Entreprise « responsable » : Friedman et Freeman même combat ! [Michel Villette]

  • l’année dernière
Xerfi Canal a reçu Michel Villette, professeur émérite de sociologie à Agro ParisTech, pour parler de l'entreprise responsable. Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcript
00:00 Bonjour Michel Villette.
00:14 Bonjour.
00:15 Michel Villette, vous êtes professeur émérite à Agro-Paris Tech.
00:18 Vous êtes professeur de sociologie, mais plus généralement de sciences sociales,
00:21 parce que tout vous intéresse dans les sciences sociales.
00:23 Auteur dans The Conversation France, d'un papier qui a particulièrement retenu mon
00:27 attention, deux conceptions de l'entreprise "responsables", Friedman contre Freeman.
00:33 Je résume pour vous, finalement, Friedman et Freeman, même combat.
00:36 Oui, c'est…
00:37 Qui est totalement à rebours de tout ce que l'on entend et ce que l'on lit ailleurs.
00:42 Voilà.
00:43 Et c'est ce qui me paraît important de dire en ce moment.
00:44 Alors, c'est vrai que depuis 50 ans, il y a deux doctrines qui semblent s'opposer,
00:49 celle de Milton Friedman, qui dit en gros, la seule responsabilité d'une entreprise,
00:55 c'est de faire du profit.
00:56 Pour les actionnaires.
00:58 Et c'est ce qui conviendra le mieux à l'intérêt général.
01:00 Et puis, de l'autre côté, Edward Freeman et ses collègues, qui ont publié un article
01:07 dans le Journal of Business Ethics, 40 ans après Friedman, et qui dit, pas du tout,
01:12 le capitalisme est en crise et il ne peut survivre qu'en prenant en compte les intérêts
01:17 de tous ceux qui sont impliqués dans la marge de l'entreprise.
01:20 Donc, il presse pour un capitalisme des parties prenantes.
01:23 Stakeholder capitalism.
01:24 Débat fondateur qui nous a quand même donné d'un côté la gouvernance actionnariale
01:29 et de l'autre la gouvernance partenariale.
01:30 Donc, on est vraiment au cœur, aux racines.
01:32 Et alors, dans tous les cours des business school, on enseigne la différence entre ces
01:38 deux doctrines.
01:39 Et voilà.
01:40 Alors, cette controverse a été tardivement importée en France à peu près à partir
01:45 des années 2000.
01:46 Et à mon avis, le débat en France a été complètement biaisé.
01:51 L'hostilité au profit de nombreux milieux français, qu'ils soient de gauche ou de
01:56 droite, et la préférence des Français pour un État central, régulateur et planificateur
02:04 de l'économie, a introduit une vision complètement bizarre de cette controverse.
02:12 Finalement, on a d'un côté un capitalisme qui serait scandaleux, qui serait immoral,
02:20 qui serait ultra-libéral, comme on dit, et puis de l'autre un capitalisme qui serait
02:25 acceptable, propre sur lui, convenable, moral.
02:28 Ça ne changea pas.
02:30 Pourtant, Milton Friedman aurait volontiers convenu que pour faire du profit, de temps
02:36 en temps, il faut faire des concessions aux clients ou faire des concessions aux employés.
02:40 Il aurait convenu aussi, très volontiers, que si la loi dit qu'il faut réduire les
02:45 émissions de CO2 et que ça s'applique à tous les concurrents, il faut le faire.
02:50 Donc, ça c'est le point de vue de Milton Friedman, qui est plus nuancé que ce qu'on
02:54 a pu penser.
02:55 Du côté des loueurs Friedman, c'est encore plus net.
02:58 Il a très explicitement déclaré, en plusieurs circonstances, qu'il ne s'agissait pas
03:04 de financer n'importe quelle œuvre charitable.
03:06 Il s'agit d'utiliser intelligemment une partie des bénéfices de l'entreprise
03:12 pour se concilier les bonnes grâces des parties prenantes dont l'entreprise a besoin pour
03:16 réussir.
03:17 Donc finalement, ces gens ne sont pas tellement en désaccord que ça.
03:23 Moi, en tant que chercheur spécialisé dans l'étude de l'activité des dirigeants
03:27 d'entreprise, je vais un peu plus loin, je me dis, si un partisan de Friedman était
03:36 placé à peu près dans la même circonstance et devait prendre une décision, est-ce qu'il
03:40 prendrait une décision si différente ? Et mon hypothèse, c'est que non.
03:44 Ils vont prendre à peu près la même décision, à la nuance près.
03:48 Alors, qui sont en France les patrons qui sont du côté de Friedman, de Milton Friedman ?
03:54 On peut penser à Noël Goutard, ancien patron de Valeo, partisan du franc-parler, de la
04:02 dureté dans les affaires et de la réduction des coûts, cost-killer.
04:08 On peut penser aussi au patron de Total, pour les partisans de Milton Friedman.
04:18 Maintenant, qui sont les partisans d'Edward Friedman ?
04:22 On peut penser à Emmanuel Faber, le PDG de Danone.
04:29 Qui se targuait d'avoir déboulonné la statue de Milton Friedman quand a été adoptée
04:35 la statue de société émission.
04:36 Et finalement, on pourrait penser aussi à la MAIF, qui se déclare partout dans ses
04:40 publicités « assureurs militants ».
04:42 Alors, revenons à Danone.
04:45 Emmanuel Faber a réagi à l'annonce de l'approbation par les actionnaires du changement
04:52 de statut de son entreprise en ces termes.
04:54 « Vous venez de déboulonner la statue de Milton Friedman ».
04:59 On ne peut qu'être dubitatif face à cette affirmation qui me paraît pour le moins prématurée.
05:06 Pour conclure, j'invite les auditeurs à lire le petit livre écrit par mon ami Alain
05:16 Hocktiel aux éditions philosophiques Vrin, « Qu'est-ce que l'éthique des affaires
05:21 ? ». On y trouve les deux textes fondateurs de Milton Friedman et d'Edward Friedman,
05:28 que les lecteurs français pourront lire en détail pour se rendre compte qu'en fait,
05:32 c'est bonnet blanc et bonnet blanc.
05:33 Et donc, Danone, finalement, entreprise friedmanienne, a l'insu de son plein gris.
05:40 Et voilà, c'est ça.
05:41 Merci Michel Villette.
05:42 Merci.
05:48 [Musique]

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