Laurence Cottet, ancienne alcoolique : "J’ai appris à ne plus me considérer comme une pochtronne"

  • l’année dernière
Alcool, drogues, sexe, alimentation, jeux d’argent ou jeux vidéo… Pour "Addict.e.s", sur Yahoo, anonymes et célébrités ont accepté de briser le tabou de la dépendance. Ils racontent la spirale infernale de l’addiction, l’impact souvent destructeur sur l’ensemble des sphères de leur vie, et le chemin, souvent long et douloureux, vers la sobriété.Cadre supérieure dans un groupe mondial du BTP, Laurence Cottet a quasiment tout perdu à cause de sa dépendance à l’alcool : sa dignité de femme, ses amis, sa famille et son travail. Pour Yahoo, cette femme de 61 ans est revenue sur les causes de sa dépendance, sur ses pires souvenirs et sur sa guérison.Comme le rappelle le site du gouvernement, la consommation d’alcool représente un enjeu de santé publique majeur en France, où elle est à l’origine de 49 000 décès par an. Il en est de même en Europe, où elle est responsable de plus de 7% des maladies et décès prématurés. En cas de dépendance à l'alcool, il est possible de se faire aider par son médecin traitant ou en s'adressant à une structure spécialisée.
Transcript
00:00 Je m'appelle Laurence Coté, j'ai 61 ans.
00:02 J'ai eu une vie difficile avec l'alcool.
00:05 Je suis tombée dans la maladie, donc dans cet enfer qu'est l'alcoolisme, de 36 ans
00:13 à 48 ans.
00:14 On n'est plus en mode vie, on est en mode survie.
00:17 Ça a commencé à l'âge de 15-16 ans, c'est-à-dire ado, mal dans sa peau, qui s'est vite rendu
00:26 compte qu'avec un verre d'alcool, un deuxième verre, un troisième verre, j'étais désinhibée,
00:31 je parlais plus facilement.
00:32 Donc je démarre tôt, 15-16 ans, jusqu'à 25 ans.
00:37 Je me souviens que ces 10 années sont certes réussies sur le plan études, mais copieusement
00:45 arrosées par l'alcool.
00:47 Et à 25 ans, j'ai cette chance de rencontrer mon mari, qui va m'aimer, que je vais aimer.
00:53 Et donc là, pédale douce sur l'alcool, tout est normal.
00:57 On fait de temps en temps des excès avec des copains, avec des amis, mais on ne boit
01:01 jamais la semaine, c'est que le week-end.
01:03 Donc on dérape un peu, mais rien de catastrophique.
01:07 Et malheureusement, à 35 ans, je vais perdre mon mari, déçue d'une longue maladie, donc
01:13 un cancer, et ça a été fulgurant, en fait en 3 mois.
01:17 Donc là, c'est la souffrance, c'est le traumatisme qui va me projeter par terre.
01:23 Et je n'ai pas du tout été préparé à ça, au contraire, on était heureux, on
01:27 avait chacun un chouette boulot, on voulait avoir des enfants, etc.
01:31 Mes mauvaises habitudes que j'avais prises avec l'alcool, je dirais quand tout va bien,
01:35 ce n'est pas la catastrophe.
01:37 Mais le jour où vous subissez un drame, comme ça a été pour moi, ces mauvaises
01:42 habitudes se sont vite amplifiées, et après je n'ai plus rien géré.
01:47 Alors la désente aux enfers, finalement, elle s'est faite de 35 à 36 ans.
01:52 Une année où je me suis enfermée chez moi, comme dans un musée, avec les affaires, les
01:59 habits de Pierre, etc., mais surtout aussi les 300 bouteilles de vin qu'il m'avait
02:05 laissées dans sa cave, parce qu'on aimait le vin.
02:08 Et finalement, je les ai bues toutes seules, mais pour deux.
02:11 Et Pierre n'était plus là pour me dire « attends, tu arrêtes là ». Et ça a été quasiment
02:15 tous les soirs comme ça, en une année.
02:17 Et ce que je ne savais pas, c'est que comme j'avais démarré très jeune à boire de
02:23 l'alcool, j'avais habitué mon cerveau à une éventuelle dépendance.
02:27 À 36 ans, l'alcool est une obsession.
02:30 Il n'y a plus que ça qui compte, et notamment dans l'organisation de votre journée.
02:35 Parce que ça ne m'a pas empêché de faire une belle carrière professionnelle.
02:38 À 8h du matin, ça va encore parce que j'ai la dose de la veille, mais vers 9h30-10h,
02:44 je vais ressentir le craving, ce que l'on appelle cette envie irrépressible de consommer.
02:49 Et ça va se voir physiquement.
02:52 Mes mains vont commencer à trembler, je vais commencer à être un petit peu irritable,
02:56 nerveuse, je vais avoir des sueurs, etc.
02:58 Donc je vais, vers 9h30-10h moins le quart, consommer le quart d'une bouteille de vodka
03:03 mélangée avec du jus d'orange.
03:04 Et je vais croquer après un petit grain de café pour masquer l'haleine éthylique.
03:08 Ce qui fait qu'à 11h, je vais tenir et je vais être performante.
03:12 Parce que j'ai ma dose.
03:14 Mais à partir du midi, midi et demi, le craving reprend.
03:17 Alors si vous avez un déjeuner d'affaires tout de suite derrière, tout va bien.
03:21 Là, c'est souvent de l'alcool à volonté, de qualité, et le repas dur.
03:31 Après, le conviv' s'en va.
03:34 Mais moi, le nombre de fois où j'ai loupé l'après-midi parce que j'étais déjà
03:38 trop imprégnée et donc je la continuais seule dans un bar à Paris, où je me faisais
03:46 ramener par un taxi chez moi et je terminais cette demi-journée de travail, mais cette
03:53 longue après-midi d'alcool.
03:55 Et finalement, je vais me réveiller vers 21h, 22h, me disant j'ai loupé l'après-midi,
04:04 j'ai loupé mes rendez-vous.
04:05 Je vais me réveiller avec des terribles angoisses, avec une profonde culpabilité
04:11 de ce qui s'est passé.
04:12 De ce que je me souviens aussi, parce que je ne me souviens pas du tout.
04:16 Si j'ai la chance d'être en sécurité chez moi, tout va bien, mais qu'est-ce que
04:19 je vais prendre ? Je vais prendre un psychotrope pour calmer mes angoisses.
04:23 Peut-être un somnifère pour essayer de dormir un peu.
04:26 Je vais me réveiller vers 5h du matin, je vais reconsommer pour être à 8h du matin.
04:33 J'étais dans le BTP, on démarre très tôt, pour être à 8h du matin, clean.
04:38 À l'époque, tant que vous êtes jeune, les stigmates de l'alcool ne se voient pas
04:42 sur le visage.
04:43 C'est plus vous avancez dans l'âge où le corps est en overdose de cette vie qui
04:48 n'en est plus une, et votre visage souvent, à ce moment-là, vous trahit.
04:54 Donc là, il faut avoir affaire à des artifices pour masquer tout ça.
04:57 Ce n'est pas une vie.
04:58 Et en tout cas, je n'en voulais plus de cette vie-là.
05:01 À 48 ans, je broyais du noir et j'avais vraiment des idées noires.
05:06 C'est simple, vous avez envie de mourir.
05:08 Déjà, l'alcoolisme, c'est une forme de suicide à petit feu.
05:14 J'ai fait des tentatives de suicide.
05:16 Je ne sais pas pourquoi, je m'en suis toujours sortie.
05:19 On me ramassait, un jour ça a été le cas, sous un Porsche dans le 16e arrondissement
05:25 à Paris, emmené aux urgences de l'hôpital Bichat.
05:28 48 heures après, j'étais ressortie.
05:30 Aucun soignant est venu me parler pour me dire « Madame, vous avez peut-être un problème
05:35 d'alcool, on peut vous soigner, on peut en parler.
05:39 » Donc j'en ai fait deux ou trois fois quand même des tentatives de suicide, jusqu'au
05:43 jour où finalement, c'est sans doute le jour le plus terrible de ma vie, le plus épouvantable
05:49 sur le moment.
05:50 C'est le 24 janvier 2009, j'ai donc 48 ans.
05:54 Et là, je suis à la cérémonie des vœux chez Vinci.
05:58 Il est 13h30 et je vais m'effondrer ivre mort devant 650 cadres supérieurs.
06:04 Je perds en une fraction de seconde ma dignité de femme, mon travail parce que je vais vite
06:10 être éjectée, mais quelques amis qui me restaient et ma famille, ça fait longtemps
06:14 qu'elle m'avait éjectée.
06:15 Donc je perds tout, sauf la vie.
06:19 Et finalement, quand je dis avec le recul « c'est le plus beau jour de ma vie », c'est
06:25 que ce jour-là, je n'ai plus à me cacher.
06:28 Ma maladie, mais je ne savais pas que c'était une maladie à l'époque, est enfin mise
06:34 en lumière et j'apprendrai quelques jours plus tard, lorsque le DRH voudra se séparer
06:40 de moi, j'apprendrai que tout le monde est au courant de mon problème avec l'alcool
06:47 et personne n'est venu m'en parler.
06:49 Donc ça, je suis en réaction contre ça.
06:52 J'ai cette chance, trois jours plus tard, de rencontrer un médecin addictologue à
06:58 qui je raconte la scène et il me dit « mais madame, mais vous êtes tout simplement malade,
07:05 je peux vous soigner ». Et donc, ce n'est pas facile, mais j'ai réussi.
07:10 Et quand je dis « c'est donc le plus beau jour de ma vie », c'est que finalement,
07:16 c'est le déclic qui s'est produit.
07:18 Je me considère comme une patiente, donc je ne me considère plus sur un plan de la
07:25 vie comme une pochtrone, comme une débauchée, comme une femme sans volonté.
07:28 Je me considère comme une patiente qui va être prise en soin et on va m'aider.
07:34 Et j'accepte d'être aidée.
07:36 C'est une maladie qui touche quand même, dans notre pays, la France, au moins cinq
07:43 millions de personnes qui ont un problème.
07:46 Il est temps de casser le tabou.
07:48 Et c'est par des belles histoires comme la mienne, parce que finalement, ce n'est
07:53 pas agréable d'être par terre.
07:55 Mais regardez ce que je suis aujourd'hui.
07:57 Quelques années plus tard, je suis complètement rétablie.
08:01 Je peux aller avec vous à l'issue de cet échange, boire un verre en terrasse, il
08:08 fait beau, vous allez peut-être prendre une bière et moi je prendrai un Perrier par exemple.
08:13 Et ça ne me pose aucun problème.
08:15 Je ne suis pas en train de vous dire « ne buvez plus d'alcool ». Je suis simplement
08:19 en train de vous dire, vous voyez, l'alcool, ce n'est pas un produit anodin.
08:22 C'est un psychotrope qui peut servir à beaucoup de choses, à commencer par calmer
08:27 des douleurs psychologiques, comme ça a été mon cas.
08:30 Et il faut donc le consommer de manière assez exceptionnelle, dans la convivialité.
08:38 C'est un produit de partage, il faut éviter de le consommer seul.
08:41 Si vous voulez continuer à le consommer toute votre vie, si c'est votre souhait,
08:46 et bien respectez les repères, deux verres par jour et pas tous les jours.
08:52 Pendant cette époque d'alcoolisme, ces douze années, je dois reconnaître que ma
08:57 vie affective, ma vie privée, ma vie intime, elle n'est pas belle.
09:03 C'est-à-dire les souvenirs que j'en ai, on n'oublie pas, c'est vraiment la femme
09:09 facile.
09:10 C'est-à-dire la femme qui est incapable de construire quelque chose de sérieux.
09:15 D'abord parce que j'avais le souvenir des belles années que j'ai eues avec mon
09:19 mari et c'est rare.
09:21 Je recherchais toujours dans un autre homme ces souvenirs.
09:25 J'étais incapable d'avoir une relation sexuelle sans alcool.
09:29 Mais c'est vrai qu'à partir du moment où on se soigne, après tout rentre dans
09:34 l'ordre.
09:35 On va mettre six mois pour que l'alcool s'évapore enfin de votre cerveau et que
09:41 vous ayez de nouveau de la lucidité et vous vous dites non, celui-là non, c'est
09:48 terminé.
09:49 Celui-là, ce n'était pas moi.
09:51 Celui-là, il est toxique.
09:53 Vous voyez, en fait, vous vous réorganisez sur un plan relationnel et donc forcément
09:58 sur votre vie privée.
10:01 Je reconstruis depuis que je suis abstinente, donc à 50 ans.
10:05 J'ai eu la chance de rencontrer quelqu'un et maintenant je suis tout à fait une
10:09 femme équilibrée de ce côté-là.
10:11 Ceci dit, je me protège beaucoup.
10:14 Je n'en dis jamais plus.
10:15 [Générique]
10:17 Merci.

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