Après les élections qui viennent de reconduire au pouvoir Recep Tayyip Erdogan, les droits humains et les libertés publiques continuent à être bafoués en Turquie. Analyse des enjeux politiques, juridiques et des perspectives de lutte, à l'occasion d'un colloque qui s'est tenu au Parlement européen le mardi 13 juin.
Un débat enregistré au Parlement européen avec la participation de François Alfonsi, député européen (les Verts), Juan Prosper, avocat au barreau de Paris et membre du syndicat des avocats de France
et Hélène Dersin, porte-parole des mouvements kurdes du Grand Est.
Un débat enregistré au Parlement européen avec la participation de François Alfonsi, député européen (les Verts), Juan Prosper, avocat au barreau de Paris et membre du syndicat des avocats de France
et Hélène Dersin, porte-parole des mouvements kurdes du Grand Est.
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00:00 Bonjour et bienvenue dans cette rencontre au Parlement européen de Strasbourg.
00:03 Les droits humains et les libertés publiques continuent à être bafoués en Turquie.
00:08 Après les élections qui viennent de reconduire au pouvoir Recep Tayyip Erdogan,
00:12 un colloque se tient au Parlement européen.
00:14 On en parle immédiatement.
00:18 Deux associations sont à l'initiative de ce colloque, l'association d'avocats,
00:21 et puis également le groupe La Gauche et le groupe des socialistes au Parlement européen.
00:25 On en parle avec vous, François Alfonsi, vous êtes député européen des Verts.
00:28 Les Verts sont aussi impliqués dans ce colloque.
00:31 Hélène Dersine, vous êtes porte-parole du mouvement Les Kurdes du Grand Est.
00:35 Et puis on a avec nous, en direct de Paris, Juan Prosper, qui est avocat au barreau de Paris,
00:39 et membre du syndicat des avocats de France.
00:43 Bonjour à vous trois et merci d'être sur le plateau d'Humanité, Voix d'Europe.
00:48 On va commencer peut-être tout de suite par dire un mot des conditions dans lesquelles se sont déroulées,
00:51 parce que ça vient de se passer, les élections, les deux tours des élections en Turquie.
00:55 Une commission d'observateurs internationaux importante était sur place,
00:58 notamment à l'initiative du Conseil de l'Europe à côté.
01:02 Elle a conclu que les candidats n'avaient pas pu faire campagne dans des conditions d'égalité, bien sûr.
01:10 François Alfonsi, ces élections ne se sont pas finalement déroulées dans des conditions démocratiques.
01:16 C'est la conclusion qu'on peut en tirer aujourd'hui.
01:19 Oui, on sait qu'il y a un grand écart entre les conditions démocratiques telles qu'on les connaît en Europe
01:25 et la façon dont se déroulent les élections en Turquie, surtout dans la phase de la campagne électorale,
01:29 puisque la monopolisation des médias par le pouvoir et par M. Erdogan a été totale.
01:35 Il a empêché l'expression des autres partis.
01:37 Ensuite, il y a énormément de clientélisme,
01:40 il y a énormément de procédures de recollement des votes qui sont douteuses.
01:47 Ce qu'il faut retenir, je crois, politiquement, c'est que l'écart très faible, finalement, au second tour,
01:52 surtout au vu des égards à l'avance qu'il avait pris au premier tour de M. Erdogan,
01:56 montre bien la difficulté qu'il a eu à se faire réédir.
01:59 Pour ça, il a fait flèche de tout bois.
02:01 Dans un régime réellement démocratique, l'élection, si elle était portée devant des tribunaux,
02:05 on conclurait probablement à ce qu'il y a suffisamment de doute sur sa sincérité pour la refaire.
02:10 Le conseiller de l'Europe l'a dit, la commission qui est allée à Dux,
02:14 c'est des conditions démocratiques, vous n'arrêtez pas de respecter.
02:16 Malheureusement, ce ne sera pas le cas, nous le savons.
02:19 Et donc, voilà. Mais ce qu'il faut engranger,
02:22 c'est, me semblait-il, l'affaiblissement de la position de M. Erdogan sur la scène politique turque.
02:27 – Hélène Yersin, vous avez eu, vous, des échos, bien sûr,
02:29 puisque vous avez une partie de votre famille qui est sur place.
02:31 Quelle est l'ambiance, j'allais dire, aujourd'hui ?
02:34 – Écoutez, quand on parle des élections, il faut parler aussi des élections
02:38 qu'il y a eu pendant 13 jours, plus 5 jours, de pays européens et du monde.
02:45 Moi, j'étais aussi dans le consulat en tant que représentante de mon parti, ici à Strasbourg.
02:54 Je peux vous dire que l'ambiance qu'il y a eu pendant cette élection ici à Strasbourg,
03:02 ce n'était pas vraiment une ambiance de démocratie, ni d'égalité, ni d'autre chose.
03:09 Maintenant, par rapport aux élections qu'il y a eu en Turquie, réélection de Recep Tayyip Erdogan,
03:16 après, de toute façon, le peuple n'arrivait pas vraiment à respirer.
03:20 Il y a énormément de difficultés économiques, sociales,
03:24 et aussi, maintenant, il n'y a quasiment pas la possibilité de s'exprimer publiquement.
03:32 On ne peut même pas partager des petits twitters ou des mots.
03:38 On est tout de suite ciblé. Déjà, on est ciblé sur les réseaux sociaux.
03:43 Et après, les prisons, là, par exemple, un petit anecdote,
03:48 c'est un gamin de 16 ans qui a osé faire des moustaches sur une affiche de M. Erdogan.
03:58 Aujourd'hui, il est emprisonné et on ne sait pas combien d'années il va avoir.
04:03 Voilà l'ambiance de la Turquie aujourd'hui, réélection d'Erdogan, c'est ça.
04:08 – Jeanne Posper, justement, on parle des prisonniers.
04:12 Beaucoup de personnes de la société civile, je vous cherche, je vous vois,
04:16 sont en prison aujourd'hui.
04:18 Vous êtes avocat, vous vous spécialisez sur ces questions.
04:21 Alors, il y a des universitaires, des journalistes, des magistrats.
04:24 On parlera tout à l'heure, à part des prisonniers politiques,
04:27 parce que c'est un cas effectivement particulier.
04:29 Est-ce qu'on sait, à l'heure actuelle, combien de personnes de la société civile
04:34 sont enfermées dans les geôles turcs aujourd'hui ?
04:37 – On n'a pas vraiment de chiffrage en tant que tel,
04:40 mais ce qui est important, et c'est un peu l'objectif du colloque de hier,
04:44 même si c'était principalement axé sur la question des prisonniers politiques,
04:49 c'était effectivement, et je reprends ce qu'a dit la précédente intervenante,
04:52 c'est que nous sommes dans une situation où,
04:54 et ça a été notamment pointé par le bâtonnier de Thierbatière,
04:57 c'est que nous avons un attribuissement complet du système judiciaire,
05:02 qui est effectivement soumis à la seule de l'exécutif
05:04 et qui est parfaitement, en tout cas, inféodée à l'exécutif,
05:08 avec une situation où, effectivement, les peines,
05:10 en tout cas les poursuites qui sont ramenées par le parquet,
05:13 sont de toutes les façons téléguidées de façon politique,
05:17 et avec effectivement une magistrature qui est complètement affaiblie,
05:20 et qui est dans l'incapacité d'assumer son rôle, on va dire, de contre-pouvoir,
05:24 ce qui est quand même nécessité dans une démocratie,
05:26 et aujourd'hui on se retrouve dans une situation où la question de l'enfermement…
05:31 – On va en parler tout à l'heure, oui, de la question de l'enfermement.
05:34 – On va en parler, effectivement, de la question de la détention,
05:36 mais on est dans une situation où aujourd'hui il est compliqué de savoir,
05:39 parce que ce qui a été dit avant, c'est que nous avons une multiplication de procédures
05:43 qui ont été lancées par les différents parquets dans le but,
05:46 et c'est aussi une volonté, c'est-à-dire d'affaiblir l'opposition,
05:49 mais surtout d'affaiblir derrière la société civile,
05:51 avec ce qu'on pourrait qualifier de procédures bâillons,
05:55 mais avec effectivement une volonté quand même d'effrayer la société civile,
05:58 en multipliant des procédures sur le volet pénal.
06:00 – C'est ça, c'est ça la particularité François Alfonsi,
06:02 c'est que la répression politique s'appuie sur la justice,
06:07 alors que les deux pouvoirs sont en principe séparés,
06:09 on est dans une configuration extrêmement complexe, difficile à l'heure actuelle.
06:13 – Bien sûr, c'est un pouvoir autocratique,
06:16 que l'on peut rapprocher d'ailleurs du pouvoir russie,
06:18 il y a beaucoup de points communs,
06:21 et j'ajouterais même que la Turquie de M. Erdogan
06:27 me fait penser aujourd'hui à ce qu'était la Russie de M. Poutine il y a 5 ans,
06:31 et il faut s'interroger sur dans 5 ans,
06:33 qu'est-ce qui peut arriver dans cette partie du monde,
06:36 qui est la porte sud-est de l'Europe, comme l'Ukraine est la porte ouest.
06:42 Voilà, nous sommes là dans un problème qui est profondément européen,
06:45 en termes de choix politiques, et l'urgence bien sûr,
06:49 c'est que l'Europe cesse de collaborer avec M. Erdogan,
06:52 et commence à ouvrir aux oppositions qui ont été fortes,
06:55 qui ont quand même regroupé près de la moitié des voix,
06:58 c'est quelque chose d'important.
07:00 Il faut que l'Europe donne des perspectives à cette opposition,
07:03 pour déjouer le piège qui se prépare pour dans les années à venir,
07:06 y compris en termes sécuritaires.
07:08 - Ça aussi on y reviendra tout à l'heure.
07:10 On va peut-être faire un point,
07:11 puisqu'on parle des prisonniers politiques directement,
07:13 que c'était aussi le but à la fois du colloque qui a eu lieu ici au Parlement européen,
07:18 mais également de la manifestation, de la mobilisation que vous avez faite,
07:23 vous, un certain nombre de députés européens,
07:25 des associations, des militants, etc.
07:28 Aujourd'hui ici à Strasbourg,
07:30 il y a des cas emblématiques qu'on connaît.
07:34 Le cas d'Abdoulaye Chalan bien sûr est connu,
07:38 il est en prison depuis 24 ans maintenant.
07:41 Le cas de Célatine Demirtas, qui est le président du HDP,
07:45 qui est en prison depuis 2016.
07:47 Il y a également le cas d'Osman Kavala,
07:50 qui est également en prison,
07:51 et qui a été condamné à la prison à la perpétuité.
07:54 Est-ce que vous avez des informations sur les uns et les autres ?
07:57 On a parlé tout à l'heure des conditions d'étention,
07:59 ça concerne tout particulièrement Ochalan.
08:02 Qu'est-ce qu'on a comme informations à l'heure actuelle ?
08:05 Où en est-on de ces trois cas ?
08:07 Ochalan, Demirtas et Kavala,
08:10 qui ont l'air comme ça de l'extérieur ne pas bouger.
08:12 Ils sont en prison et point.
08:14 Pour M. Ochalan, comme on avait dit hier,
08:18 depuis 27 mois, ni les avocats,
08:22 ni les partis politiques, ni sa famille,
08:26 on n'a aucune nouvelle de lui.
08:29 Il y a eu une pandémie pendant des mois et des mois.
08:33 On ne savait pas les conditions dans lesquelles M. Ochalan se trouve.
08:38 Comme hier, j'ai entendu plusieurs fois,
08:44 et c'est vrai que c'est très juste,
08:47 c'est que la prison de l'île des Grands Lys,
08:51 ça existait avant.
08:54 Mais depuis 1999, c'est vraiment construit pour une personne,
08:59 pour l'isoler, cette personne.
09:02 Pendant quelques années, il me semble,
09:05 pendant 5-6 ans, même plus,
09:08 M. Ochalan était seul sur cette île.
09:11 Il avait... Tous les droits étaient bafoués.
09:14 Et quand on regarde par rapport à ça,
09:18 le CPT qui devrait intervenir plusieurs fois
09:23 pour garantir les droits prisonniers,
09:27 les droits humains prisonniers de M. Ochalan,
09:31 et que M. Ochalan n'était pas un simple prisonnier,
09:34 il est quand même le leader du peuple kurde,
09:37 qui est le leader absolu.
09:40 Et aussi, aujourd'hui, pas mal de groupes
09:44 qui sont hors communs,
09:47 qui considèrent M. Ochalan comme leur leader.
09:50 Par rapport à M. Kavala, vous le savez,
09:53 il est en prison.
09:56 Il a le droit, il me semble, de passer de temps en temps
09:59 un coup de fil à sa famille.
10:02 C'est la Atinde Mirtas, qui est quand même un homme politique,
10:05 qui est quand même très aimée par tout le monde.
10:08 Jusqu'à présent, personne ne pourra dire
10:11 qu'il a défendu le terrorisme,
10:14 il a défendu je ne sais pas quoi.
10:17 C'est la seule chose qu'il voulait défendre,
10:20 et même aujourd'hui, la dignité de tous les peuples,
10:23 le droit de vie.
10:26 Je pense que M. Selatne Demirtas,
10:31 il a quand même la possibilité d'envoyer de temps en temps
10:36 des SMS ou des Twitters avec sa famille,
10:41 mais en prison, il reste en prison.
10:44 - Juan Prosper, vous êtes avocat,
10:47 que tentez-vous à l'heure actuelle
10:50 avec l'Association internationale d'avocats
10:53 pour essayer de faire bouger les choses ?
10:56 - Il y a deux choses qui ont été dites par la présidente
10:59 de l'intervention, c'est notamment la question
11:02 de la saisine du Comité européen pour la prévention de la torture,
11:05 le CPT.
11:08 On est dans une situation qui est quand même assez spécifique
11:11 dans le cadre de Chalen, dans la mesure où,
11:14 comme vous le savez, le Comité fonctionne
11:17 dans une question de négociation avec les Etats membres
11:20 du Conseil de l'Europe.
11:23 - Ils font partie du Conseil de l'Europe, dans la Turquie.
11:26 - Exactement, pour la Turquie, dans la mesure où les membres
11:29 de la Convention européenne pour la prévention de la torture
11:32 reconnaissent depuis son adhésion à cette Convention
11:35 le droit d'exercice, en tout cas le droit de contrôle
11:38 du Comité européen, le fameux CPT. Or, le problème aujourd'hui,
11:41 c'est que nous avons une situation qui est quand même assez délicate
11:44 avec le Comité, parce que le Comité a établi un rapport
11:47 sur les conditions de détention de la bulle avocatale
11:50 sur la prison d'Ibrani. Et le problème, c'est qu'aujourd'hui,
11:53 dans la mesure où la Turquie bloque toute publication
11:56 de ce rapport, parce que, si vous voulez, pour ne pas rentrer
11:59 dans les détails trop technocratiques, mais les Etats
12:02 sont en discussion avec le Comité, et à un moment donné,
12:05 le Comité, avec l'autorisation de l'État membre,
12:08 rend public le rapport d'observation.
12:11 Et aujourd'hui, on est dans une situation de blocage,
12:14 parce que la Turquie se refuse à rendre public aujourd'hui
12:17 ce rapport qui a été établi par le CPT. Mais nous avons aussi
12:20 un autre souci qui est aussi... Parce que, bon, on est plutôt
12:23 sur la Grande Europe, sur celui du Conseil de l'Europe,
12:26 dans le cadre de la Turquie... - 46 Etats, rappelons-le, 46 Etats.
12:29 - 46 Etats, exactement. Et avec, effectivement,
12:32 un autre problème qui est celui de l'exécution et de la saisine
12:35 qui a été effectuée le 29 janvier 2021 par plusieurs associations
12:38 qui ont demandé au Comité des ministres, dans le cadre
12:41 de l'exécution d'un arrêt de la Cour concernant la violation
12:44 de l'article 3, pour qu'on puisse effectivement...
12:47 que le Comité puisse saisir les conditions de détention
12:50 et d'isolement d'un bureau de Tchernobyl.
12:53 Et jusqu'à présent, on a une situation qui est un peu
12:56 compliquée au niveau du Comité des ministres et du Conseil de l'Europe,
12:59 qui, pour l'instant, n'a toujours pas inscrit, à l'heure du jour
13:02 des réunions périodiques du Comité, l'examen, effectivement,
13:05 de la violation de l'article 3, en conséquence,
13:08 effectivement, à l'exécution de l'arrêt de la CODH
13:11 concernant Abdelhaouche Alan. Donc, on est, effectivement,
13:14 sur une situation qui est extrêmement compliquée
13:17 sur le plan juridique, avec une impossibilité,
13:20 aujourd'hui, sur le plan institutionnel, d'obtenir
13:23 compte tenu de l'attitude de la Turquie. Je reviens, effectivement,
13:26 à la question de la justice, qui est une question
13:29 qui est très importante, et qui est très questionnée,
13:32 et qui est très questionnée par monsieur le parlementaire,
13:35 mais il y a quand même quelque chose qui est assez
13:38 symptomatique de la Turquie. François Jancini, merci beaucoup.
13:41 Et on a, effectivement, aujourd'hui, au sein même de l'Union européenne,
13:44 des États qui se comportent de la même façon à l'égard des décisions
13:47 de justice, c'est notamment le cas de la Pologne,
13:50 qui, aujourd'hui, fait fi, effectivement, des décisions qui sont rendues,
13:53 et qui, dans les 30 cas, ça interroge sur le rôle, effectivement,
13:56 que le politique doit mener pour garantir l'exécution de ces décisions.
13:59 Justement, François Alfonsi vous en parlait tout à l'heure, l'Europe, là,
14:02 on le voit que dans le cadre de l'intervention de la Cour européenne
14:05 des droits de l'homme, de ce qu'elle pourrait faire en matière d'intervention,
14:08 malgré les condamnations qui viennent de la Cour européenne
14:11 des droits de l'homme, le Conseil de l'Europe
14:14 ne fait rien, ne peut pas faire grand-chose. On bute, là,
14:17 sur un véritable problème qui est récurrent,
14:20 mais c'est un problème qui dure depuis longtemps.
14:23 Une institution comme le Conseil de l'Europe
14:26 ne peut rien faire, en réalité,
14:29 contre les atteintes à la démocratie, aux droits de l'homme,
14:32 quelles qui sont, à l'heure actuelle, en cours en Turquie.
14:35 – Je ne dirais pas qu'il ne fait rien, puisqu'il prononce des condamnations.
14:38 – Non, non, il ne fait pas rien, bien sûr, ça m'intuit.
14:41 – Il prononce des condamnations, et ces condamnations sont importantes,
14:44 parce qu'elles pèsent dans le débat,
14:47 elles pèsent sur la Turquie,
14:50 et je suis persuadé que ça ne leur fait pas très plaisir
14:53 d'avoir été à plusieurs reprises, sur le cas notamment
14:56 de détenus kurdes, pris en défaut par la Cour européenne
14:59 des droits de l'homme. Je crois que c'est important.
15:02 Le problème, c'est jusqu'où peut-on dénier les décisions de justice
15:05 qui sont prises là ? On a un exemple tout récent,
15:08 la Biélorussie et la Russie ont quitté le Conseil de l'Europe,
15:11 puisqu'ils auraient dû faire face à des condamnations telles
15:14 dans le déroulement actuel de la guerre en Ukraine,
15:17 que bien évidemment, ils n'auraient pas cessé d'être condamnés.
15:20 – Rappelons que la Russie et la Turquie étaient les deux pays en tête,
15:23 mais alors de très loin en tête, devant la Cour européenne
15:26 des droits de l'homme en nombre d'affaires.
15:29 Aujourd'hui, c'est la Turquie qui est en tête toute seule avec le nombre d'affaires.
15:32 – Oui, parce que la Russie est partie. – De manière écrasante, dans les deux cas.
15:35 – Mais bon, elle est partie, mais elle a rompu ses liens avec l'Europe.
15:38 Aujourd'hui, elle reçoit des sanctions qui sont très importantes.
15:41 Bon, je crois que la Turquie, il faut réfléchir,
15:44 alors il ne faut peut-être pas précipiter, je ne dis pas que c'est
15:47 aujourd'hui et maintenant qu'il faut y aller, mais il faut prendre acte
15:50 que des décisions de justice ont été prononcées, qu'elles ne sont pas exécutées,
15:54 donc qu'elle ne tient pas le respect des traités qu'elle a elle-même signés,
15:59 et que donc, cela commence à poser un vrai problème politique.
16:02 Alors ce problème politique, ensuite, il faut le gérer, il faut le faire peser,
16:06 mais il faut que la volonté de s'appuyer sur les décisions de justice de la CEDH
16:13 et pour arriver à parler à M. Erdogan en termes un peu plus fermes,
16:18 c'est une priorité politique qui doit être celle de l'Union européenne,
16:21 ceux qui ont les moyens d'action, car le Conseil d'Europe n'a pas de moyens d'action.
16:25 L'Union européenne a des moyens d'action, l'Union européenne peut prononcer des sanctions,
16:29 elle le fait pour la Russie.
16:31 Si les États-Unis prononcent des sanctions comme il l'a fait pour la Turquie,
16:34 ce sera beaucoup moins efficace que si c'est l'Union européenne,
16:37 car le volume de commerce extérieur de la Turquie est beaucoup plus grand vers l'Europe que vers les États-Unis.
16:42 Donc nous avons une responsabilité de ce fait,
16:45 et j'espère que cette responsabilité, non seulement nous en prenons conscience,
16:49 mais que nous nous apprêtons à l'exercer, car je l'ai dit tout à l'heure,
16:53 l'avenir de la Turquie m'inquiète sous la houlette de M. Erdogan.
16:57 On est dans un contexte géopolitique qui est quand même très particulier aujourd'hui,
17:01 puisque la Turquie, rappelons-le, fait partie de l'OTAN.
17:04 Est-ce que ça vous paraît plausible qu'aujourd'hui l'Europe aille chercher des poux dans la tête d'Erdogan,
17:11 on va le dire comme ça, à un moment où on a quand même un peu besoin de lui ?
17:15 C'est un peu la même discussion avec M. Poutine en 2014, quand il envahit une partie de l'Ukraine.
17:20 Beaucoup ont raisonné en disant "on ne va pas lui chercher les poux dans la tête,
17:24 parce que sinon ça va être pire".
17:26 Sauf que c'est bien plus pire de ne pas avoir pris les bonnes mesures au bon moment.
17:29 Donc prendre les bonnes mesures au bon moment, c'est le sens de la décision politique.
17:35 Et je crois qu'il faut obtenir des responsables qui prennent conscience et qui s'engagent.
17:40 Et à cet égard, la résistance du peuple kurde,
17:43 qui est quand même le meilleur espoir de l'avènement d'une démocratie au Moyen-Orient,
17:50 c'est aussi quelque chose qui est important politiquement.
17:53 Car on ne sortira des problèmes et des menaces qui pèsent sur l'Europe depuis le Moyen-Orient.
17:58 Il y a eu ISIS, nous le souvenons-nous, ou Daech, je ne sais pas si vieux.
18:01 Et ça a causé d'immenses dégâts.
18:03 Donc le meilleur espoir, c'est la démocratisation de l'espace géopolitique qu'est le Moyen-Orient.
18:08 Et aujourd'hui, le meilleur vecteur de démocratisation de cet espace,
18:11 c'est l'action et la volonté du peuple kurde.
18:14 – Eladar Sine, vous intervenez très souvent, les associations kurdes,
18:19 les mouvements kurdes interviennent très souvent auprès des institutions européennes,
18:23 spécifiquement effectivement auprès du Conseil de l'Europe
18:26 et de la Cour européenne et du droit de l'homme.
18:28 On a l'impression quand même pour l'instant qu'on tourne un peu en rond.
18:32 Est-ce que vous avez, vous, l'impression que vous êtes un peu plus entendu,
18:35 un peu plus écouté de la part de ces institutions-là
18:38 ou des institutions européennes en général ?
18:41 – Je pense que bien sûr, on n'est pas sur le point de départ.
18:47 On a quand même eu, même si c'est des petits avancés, on a eu des petits avancés.
18:53 Mais par contre, est-ce qu'on a arrivé vraiment à se faire entendre
18:57 par rapport à toutes les questions, par rapport à monsieur Öcalan,
19:02 par rapport à monsieur Selahattin Demirtas, par rapport à monsieur Kavala ou d'autres,
19:07 je ne suis pas certaine.
19:08 Parce que même, admettons que, comme vous disiez,
19:14 la Turquie, elle a été condamnée plusieurs fois,
19:17 mais si elle n'implique pas les condamnations qu'elle a eues,
19:20 si par exemple, par rapport à monsieur Selahattin Demirtas,
19:26 il fallait que la Turquie le libère, il est toujours en prison.
19:31 Monsieur Kavala, c'est pareil.
19:33 L'isolement de monsieur Öcalan qui devient impossible,
19:37 par rapport au peuple kurde aussi, par rapport à tous les peuples
19:42 qui luttent pour aussi avoir une certaine liberté, ça devient aussi impossible.
19:48 On est toujours sur le même point.
19:50 - Juan Posper, c'est un défi tout à fait particulier que vous avez,
19:54 vous en tant qu'avocat et en tant que membre d'Association internationale d'avocats,
19:58 sur cette situation actuelle de la Turquie.
20:01 Vous pouvez nous en dire un mot ?
20:03 - Si vous voulez, très rapidement, pour revenir,
20:06 j'ai peut-être un peu débordé et répondu à la question,
20:09 mais hier, dans ce colloquium, ce qui était important,
20:11 et c'est ça le défi qui s'annonce en tout cas pour nos confrères turcs,
20:14 il y avait notamment l'avocat Kenviz Yuretti qui était là,
20:18 qui parlait des conditions d'extension,
20:21 et qui effectivement faisait une analyse qui pour moi est quand même assez alarmante
20:26 dans la situation où il explique qu'aujourd'hui, l'expérience d'imrali,
20:30 c'est-à-dire ce placement en isolement, commence à devenir la norme.
20:35 C'est-à-dire qu'il n'y a même plus besoin d'un isolement sur une île désormais.
20:40 On est effectivement, et c'est un glissement qu'on voit dans bon nombre de démocraties,
20:44 c'est-à-dire que l'état d'exception qui était celui de Ocalan
20:47 et d'autres prisonniers politiques, devient la norme.
20:52 Et aujourd'hui, le bâtonnier de Dierbakker, qui était aussi là,
20:56 alertait en tout cas la société, c'est aussi le défi que nous avons en tant qu'avocat,
21:00 de pouvoir effectivement se battre contre ce glissement progressif,
21:04 l'état d'exception qui a été mis en place par les autorités turques,
21:10 et cette contamination en tout cas dans le droit commun.
21:13 Et aujourd'hui, effectivement, on voit de plus en plus des procédures comme ça
21:16 qui donnent lieu à des procédures à la fois expositives
21:18 et des conditions de détention et d'isolement qui sont prises à l'égard de personnes
21:22 qui ne sont pas nécessairement désormais des prisonniers politiques.
21:25 Et donc c'est le défi aujourd'hui que nous avons en tant qu'avocat
21:28 et en tant qu'acteur de la société civile en général,
21:30 c'est-à-dire de continuer ce combat pour éviter effectivement ce glissement
21:34 vers ce que certains appellent "libéralisme",
21:36 mais on est sur un régime autoritaire en Turquie,
21:40 mais aujourd'hui ce glissement est fait de façon assez méthodique
21:44 et systématique de la part des préfectures,
21:47 c'est-à-dire en étant le régime d'exception,
21:50 le régime effectivement dérogatoire des droits de la Convention.
21:54 – Oui, juste rapidement, qu'est-ce qui vous aiderait du coup dans la conjoncture,
21:57 vous, avocat, vous qui menez ce combat juridique, qu'est-ce qui pourrait vous aider ?
22:03 – Je pense que M. Alphonsi a bien posé le débat aujourd'hui,
22:08 il y a effectivement des pressions à mener sur la Turquie,
22:12 que ce soit, là effectivement on est plus au niveau de l'Union Européenne,
22:15 puisque le Conseil de l'Europe, on est plus sur un espace de dialogue,
22:19 mais je pense qu'aujourd'hui l'Union Européenne doit se poser des questions
22:22 par rapport à ces partenariats qui sont établis à l'égard de la Turquie,
22:26 parce qu'on ne comprendrait difficilement que des sanctions soient prises
22:30 à l'égard de la Russie, à l'égard de la Russie,
22:33 compte tenu qu'on n'est peut-être pas dans une situation d'invasion,
22:37 mais on est quand même dans une situation de pression d'un mouvement et d'un peuple,
22:41 qui est celui en tout cas du peuple kurde,
22:43 et aussi la réaction que l'Union Européenne a à l'égard de ses propres États,
22:47 la Pologne et la Hongrie, mais à l'égard de la Turquie,
22:50 l'Union Européenne ne peut pas rester…
22:51 – Elle montre qu'elle sait faire, oui, qu'elle peut le faire.
22:54 – … à l'égard de la Turquie, on comprend bien qu'il y a d'autres enjeux géopolitiques,
22:58 et je pense que le député François Lempollsi reviendra dessus sur la question migratoire
23:02 et le chantage que fait aujourd'hui la Turquie vers les États membres de l'Union Européenne,
23:07 mais aujourd'hui on ne peut pas avoir deux poids deux mesures,
23:09 à l'égard de la Russie, de la Biélorussie d'un côté,
23:12 à l'égard de la Hongrie et de la Pologne, et rester effectivement complètement statique
23:17 et immobile à l'égard de la situation éperdue auquel nous assistons
23:22 au niveau de la Turquie et le régime de l'Union Européenne.
23:25 – François Lempollsi, dans les médias, comment pouvez-vous agir,
23:28 vous au niveau européen en tant que député ?
23:30 D'abord, vous en parlez avec d'autres députés européens,
23:33 quel est l'état quand même de l'opinion sur cette question-là,
23:37 qui est quand même une question qui touche basiquement,
23:39 j'allais dire, l'état de droit et les droits de l'homme, tout simplement.
23:44 – Les députés européens, ils ont bien sûr le moyen des débats du Parlement européen
23:48 sur les motions et les résolutions qu'ils ont votées sur M. De Mirtas, sur M. Kavala,
23:53 il y a eu des condamnations assez sévères du régime turc par le Parlement européen,
23:59 mais le Parlement européen n'est qu'un pilier de la construction européenne
24:03 et ceux qui sont en moyen d'action, évidemment, c'est le Conseil et c'est la Commission,
24:08 la Commission pour les sanctions et le Conseil pour les sanctions diplomatiques, je dirais.
24:13 Donc, voilà, mais il faut continuer cette pression,
24:16 il faut amener les responsables européens à commencer à avoir un peu peur de l'avenir
24:21 dans cette zone du monde, comme ils auraient dû avoir un peu peur après 2014 en Crimée.
24:26 Et c'est cette prise de conscience qu'il faut faire, je crois,
24:29 pour que le climat politique change vis-à-vis de la Turquie.
24:32 Bien sûr, il y a les pressions faites sur la question des immigrés,
24:36 il y a les intérêts de la Turquie dans l'OTAN, et puis on voit bien qu'aujourd'hui,
24:42 Pierre de Gannes est quand même l'empêcheur de tourner en rond de l'OTAN
24:45 en s'immisçant dans des décisions souveraines de la Suède et avant de la Finlande de façon inacceptable.
24:53 Donc, oui, je pense que la Turquie est un problème au moins aussi considérable
24:57 et probablement plus considérable que la Hongrie ou la Pologne.
25:00 Merci à vous, il est temps de se quitter, on continuera bien sûr à suivre cette affaire avec vous.
25:05 Merci à vous qui nous avez suivis, au revoir, à bientôt.
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