SMART @WORK du 17 juin 2023
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00:05 -Pour commencer, j'ai le plaisir d'accueillir Christophe Nguyen.
00:09 Vous êtes le président d'Empreintes humaines,
00:12 psychologue du travail et des organisations.
00:14 Quand je prépare une émission, j'aime mettre tous les mots
00:18 qui me viennent à l'esprit, tous les mots par ricochet
00:21 auquel me fait penser le sujet.
00:22 Je me suis retrouvée avec grandes démissions,
00:25 "Quiet quitting", "Pénurie de talent",
00:27 "Pro-vie perso", "Télétravail", "Semaine de 4 jours".
00:30 J'ai eu le sentiment qu'on était tous un peu perdus
00:33 face à tous ces changements qui n'ont pas de rapport
00:36 les uns avec les autres, ou parfois si.
00:38 Des curseurs n'ont pas encore complètement trouvé leur place
00:42 et que, grosso modo, on est face à une mutation
00:45 de nos relations au travail,
00:46 une mutation dont on n'a pas encore cerné les contours.
00:49 Vous êtes d'accord ?
00:51 -Oui, tout à fait.
00:52 Je pense que ces nouveaux mots, cette nouvelle langue
00:55 qui apparaît, est illustrative que ça bouge
00:58 et que c'est pas fini.
00:59 C'est aussi pour ça qu'on n'arrive pas à cerner les contours,
01:02 parce que c'est une mutation qui, selon moi,
01:05 est liée à plusieurs phénomènes.
01:07 Il y a un sujet autour des nouvelles générations
01:10 qui, finalement, aussi influence, on va dire,
01:13 cette question de remise en question
01:15 des conditions de travail, du management.
01:17 Il y a l'effet pandémie, bien entendu,
01:20 qui a amené un repositionnement
01:21 à ce qu'on appelle la centralité du travail,
01:24 la réconciliation, la reconnaissance,
01:26 la reconnaissance de l'importance que les gens apportent
01:30 dans leur travail.
01:31 Quelque part, aussi, une révélation,
01:33 pour beaucoup, d'une forme de déception
01:35 par rapport à ce que le travail apporte
01:38 en matière de reconnaissance, de salaire.
01:40 Tout ceci est accéléré, augmenté, renforcé
01:43 avec la crise de l'inflation qu'on connaît aujourd'hui,
01:46 le pouvoir d'achat, la reconnaissance tout court,
01:49 et puis un renforcement de la quête de sens
01:52 et de la reconnaissance.
01:53 -Aujourd'hui, on sait qu'il y a une augmentation
01:56 de l'absentéisme, au milieu de tous les phénomènes
01:59 que vous évoquez, même si, en France,
02:01 par rapport aux Etats-Unis, on ne parle pas
02:04 de grande démission, on n'a pas eu ce phénomène,
02:06 on a eu des sous-bresseaux, une augmentation.
02:09 Je parlais, il y a un an, de big absentéisme,
02:12 plutôt, s'il n'y avait pas la grande résignation,
02:15 du fait, aussi, d'un autre système,
02:18 on va dire, un autre marché du travail.
02:21 On voit qu'aujourd'hui, la 1re cause
02:23 des arrêts maladie longs, c'est la santé mentale.
02:26 Derrière tous ces termes-là, pour moi,
02:28 c'est cette notion-là, la quête, on va dire,
02:31 du bien-être au travail, et notamment la place centrale
02:34 de la santé dans le rapport au travail,
02:36 qui, pour moi, est devenue une valeur plus que jamais cardinale
02:40 dans sa recherche de travail,
02:42 dans l'équilibre des vies, effectivement, aujourd'hui,
02:45 dans les moteurs qu'on peut trouver vis-à-vis de son travail,
02:49 dans les nouvelles attentes vis-à-vis de son employeur.
02:52 -Ca veut dire que les entreprises ont un levier
02:55 pour agir là-dessus ? Selon vous, si on remet,
02:58 entre guillemets, le bien-être au travail
03:00 au coeur des préoccupations d'entreprises,
03:03 ça va inverser cette tendance ?
03:04 -Oui. Je crois que les entreprises,
03:07 il y en a qui s'en sortent mieux que d'autres.
03:09 Malgré cette tendance de fond, avec tous les termes,
03:12 il n'y a pas un DRH qui dit qu'il n'y a pas des choses qui se passent.
03:16 Je crois qu'au-delà des problèmes de pénuries,
03:19 j'ai envie de dire quantitatives, de ressources qu'on peut trouver,
03:23 et de formations qu'on peut avoir sur le marché de l'emploi,
03:26 c'est la question, véritablement,
03:29 de comprendre ces nouvelles attentes
03:32 et notamment d'y répondre, surtout,
03:34 derrière ça, avec des conditions de travail
03:37 qui soient renouvelées.
03:38 Le dernier conflit en date autour des retraites
03:41 a montré qu'il y avait des crispations autour de ça.
03:44 Un député, l'autre jour, disait que ça révélait
03:47 une certaine forme de souffrance au travail,
03:49 d'une certaine façon, de se projeter quand même,
03:52 de se projeter deux ans de plus au travail
03:54 qui crée autant d'insatisfaction.
03:57 Ca dit quelque chose, effectivement,
03:59 de cette tension qui existe entre, d'un côté,
04:01 les attentes des salariés et les conditions de travail
04:05 et ce qu'ils retrouvent, ce qu'on leur donne
04:08 en matière de reconnaissance et de retour par rapport au travail.
04:12 Ca, je pense que c'est un phénomène de fond qui n'est pas fini.
04:16 Il y a d'autres choses qui vont se passer.
04:18 En tout cas, tous les indicateurs,
04:20 prédictifs, on va dire, montrent qu'il n'y aura pas
04:23 une diminution de l'absentéisme,
04:25 pas de réengagement, j'aime pas trop ce terme,
04:28 c'est un peu tarte à la crème,
04:30 sans prendre en compte la question du bien-être au travail,
04:33 mais de la bonne façon.
04:34 Les salariés n'attendent pas qu'on leur dise,
04:37 l'employeur va leur promettre un massage sur chaise,
04:42 des médecins du travail partout,
04:44 avoir une approche doloriste,
04:46 c'est pas ce qu'ils attendent,
04:48 ils attendent d'être bien payés, surtout dans le contexte actuel,
04:51 d'être reconnus, d'avoir de bonnes relations de travail,
04:55 d'avoir un bon management,
04:56 qui se préoccupe de l'équilibre des vies des personnes
04:59 pour être durablement performants.
05:02 Ils demandent pas des cadeaux supplémentaires,
05:04 j'ai pas que des chèques, beaucoup de chèques resto,
05:08 beaucoup de télétravail, beaucoup de pouf,
05:11 j'ai envie de dire, dans les locaux.
05:13 -Beaucoup de baby-foot. -Beaucoup de baby-foot.
05:16 On voit bien que c'est tombé à l'eau,
05:18 des modes sont passés, mais je crois que c'est plutôt
05:21 autour du travail en lui-même que le sujet est.
05:24 On parle pas assez du travail dans les entreprises,
05:27 tel qu'il est fait. La moitié des salariés
05:29 disent qu'ils passent de plus en plus de temps
05:32 pour faire des choses qui n'ont pas de sens pour eux
05:35 et qui les empêchent même de faire un boulot de qualité,
05:38 c'est-à-dire des réunions inutiles,
05:40 des process lourds qui sont pas forcément compris,
05:43 du reporting qui n'a pas de sens pour eux
05:45 et qui est chronophage. Résultat,
05:47 ils arrivent pas à faire leur boulot dans leur journée,
05:50 ils le font le soir, le week-end, ou comme ils peuvent.
05:54 C'est pas satisfaisant, c'est pas durable.
05:56 Il faut recentrer, réhumaniser un peu ça aussi
05:59 pour apporter plus de sens et d'utilité vécue
06:03 pour les salariés.
06:04 -Si je schématise, c'est moins de process, plus d'humains.
06:08 -Voilà. Plus de confiance, plus d'autonomie laissée,
06:11 plus de reconnaissance, effectivement,
06:14 et de bien comprendre ses attentes.
06:16 Je lance des grands mots,
06:18 mais il faut le faire métier par métier.
06:20 Il faut comprendre qu'un jeune n'a pas les mêmes besoins,
06:23 les mêmes attentes qu'un senior
06:25 en matière de reconnaissance, de développement.
06:28 Tout le monde veut bien faire son boulot.
06:30 Aujourd'hui, on a une majorité de salariés
06:32 qui disent qu'ils ne peuvent pas le faire,
06:35 qu'ils sont au coeur de métier, et on l'empêche.
06:38 Un chiffre nous interpelle, et je pense qu'il est en augmentation,
06:41 c'est qu'une majorité de salariés
06:43 dit qu'ils ne sont qu'une ressource pour les dirigeants,
06:46 qu'ils soient dans l'administration
06:48 ou dans les grandes entreprises.
06:50 Ils sont une machine à produire, d'une certaine façon,
06:53 et ils sont un peu éloignés.
06:55 C'est cet aspect, on va dire,
06:57 qui est assez illustratif,
06:58 d'avoir un besoin, d'avoir plus de sens
07:01 et d'humanisation du travail.
07:03 C'est-à-dire, qu'est-ce qu'on fait ensemble, aujourd'hui ?
07:06 Pourquoi on le fait comme ça ?
07:08 Avec quels moyens on le fait ? Dans quels objectifs ?
07:11 Pour qu'on soit fiers de ce qu'on fait et que ce soit utile,
07:14 et ça veut dire quoi, pour les uns et les autres ?
07:17 Ca veut dire quoi ?
07:18 Votre sens au travail n'est pas le même que le mien.
07:21 -Et mon sens, ma vie sur la reconnaissance
07:23 n'est pas tellement longue que la vôtre.
07:26 -Il ne faut pas faire les réponses avant de poser les questions.
07:29 Il faut écouter les gens.
07:31 C'est un vrai sujet, aujourd'hui, où la charge de travail augmente.
07:35 La dernière étude de l'Insee le montre, post-Covid.
07:38 Il y a une accélération des projets.
07:40 Il y a comme un effet rattrapage.
07:42 Beaucoup d'entreprises me disent qu'ils ont pris un rythme
07:45 pendant la crise Covid,
07:47 où on a accéléré, accéléré.
07:49 Post-Covid, on est toujours dans ce rythme-là.
07:51 D'où quasiment un salarié sur deux qui se dit épuisé au travail.
07:56 -C'est énorme. -C'est énorme.
07:58 -On va poursuivre cette discussion
08:00 avec deux autres invités.