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"Beaucoup de gens se détournent de la sexualité parce que ce qui leur est proposé est au fond répétitif, lassant."
BRUT PHILO - Et si on pensait le sexe différemment ? Avec le philosophe Alexandre Lacroix.

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Transcription
00:00 la sexualité humaine est codifiée.
00:03 En fait, on croit à tort que quand on fait l'amour, on transgresse, on est subversif,
00:08 on fait des choses incroyables, mais on ne fait pas du tout des choses incroyables.
00:10 On suit des scripts qui sont assez précis.
00:13 Ils n'ont été écrits nulle part, ces scripts, mais nous les connaissons parce qu'à travers
00:17 les rencontres, à travers les films, nous les avons acquis, nous avons appris à les
00:21 manier, ce qui fait qu'on s'attend à une certaine progressivité dans les actions.
00:26 Je ne sais pas, si quelqu'un vous enlève votre chemise, peut-être que vous allez
00:30 lui faire la même chose en échange.
00:32 Certaines caresses, mettons une fellation, peut être une invitation au cunnilingus dans
00:35 un repère hétérosexuel, parce qu'il y a un script hétérosexuel, un script lesbien,
00:40 un script homosexuel.
00:41 Et donc, penser la sexualité en termes de script, ça permet de comprendre à quel point
00:48 la sexualité humaine est culturelle.
00:50 Dans le monde gay ou lesbien, la question de savoir comment on commence un rapport sexuel
00:54 et comment on finit un rapport sexuel est très ouverte.
00:57 Au fond, c'est une question beaucoup plus ouverte que dans le monde hétéro où on mime
01:00 toujours un petit peu la procréation.
01:01 Vous voyez, dans le monde hétéro, ce qui se passe, c'est qu'on a l'impression qu'on
01:06 a presque des devoirs à faire, les préliminaires, la pénétration, l'orgasme, comme si on
01:10 était en train à chaque fois de mimer l'acte par lequel on va faire un enfant.
01:14 On est délivré de cette espèce d'injonction dans le monde homo et lesbien, ce qui ouvre
01:23 complètement la relation à la sexualité.
01:26 D'ailleurs, il y a une expression qui s'est largement diffusée, c'est qu'on parle de
01:31 moment sexuel.
01:32 On parle de moment sexuel, ça veut dire qu'on parle pas tellement d'acte sexuel.
01:36 Alors un moment sexuel, ça peut durer une nuit, une nuit et une journée, une après-midi,
01:40 et ça ne veut pas dire qu'il y a pénétration tout le temps, loin de là.
01:43 Et j'ai l'impression que la culture hétéro, en tout cas chez les jeunes, là je parle
01:47 de phénomène émergent, est en train de s'enrichir des autres sexualités, des sexualités
01:54 qui étaient considérées jusque-là comme minoritaires.
01:56 Si vous avez toujours eu des relations hétérosexuelles ou homosexuelles, et que vous vous retrouvez
02:00 un premier soir dans l'autre situation, mettons vous êtes hétéro, vous vous retrouvez pour
02:05 une nuit à avoir une expérience homo, et bien vous allez vous rendre compte que vous
02:12 n'avez pas le script.
02:13 Vous n'avez pas le script, et là de deux choses l'une, l'autre va s'en apercevoir,
02:16 du moins s'il connaît le script, et soit il vous le fera remarquer, et peut-être qu'il
02:22 vous en voudra un peu, il trouvera que vous êtes à mauvaise amance, ou au contraire
02:25 il va vous initier.
02:26 C'est comme ça que les scripts circulent.
02:28 Mais évidemment ce qui est passionnant dans cette affaire, c'est que ça veut dire que
02:31 les scripts, on les apprend, mais qu'on peut aussi les revisiter.
02:34 Et c'est le point qui m'intéresse, parce que si la sexualité humaine c'était une
02:38 affaire de pulsion, si c'était simplement mécanique, tout le monde ferait à peu près
02:41 la même chose.
02:42 On n'aurait pas à apprendre à faire l'amour.
02:44 C'est parce qu'il y a des scripts qu'on apprend, et c'est parce qu'on apprend qu'on
02:47 est libre.
02:48 Aujourd'hui, un jeune de 15-25 ans par rapport à ses parents ou ses grands-parents a beaucoup
02:53 plus d'infos sur la sexualité.
02:54 Est-ce que c'est source de liberté ? Ou est-ce qu'au contraire c'est source d'angoisse
03:00 parce qu'on est bombardé de flux et qu'il faut les gérer de manière… c'est pas
03:04 toujours facile quoi.
03:05 Alors au cours des 15 années écoulées, quand on parle avec les sexologues, on s'aperçoit
03:10 quelque chose d'un peu stupéfiant, c'est que les sexologues ont perdu leur passion
03:14 classique qui était des hommes qui à partir de 50 ans sentent leur force l'équiter
03:22 un petit peu et consulter pour cette raison.
03:25 Alors une solution chimique est arrivée, le Viagra, et ces gens-là ne vont plus voir
03:29 les sexologues.
03:30 Par contre ceux qui sont arrivés dans les cabinets de sexologie, à la grande surprise
03:33 des thérapeutes eux-mêmes, ce sont les jeunes.
03:35 Notamment les 20-35 ans qui vraiment n'allaient jamais jamais consulter un sexologue et ça
03:40 leur passait même pas par l'esprit puisque normalement ça roule tout seul à ce stage-là.
03:44 Et ils y sont allés très souvent en couple en disant "voilà on s'entend bien, on
03:48 est amis mais entre nous le sexe ça marche pas trop" et en creusant un petit peu, ce
03:55 qui émergeait dans les consultations c'est que ces jeunes couples préfèrent peut-être
03:59 le soir regarder une série, discuter, faire autre chose, comme s'ils étaient très
04:04 précocement blasés.
04:05 Les sexologues ont été très très surpris d'avoir ces nouveaux patients.
04:09 Au départ ils ne savaient pas vraiment quoi leur dire.
04:11 Et puis petit à petit ils ont fait l'hypothèse que c'était dû à une exposition très
04:18 grande et très forte, non seulement à la pornographie mais aussi à une quantité énorme
04:23 d'expérience, une exposition assez précoce, qui fait qu'ensuite on essaye de se refermer
04:29 sur le cocon du couple qu'on envisage comme un cocon amical et protecteur et que la sexualité,
04:35 l'élément un peu tragique qui accompagne forcément la sexualité, tend à en être
04:40 un peu expulsé ou tend à y être un peu minoré.
04:42 Alors c'est vrai que dans cette perspective là, mon livre et mon travail sur la question
04:48 consiste à réenchanter la sexualité.
04:50 C'est-à-dire que je pense que beaucoup de gens se détournent de la sexualité parce
04:53 qu'il y a des traumas, bon là c'est un peu une autre affaire, mais s'en détournent
04:56 aussi parce que ce qui leur est proposé comme sexualité est au fond extrêmement répétitif,
05:01 stressant, dirigé vers l'efficacité, pris par le capitalisme et le consumérisme, en
05:07 fait c'est écœurant.
05:08 C'est comme trop manger ou manger trop gras et trop sucré, la sexualité proposée c'est
05:12 un peu too much et les gens s'en dégoûtent, ils en sont là et ils ont envie tout simplement
05:17 d'autre chose.
05:19 Alors moi j'ai envie de remettre de la beauté là-dedans, de remettre de la féerie là-dedans
05:24 et de dire à quel point la sexualité est la chose la plus importante de l'existence
05:29 et peut-être aussi dans une certaine mesure la plus belle.
05:31 [Générique]
05:32 [SILENCE]

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