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Il a passé sept ans sur les plages du Nord-Pas-de-Calais, au contact des migrants et des passeurs, avant de lui-même traverser la Manche pour gagner l'Angleterre. Le journaliste Julien Goudichaud était l'invité ce mardi du 6-9 de France Bleu Nord pour son livre "Les plages de l'embarquement".

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Transcription
00:00 Julien Goudichaud les raconte dans un livre et il est ce matin avec nous en direct pour en parler.
00:04 En direct dans ce studio, bonjour Julien Goudichaud.
00:06 Bonjour.
00:07 Vous êtes journaliste, vous faites des reportages, des documentaires pour la télévision, vous venez de publier ce livre donc "Les plages de l'embarquement"
00:13 pourquoi être passé à l'écriture ? Ce sont des choses que vous ne pouviez pas raconter dans vos reportages télé ?
00:18 Exactement c'est un petit peu malgré moi que je suis passé par l'écriture et il faut savoir que quand on fait des reportages télé
00:24 on a une caméra et en l'occurrence la caméra c'est l'ennemi juré des migrants numéro 1.
00:28 C'est très difficile de filmer donc il y a plein plein plein de choses que l'on ne peut pas filmer, que l'on vit
00:32 et j'ai éprouvé beaucoup de frustration à ne pas pouvoir raconter ce que je n'ai pas pu filmer donc
00:37 on est passé à l'écriture.
00:39 Et donc pendant sept ans vous avez côtoyé les migrants mais aussi les passeurs, les habitants de Calais et des communes de la Côte d'Opale.
00:46 Vous avez même réussi vous-même à traverser la Manche avant d'arriver là.
00:49 Ce sont surtout sept ans de galère, c'est ça que vous racontez dans le livre,
00:52 les galères pour trouver un bateau, les traversées qui avortent, tout ce qui est raté.
00:57 Sept ans de galère, vous les avez vécues vous-même ?
00:59 Voilà c'est surtout une galère pour arriver à raconter l'histoire d'une personne d'un point A jusqu'à de l'autre côté en Angleterre.
01:05 Souvent on arrive à filmer un petit peu la galère des migrants, un tout petit peu, une journée, deux journées, puis tout d'un coup
01:10 ces gens nous filent entre les doigts et puis ils disparaissent.
01:13 Et donc on n'arrive pas à raconter des histoires donc quand on arrive à raconter des histoires souvent notre
01:17 notre destin se séparait au bord de l'eau quand j'arrivais à accompagner ces migrants embarqués dans un bateau.
01:23 Et très vite j'ai éprouvé le besoin de raconter l'histoire jusqu'à arriver de l'autre côté moi aussi.
01:29 Il y a votre galère à vous en tant que journaliste mais surtout la galère de ces hommes, de ces femmes qui doivent
01:34 cacher des moteurs dans le sable, vous le racontez dans le livre, vous volez souvent aussi des embarcations, des zodiacs,
01:40 il y a aussi ce groupe qui va voler un pédalo pour traverser la Manche.
01:44 Ces migrants ils en ont tellement bavé dans leur vie qu'ils sont prêts à tout, c'est ce qu'on comprend finalement dans votre livre ?
01:49 Oui ils sont prêts à tout, il y a aussi une échelle sociale des migrants qui peuvent se payer les services d'un passeur et donc
01:54 embarquer sur un bateau qui est fourni et ceux qui n'ont tout simplement plus rien et qui voient toute la journée les côtes de
01:59 l'Angleterre briller devant eux à à peine 40 km.
02:02 Et donc ça rend un petit peu fou de voir ces côtes après ce marathon de la migration de plusieurs mois ou
02:08 voire plusieurs années et donc quand on se fait démanteler tous les matins et qu'on reste pendant plusieurs mois voire plusieurs années dans le
02:14 leurpe à tecaler sous la tente,
02:16 et bien au bout d'un moment on est prêt à tout. Même jusqu'à aller voler un pédalo ou acheter un canoë kayak chez Decathlon pour pouvoir
02:22 traverser à la rame pendant plus d'une dizaine d'heures, qu'on y arrive ou qu'on n'y arrive pas pour certains malheureusement.
02:27 Quand on voit ça de l'extérieur on se dit c'est inhumain de vivre dans un bidonville, c'est inhumain de risquer sa vie pour traverser la Manche,
02:33 mais vous écrivez dans l'épilogue de votre livre que ces exilés ne sont pas désespérés, ils sont déterminés.
02:38 Quoi qu'il arrive ils essaieront de le faire, de traverser la Manche ?
02:40 Oui quoi qu'il arrive, quoi qu'il arrive et de toute façon c'est ce qu'ils me disent, ils me disent tout le temps
02:44 "Julien tu savais ce que l'on a traversé, on est passé par la Libye, on a été battus, des femmes ont été violées,
02:49 on a marché dans le désert, ça fait deux ans qu'on est sur la route et là on arrive à Calais,
02:54 l'Angleterre elle est là, elle est à portée de main,
02:56 on va y arriver, on va y arriver coûte que coûte, c'est pas cette petite bande de mer qui va nous arrêter."
03:00 Cette bande de mer c'est tout de même la Manche que vous avez traversée vous-même sur une embarcation, donc sur un zodiac avec des migrants,
03:08 vous racontez à ce moment là la peur quand vous voyez l'eau monter, l'odeur de l'essence aussi,
03:12 on vous dit de pas allumer une cigarette sinon tout va exploser, vous avez eu peur de mourir à ce moment là ?
03:16 "Bon c'est quelque chose auquel j'ai pensé beaucoup avant surtout parce que quand on est embarqué pendant,
03:22 l'adrénaline est tellement forte et puis on pense juste à ce qu'il faut faire sur le moment, et copier, discuter avec les autres, avoir un téléphone qui fonctionne,
03:30 capter, être solidaires les uns des autres, avoir un gilet de sauvetage et puis voilà quoi, on pense
03:35 sur le moment on pense à ça, mais avant oui avant ça a été des mois de
03:38 de cauchemar, j'ai beaucoup rêvé de bateau, aujourd'hui ça va un petit peu mieux mais bon, encore cette nuit encore j'ai rêvé de bateau vous voyez."
03:44 Vous écoutez France Blenor, il est 7h50, notre invité ce matin Julien
03:48 Goudichaud qui a sorti un livre qui s'appelle "Les plages de l'embarquement".
03:51 Vous avez connu Julien Goudichaud, la jungle de Calais qui a été démantelée, ce bidonville
03:56 géant qui s'est aujourd'hui transformé en plein de petites jungles, vous avez aussi constaté comment les passeurs ont pu
04:02 au fur et à mesure s'organiser, se professionnaliser avec des petites mains, des séjours même limite
04:07 rôle inclusif dans les camps c'est ce que vous écrivez, c'est à dire qu'aujourd'hui il y a des migrants qui achètent clé en main un séjour
04:13 dans une tente avec de la nourriture et ensuite le passage en bateau ?
04:16 "Alors voilà maintenant ça s'est vachement professionnalisé, quand j'ai vu apparaître le phénomène c'était très marginal, c'était des
04:22 migrants qui essayaient d'acheter tout simplement des petits bateaux sur le bon coin
04:25 avec des petits moteurs, le faire venir, avoir une voiture c'était une galère pas croyable
04:29 et puis en fait il y en a certains d'entre eux
04:32 qui ont repéré le truc et qui se sont dit "attends il y a un truc à faire parce qu'il y a ceux qui arrivent derrière"
04:36 et là donc ça fait trois ans que le business est monté en flèche
04:39 et donc maintenant c'est des bateaux qui viennent de Chine, les gens sont reçus dans la jungle, on voit même aujourd'hui encore il y a
04:45 moins de migrants dans la jungle parce qu'il y en a beaucoup qui arrivent directement de Paris
04:49 qui vont dans le bateau et qui partent."
04:51 Vous utilisez au début du livre l'expression de "malstrom migratoire" au point où on est arrivé avec la
04:57 professionnalisation que vous venez de décrire de ces passeurs
05:00 avec les migrants qui de toute façon sont toujours là depuis
05:02 même avant la jungle, depuis Sangatte, est-ce qu'on peut y mettre fin à ce "malstrom migratoire" aujourd'hui ? Est-ce qu'il y a une solution ?
05:08 "Non je pense que dès lors que ces personnes auront une bonne raison de se rendre en Angleterre et puis de toute façon de
05:15 fuir l'atrocité de leur pays, des dictatures, des guerres et j'en passe
05:19 ces gens continueront de venir. En revanche ce que l'on peut penser peut-être c'est revoir la politique d'accueil de ces migrants
05:26 déjà pour pouvoir travailler sur notre sol
05:29 parce que beaucoup de personnes prennent le bateau pour aller de l'autre côté pour pouvoir travailler
05:33 dans des manières plus ou moins tolérées
05:36 et je vois même des personnes qui parlent parfaitement français, qui sont restées sur le sol français, qui ont appris le français, qui sont restées
05:42 trois ans, qui ont attendu leur papier trois, quatre ans mais qui ne voient pas de réponse venir et qui me disent "Julien je ne peux
05:47 pas travailler ici, je ne peux pas rester, regarde je parle parfaitement français, je vais monter dans ce bateau, je sais même pas pourquoi je vais
05:52 monter dans ce bateau
05:52 mais c'est la dernière solution qui me reste pour aller de l'autre côté. Puis quand ça en comptait ceux qui vont rejoindre leur famille et puis ceux
05:58 qui ont de bonnes raisons de se rendre en Angleterre.
06:00 Et tout ça vous le racontez donc dans ce livre "Les plages de
06:03 l'embarquement sept ans avec les migrants et les passeurs dans le nord de la France". Merci beaucoup
06:07 Julien Gouttichaud, c'est un livre que je vous dis au passage que vous avez co-écrit avec le journaliste Nicolas Torrent, c'est sorti aux éditions Les Arènes.
06:13 Merci encore. Merci à vous. On va repasser ce matin sur France Bleu Nord. Bonne journée.

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