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Julien Goudichaud signe le documentaire « Les Plages de l’Embarquement » diffusé dans « Envoyé spécial » jeudi 2 novembre.
Le journaliste Julien Goudichaud est journaliste, il est nommé cette année parmi trois autres journalistes pour le Prix Albert londres pour son livre « les plages de l’embarquement », et en présente une version documentaire demain soir dans « Envoyé spécial » sur France 2. Un documentaire qui débute sur les plages de Boulogne sur mer, à 30 kilomètres de Calais. 50 migrants les pieds dans l’eau qui montent sur un bateau zodiac pneumatiques de 4 à 5 mètres de longueur concu pour moitié moins de personnes. Debout sur les rebords du bateau, des hommes rejettent sans ménagement certains qui devront attendre le prochain zodiac. Julien Goudichaud a passé 7 ans à arpenter cette région pour rencontrer migrants, passeurs et rabateurs. Il montre le business qu’est devenu ce passage vers le Royaume Uni : chaque voyage rapporte 70 000 euros au donneur d’ordre, dans un système pyramidal de petites mains, rabatteurs et donneurs d’ordre basés loin des cotes. En 2022, 45 000 migrants, essentiellement afghans, Iraniens, kurdes, Irakiens ou Albanais, qui choisissent l’Angleterre où le travail au noir est monnaie courante, et leur permet de gagner rapidement leur vie.

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Transcription
00:00 L'invité média Laurent Vallière, votre invité journaliste, il est nommé cette année parmi trois autres journalistes pour le prix Albert Londe pour son livre "Les plages de l'embarquement"
00:10 et il en présente une version documentaire demain soir dans "Envoyé spécial" sur France 2.
00:14 Bonjour Julien Goudichaud. Bonjour.
00:16 Alors votre documentaire débute sur les plages de Boulogne-sur-mer à 30 kilomètres de Calais.
00:20 On voit 50 migrants, les pieds dans l'eau, qui montent dans un bateau zodiaque pneumatique de 4 mètres de longueur, conçu pour moitié moins de personnes,
00:27 debout sur l'aérobord du bateau, des hommes rejettent sans ménagement certains qui devront attendre le prochain zodiaque.
00:33 Vous avez passé 7 ans à arpenter cette région pour rencontrer migrants, rabatteurs, passeurs.
00:38 D'abord, comment elle est née cette envie de raconter, de passer cette année de votre vie à découvrir ceci ?
00:44 Écoutez, je me suis rendu en 2015, un petit peu par hasard et par curiosité dans le Pas-de-Calais pour découvrir cette frontière franco-britannique
00:52 et quand j'ai découvert ce qui se passait, j'ai été complètement happé par ce qui se déroulait là-bas.
00:57 J'ai vu des hommes d'une vingtaine d'années qui escaladaient des barrières de 4 mètres de haut pour attraper un train en marche
01:05 avant de s'engouffrer dans un tunnel pour arriver en Angleterre.
01:08 Et je crois que je n'ai jamais réussi à me défaire de cette zone.
01:11 Je savais qu'un jour il allait y avoir les passages maritimes qui allaient être empruntés
01:14 et quand j'ai vu le phénomène apparaître, je suis resté.
01:17 À l'époque, les migrants empruntaient les camions et puis en l'espace de 5 ans, on est passé de 450 à 45 000 personnes
01:27 qui tentent l'an dernier de passer en Angleterre grâce à des bateaux.
01:31 Comment ça se fait cette explosion ?
01:33 Ça a commencé par des groupes d'Iraniens qui ont acheté des bateaux sur le Boncoin.
01:39 Ils se cotisaient, ils achetaient des petits bateaux, des Zodiacs d'occasion, un moteur, il fallait le ramener.
01:44 Une espèce de galère pas possible pour réunir les fonds et ramener le matériel.
01:49 Et puis les premiers bateaux sont passés.
01:51 Et quand les premiers bateaux sont passés, l'idée a germé.
01:55 C'est possible.
01:56 À partir du moment où ils se sont dit "c'est possible", ça a été l'explosion.
01:59 Tout le monde n'a voulu que tenter le passage maritime.
02:01 À partir de ça, les mafias se sont penchés dessus et puis il y a eu un business qui est né.
02:05 Alors c'est ce que vous racontez, les mafias, c'est-à-dire...
02:08 En fait, c'est comme une strade pyramidale.
02:10 Vous avez réussi à interviewer un donneur d'ordre.
02:13 Alors lui, il n'est certainement pas... Il n'est peut-être même pas en France.
02:16 Et puis, vous pouvez nous raconter un petit peu ces différentes strades
02:20 jusqu'à ces hommes qui sont assis, qui sont debout sur les rebords du bateau ?
02:24 Alors voilà ce qui s'est passé, c'est que maintenant c'est très pyramidal, c'est hiérarchique.
02:29 Il y a les petites mains qui sont recrutées dans les camps.
02:32 Donc ils ne sont d'autres personnes que les migrants qui travaillent eux-mêmes
02:36 pour pouvoir avoir un passage gratuit pour arriver en Angleterre.
02:39 Il y a des recruteurs de passagers qui sont aussi des migrants
02:43 ou des personnes un tout petit peu éloignées du camp.
02:45 Ils touchent à peu près, elles, 100 euros, si je comprends bien, par migrant, c'est ça ?
02:48 Voilà, c'est quelques centaines.
02:49 Les rabatteurs.
02:50 Exactement, les rabatteurs touchent quelques centaines d'euros par migrant recruté.
02:53 Ensuite, il y a des managers et puis après, il y a encore des livreurs
02:56 et puis jusqu'à la tête de réseau.
02:57 Quand vous dites les livreurs, c'est ceux qui apportent les bateaux
03:00 qui sont commandés par les donneurs d'ordre.
03:02 Et en plus, ce qui est hallucinant, c'est que selon votre nationalité,
03:06 vous ne payez pas le même prix.
03:07 Exactement, selon d'où vous venez, vous ne payez pas le même prix.
03:10 Pour les Africains, c'est un petit peu moins cher
03:12 parce qu'on sait qu'ils ont un pouvoir d'achat qui est moindre
03:14 par rapport, par exemple, aux Iraniens qui sont censés avoir plus d'argent
03:18 ou d'autres nationalités.
03:19 Alors, je crois que les Albanais, vous dites, c'est 3 000, 4 000 euros.
03:23 Les Albanais, ce sont des clients qui valent de l'or pour les passeurs.
03:26 Ils payent entre 3 500 euros minimum, jusqu'à 5 000 euros.
03:30 Alors, 45 000 personnes qui tentent de passer en Angleterre avec des bateaux
03:34 et vous dites que chaque bateau, en gros, rapporte 70 000 euros aux donneurs d'ordre.
03:39 Voilà, les bateaux, aujourd'hui, c'est simple, il y a 50 personnes minimum dans les bateaux.
03:45 On va jusqu'à 80, là. On voit des chiffres aujourd'hui, c'est une explosion.
03:49 Mais pourquoi vous parlez de mafia ?
03:51 Parce que c'est... Maintenant, si vous voulez, chaque plage du Pas-de-Calais,
03:55 elle est gardée par un clan, par un clan qui a une structure pyramidale
03:59 comme on l'expliquait avant.
04:00 Et il y a des guerres de territoire qui sont opérées pour garder une plage.
04:03 Par exemple, la plage de Vimereux, elle appartient à tel clan,
04:05 la plage de L'Effrincouque appartient à tel clan,
04:08 et il y a des guerres qui se livrent pour ces plages.
04:10 Alors, vous avez aussi pris un bateau pour faire comme les migrants.
04:14 Expliquez-nous. D'abord, on a l'impression que la police assiste à ça impuissante.
04:20 Alors, elle n'est pas impuissante. La police, elle arrête beaucoup de bateaux
04:23 et c'est une guerre permanente contre ces réseaux de passeurs.
04:26 Mais c'est une galère pas possible.
04:28 Compenser que le donneur d'ordres est à l'étranger, ouvre le portefeuille pour financer ses traversées,
04:33 que ce sont des migrants qui amènent le bateau à l'eau,
04:36 que le livreur est aussi un demandeur d'asile quelque part, c'est très dur.
04:42 Mais vous parlez même du technique, le "taxi-boat".
04:45 Qu'est-ce que c'est que le "taxi-boat" ?
04:46 C'est une méthode qui permet justement de faire en sorte que la police des frontières
04:50 ne puisse pas intervenir, c'est ça ?
04:51 Voilà. Les passeurs ont toujours, et essaient toujours en tout cas,
04:54 d'avoir un coup d'avance sur la police.
04:55 Donc la police aujourd'hui, ce qu'elle fait, c'est qu'elle arrête les bateaux avant qu'ils n'entrent dans l'eau.
05:00 Elle essaie d'intercepter ces bateaux pour pouvoir les crever et les mettre hors d'usage.
05:03 Donc les passeurs se sont dit "attends, si on nous arrête les bateaux et qu'on les crève,
05:07 peut-être qu'on va arriver par la mer et récupérer les passagers en bord de plage".
05:11 Parce que la police n'a pas le droit de crever un bateau une fois qu'il est dans l'eau.
05:14 Une fois qu'il est dans l'eau, cela représenterait trop de danger,
05:17 les personnes pourraient tomber dans l'eau et se noyer.
05:19 Donc ce qu'ils font, c'est qu'ils préparent le bateau à 10 km ou 15 km de là,
05:23 à part 2-3 personnes, le bateau arrive par la mer,
05:26 les gens, le petit matin, courent sur la plage, rentrent dans l'eau et escaladent dans le bateau.
05:30 Et la police, elle est un petit peu aux fraises à ce moment-là.
05:33 Et elle a vu aussi des habitants et des touristes.
05:35 Combien de temps a duré votre traversée quand vous avez traversé avec d'autres migrants d'Angleterre ?
05:40 On a mis entre 5 et 6 heures avant de passer la frontière maritime.
05:44 C'est très important pour rentrer uniquement dans les eaux anglaises, pas pour toucher terre.
05:47 Est-ce que les migrants, on leur donne des gilets de sauvetage au cas où il se passe quelque chose ?
05:52 Alors les meilleurs passeurs donnent des gilets de sauvetage, oui,
05:55 mais qui ne sont pas de super gilets de sauvetage, qui sont des gilets de sauvetage qui viennent de Turquie ou de Chine.
05:59 Et ça n'arrive pas tout le temps.
06:01 On voit de plus en plus de bateaux qui partent avec des passagers sans aucun gilet de sauvetage.
06:04 Alors votre documentaire se termine par un bémol.
06:07 En fait, la politique britannique récente menace presque les migrants d'être envoyés au Rwanda.
06:18 C'est une décision qui a été prise par le Parlement britannique.
06:22 Et du coup, il y a des vraies conséquences sur les migrants que vous avez rencontrés.
06:27 Voilà, c'est une aberration quand on imagine pouvoir peut-être être envoyés au Rwanda pour être parqués dans des containers.
06:34 Donc évidemment, les demandeurs d'asile au Royaume-Uni, eux, ils patientent toute la journée dans leur chambre et ils regardent les infos.
06:40 Et quand on leur dit peut-être que demain vous allez être envoyés là-bas en Afrique, il y a une peur qui germe.
06:44 Il y a aussi pour certains un mal du pays, ils n'y trouvent pas leur marque.
06:48 Et donc du coup, ils se disent "est-ce que je serais pas plutôt bien à l'abri en Europe ?"
06:52 Parce que maintenant, c'est ça. Donc revenir en Angleterre, ce serait re-rentrer en Europe. Ils appellent ça.
06:56 Et donc, il y en a qui font le chemin inverse.
06:58 Il y a même des filières de passeurs qui se sont ouvertes pour pouvoir ramener des exilés qu'ils voulaient en Europe.
07:03 Et c'est ce qu'on découvre à la fin de votre documentaire. Merci Julien Goudichaud.
07:06 Les plages de l'embarquement, demain soir à partir de 21h10 dans "Envoyé spécial" sur France 2.
07:11 Et la remise du prix Albert-Londres auquel vous concourez pour votre livre aux éditions des ARN, ce sera le 23 novembre.

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