce n'est pas depuis le début.
00:02:02 Et même dans son business, dans la structure de Shady Record,
00:02:06 dans la fondation de son groupe D12, cette personne, c'est Proof.
00:02:12 C'est quelqu'un de très important.
00:02:14 Oui, comme on le disait dans la première partie,
00:02:15 c'est vraiment un maillon essentiel dans la carrière d'Eminem,
00:02:19 dans la formation d'Eminem lui-même.
00:02:21 Dans la carrière d'Eminem, mais aussi dans le paysage
00:02:23 de la musique urbaine de la ville de Détroit.
00:02:26 Proof, c'est quelqu'un qui est reconnaissable
00:02:29 parce qu'il est dans tous les événements, dans toutes les battles,
00:02:32 dans tous les concerts, c'est quelqu'un qui anime beaucoup,
00:02:33 qui s'entend bien avec tout le monde, qui fait partie de plusieurs collectifs.
00:02:37 On a dit qu'il était dans D12, mais il est aussi dans Goon Squad,
00:02:40 le collectif de Trick Trick.
00:02:42 Et c'est quelqu'un qu'on voit beaucoup aussi dans des clips
00:02:45 où il fait des petites apparitions.
00:02:47 Notamment, on le voit dans le clip de Aaliyah,
00:02:49 "Age Ain't Nothing But a Number", qui date de 1994.
00:02:53 Donc, il était là déjà.
00:02:55 Et là, en perdant Proof, il perd son meilleur ami.
00:02:59 Il perd aussi le gars qui l'a aidé lorsqu'il est rentré dans le rap.
00:03:05 Son passeport, en fait, son "ghetto pass", comme on disait.
00:03:09 Il perd ce gars-là et c'est quelque chose de dramatique dans sa vie.
00:03:13 - Pierre, est-ce que tu peux nous dire aussi le choc que ça va faire à Detroit
00:03:17 de perdre ce maillon essentiel ?
00:03:20 - Oui, Proof, c'est vraiment le fédérateur.
00:03:24 Comme ça a été dit, c'est lui qui anime les open mics au hip-hop shop.
00:03:32 Il connecte différentes scènes.
00:03:34 La scène un peu backpack de rappeurs un peu intellectuels,
00:03:37 influencés par Onaz et tout ça.
00:03:39 La scène plus gangster, etc., qui existe aussi à Detroit.
00:03:44 Et puis, il ne faut jamais l'oublier,
00:03:46 il est aussi un compagnon de route au départ de Jay Dilla.
00:03:50 Ils vont avoir un projet ensemble dans les années 95-96,
00:03:54 avant que Jay Dilla devienne Jay Dilla.
00:03:57 Donc, il est vraiment l'incarnation de ce qu'est le rap de Detroit
00:04:01 dans toute sa diversité.
00:04:04 - Et dans sa cohésion aussi.
00:04:05 J'ai l'impression qu'il arrivait aussi à maintenir
00:04:07 toute la cohésion globale de la scène de Detroit.
00:04:10 - C'est ça, il ressemble un peu...
00:04:11 Alors, il n'a pas le même âge,
00:04:13 mais il ressemble un peu à ce personnage dans The Wire,
00:04:16 chez qui on va pour régler les problèmes entre gangsters, etc.
00:04:20 Il a ce côté-là.
00:04:22 Et la scène de Detroit, c'est une scène qui est en marge,
00:04:26 en fait, de l'écosystème rap américaine.
00:04:29 Donc, les rivalités, elles restent au niveau de Detroit.
00:04:34 Les styles, ils se construisent à Detroit.
00:04:36 Ils sont assez peu en dialogue, en fait,
00:04:38 avec la West Coast ou la East Coast.
00:04:39 Ils font leur truc.
00:04:41 Si on va dans le rap plus de rue,
00:04:42 c'est vraiment un rap qui est local et qui reste local.
00:04:47 Et Proof, il arrive à donner une cohérence à ça.
00:04:52 Il arrive aussi à calmer les gens
00:04:55 et à être ce visage derrière Eminem
00:04:58 de la crédibilité du rap de Detroit.
00:05:00 Donc, quand il est tué,
00:05:03 c'est vraiment un choc énorme pour la scène hip-hop de Detroit.
00:05:07 C'est un traumatisme.
00:05:10 - Il ne meurt pas de mort naturelle ?
00:05:12 - Non, il est, en fait, dans un club
00:05:16 qui est un club assez minable.
00:05:18 Il y a une bagarre.
00:05:20 Il va se battre.
00:05:22 Les pistolets sortent.
00:05:24 Et lui, il reste, en fait, au petit matin,
00:05:28 allongé par terre, mort.
00:05:30 Et donc, il y a un côté absurde de finir comme ça.
00:05:34 Quelqu'un qui a réussi à imposer,
00:05:36 il était en train, en plus,
00:05:38 de se construire une carrière personnelle
00:05:40 avec un album assez bizarre de rap
00:05:43 où il cite Jerry Garcia, le leader du Grateful Dead.
00:05:47 Ça, ça renvoie à des choses aussi très particulières de Detroit
00:05:50 où, même quand on écoute du rap, on écoute aussi du rock.
00:05:53 On avait parlé dans la première partie d'Echam,
00:05:55 qui est un rappeur assez bizarre de Detroit
00:05:58 qui a inventé le rockcore à Detroit
00:06:00 et qui a influencé les Incenclone Posse, Kid Rock et Eminem
00:06:04 pour devenir Slim Shady
00:06:06 et qui était lui-même vachement influencé par Alice Cooper,
00:06:08 par Black Sabbath.
00:06:09 Et Proof, il s'inscrit aussi dans cette tradition-là.
00:06:12 Et l'album, il va être assez bien reçu.
00:06:14 Et on se dit, Proof, il est en train de décoller.
00:06:17 Il est en train de devenir quelqu'un d'autonome
00:06:20 par rapport à Eminem,
00:06:22 qu'il a porté dans la lumière grâce à D12.
00:06:25 Et il est fauché de la plus absurde des manières.
00:06:28 Et l'enterrement de Proof à Detroit,
00:06:31 ça va être un moment cathartique très important
00:06:35 où toute la communauté hip-hop de Detroit va se retrouver.
00:06:38 Quand on lit les articles de l'époque dans la presse de Detroit,
00:06:41 on mesure à quel point le choc a été important pour la ville
00:06:45 et pour la scène de Detroit.
00:06:49 - Baptiste, on est en quelle année à peu près à la mort de Proof ?
00:06:52 - En 2006.
00:06:53 Et c'est vrai que sur le plan personnel d'Eminem,
00:06:56 ça va changer beaucoup de choses
00:06:57 parce qu'on est dans la continuité de 2004
00:06:59 où il avait déjà commencé une grosse dépression,
00:07:01 grosse addiction aux médicaments.
00:07:03 2006, il était vraiment au plus mal.
00:07:04 À cela s'ajoute la perte de Proof.
00:07:06 Donc, ça rajoute encore plus à sa dépendance.
00:07:10 Et effectivement, on a dit que Proof, c'était le fédérateur.
00:07:12 Donc, par exemple, ça va mettre fin, non officiellement,
00:07:14 mais au groupe D12.
00:07:15 Par exemple, on ne verra plus Eminem avec D12.
00:07:18 Donc, je lui ai juste refait une petite apparition, je crois, en 2010
00:07:21 quand ils ont sorti une petite mixtape.
00:07:23 Mais voilà, c'était vraiment le fédérateur
00:07:25 et Eminem ne voyait plus vraiment de sens.
00:07:26 Enfin, il y a une sorte de cohésion qui s'est brisée.
00:07:29 - Il y a une rupture à ce moment-là.
00:07:30 - Il y a une rupture, oui, tout à fait.
00:07:31 - On le dit déjà, personnellement,
00:07:32 Eminem ne va pas très bien à ce moment-là.
00:07:34 Ça va l'enfoncer.
00:07:37 Qu'est-ce qui va se dire, en fait, dans le milieu
00:07:39 par rapport à Eminem à ce moment-là ?
00:07:40 Est-ce qu'on le désavoue un petit peu ?
00:07:44 - Pas particulièrement parce qu'il a quand même fait ses preuves.
00:07:47 Mais c'est vrai que, même pour Eminem en tout cas,
00:07:49 et il le dira plus tard,
00:07:50 c'est qu'il ne se voyait plus faire du rap, en fait,
00:07:53 parce que Proof a toujours été peut-être sa caution,
00:07:55 peut-être qu'il le critiquait de manière très honnête, etc.
00:07:58 Et il ne se voyait plus monter sur scène
00:07:59 parce que c'était son backer.
00:08:00 Enfin voilà, il avait vraiment...
00:08:02 En tout cas, sur Eminem, les conséquences ont été assez fortes.
00:08:05 Il ne se voyait plus continuer dans le rap, en tout cas.
00:08:08 - Oui, et il ne disparaît pas médiatiquement
00:08:10 quand on lit les interviews de cette époque.
00:08:13 En fait, ce qu'il met en avant, c'est son label, Shady,
00:08:17 son émission de radio.
00:08:18 Il va avoir une émission radio-satellite sur Sirius
00:08:21 où il va passer des titres, où il va faire des...
00:08:23 - Sirius, c'est radio-satellite, c'est ça ?
00:08:25 - Oui, voilà.
00:08:26 - C'est Shady Folie.
00:08:27 - Avec des chaînes, et il a une chaîne.
00:08:32 Donc il met en avant, en fait, son côté producteur,
00:08:36 à tous les sens du terme.
00:08:38 Il se met un peu dans une position
00:08:40 qui était celle de Dr Dre après, quand il a quitté Death Row.
00:08:44 C'est-à-dire, je me mets un peu en recul,
00:08:45 j'essaye de pousser des nouveaux artistes.
00:08:48 J'existe, j'ai le respect de la communauté,
00:08:50 mais je ne suis plus dans la lumière.
00:08:53 Et en fait, ce qui va se passer,
00:08:57 pour un artiste, ce qui est très difficile,
00:08:59 et notamment dans le rap, c'est de revenir dans la lumière
00:09:03 avec la même magnitude qu'on avait avant.
00:09:06 Et "Don't call it a comeback",
00:09:10 il y a toujours ce truc dans les chansons de rap.
00:09:12 Et c'est ça qui va arriver à faire, en fait, Eminem.
00:09:15 C'est ça qui va surprendre à la fin des années 2000.
00:09:18 C'est qu'il va revenir, et il va revenir de manière fracassante.
00:09:20 - Alors, Le Bougarno, est-ce que tu peux nous expliquer
00:09:22 comment il va revenir, justement ?
00:09:25 Qu'est-ce qui va se passer durant cette transition ?
00:09:26 Parce qu'il y a un changement, on l'a dit, il y a une vraie rupture.
00:09:29 Et il va y avoir un changement aussi,
00:09:31 dans le style d'Eminem, dans plein de choses, en fait.
00:09:34 - En vrai, il y aura un changement, il y aura même un rebranding.
00:09:37 Parce que, je n'ai pas envie de dire qu'il avait quitté le game,
00:09:40 parce qu'il y était toujours, comme le disait Pierre,
00:09:43 il était dans la production en termes d'instrumentaux,
00:09:46 il était derrière les manettes, mais aussi dans la production d'artistes.
00:09:50 Et la mort de Proof, en fait, a été un cataclysme
00:09:55 qui a empêché beaucoup de choses qu'Eminem avait prévues.
00:09:58 Notamment une tournée mondiale, le Hunger Management Tour,
00:10:01 qu'il devait faire, où il devait aller en Europe,
00:10:02 il devait aller dans le monde entier, il a annulé la tournée.
00:10:05 Et le changement, il vient par cette mort-là,
00:10:09 et il vient après avec d'autres albums.
00:10:12 On va dire la deuxième partie de carrière d'Eminem.
00:10:15 - Mais ça veut dire, entre le moment de la mort de Proof
00:10:18 et le moment où il va sortir un autre album, il y a combien d'années ?
00:10:20 - Il y a deux ans et demi, trois ans à peine.
00:10:23 En fait, effectivement, le retour va se faire en deux temps.
00:10:25 Donc Eminem, la mort de Proof 2006, Eminem revient en 2009,
00:10:29 avec un album très, très puriste, très horrorcore,
00:10:34 très, très sombre, directement inspiré de sa période de dépression,
00:10:37 où globalement, il ne restait que chez lui,
00:10:38 il regardait des films d'horreur, de tueurs en série, etc.
00:10:41 Donc ça l'a énormément inspiré pour son album, du coup, "Relapse",
00:10:45 qu'il a commencé à enregistrer en 2008.
00:10:47 Donc on était juste...
00:10:48 Il a commencé à réécrire un petit peu suite à son overdose qu'il a fait fin 2017.
00:10:55 - Il y a ça aussi qui va être...
00:10:57 - Donc il a vraiment frôlé la mort, oui, tout à fait.
00:11:00 Et donc il a eu un déclic après, il a dit "il faut vraiment que j'arrête",
00:11:03 même s'il a fait une rechute, d'où le nom "Relapse" pendant quelques mois.
00:11:06 Et mi-2008, il s'est totalement sevré,
00:11:09 et du coup, il a recommencé à écrire, recommencé à rapper.
00:11:12 Et du coup, en a découlé "Relapse", qui est sorti en 2009,
00:11:15 qui a été un succès commercial quand même,
00:11:18 mais qui, par la critique, a été un petit peu accueilli de manière mitigée,
00:11:23 parce que je pense que, comme Eminem a été longuement absent,
00:11:27 on attendait peut-être des explications ou en tout cas, voilà,
00:11:30 des justifications un petit peu.
00:11:32 Et non, il est revenu avec un album concept très puriste, très "horrorcore",
00:11:35 qui s'adressait vraiment peut-être à une niche, en fait.
00:11:37 Et donc il y a eu une espèce de décalage.
00:11:39 C'est un très bon album.
00:11:40 Un album aussi qui a eu une réédition, "Relapse Refill",
00:11:44 avec un premier single, "We Made You", où il n'a pas changé de style.
00:11:48 Vous voyez, il grimpe Kim Kardashian, Amy Winehouse, etc.
00:11:54 C'est le Eminem en vrai,
00:11:56 enfin le Slim Shady qu'on a vu dans les clips des albums précédents.
00:12:00 [Musique]
00:12:16 Donc là, il revient avec ça, comme il disait, par rapport à sa rechute.
00:12:21 Et après ça, il y a la convalescence.
00:12:23 Il vient avec un nouvel album qui s'appelle "Recovery".
00:12:25 Et là, il revient avec une image totalement différente.
00:12:29 Il n'y a plus de teinture.
00:12:30 Ce n'est plus le Eminem, le jeune Slim Shady.
00:12:33 Là, il met plus en avant Marshall Mathers,
00:12:35 vraiment l'homme qu'il est, par rapport au fait qu'il revienne.
00:12:39 - On est revenu sur Marshall Mathers, Exit Slim Shady.
00:12:44 Entre les deux albums, après du coup son overdose,
00:12:48 donc tu dis que c'est un très bon album.
00:12:51 Comme Baptiste disait, il s'adresse peut-être plus à une niche.
00:12:53 Est-ce que c'était une volonté de sa part de se dire,
00:12:56 "La mort de prouf va le faire, qui va recoller à des choses
00:13:00 peut-être plus fondamentales pour lui à la base."
00:13:02 - Oui, en fait, pour essayer de comprendre comment il arrive à revenir,
00:13:06 il faut essayer...
00:13:07 - Excuse-moi, juste, parce qu'il faut se dire qu'à l'époque,
00:13:10 Eminem, encore une fois, giga superstar,
00:13:13 mainstream aussi dans ses écoutes, pas forcément dans ses paroles,
00:13:16 mais dans le public qui l'écoute.
00:13:18 C'est devenu un visage et une voix incontournables de la scène rap,
00:13:25 mais au-delà de la scène musicale.
00:13:27 - De la scène pop, oui.
00:13:28 Et pour comprendre comment il revient là-dessus,
00:13:34 il faut essayer d'aller au cœur de ce qui est le moteur de Eminem.
00:13:38 Et pour moi, il y a trois ingrédients dans le moteur de Eminem.
00:13:41 Il y a sa vie, il y a la pop culture,
00:13:45 enfin disons le monde extérieur,
00:13:48 c'est quoi ce qu'il y a dans l'actualité,
00:13:50 et il y a le rap.
00:13:52 C'est ces trois choses-là qui le font bouger.
00:13:56 Et il faut que les trois éléments soient connectés
00:13:59 pour qu'ils rentrent en fusion
00:14:00 et qu'ils sortent cette espèce de jaillissement
00:14:02 qu'il y a dans les meilleurs albums d'Eminem.
00:14:06 Et ce qu'il fait en 2009,
00:14:08 c'est qu'il arrive à connecter ces trois fils-là
00:14:10 et à refaire naître l'étincelle qu'il y avait au début de la carrière.
00:14:14 Alors, il part de très bas.
00:14:16 Il y a une phrase, je n'ai plus la citation en tête,
00:14:20 mais il y a un poète haïtien qui a une très belle image
00:14:23 où il parle de la chute et il dit
00:14:25 "Quand tu chutes, apprends à chevaucher ta chute".
00:14:27 Et c'est ça qu'il fait, Eminem.
00:14:30 Il est donc drogué dans la dépression
00:14:36 et il va faire de son addiction, de sa dépression,
00:14:40 le sujet de son album.
00:14:41 Sur la pochette Relapse,
00:14:43 il y a les petites pilules qui sont étalées sur la table
00:14:46 et qui font le visage d'Eminem.
00:14:48 Donc il va y aller franchement.
00:14:49 Il va être ouvert par rapport à sa vie
00:14:51 et il va utiliser sa chute pour rebondir,
00:14:55 ce qui est très fort quand on y arrive.
00:14:58 Tout le monde n'y arrive pas, mais lui, il va y arriver.
00:15:00 Et il va remettre les ingrédients qui sont aussi son image.
00:15:05 L'ingrédient de la pop culture,
00:15:06 il va effectivement aligner les cibles
00:15:09 qui sont la matière de la trash TV de la fin des années 90,
00:15:15 l'Incelloan, de la fin des années 2000,
00:15:18 l'Incelloan, Maria Carey, Sarah Palin,
00:15:22 qui était la candidate vice-présidente de droite en 2009.
00:15:27 Et il va revenir avec son talent de rap.
00:15:31 Il va mélanger tout ça.
00:15:33 L'album va être une déception pour les critiques,
00:15:35 mais ne va pas être une déception pour les fans.
00:15:37 Les fans vont montrer qu'ils sont toujours là.
00:15:39 Et ça, ça va le rebooster.
00:15:41 Et avec Recovery, il va démontrer
00:15:44 qu'il est capable de revenir au niveau,
00:15:49 même plus haut qu'il n'a jamais été,
00:15:51 parce que là, il va commencer à aligner les numéros 1 de single.
00:15:54 Il ne faut jamais oublier qu'Eminem,
00:15:58 au début de sa carrière, c'est un artiste de clips et d'albums.
00:16:03 Son premier numéro 1, c'est "Lose Yourself" en single.
00:16:07 Et les numéros 1, il va les enquiller, en fait,
00:16:08 à partir de 2009-2010.
00:16:10 Il y a toujours une forme de réserve
00:16:13 par rapport à cette partie de sa carrière,
00:16:14 parce qu'on se dit que c'est moins bien qu'avant, etc.
00:16:16 Mais commercialement, c'est là où il est le plus fort.
00:16:19 Et arriver à revenir en étant le plus fort,
00:16:22 c'est là où on voit ce qui différencie
00:16:24 les stars d'un jour des stars de toujours.
00:16:26 Et justement, la question est,
00:16:29 pourquoi la critique a été aussi dure avec l'album d'avant
00:16:32 et pourquoi avec Recovery,
00:16:35 finalement, il arrive à mettre tout le monde d'accord,
00:16:36 le public et aussi la critique ?
00:16:39 Qu'est-ce qui a fait la différence, justement, à ce niveau-là ?
00:16:43 Je pense qu'avec Recovery,
00:16:44 la critique attendait d'avoir un Eminem un peu plus mature.
00:16:48 C'est vrai que là, il était beaucoup plus sage.
00:16:50 Il avait pris du recul, du coup, il expliquait
00:16:52 les raisons de sa dépression, de son absence.
00:16:54 Il tend la main aussi à d'autres personnes qui peuvent être addictes.
00:16:57 Donc, je pense que la critique attendait depuis longtemps
00:17:00 un Eminem un peu plus dans l'analyse.
00:17:02 - Mature !
00:17:03 - Mature, littéralement, parce qu'encore Relapse,
00:17:05 on est sur des obscénités, etc.
00:17:07 Donc, effectivement, et ça, c'est symbolisé aussi
00:17:09 avec son feat avec Rihanna.
00:17:11 Parce que même dans Relapse, il fait une punchline critique sur Rihanna.
00:17:15 Un an après, il la confie sur Love the Way You Lie, sur Recovery.
00:17:20 Donc, preuve qu'il a opéré un grand changement artistique.
00:17:23 [Musique]
00:17:47 - Recovery, énormément de titres vont être
00:17:50 vraiment des top, top, top dans les charts,
00:17:54 et joué énormément.
00:17:56 Est-ce qu'à ce moment-là, comme tu disais, Pierre,
00:17:58 on a l'impression que cette partie-là de la carrière d'Eminem,
00:18:01 c'est limite moins bien et secondaire.
00:18:05 Mais en vrai, elle est majeure, cette partie-là.
00:18:08 Parce qu'il va réussir de nouveau à fédérer,
00:18:11 mais aussi à gagner un nouveau public
00:18:13 qui ne connaissait pas forcément Slim Shady avant.
00:18:17 On le voit avec Rihanna, c'est plus du tout non plus le même public
00:18:20 et les mêmes générations.
00:18:21 Comment ça se passe au sein des nouveaux auditeurs, on va dire ?
00:18:26 - En fait, c'est dans la continuité de ce qu'on disait par rapport à Relapse.
00:18:31 Relapse, c'était un album qui était vraiment plus rap,
00:18:33 qui était plus orienté vers les fans de hip-hop,
00:18:36 vraiment ceux qui sont vraiment le rap de base.
00:18:39 Et là, c'est un album plus ouvert, où il y a des morceaux plus pop,
00:18:42 où il y a des featuring, des apparitions d'artistes
00:18:45 qui sont un peu plus connus.
00:18:46 Donc, dès lors qu'en fait, il élargit son champ des possibles
00:18:51 en ayant des Rihanna sur son album,
00:18:53 en ayant des sonorités qui sont un peu plus pop,
00:18:56 automatiquement, il conquiert un nouveau public.
00:18:58 - La question, c'est, comme dirait un célèbre philosophe,
00:19:04 le rap, il a changé.
00:19:06 Est-ce que Eminem, je pense que oui, il en a conscience,
00:19:09 mais est-ce que justement, il veut s'élargir ?
00:19:13 Et surtout, pourquoi il veut s'élargir avec ses featuring,
00:19:15 avec ses sonorités ?
00:19:16 Pourquoi il ne veut pas rester dans ce qu'il faisait avant
00:19:19 et même avec l'album précédent ?
00:19:22 - Parce que pour la simple et bonne raison
00:19:23 que ce qui se fait au moment où lui, il sort "Recovery",
00:19:26 lui, ça ne l'intéresse pas.
00:19:28 Toute la vague des Lil Wayne, Lil Pump, Lil Lil Lil,
00:19:31 non, pour lui, ce n'est pas ça.
00:19:33 Un rap qui est...
00:19:34 C'est plus un slow flow, un rap qui est un peu plus lent,
00:19:36 qui est un peu plus saccadé.
00:19:38 Lui, c'est un rap qui ne lui parle pas
00:19:40 et il le dit ouvertement dans certains morceaux.
00:19:42 Donc là, lui, il s'est orienté vers ce type de musique
00:19:45 où il élargit son public.
00:19:47 C'est aussi une stratégie pour lui, vu que c'est un retour.
00:19:51 Mais dans les albums d'après, il le dit ouvertement.
00:19:54 Tout ce qui se fait en ce moment,
00:19:56 carrément, il rentre même dans leur terrain
00:19:57 pour leur montrer qu'il le fait mieux qu'eux.
00:19:59 Il ne faut pas oublier que c'est un rappeur de battle
00:20:01 et c'est quelqu'un qui a une fierté.
00:20:03 Donc, lorsqu'il voit quelque chose qui ne le fait pas,
00:20:05 lui, il l'attaque tout de suite.
00:20:06 Et par rapport à ça, je pense que c'est ça aussi
00:20:08 qui l'a poussé à orienter cette musique de cette manière-là.
00:20:12 - Et comment il est perçu dans le milieu du rap,
00:20:15 à ce moment-là, Eminem, avec "Recovery", l'album, le retour ?
00:20:19 - Je pense que c'est un pilier.
00:20:21 On le voit comme quelqu'un qui est maintenant évident dans le paysage.
00:20:26 Il a une stature commerciale.
00:20:30 Dans le rap, on respecte les chiffres.
00:20:32 Et Eminem, il a les chiffres.
00:20:34 Et il a même les chiffres les plus élevés.
00:20:36 Et on respecte aussi ceux qui arrivent à revenir.
00:20:39 Pour un artiste, arriver à revenir,
00:20:42 c'est ce qu'il y a de plus difficile.
00:20:43 Parce que la mode a changé.
00:20:46 Et donc, il est dans ce dilemme,
00:20:49 est-ce que je refais la même chose ?
00:20:51 Ça va peut-être marcher,
00:20:52 mais c'est déphasé par rapport à la mode
00:20:55 et ça risque de ne pas durer.
00:20:56 Ou est-ce que je change complètement au risque de surprendre ?
00:20:59 Et au risque de surprendre mal les fans
00:21:01 et de s'aliéner ceux qui font en fait la carrière.
00:21:05 Et ce qui différencie l'artiste qui dure
00:21:10 de l'artiste qui est juste associé à une époque,
00:21:13 c'est cette capacité à se renouveler.
00:21:15 Et ça, ça suppose à la fois une réflexion stratégique,
00:21:18 parce qu'on parle d'artistes qui vendent des millions d'albums.
00:21:20 Et quand on cesse de vendre des millions d'albums,
00:21:22 c'est un problème pour ces artistes-là,
00:21:25 pour leur stature, pour leur image, etc.
00:21:27 Mais c'est aussi un problème artistique,
00:21:29 parce qu'on n'est pas là en train de parler de modèles de voiture.
00:21:32 On parle de chansons qui sont censées marquer la vie des gens,
00:21:35 les émouvoir, etc.
00:21:37 Ça reste un art.
00:21:38 Et réfléchir stratégiquement et artistiquement,
00:21:42 il n'y a que certains artistes qui arrivent
00:21:44 non seulement à le faire, mais à le réussir.
00:21:46 Et je pense qu'il a beaucoup appris de Dr Drey,
00:21:49 qui s'est renouvelé trois ou quatre fois.
00:21:52 Et dans le bouquin que j'ai écrit sur Gangsta Rap,
00:21:57 je cite une citation de Miles Davis que j'applique à Dr Drey.
00:22:01 On se demandait à Miles Davis ce que vous avez fait dans la vie,
00:22:04 et Miles Davis a cette réponse qui est hyper orgueilleuse.
00:22:08 Il dit "Dites simplement que j'ai changé quatre ou cinq fois la musique".
00:22:12 Et donc Dr Drey a fait ça,
00:22:14 et Eminem n'a pas changé quatre ou cinq fois la musique.
00:22:17 Mais lui, il s'est changé au moins trois ou quatre fois.
00:22:20 Et dans cette incarnation du début des années 2010,
00:22:24 il est peut-être dans sa troisième ou quatrième incarnation,
00:22:28 mais cette incarnation-là, comme tu l'as dit,
00:22:31 c'est une incarnation où il se bouge vers le centre.
00:22:33 Il ne peut pas se bouger vers l'extrême
00:22:36 parce que le style ne l'intéresse plus.
00:22:39 Et il y en a d'autres qui ont pris la place,
00:22:40 notamment Odd Future qui, à la fin des années 2000,
00:22:45 refont le trip scandaleux de Slim Shady de la fin des années 90.
00:22:50 Donc la place est occupée.
00:22:52 Et donc très intelligemment, il se décale vers le centre
00:22:55 et il arrive à agréger un public plus féminin,
00:22:59 un public plus âgé aussi, qui lui donne,
00:23:02 qui lui permet de continuer à remplir des stades.
00:23:04 Et quand on regarde cette partie-là de sa carrière,
00:23:07 au moins jusqu'à la suite du Marshall Mathers,
00:23:09 qui boucle un peu la boucle,
00:23:10 puisqu'il fait une suite de son meilleur album,
00:23:13 de l'album qu'il a établi comme artiste,
00:23:15 et il l'a réussi, sa suite.
00:23:17 L'album n'est pas aussi bon que le premier Marshall Mathers,
00:23:20 mais il n'est pas honteux.
00:23:21 Et arriver à faire un album qui s'appelle aussi Marshall Mathers,
00:23:24 qui n'est pas honteux par rapport à ça,
00:23:26 c'est fort et c'est fort grâce à ce mouvement vers le centre,
00:23:29 qui est un mouvement stratégique et artistique
00:23:32 qu'il a réussi à faire.
00:23:33 Et ce qui montre ça, moi j'y vois un peu une métaphore de ça,
00:23:38 c'est le single avec Rihanna qui est sur le Marshall Mathers LP 2,
00:23:42 qui s'appelle "Monster",
00:23:43 parce qu'effectivement, ce qu'il a fait est monstrueux.
00:23:46 Juste pour compléter rapidement sur Rico Prie,
00:24:08 je pense qu'il avait besoin aussi de symboliser en musique
00:24:10 son nouveau mode de vie.
00:24:12 C'est-à-dire que, comme on l'a dit, il est devenu sobre,
00:24:15 il est devenu plus sage, se sent plus blanc, plus pop.
00:24:19 C'est la symbolique de sobriété, sagesse.
00:24:22 Là, je suis bon père de famille, je suis beaucoup plus calme.
00:24:24 Et je pense que pour se convaincre, même dans sa vie personnelle réelle,
00:24:28 il avait besoin de symboliser ça en musique, et notamment dans le son.
00:24:32 - Et ça crédibilise sa démarche, c'est vrai ce que tu dis,
00:24:34 c'est très important.
00:24:35 Eminem, il a toujours eu un problème avec l'âge.
00:24:40 Dans ses lyrics, il se rajeunit toujours de deux ans.
00:24:44 Quand on regarde les chronologies où il met les dates
00:24:46 et les événements de sa vie, on s'aperçoit qu'il se rajeunit.
00:24:50 Quand il fait Slim Shady à la fin des années 90,
00:24:52 on a l'impression que c'est un ado,
00:24:53 alors qu'il est déjà bien passé après 25 ans.
00:24:56 Et quand il revient avec Relapse, il reprend un peu ce modèle-là.
00:25:01 Abandonner Slim Shady, assumer son âge,
00:25:04 et réussir à assumer son âge,
00:25:06 ça lui redonne de la crédibilité.
00:25:08 On dit "mais il devient plus commercial", etc.
00:25:10 En fait, non, ça lui redonne de la crédibilité,
00:25:13 de la même manière que Dr Dre,
00:25:15 il retrouve de la crédibilité avec Chronique 2001,
00:25:18 en disant "ben voilà, j'ai pris de l'âge".
00:25:23 Il raconte son vieillissement.
00:25:25 Et être honnête avec son vieillissement,
00:25:28 en faisant une musique différente,
00:25:29 ça permet aussi de retrouver la crédibilité
00:25:32 qui permet ensuite d'avoir le succès.
00:25:34 Le rebranding, en fait, il est total.
00:25:36 Il est artistique, il est aussi au niveau de l'image.
00:25:39 Là où on a connu Slim Shady, Marshall Mathers et Eminem,
00:25:43 là c'est vraiment l'homme qui se met en avant.
00:25:46 C'est le narrateur qui parle de lui.
00:25:48 C'est pas le narrateur qui parle d'un personnage fictif
00:25:50 comme Slim Shady ou de la superstar qui est Eminem.
00:25:53 Là c'est vraiment lui qui parle.
00:25:55 Et comme tu le disais,
00:25:57 c'est ce qui touche les personnes qui sont plus âgées,
00:25:59 qui ne l'écoutaient pas avant et qui l'écoutent à ce moment-là.
00:26:02 - Et justement, comment il va réussir à établir cette nouvelle stratégie ?
00:26:08 Puisqu'il n'y a plus Proof derrière lui pour être critique,
00:26:11 comme on le disait, mais qu'il pouvait le conseiller
00:26:13 sur pas mal de choses également.
00:26:15 Est-ce qu'il y a une personne qui va un petit peu
00:26:17 prendre la place de Proof ou pas du tout ?
00:26:20 - Sur scène, il y a Mister Porter,
00:26:23 qui était dans le groupe de D12 aussi.
00:26:25 Donc il y a un ami aussi d'enfance,
00:26:28 d'adolescent, qui s'est rencontré avec Proof.
00:26:30 En termes artistiques, c'est difficile à dire par contre.
00:26:33 On ne sait pas trop s'il a de nouveau un acolyte comme ça
00:26:37 qui pouvait y changer.
00:26:39 Je pense que Mister Porter a pris un peu ce rôle en tout cas.
00:26:42 - Oui, parce que ce n'est pas facile de remplacer Proof.
00:26:44 Parce que Proof, si vous regardez même dans "Eight Mile",
00:26:47 il joue un petit rôle, mais en vrai, Proof, c'est Futur.
00:26:52 C'est le mec qui a les 13, qui a les dreads.
00:26:54 Parce qu'à l'époque, Proof avait des dreadlocks aussi.
00:26:58 Donc Futur, le mec qui anime la battle,
00:27:00 qui est joué par Mickey Pfeiffer dans le film,
00:27:02 en vrai, c'est la personne de Proof
00:27:04 et c'est ce qu'il représentait dans la ville d'Eminem
00:27:06 et dans la ville de Détroit.
00:27:08 Donc ce n'est pas quelqu'un qu'on remplace facilement comme ça.
00:27:10 Et même dans sa carrière,
00:27:11 Denon Porter a toujours été présent.
00:27:13 On va dire qu'il va l'épauler dans tout ce qui est production,
00:27:16 mais il ne va pas avoir le même rôle que Proof a eu
00:27:19 dans la carrière d'Eminem.
00:27:20 - Alors il y a quand même un rappeur qui refait son apparition,
00:27:22 c'est Rostafavnein.
00:27:24 Donc Rostafavnein, c'est un autre rappeur de Détroit
00:27:27 qui était très proche d'Eminem, fin années 90 aussi.
00:27:29 On les avait vus sur scène à l'époque.
00:27:31 Enfin, il y a même un featuring, "Bad Meets Evil".
00:27:34 Et il s'était embrouillé au fil des années.
00:27:37 La mort de Proof a fait aussi beaucoup mûrir Eminem,
00:27:41 donc il a mis fin à ce conflit.
00:27:43 Et du coup, dès 2009, on revoit Eminem et Royce très proches.
00:27:47 Et Royce peut-être aussi a remplacé un petit peu Proof
00:27:50 au niveau artistique.
00:27:52 Et d'ailleurs, ils sortiront un album commun en 2011,
00:27:55 "Bad Meets Evil", enfin "Elves et Séquelles".
00:27:57 Donc il faisait référence aux morceaux de 99.
00:28:01 - Après, je crois que ce que Eminem a appris dans les années 2000,
00:28:05 c'est qu'il apprend à être seul, en fait.
00:28:07 À devenir plus indépendant de ses mentors.
00:28:14 Il y avait Paul Rosenberg,
00:28:15 il y avait les frères Baez au début de sa carrière,
00:28:18 ensuite il y a eu Proof.
00:28:19 Et à la fois par maturité et aussi par les drames de la vie,
00:28:25 il apprend à être seul, à être seul avec lui-même,
00:28:28 donc c'est toute la question de son combat contre les addictions.
00:28:31 Et puis à être seul sans son pote, Proof.
00:28:33 Et quand il revient dans l'arène à la fin des années 2000,
00:28:36 je pense qu'il a le bagage pour faire ses choix.
00:28:40 Et au début, en tout cas, de ce renouveau des années 2010,
00:28:46 il a cette capacité, lui, à penser ses moves.
00:28:52 Personne ne va lui imposer de faire le "Martial Matters 2".
00:28:55 C'est lui qui décide de le faire,
00:28:56 et de le faire comme ça et de le réussir comme ça.
00:28:58 Donc il a le sens, il l'a appris, de penser sa carrière tout seul.
00:29:07 Et la difficulté qu'on a à retrouver, pas un acolyte,
00:29:13 mais vraiment un partenaire, c'est sans doute parce que,
00:29:18 en fait, Eminem n'a plus vraiment besoin d'un partenaire.
00:29:22 Il y a quand même Dr Drey.
00:29:24 – C'est ce que j'allais dire, où en sont ses relations avec Dr Drey ?
00:29:26 – Et là, je dois confesser une addiction particulière,
00:29:33 c'est "I need a doctor".
00:29:35 [Rires]
00:29:36 Ce n'est pas un morceau qui est hyper crédible,
00:29:39 mais il montre quelque chose de la relation entre Eminem et Dr Drey,
00:29:43 puisque dans le clip, Dr Drey a un accident de voiture,
00:29:47 il est à l'hôpital et donc il n'est plus le docteur, il est le malade.
00:29:50 Et c'est un peu une histoire inversée,
00:29:52 parce que Eminem devient celui qui va faire renaître Dr Drey,
00:29:56 ce qu'il a un peu fait d'ailleurs au début des années 2000,
00:29:59 alors qu'en fait, pour partie, c'est Dr Drey,
00:30:02 ou le modèle de Dr Drey, qui a fait renaître Eminem.
00:30:05 Donc il y a une circulation comme ça, qui est assez marrante dans ce clip,
00:30:09 et je trouve qu'il sort en 2011, il montre bien où en étaient les deux,
00:30:14 là, Dr Drey, Eminem, et puis il y a la voix de Skylar Grey,
00:30:18 moi, qui me fait complètement craquer.
00:30:19 Et donc ce morceau-là, je trouve, il est aussi un peu une réponse à ta question,
00:30:23 c'est quoi l'inspiration ou le pote d'Eminem à ce moment-là ?
00:30:30 Je pense que Dr Drey joue aussi un rôle encore important à ce moment-là dans sa vie,
00:30:34 et puis surtout dans son inspiration artistique.
00:30:37 - On va dire que Proof était vraiment son ami de tous les jours,
00:30:40 et Dr Drey, dans le business, dans la musique, était son mentor.
00:30:44 Donc il était tout aussi important.
00:30:46 - Oui, bien sûr.
00:30:47 Et il y a une chose qui va être aussi un petit peu plus mature à la fin des années 2010,
00:30:52 c'est aussi Internet, on l'a vu dans la première partie,
00:30:54 Internet et Eminem, ils ont grandi un petit peu ensemble,
00:30:58 mais là, est-ce que ça change quelque chose dans la vision du rap d'Eminem,
00:31:03 ou même dans la perception du public d'Eminem ?
00:31:05 Parce qu'on a, évidemment, avec Internet,
00:31:08 une fenêtre qui est beaucoup plus large sur le panorama du rap,
00:31:12 qu'il soit américain ou même mondial.
00:31:14 Est-ce que ça a une influence ou pas du tout ?
00:31:17 - Sur le public, je pense oui, quand même,
00:31:18 parce qu'Eminem a toujours été à contre-courant,
00:31:21 c'est-à-dire qu'il est dans son propre genre, etc.
00:31:23 Et il y a eu beaucoup de débats dès 2010, virage plus pop,
00:31:28 même avec 2013, "Marcha Matters LP",
00:31:30 qui étaient des sons complètement différents des autres rappeurs,
00:31:32 donc ça faisait des débats assez vifs.
00:31:36 Et Eminem aussi, lui-même, a eu beaucoup de mal à prendre ce virage,
00:31:40 mais plutôt post-2013, parce qu'il avait beaucoup de mal avec ce public
00:31:43 qui réagit instantanément, qui n'apprécie plus la musique, etc.
00:31:47 Et c'est d'ailleurs pour ça que maintenant, il ne fait plus de promos,
00:31:49 il balance son album comme ça, parce qu'il n'est plus...
00:31:51 Il a été un peu traumatisé en 2017 avec "Revival".
00:31:54 Donc effectivement, il y a un petit peu le public...
00:31:58 Enfin, ça joue sur la vision du public, mais également sur Eminem.
00:32:01 - On y reviendra un petit peu plus tard sur Internet et Eminem.
00:32:05 Donc on en a parlé un petit peu, le nouveau "Marcha Matters",
00:32:08 le nouvel album.
00:32:10 Il est bien, cet album, honnêtement, c'est un bon album,
00:32:13 vous êtes d'accord, Pierre, toi, tu es d'accord, je pense.
00:32:16 Le Bougarno, tu es d'accord ?
00:32:18 Après l'album d'avant qui t'a convaincu et qui a convaincu la terre entière,
00:32:23 pour toi, c'était l'album qu'il fallait ?
00:32:25 - En fait, c'est un bon album et qui est représentatif
00:32:28 de la personne qu'il est devenu.
00:32:31 Pas du rappeur qu'il est devenu, mais de la personne qu'il est devenu.
00:32:33 - Donc pour toi, il est trop personnel ?
00:32:35 - Non, pas trop personnel, il est dans la continuité du premier "Marcha Matters".
00:32:38 Et est-ce que c'était ce que son public voulait ? Je ne sais pas.
00:32:42 Mais je pense que c'est ce que lui, c'est ce dont lui avait besoin,
00:32:46 parce que c'était une période de sa vie où peut-être
00:32:47 il n'était pas le plus heureux.
00:32:49 Donc peut-être qu'artistiquement, il avait besoin d'exprimer
00:32:52 ces sentiments-là par la musique.
00:32:54 Et d'où le séquel de "Marcha Matters" qui était sorti au début des années 2000.
00:33:00 - Baptiste, qu'est-ce que tu penses ?
00:33:02 - Oui, dans l'ensemble, je trouve que c'est un bon album
00:33:04 qui exploite beaucoup de genres différents.
00:33:06 Il y a un peu de rock, un peu de...
00:33:08 Enfin, même en termes de samples.
00:33:11 Là où il est critiqué, notamment, c'est son virage pop,
00:33:14 parce que dans le premier "Marcha Matters LP",
00:33:16 c'est très brut, c'est très rap.
00:33:18 Là, il y a quelques chansons pop, etc.
00:33:21 Donc lui, il avait dit l'objectif avec "Marcha Matters LP 2",
00:33:23 c'était que tout le monde s'y retrouve.
00:33:24 Donc son ancien public, son nouveau.
00:33:27 Donc, est-ce qu'à vouloir contenter tout le monde,
00:33:29 on ne satisfait personne ?
00:33:30 Ou est-ce que c'était un petit peu ça le risque ?
00:33:33 Mais commercialement, c'est un vrai carton, quand même.
00:33:36 Première semaine, incroyable.
00:33:38 Il a enchaîné sur une tournée mondiale.
00:33:41 Donc, quand même, au niveau de la critique, c'était plutôt bien reçu.
00:33:44 - Et puis, quand on regarde les covers d'albums
00:33:47 dans le "Marcha Matters LP 1",
00:33:49 on le voit devant la maison dans laquelle il a grandi.
00:33:52 Et dans le 2, en fait, on voit que cette maison,
00:33:54 elle est devenue...
00:33:55 Elle est abandonnée, elle est totalement à l'abandon.
00:33:57 Donc, ça montre, en fait, comment il a mûri,
00:33:59 que les années ont passé.
00:34:01 - Oui, la symbolique.
00:34:01 - Et que maintenant, voilà, le "Marcha Matters" d'aujourd'hui
00:34:03 n'est plus celui d'hier.
00:34:04 - Oui, il y innove plus le "Marcha Matters LP" le premier.
00:34:09 C'est vraiment quelque chose d'inédit dans le rap.
00:34:13 Là, il revient, en fait, c'est un peu le "All-Star Game",
00:34:16 avec tous ses personnages,
00:34:18 tous les nouveaux styles qu'il a faits.
00:34:20 Il y a un morceau qui est très intéressant dedans,
00:34:22 qui est le premier single "Berserk",
00:34:24 qui doit être produit par Rick Rubin,
00:34:26 où, en fait, il revient dans les années 80,
00:34:28 avec des samples classiques du hip-hop des années 80.
00:34:32 Donc, il montre d'où il vient
00:34:35 et il arrive à faire exister, 20 ans plus tard,
00:34:40 des sons qui sont totalement décalés
00:34:42 avec la production rap de l'époque.
00:34:44 [Musique]
00:35:10 - Je me souviens que quand le morceau est sorti,
00:35:12 moi, j'ai grandi, je suis suffisamment âgé
00:35:15 pour avoir connu Run-D.M.C.,
00:35:17 enfin, entendre les premiers Run-D.M.C. et tout ça,
00:35:20 et le Cool J,
00:35:21 et j'étais content, en tant qu'ancien,
00:35:24 de réentendre ces sons-là,
00:35:28 bien mis en production par un type, en plus, Rick Rubin,
00:35:32 dont on apprécie les prods et puis la traduction.
00:35:34 Donc, il y en a un pour la "Old School",
00:35:37 il y en a un pour "Mes filles",
00:35:40 le morceau avec Rihanna,
00:35:43 il y en a aussi pour ceux qui apprécient chez Eminem,
00:35:47 on n'en a pas parlé, sa virtuosité,
00:35:49 parce qu'il y a Rap God aussi dedans,
00:35:51 avec cette espèce de staccato de rimes
00:35:56 qui va développer ensuite, après,
00:35:59 où il va essayer de montrer
00:36:00 "Je suis le meilleur rappeur du monde
00:36:02 parce que je suis le rappeur le plus rapide du monde".
00:36:05 [♫ Musique rap ♫]
00:36:21 Oui, on n'en a pas parlé de ça,
00:36:23 on n'a pas parlé encore, véritablement,
00:36:25 on va pouvoir l'aborder maintenant,
00:36:26 je pense, parce qu'il y a assez de maturité
00:36:28 et de matière sur toutes ces années
00:36:30 pour parler du style d'Eminem.
00:36:32 Parce que le style d'Eminem, c'est quelque chose d'unique,
00:36:34 qui a évolué, on l'a dit,
00:36:36 mais qui garde quand même une matrice.
00:36:40 Qu'est-ce qu'on peut dire sur le style d'Eminem ?
00:36:43 Il y a plusieurs styles, en fait,
00:36:46 notamment avec sa première partie de carrière,
00:36:48 très provocateur, très incitif,
00:36:51 sur la première partie de carrière.
00:36:52 Après, il y a un style très personnel,
00:36:54 je pense que c'était vraiment nouveau
00:36:56 qu'il y ait un artiste qui parle de sa vie personnelle
00:36:59 dans un niveau de détail aussi fort,
00:37:01 avec des personnages,
00:37:03 on est vraiment dans une télé à réalité, limite.
00:37:05 C'est pour ça que je pense que le public a vraiment accroché,
00:37:08 quand je parle de Kim, de sa mère, de son père, de ses filles.
00:37:12 - Il va très loin dans les détails. - Oui, il va très loin.
00:37:14 Donc, il y a plusieurs styles.
00:37:15 Il y a le rappeur vraiment classique,
00:37:17 donc Eminem, qui est en compétition avec les autres rappeurs,
00:37:19 qui est dans la performance,
00:37:21 type Loser Safe, T-Like, Collab, des choses comme ça.
00:37:23 Un style très personnel, Marshall Mathers,
00:37:25 et un style très provocateur, Slim Shady.
00:37:27 Et ce style va vraiment évoluer,
00:37:30 par exemple, si on prend Marshall Mathers, El Pit,
00:37:33 on est plus dans le Eminem,
00:37:34 Slim Shady n'est plus vraiment existant.
00:37:36 Il est moins dans la provoque,
00:37:38 mais il est plus dans la rime.
00:37:40 Lui, il veut vraiment, il l'a dit lui-même,
00:37:42 je préfère être le meilleur rappeur qui est un bon artiste.
00:37:46 - C'est un performeur. - C'est un performeur, oui.
00:37:48 Parce que là, on parle du fond,
00:37:49 mais il y a la forme aussi.
00:37:51 - Oui, c'est technique.
00:37:52 - Là, personne ne fait du Eminem sur la forme.
00:37:55 - C'est ce qui est un peu critiquable,
00:37:56 je pense, ces dernières années,
00:37:57 c'est que la performance prend le trop dessus
00:37:59 sur le fond, en fait.
00:38:01 C'est qu'il force un peu trop,
00:38:02 par exemple, le fast-forward de Rap God,
00:38:04 il a vu que ça a littéralement buzzé,
00:38:05 on était sur les premiers buzzs Twitter,
00:38:07 et il l'a reproduit trop de fois,
00:38:10 je pense, dans les années qui ont suivi.
00:38:12 Donc, il met un peu trop, je pense, la performance au pire.
00:38:15 - Ça, pour moi, c'est sur la fin.
00:38:17 - Ouais, sur la fin, pardon.
00:38:18 - Sur les dernières années,
00:38:19 je me permets de donner mon avis.
00:38:21 Je pense que sur toute,
00:38:23 enfin, même pas la première partie,
00:38:25 mais une grande majorité partie de sa carrière,
00:38:27 je trouve en tout cas que la forme,
00:38:28 même s'il est vrai, il en abuse un petit peu aujourd'hui,
00:38:31 il a toujours su mettre la forme au service du fond,
00:38:34 - Ouais, ouais, tout à fait.
00:38:35 - et vice-versa.
00:38:36 C'est ce qu'il fait aussi pour, en tout cas, ma part,
00:38:39 je pense, Eminem, un rappeur complètement atypique
00:38:42 dans le panorama du rap US.
00:38:45 - Ouais, tout à fait d'accord avec toi,
00:38:46 dans le sens où c'est un rappeur qui est très technique
00:38:48 et qui met ça en avant.
00:38:50 C'est un rappeur qui est vraiment dans tous les styles de rap
00:38:53 où vraiment, il fait rentrer, en fait,
00:38:55 les fans de rap dans des laboratoires.
00:38:57 Quelqu'un qui est beaucoup dans le multisyllabique,
00:39:00 dans le double, tripotante.
00:39:02 Lorsqu'il dit "I was stomped by 40 men and I take a defeat",
00:39:06 il dit qu'il s'est fait écraser par 40 mecs
00:39:09 et qu'il a subi une défaite, a defeat.
00:39:13 Mais quand on le prend en anglais,
00:39:14 on peut le lire d'une autre manière,
00:39:15 parce que 40 mecs qui te sautent dessus,
00:39:18 vu qu'ils ont deux pieds,
00:39:19 les 40 mecs, tu multiplies fois deux, a defeat.
00:39:22 Donc, il y a 80 pieds qui l'écrasent.
00:39:25 Et ça, il arrive à te faire éteindre la lumière pour écouter,
00:39:30 rallumer la lumière pour te dire "non, en fait, ce mec est fou".
00:39:33 Donc, en vrai, ça, il le met en avant
00:39:36 pour montrer aux puristes que les gars,
00:39:38 quand vous voulez, vous venez, je suis votre homme.
00:39:40 Mais en même temps, il arrive à élager son public
00:39:42 en s'ouvrant, en étant un peu plus pop.
00:39:45 Et c'est, je pense, pour ça qu'il est un peu critiqué
00:39:49 du fait que ce soit quelqu'un de très technique
00:39:51 et qui veut prouver à chaque fois qu'il soit en compétition
00:39:54 avec les autres, mais surtout avec lui-même.
00:39:56 Parce qu'il veut toujours faire mieux que ce qu'il a fait.
00:39:58 Dans Rap God, il a montré que dans le fast flow,
00:40:00 c'était un spécialiste.
00:40:01 Mais dans Godzilla, il a prouvé qu'il avait gardé ça
00:40:06 et qu'il pouvait faire encore mieux.
00:40:07 D'ailleurs, c'est un record.
00:40:08 Fast God, c'est 224 mots en 30 secondes.
00:40:11 C'est un record pour un morceau de rap.
00:40:13 Donc là, Eminem, il vient en mode "je suis une légende".
00:40:17 Quiconque vient ici, quiconque se la raconte,
00:40:20 se fera fumer dans la foulée, comme disait Cynic.
00:40:23 - Le seul truc, avant que tu réagisses, Pierre,
00:40:25 le seul truc, et là, je rebondis sur ce que tu disais, Baptiste,
00:40:28 c'est vrai que si on parle aujourd'hui,
00:40:30 si tu regardes les réseaux sociaux,
00:40:32 il y a des gens qui vont dire, "Ouais, Eminem, déjà, un, c'est qui ?
00:40:36 Et deux, à part rappeler vite, qu'est-ce qu'il sait faire ?"
00:40:39 Pierre, je te laisse la parole là-dessus.
00:40:42 Fais avec.
00:40:43 - Non, mais tu as raison quand même d'insister sur le style, la forme.
00:40:48 C'est vraiment très important.
00:40:50 On a dit, il mature les choses.
00:40:53 Il a une carrière qui se construit très longtement,
00:40:56 et elle se construit parce qu'il apprend.
00:40:59 Et toutes les années 90, il apprend auprès des meilleurs professeurs,
00:41:03 Nas, Big Daddy Kane, les rappeurs les plus…
00:41:05 Rakim, les rappeurs les plus techniques,
00:41:08 ceux qui font effectivement des rimes
00:41:11 avec deux ou trois niveaux de compréhension,
00:41:13 des rimes internes, il cherche des assonances partout.
00:41:17 Et donc, il ne va pas refaire ça dans les années 90,
00:41:22 ce qui fait que quand il arrive commercialement à exploser,
00:41:26 il a un niveau de technicité qu'il a poli dans les battles,
00:41:30 parce qu'il ajoute à ça des punchlines, des choses comme ça,
00:41:33 et qui fait que c'est vraiment très marrant
00:41:36 et très intéressant de lire ses lyrics,
00:41:40 parce qu'il y en a pour tout le monde.
00:41:45 Ce n'est pas la supérette, c'est le supermarché,
00:41:49 ou l'hypermarché des métaphores, il y a plein de trucs,
00:41:54 et il arrive à faire ça dans des chansons commerciales.
00:41:58 Quand on lit ses lyrics de cette époque-là,
00:42:01 de ses meilleures chansons, il y en a pour tout le monde.
00:42:05 Les techniciens vont apprécier les rimes internes,
00:42:08 les gens qui ne sont pas dans la technique,
00:42:09 ils vont juste entendre que ça sonne.
00:42:12 – Oui, la sonorité.
00:42:12 – Voilà, on retient les trucs,
00:42:16 et ça c'est ce que la technique donne à l'art,
00:42:19 c'est que ça paraît évident, c'est comme ça que ça marche,
00:42:23 ça fait cliquer dans la tête des gens,
00:42:24 alors qu'en fait c'est très compliqué d'arriver à ça.
00:42:27 Et là-dessus, il est effectivement salué par tous ceux qui écrivent des rimes,
00:42:34 parce qu'il a cette capacité et puis il a cette fluidité.
00:42:37 Il y a une interview dans Rolling Stone,
00:42:39 je crois, dans les années…
00:42:41 fin des années 2000, début des années 2010,
00:42:43 où il montre comment il écrit un morceau,
00:42:47 et c'est quasiment…
00:42:49 il demande aux journalistes "donnez-moi trois mots", etc.
00:42:52 "je vais vous faire une chanson",
00:42:53 et il est capable de faire ça, d'improviser,
00:42:56 parce que dans sa tête, il pense rap, il pense rimes internes,
00:43:01 il arrive à ordonner les trucs, à tenir les cadences, etc.
00:43:05 Automatiquement.
00:43:06 Alors c'est un rappeur de l'écrit, il écrit beaucoup,
00:43:11 il travaille beaucoup, mais il a cette rapidité-là,
00:43:14 et ça c'est les meilleurs,
00:43:15 quand on regarde les rappeurs qui ont vraiment un style caractéristique,
00:43:20 Notorious B.I.G. ou même Lil Wayne dans un autre genre,
00:43:25 il transpire le rap en fait.
00:43:27 Lil Wayne, il a ce tatouage "I am music" sur sa tête,
00:43:32 et quand on le voit dans le film qui a été fait en 2009,
00:43:38 qui s'appelle "The Carter",
00:43:39 on voit comment il est Lil Wayne dans la vraie vie,
00:43:43 et on voit qu'il est le rap dans la vraie vie.
00:43:45 Il est toujours e-rap, et son freestyle, lui il n'écrit pas,
00:43:50 il s'assort comme ça.
00:43:52 Et Eminem, il a ça aussi, il a ce truc que le rap c'est sa vie,
00:43:58 et il est capable de transporter ça.
00:44:02 Après le sujet, et c'est le sujet de la dernière partie de sa carrière,
00:44:06 c'est qu'il faut être capable de partager ça avec les autres.
00:44:08 C'est exactement le point qui est essentiel.
00:44:11 Et dans la dernière partie de sa carrière,
00:44:13 on a dit que dans les années 2000, il a appris à être seul,
00:44:16 et que grâce à ça, il a pu revenir et en fait,
00:44:19 re-remplir des stades au début des années 2000, des 2010.
00:44:23 Le problème après, c'est qu'il va un peu s'enfermer dans son château,
00:44:28 et qu'il va se retrouver un peu tout seul.
00:44:30 C'est exactement le...
00:44:31 En fait, c'est presque une anomalie qu'Eminem ait percée à tel niveau,
00:44:35 et en fait, il est un peu victime de ça,
00:44:36 c'est-à-dire qu'il est d'ailleurs souvent comparé à des rappeurs très underground
00:44:40 qui sont vraiment dans la technique, la performance comme lui.
00:44:42 Et lui, comme il est commercial,
00:44:44 le public ne comprend pas que lui, il est tout le temps dans la performance,
00:44:46 alors que lui, ce qu'il aime vraiment, c'est le rap, en fait,
00:44:48 au même titre que les autres rappeurs...
00:44:50 -Pardon, excuse-moi.
00:44:51 Est-ce que c'est pas le nouveau public rap qui ne comprend pas forcément ça ?
00:44:56 C'est-à-dire que, est-ce que son public de l'époque,
00:44:58 il continue à le suivre plus ou moins, il grandit, il vieillit avec lui,
00:45:02 et il accepte d'où Eminem est venu et où il est ?
00:45:06 Et ceux qui sont peut-être plus jeunes, il y en a qui adhèrent,
00:45:12 mais d'autres qui sont plus sur les standards plus contemporains
00:45:16 et qui ne comprennent pas forcément, en fait...
00:45:19 J'ai l'impression qu'à un moment donné,
00:45:22 le fond, on n'en a un peu plus rien à tirer, ou presque,
00:45:25 et c'est la forme, et la forme, elle doit être d'une certaine manière
00:45:29 et pas d'une autre.
00:45:30 -Je pense qu'il y a plusieurs facteurs, effectivement.
00:45:32 On est maintenant dans une ère où les morceaux sont beaucoup plus simples,
00:45:35 plus mélodieux, beaucoup moins dans la performance.
00:45:38 Et comme on l'a dit aussi, Eminem, avant,
00:45:39 il mettait ça au service du fond à chaque fois.
00:45:41 Et aujourd'hui, il y a moins de fond aussi,
00:45:43 on est plus dans la performance pour la performance,
00:45:45 donc forcément, ça convainc moins le public.
00:45:48 -Moi, je pense qu'il a refusé de s'adapter au jeu, tout simplement.
00:45:51 -Mais parce qu'il faisait ses propres règles aussi.
00:45:52 -Il faisait ses propres règles parce qu'il sait qui il est.
00:45:54 C'est une légende, en fait, dans le game.
00:45:56 Donc, il n'a pas besoin d'aller prouver à quiconque
00:45:59 qu'il peut s'adapter à ce qui se fait aujourd'hui
00:46:01 ou se conformer à un certain système.
00:46:03 On parlait de sa technicité, du flow qu'il avait, etc.
00:46:08 Mais très important, on n'a pas parlé du storytelling.
00:46:10 C'est quelqu'un qui arrive...
00:46:12 -On en a beaucoup parlé dans la première partie, mais clairement.
00:46:14 -Qui arrive vraiment à raconter des histoires à la première personne,
00:46:16 à la troisième personne, à raconter des histoires
00:46:19 des personnes que lui, il a fréquentées,
00:46:20 des personnes qu'il n'a pas fréquentées,
00:46:22 dont il a reçu des lettres dans Stan, qui parlent de lui
00:46:25 et il incarne le personnage
00:46:26 comme s'il était dans la peau, en fait, de ces derniers.
00:46:29 Donc, lui, par rapport à ça,
00:46:31 tout au long de sa carrière, ça l'a suivi.
00:46:33 C'est pas parce qu'aujourd'hui, c'est plus au goût du jour
00:46:36 qu'il ne va pas le faire.
00:46:37 Et lui, il le fait, il le fait avec brio.
00:46:39 Et que ça plaise ou pas, je pense qu'il s'en fout totalement.
00:46:43 -La fin des années 2010 est plus compliquée.
00:46:46 2020, qu'est-ce qu'on peut dire de cette fin de 2010 jusqu'à aujourd'hui ?
00:46:50 Parce qu'on l'a vu faire quelques retours,
00:46:53 mais c'est plus contrasté, en fait.
00:46:55 -Il y a eu 2017 avec "Revival",
00:46:57 qui a été un gros échec critique, même vis-à-vis de son public,
00:47:01 où il y a eu une grosse incompréhension.
00:47:03 Si on remet un peu le contexte, on est dans une ère où
00:47:06 il y a les Kendrick Lamar, les J. Cole,
00:47:08 qui ont créé des albums très, très créatifs avec des nouvelles sonorités.
00:47:12 Et les morceaux sont rétrécis à cause du streaming.
00:47:15 Lui, il a fait tout l'inverse, c'est-à-dire qu'il a rallongé ses morceaux
00:47:17 sur des sonorités complètement hors du temps, en fait, du rock.
00:47:22 C'était assez compliqué.
00:47:25 Donc, gros échec au niveau de cet album-là.
00:47:28 Mais six mois après, on voit qu'il a appris,
00:47:30 parce que six mois après, il a ressorti "Kamikaze",
00:47:32 où là, il est retourné dans le pur rap,
00:47:35 rétrécit ses morceaux beaucoup plus adaptés à l'ère du streaming,
00:47:37 et ça a été encore une fois un retour au sommet,
00:47:41 parce qu'au niveau commercial, les ventes, etc.,
00:47:43 on était sur plus de 400 000 ventes en première semaine.
00:47:46 Et là, c'est là où il a commencé sa nouvelle stratégie
00:47:48 de plus faire de promos pour ses albums.
00:47:51 Il a sorti ça en mode surprise,
00:47:53 parce que le public a énormément critiqué la tracklist de "Revival"
00:47:57 avant que l'album même soit sorti.
00:47:59 - "Revival", c'était vraiment un album qui était très politique.
00:48:02 C'est un album dans lequel il se dressait vraiment
00:48:06 envers et contre la candidature de Donald Trump.
00:48:11 Et ça, en fait, je pense que pour le public,
00:48:14 c'était quelque chose de trop politique.
00:48:15 - Et puis surtout, à la base, il y avait une partie de son public
00:48:19 qui, en fait, en vrai, est peut-être électeur de Trump aussi.
00:48:22 - Oui, je pense aussi.
00:48:23 - Si on prend le panorama aux États-Unis de son public,
00:48:26 on le disait dans la première partie,
00:48:28 qu'il y a un public très blanc, mid-west,
00:48:32 enfin, il y a plein de choses qui font que ce sont une base électorale de Trump.
00:48:37 - Clairement, de toute façon, comme on le disait précédemment,
00:48:40 Eminem, il est au-dessus du rap.
00:48:41 Il a réussi à faire rentrer le rap dans des comtés,
00:48:44 dans des provinces, dans des États où soit le rap n'existe pas
00:48:47 ou soit le rap était écouté vraiment par une minorité.
00:48:50 Il y a des gens qui écoutent Eminem,
00:48:52 mais qui se foutent de ce qui se passe dans le rap.
00:48:55 Il y a des gens qui ont découvert le rap grâce à Eminem
00:48:58 et après que ces gens-là aient des idées politiques
00:49:00 qui ne vont pas dans le sens d'Eminem,
00:49:02 là où lui, il s'oppose clairement à leur président,
00:49:06 je pense que c'est ça qui a joué.
00:49:07 Après, dans "Kamikaze", il revient vraiment à la base
00:49:11 où il rend hommage aux Beastie Boys quand on voit la couverture de l'album.
00:49:15 Il rend hommage à la couverture de l'album "License to Heal",
00:49:18 si je me trompe, quoi.
00:49:20 Donc c'est ça.
00:49:21 Et il revient à la base de son rap où il est là pour rapper.
00:49:25 Il n'est pas là pour faire plaisir aux gens,
00:49:26 pour contenter sa fanbase ou pour élargir le public.
00:49:30 Il est là pour faire ce que Slim Shady,
00:49:32 Marshall Mathers et Eminem ont toujours fait.
00:49:34 Mais est-ce qu'il en a encore envie ?
00:49:36 C'est la question qu'on se pose un petit peu.
00:49:38 Il est un peu en manque d'adversaires, en fait.
00:49:40 C'est ça, on a l'impression.
00:49:41 Il est tout seul, il continue à faire du shadowboxing
00:49:47 en essayant d'imaginer des adversaires.
00:49:49 Et les adversaires, ils sont de moins en moins intéressants.
00:49:52 Son dernier succès en termes de single, c'est "Killshot".
00:49:58 C'est contre Machine Gun Kelly,
00:50:01 qui est un rappeur qui est à peu près connu
00:50:04 que pour ses bisbilles avec Eminem.
00:50:07 Et un épisode de Catfish aussi.
00:50:09 Voilà.
00:50:11 Et on n'est pas dans le Eminem du début des années 2010
00:50:16 ou a fortiori dans le Eminem des années 99-2002
00:50:19 où il avait toute l'Amérique en face de lui.
00:50:22 Il y a une chose, je pense qu'il a beaucoup frustré
00:50:25 et qui montre aussi un peu son isolement et sa solitude,
00:50:28 c'est qu'avec son freestyle et puis avec Revival,
00:50:32 il s'attaque à Donald Trump.
00:50:34 Et je pense qu'il espérait que Donald Trump allait réagir.
00:50:37 Et en fait, Donald Trump, qui est quelqu'un
00:50:40 qui vient de la télé, vient du catch aussi.
00:50:44 Et donc, il sait très bien à quoi Eminem joue.
00:50:50 Et donc, qu'est-ce qu'il fait ? En fait, il esquive.
00:50:52 – Il sait qu'il ne sera pas gagnant, si il répond.
00:50:54 – Alors, il y a ça, mais je trouve que la façon
00:50:57 dont Trump a traité ça est très intelligente de sa part
00:51:00 parce qu'il ne va pas s'embringuer effectivement
00:51:03 dans une polémique avec Eminem.
00:51:05 Donc, il n'en parle pas, il esquive.
00:51:07 Et Eminem, porté par son élan, en fait, il s'écrase.
00:51:09 C'est comme sur le ring de catch,
00:51:12 le type, il fonce sur l'autre, l'autre s'écarte
00:51:15 et il se retrouve dans les cordes.
00:51:17 Et donc, Eminem, je pense qu'il a été un peu déstabilisé
00:51:20 par le fait que, alors que Donald Trump est quelqu'un
00:51:23 qui, en général, c'est le troll suprême,
00:51:25 il répond à tout, là, il ne répond pas.
00:51:28 Et ça, en soi, ça a dû le perturber un peu
00:51:32 parce qu'il se mettait à un niveau où il n'avait jamais été
00:51:35 depuis qu'il avait critiqué Bush en 2004.
00:51:38 Et là, tout à coup, il n'y a pas de répondant.
00:51:40 Et donc, après, il redescend et quand il redescend,
00:51:43 il redescend sur des battles qui ne sont pas très intéressantes
00:51:46 et qui sont totalement déconnectés de ce qu'est le rap aujourd'hui.
00:51:50 Le rap aujourd'hui, c'est l'autotune, c'est la trap,
00:51:54 c'est des nouveaux artistes qui inventent des choses
00:51:58 de manière totalement déconnectée du monde d'Eminem.
00:52:02 C'est deux univers qui ne dialoguent pas,
00:52:04 qui ne se méprisent pas.
00:52:05 Les rappeurs d'aujourd'hui, ils savent vaguement qui est Eminem,
00:52:09 mais il ne fait pas la même musique qu'eux.
00:52:11 – Et en plus, par rapport à Donald Trump, pour revenir sur lui,
00:52:15 il y a beaucoup de gens dans le paysage d'Eminem qui l'écoutent
00:52:19 qui ne savent pas, avant qu'il soit candidat à la présidentielle,
00:52:22 qui ne savent pas qui est Donald Trump.
00:52:24 Le souvenir de certains, c'est le monsieur qu'on voit dans l'hôtel
00:52:27 dans "Maman, j'ai raté l'avion".
00:52:28 – Oui, bien sûr, ou à la WWF, je crois, à l'époque.
00:52:31 – Donc, en fait, dans l'entertainment, dans le divertissement,
00:52:34 on sait que c'est quelqu'un où…
00:52:35 Je pense qu'Eminem a mis une cible sur lui
00:52:38 parce qu'il s'est dit "si j'arrive à battre ce mec-là,
00:52:40 là, je rentre dans le pontéon du truc".
00:52:43 Mais ce qui s'est passé, c'est que Donald Trump n'a pas répondu
00:52:47 et il a adopté la stratégie que tous les rappeurs font avec Eminem.
00:52:51 Personne ne veut de battle, personne ne veut de clash ou de bif.
00:52:54 – À la limite, personne ne le calcule parce que…
00:52:56 – Non, non, c'est un problème, en fait, c'est aller à sa propre perte,
00:52:58 c'est une autodestruction d'aller à contre-courant d'Eminem
00:53:02 ou d'aller se dresser en tant qu'adversaire d'Eminem
00:53:05 parce que Eminem, qu'on le reconnaisse ou non, il a zéro défaite,
00:53:10 que ce soit dans les battles, que ce soit face aux Britney Spears,
00:53:13 aux Christina Aguilera ou autres.
00:53:15 – Coup Elton John, je ne vais même pas contre Elton John,
00:53:18 mais en tout cas face à ses critiques.
00:53:20 – Et là, l'analogie, elle est super intéressante
00:53:22 parce que là où lui, il fonce sur Donald Trump et Donald Trump l'esquive,
00:53:26 il va droit dans le mur et c'est là où juste après,
00:53:29 il sort un album qui s'appelle "Kamikaze".
00:53:32 – Mais Pierre a dit quelque chose d'intéressant,
00:53:34 c'est qu'il a dit "Eminem n'a pas d'adversaire aujourd'hui".
00:53:36 En fait, je pense qu'il a des adversaires,
00:53:38 mais ses adversaires sont restés ses idoles d'enfance.
00:53:40 Même aujourd'hui, on voit qu'il porte toujours des T-shirts
00:53:43 qui font référence à des albums des années 80-90.
00:53:46 Dans ses interviews, il fait des références à "Ouais,
00:53:48 quand Big Daddy K a sorti ça".
00:53:50 Donc en fait, lui, il analyse, il étudie le rap des années 80-90
00:53:54 et il essaye de faire son propre rap aujourd'hui en fonction de ça.
00:53:58 Effectivement, quelques fois, ça arrive qu'il dise
00:54:01 "Ouais, j'ai écouté cet album qui est sorti actuellement, qui est bien",
00:54:05 mais ce n'est pas ses inspirations.
00:54:07 Donc effectivement, il est vraiment seul au monde, il est dans son monde
00:54:09 et il est contre ses propres héros de son enfance.
00:54:12 – Oui, il y a des références, je crois que c'est dans "Rap God"
00:54:15 où il cite un moment "supersonique", "just like JJ Fad".
00:54:19 JJ Fad, c'est un groupe de filles que Dr Dre,
00:54:22 qui était sur "Restless Records" et que Dr Dre a produit en 1988.
00:54:26 Elles ont eu un seul hit qui s'appelait "Supersonique".
00:54:30 Personne ne connaît ça, personne ne connaît ça.
00:54:33 Et il met ça dans un morceau de 2016 ou 2013,
00:54:39 mais 20 ans après, il est dans un univers, effectivement,
00:54:43 qui est celui de son enfance.
00:54:45 Ce n'est pas honteux, quand on regarde ce que fait Bob Dylan aujourd'hui.
00:54:49 Son univers à lui, c'est l'American Songbook des années 30, 40, 50.
00:54:56 Il fait des références à des chanteurs de blues
00:54:58 ou à des chanteurs de folk de ces années-là.
00:55:01 Et c'est son univers, et les gens vont voir pour partager cet univers,
00:55:04 et ils analysent ses lyriques pour partager cet univers.
00:55:07 Aujourd'hui, Eminem, il est aussi à ce niveau-là avec un répertoire
00:55:11 qui n'est pas le répertoire du folk des années 40,
00:55:13 mais qui est le répertoire du rap des années 80 et 90.
00:55:18 Ce n'est pas honteux, il le fait bien.
00:55:20 On est content d'aller voir l'animal sur scène,
00:55:23 même si, moi j'étais allé le voir au Stade de France en 2013,
00:55:27 j'avais trouvé qu'il s'ennuyait sur scène.
00:55:30 Je n'étais pas certain d'ailleurs qu'il rappait tout le temps sur ses morceaux.
00:55:34 Mais on sent qu'il était là par obligation,
00:55:38 il n'y avait pas de joie dans le concert.
00:55:42 Et je pense que la joie, il l'a quand il fait ses performances.
00:55:47 C'est un peu son solo de guitare à lui.
00:55:49 Lui, c'est un guitariste du rap,
00:55:52 et donc il adore faire ses solos de guitare.
00:55:55 Il excelle là-dedans, de temps en temps il surprend son monde.
00:55:58 Mais ça n'intéresse que ceux qui sont les gens qui vont admirer
00:56:02 les mecs qui font des solos de guitare à Pigalle dans les magasins de guitare.
00:56:06 - Oui, oui, là-dessus je suis d'accord.
00:56:08 C'est pour ça que pour moi, il y a une incompréhension.
00:56:11 Eminem ne comprend pas non plus forcément le monde du rap,
00:56:13 comment il a évolué, dans le sens où la consommation elle-même
00:56:17 et l'appréciation de celui-ci.
00:56:19 On arrive bientôt à la fin de l'émission,
00:56:21 et on va le fermer, le dernier chapitre.
00:56:24 Est-ce qu'au final, Eminem n'a pas fait son temps ?
00:56:28 Attention, je...
00:56:29 Est-ce qu'il n'a pas fait son temps ?
00:56:31 Je pose la question.
00:56:32 Et il devrait peut-être rester avec la stature qu'il a ?
00:56:35 Ou est-ce que pour vous, il peut encore, une nouvelle fois, se réinventer ?
00:56:40 - Non, moi il m'a un peu plus rassuré avec son dernier album.
00:56:44 Effectivement, moi je pensais qu'on aurait Eminem toujours dans son registre.
00:56:48 Mais son dernier double album, donc "Music to be Mother by",
00:56:51 qui est sorti en deux temps, 2019-2020,
00:56:54 là on sent qu'il est beaucoup plus à la page,
00:56:57 qu'il a fait un peu plus d'efforts, beaucoup moins de performances sur certains morceaux.
00:57:00 Il allie toujours les deux, il y a des morceaux très performances,
00:57:03 il y a des morceaux plus mélodieux où il reprend un peu plus son temps,
00:57:06 qui sont plus dans l'air du temps.
00:57:08 Donc je pense qu'il peut encore surprendre.
00:57:10 Les rumeurs disent en ce moment qu'il travaille avec Dr Dre pour un future album.
00:57:14 - On espère.
00:57:15 - On espère.
00:57:16 Donc je pense que ça vaut toujours le coup, en tout cas,
00:57:18 de prêter une oeil, d'écouter Eminem.
00:57:20 Je pense qu'il y a toujours quelques points de son combat.
00:57:24 - Optimistes.
00:57:25 - Optimistes.
00:57:26 - C'est quelqu'un qui, on va dire, qui ne s'adapte pas à ce qui se fait dans le game,
00:57:29 mais qui continue à faire ce qu'il sait faire.
00:57:31 Dans sa première partie de carrière, c'était quelqu'un qui faisait ses albums,
00:57:34 qui avait du succès, qui avait toujours le respect des légendes de la culture
00:57:37 et des rappeurs qui savaient performer à ce moment-là.
00:57:40 D'où le fait qu'on le voit dans des albums tels que le blueprint de Jay-Z,
00:57:44 on le voit dans les albums de 50 Cent, de Jadakis, etc.
00:57:48 Dans sa deuxième partie de carrière, comme le disait Baptiste,
00:57:52 il respecte ses légendes, il n'est peut-être pas en compétition avec eux
00:57:56 de manière frontale, mais il veut toujours se frotter à eux
00:58:00 pour montrer qu'il sait rapper, etc.
00:58:02 On le voit dans l'album de Nas, "King This Is True",
00:58:04 où il est avec EPMD, Eric Sermon et Paris Smith.
00:58:08 Nas, et lui, là où il va rapper, il va leur montrer,
00:58:12 je sais rapper comme vous, mais je rap aussi comme ce que fait
00:58:15 la nouvelle génération actuellement.
00:58:17 Mais on peut le voir aussi en featuring avec des artistes
00:58:20 tels que Juice WRLD, à son âme.
00:58:23 Ce sont des artistes qui ne sont pas dans son univers rap,
00:58:26 mais avec qui il arrive à collaborer et à produire des morceaux
00:58:30 qui sont quand même de assez haute qualité.
00:58:32 Donc, pour les scientifiques du rap, pour ceux qui sont vraiment
00:58:36 sur la base du rap, vraiment de base, de niche, ils sont servis.
00:58:40 Pour ceux qui aiment la musique pop, ils sont servis aussi.
00:58:43 Il arrive à nourrir tout le monde et on a pour toutes les obédiences.
00:58:47 - C'est un artiste de patrimoine aujourd'hui.
00:58:49 Il ne va plus jamais, je pense, changer le monde,
00:58:52 ou changer la musique, comme il l'a fait à deux reprises
00:58:58 et comme Dr Dre l'a fait à plusieurs reprises,
00:59:00 ou Michael Jackson jusqu'au début des années 90.
00:59:04 Donc, ce n'est plus ça.
00:59:05 Mais quand on est un artiste de cette taille-là,
00:59:09 on a aussi une carrière juste de légende.
00:59:16 On est dans la légende, une carrière de légende.
00:59:19 Et une carrière de légende, c'est accepter le fait
00:59:23 qu'on ne va plus surprendre les gens, à quelques exceptions près.
00:59:27 Peut-être que quand il aura 60 ans, il va nous surprendre, c'est possible.
00:59:31 Mais un artiste de légende, c'est ce que fait Dépêche Mode aujourd'hui,
00:59:35 ce que faisait Ray Charles jusqu'à sa mort.
00:59:40 Ray Charles, ces grandes années, c'est la fin des années 50, les années 60,
00:59:43 et il continuait à tourner, etc.
00:59:46 Eminem, il va avoir ce destin-là, s'il a aussi l'envie,
00:59:51 parce qu'il y a des gens qui, à un moment, aussi décident de…
00:59:53 - Qui lâchent prise.
00:59:54 - Voilà, qui lâchent prise et qui ne font plus du tout d'artistique.
00:59:59 Donc on va voir, je pense qu'il a encore quelque chose quand même au fond de lui.
01:00:07 Je ne ferai pas une croix complète sur sa capacité à sortir une chanson
01:00:14 qui arrive à frapper le grand public dans les années à venir,
01:00:20 mais ça sera, à ce moment-là, dans une autre dimension
01:00:23 que celle du rap d'aujourd'hui.
01:00:25 Ça sera dans une dimension plus pop, avec un public plus âgé,
01:00:31 mais on sent quand même qu'il n'est pas complètement vidé.
01:00:35 Il est un peu à la recherche, là, de comment réexister, faire un bon album.
01:00:41 Ça reste important pour lui, malgré la performance.
01:00:46 Donc on va voir, on va voir.
01:00:48 Je pense que l'histoire n'est pas complètement finie.
01:00:50 - Je pense pas non plus.
01:00:51 Après, c'est quelqu'un qui a quand même 50 ans aujourd'hui
01:00:53 et qui a sorti son premier album en 1996.
01:00:56 Donc par rapport à sa carrière, je pense que c'est une légende.
01:01:00 Il le sait, il fera pas un album de trop.
01:01:03 - On l'espère.
01:01:05 Le dernier point, quelques mots pour tous les gens qu'on peut voir
01:01:08 sur les réseaux sociaux qui disent "Eminem, c'est qui ?"
01:01:11 qui l'écoutent.
01:01:13 Un morceau à conseiller, Baptiste, pour tous ceux qui se demandent qui est Eminem.
01:01:19 - Je vais dire "Till I Collapse" parce que c'est le morceau
01:01:21 qui m'a rendu fan d'Eminem, simplement.
01:01:23 - Pierre ?
01:01:25 - Je vais aller à la facilité.
01:01:27 Moi, je dirais "Lose Yourself" parce que ça marche toujours
01:01:29 à chaque fois que je l'écoute.
01:01:31 J'aimerais bien en prendre un autre,
01:01:33 mais celui-là, il est vraiment au sommet quand il sort ce morceau-là.
01:01:38 - Le "Bugarno".
01:01:39 - "Till I Collapse" aussi, pour la technique,
01:01:42 pour le sample de "Queen".
01:01:45 Aussi pour le "Name Dropping",
01:01:47 qui rend hommage aux rappeurs du rap game de cette époque-là.
01:01:51 Redman, Jay-Z, Nas, Biggie, 2Pac, André 3000 de Outkast.
01:01:58 Et dans la liste, il dit aussi à la fin "Denmi",
01:02:01 donc il se met dedans.
01:02:02 Il sait que c'est une légende, et il considère qu'il y a une légende,
01:02:05 il faut qu'ils le disent, parce qu'il ne va pas attendre
01:02:07 que les autres le disent pour lui, tout simplement.
01:02:09 - Merci, messieurs, pour cette deuxième et dernière partie d'Eminem.
01:02:12 Merci à vous de nous avoir suivis.
01:02:15 Ça y est, on a clos le chapitre Eminem pour le moment.
01:02:18 On se retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de Dans la Légende.
01:02:21 (Générique)

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