• il y a 2 ans
Vendredi 16 juin 2023, SMART BOURSE reçoit Thierry Philipponnat (Chef économiste, Finance Watch)

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00:00 *Musique*
00:10 Sujet désormais autour de la finance durable et de la question spécifique des notations ESG, des ratings ESG.
00:17 Comment sortir de la confusion qui est entretenue par ces notations ESG elles-mêmes ?
00:22 Nous en parlons avec Thierry Philipponat, à mes côtés en plateau, chef économiste de l'organisation Finance Watch.
00:27 Bonjour et bienvenue Thierry.
00:28 Bonjour Cléo.
00:29 Merci beaucoup d'être avec nous.
00:30 C'est un sujet qui a fait l'actualité aujourd'hui du côté de la Commission européenne.
00:34 On va revenir sur ces propositions qui ont été formulées par la Commission dans le but d'améliorer effectivement la pertinence de ces ratings ESG.
00:42 Des ratings qui sont indispensables pour la finance, dans le cadre du verdissement de la finance, mais qui sont imparfaits,
00:50 mal construits sans doute par les agences de notation mondiale qui fournissent et qui émettent ces ratings destinés notamment aux investisseurs.
01:00 Comment est-ce que vous caractérisez le problème de cette notation ESG aujourd'hui Thierry ?
01:05 Le problème, je pense qu'il a été bien résumé en une phrase très simple par la commissaire européenne Méride McGuinness quand elle propose son projet de règlement mardi dernier
01:15 où elle dit "nous avons un problème de clarté sur les objectifs de la notation ESG".
01:22 En fait nous ne savons pas bien ce qu'est la notation ESG.
01:25 Alors creusons un peu de quoi est-on en train de parler.
01:28 On est en train de parler d'une note synthétique pour juger de l'environnement, du social et de la gouvernance.
01:38 Mais ce n'est pas tout.
01:40 L'environnement, le social et la gouvernance, on va le juger dans deux sens.
01:44 On va le juger de l'extérieur de l'entreprise vers l'intérieur, autrement dit quel est l'impact de l'environnement et des questions sociales, pour faire simple,
01:52 sur les risques dans l'entreprise, sur les comptes de l'entreprise, sur sa capacité bénéficiaire pour appeler un chat un chat.
01:58 Et dans l'autre sens, de l'intérieur vers l'extérieur, quel est l'impact de l'entreprise sur l'environnement ou sur la société.
02:06 Et on voit très bien que si on croise le fait qu'on a le E, le S et le G, et les deux sens de impact financier, conséquences financières,
02:15 et puis impact de l'entreprise sur son environnement, on a en fait fondamentalement six dimensions différentes.
02:21 Et si on donne une note synthétique pour juger de six dimensions différentes, on ne sait plus de quoi on parle.
02:27 Vous avez un élève qui passe un examen de maths, de français et d'histoire-géo, on lui donne une seule note pour les trois copies.
02:36 Bon, est-ce qu'il est bon en maths ou est-ce qu'il est bon en français, mon élève ? C'est ça la question.
02:40 Ça c'est lié à quoi ? Comment on en est arrivé là, Thierry, parce que vous l'expliquez très simplement,
02:44 vu la multidimension du problème, la complexité du problème, tout résumé en une note, ça paraît aberrant.
02:50 C'est lié au fonctionnement des agences de notation ? C'est lié à la demande de simplicité des utilisateurs de ces ratings ?
02:59 Je pense qu'il ne faut pas que nous, collectivement, tous les gens qui travaillent sur ce sujet,
03:04 il ne faut pas que nous nous autoflagellions trop.
03:08 Tout le SG, la finance durable, la tentative d'orienter les flux financiers vers une économie durable, c'est du travail en cours.
03:17 Je vais faire un horrible anglicisme, c'est du work in progress. On est en train de faire le travail.
03:21 Donc au début, on s'est dit, ah ben oui, la durabilité, il y a de l'environnement, il y a du social,
03:26 et puis bien sûr, une bonne gouvernance, c'est quand même la base de tout.
03:29 Tous les financiers ont toujours su ça, d'ailleurs, au passage.
03:32 Et puis donc, on a tout mis ensemble parce qu'on a dit la durabilité, c'est tout ça.
03:35 Et puis après ça, on se rend compte que, voilà, le constat que je faisais à l'instant.
03:40 Donc le but, de mon point de vue, est moins de dire comment on en est arrivé là.
03:45 On en est arrivé là parce qu'on est en train de faire le travail.
03:47 On s'est relevé les manches, puis on s'aperçoit que c'est très, très imparfait.
03:50 Que de constater que si on reste sur cette logique, on va aller nulle part.
03:55 D'où les débats, franchement, très difficiles qu'il y a aujourd'hui autour de l'ESG, avec des critiques dans tous les sens.
04:01 Mais ces critiques, elles sont alimentées par quoi ?
04:03 La plupart du temps, et il n'y a aucun jugement, certainement pas moral dans ce que je vais dire, c'est juste factuel.
04:10 La plupart du temps, le monde des affaires s'intéresse à ce qu'on appelle dans notre jargon ESG, la matérialité financière.
04:18 Autrement dit, quelle est la conséquence des questions environnementales ou sociales sur les comptes de l'entreprise ?
04:23 Ils ont bien raison de s'y intéresser, c'est la base de leur métier et c'est absolument fondamental.
04:27 Et la plupart du temps, l'investisseur citoyen qui a un peu d'épargne et qui aimerait bien que son épargne contribue à construire un monde durable,
04:36 s'intéresse à l'impact de l'entreprise sur son environnement.
04:39 Donc à un bout de la chaîne, on a des gens qui s'intéressent au risque et de l'autre à l'impact.
04:43 Et après ça, on a un dialogue de sou en disant "ah, il y a cette incompréhension".
04:47 Pourquoi ? Parce qu'on met un sens différent derrière les mêmes mots.
04:53 Derrière le mot "notation ESG", "ESG", "durabilité", on ne parle pas de la même chose aux deux extrémités de la chaîne.
05:00 La recette est garantie pour une incompréhension et puis après ça, des débats difficiles et après ça, une perte de crédibilité.
05:06 Et la finance, qu'elle soit dure ou passe, c'est la confiance. Et si on n'a pas cette compréhension, on va perdre la confiance.
05:13 Une perte de crédibilité et moi je me place du côté des investisseurs. Cette émission est destinée aux investisseurs et à recueillir leurs témoignages.
05:20 Le risque de démobiliser des acteurs financiers qui sont engagés. On peut débattre des intentions, des bonnes intentions, etc.
05:29 Mais les engagements sont là. Ce sont des gens qui investissent dans les données extra-financières, dans ces critères de notation ESG.
05:37 Donc à partir de ce moment-là, il faut quand même que ces investissements rendent quelque chose à l'arrivée.
05:44 Et eux-mêmes, je sens qu'il y a une forme de déception par rapport aux critiques qu'ils peuvent recevoir.
05:49 Les critiques de ceux qui pensent que l'ESG est le diable, comme tweet Elon Musk régulièrement, c'est une chose.
05:54 Mais même dans le camp de ceux qui veulent voir les choses avancer, il y a des critiques qui sont parfois très démobilisatrices pour des acteurs financiers engagés.
06:02 Quand ce sont les stratégies, articles 8, 9, qui sont pointées du doigt parce qu'elles ont des pouillèmes de parts grises.
06:08 Parce que oui, on peut s'engager aussi auprès d'acteurs qui ont aujourd'hui des parts grises mais qui sont de gros investisseurs sur les questions de transition.
06:15 Ça démobilise quand même une partie des troupes.
06:18 Vous avez tout à fait raison. Alors là, vous ouvrez un débat gigantesque. Donc je reviens en parler très volontiers.
06:25 Mais ce que vous dites mène directement à la question des notations ESG. Pourquoi ?
06:30 Parce que les notations ESG, elles sont au cœur de la construction soit des portefeuilles ESG, soit des indices qui se disent ESG.
06:39 Donc si elles sont au cœur, il faut en fait tout simplement... Et là, ce qui est très intéressant, c'est qu'on est au cœur d'une question de bon sens.
06:47 Et le bon sens, il consiste tout simplement, c'est extrêmement simple en fait quand on y réfléchit, à clarifier les objectifs.
06:54 Dites-moi ce que vous notez. Est-ce que vous notez les conséquences financières pour l'entreprise X du réchauffement climatique ?
07:03 Simple matérialité.
07:04 Ou est-ce que vous notez les conséquences sur la société de la politique sociale de l'entreprise Y ?
07:12 Dites-moi. Après ça, vous allez me donner votre opinion, votre analyse, votre score. C'est tout simplement ça.
07:18 Alors ce qui est très intéressant dans la proposition qui a été faite par la Commission européenne, je dois avouer que chez FinanceWatch, on ne boude pas notre plaisir sur le sujet.
07:25 Parce qu'on a beaucoup travaillé sur le sujet. On a sorti un rapport...
07:30 Au mois de mai ?
07:31 Oui, c'est ça. Il y a un bon mois sur le sujet qui disait en fait arrêtons de donner une seule note synthétique parce que ça n'a pas de sens, j'ai envie de dire, on va lâcher les grands mots, économique.
07:40 Donnez-nous des notes séparées. Et puis après ça, chacun jugera ce qui l'intéresse. Moi je m'intéresse juste au risque financier. Très bien, c'est ton droit.
07:49 Ah non, moi je m'intéresse à l'impact. C'est très bien, mais dites-moi ce que vous évaluez.
07:53 La Commission a presque fait ça. Elle a dit dites-moi si vous donnez une note agrégée ou pas agrégée. Donc déjà c'est un peu plus clair.
08:01 Bien sûr.
08:02 Et au cas où ça soit agrégé, donnez-moi la pondération du E, du S et du G. Et elle dit aussi je vous demande de me demander si vous regardez la matérialité financière ou la matérialité d'impact. Autrement dit, voilà, ce dont on parlait.
08:15 Le travail c'est déjà de simplement qualifier, caractériser l'information que ces agences émettent à travers ces sports.
08:22 Absolument. De quoi parle-t-on ? Et il est vraiment très, oui je répète le mot, satisfaisant de voir que la Commission européenne, en fait, entre guillemets, tout bêtement, propose ça.
08:32 Mais derrière mon tout bêtement, c'est quelque chose de fondamental. Si on veut que l'ESG sorte du piège de la diabolisation où on est en train de l'enfermer en ce moment,
08:43 que ce soit ce que vous évoquiez, un camp de politico ou business extrême qui dit tout ce qui m'intéresse c'est mes profits demain matin et je me moque de la durabilité du monde.
08:55 On sait que ça vient largement d'outre-Atlantique.
08:58 Anglo-saxon, oui, bien sûr. La logique anglo-saxonne.
09:00 Mais pas que, mais en tout cas ça vient de là. Ou le camp à l'autre extrémité du spectre qui dit tout ça, ça ne sert à rien.
09:06 C'est du washing.
09:07 La réalité c'est qu'entre les deux, il y a des gens qui essayent de faire. Alors oui c'est souvent imparfait, mais en tout cas donnons-leur des outils pour aller dans le bon sens.
09:14 Et donc dans ce paquet, dans ces propositions formulées, donc l'idée déjà de clarifier, caractériser l'information émise par les agences, c'est du bon sens, c'est simple.
09:25 Et ce sont des propositions si elles sont mises en application. Il y a encore un parcours, évidemment, européen, législatif devant nous.
09:31 Mais typiquement, c'est le genre de réglementation qui peut apaiser la situation.
09:36 Je pense que ça peut contribuer à apaiser la situation, ce dont on a vraiment besoin.
09:41 Ce qui est intéressant c'est que c'est une pierre à l'édifice. J'ai le sentiment, j'espère ne pas être trop optimiste, que c'est une proposition tellement de bon sens,
09:51 que l'on va peut-être, j'espère, arriver à dépasser les clans partisans.
09:55 Qu'est-ce qui vous fait dire ça Thierry ? Parce que réglementation, je vais vous dire, le financier il en a jusque là, la réglementation, dans tous les sens financiers, extra-financiers.
10:05 Il a un budget compliance désormais qui explose, il n'en peut plus.
10:09 Vous allez être obligé de me réinviter une troisième fois parce que c'est un autre sujet.
10:13 Non mais je vois le point.
10:15 C'est une réglementation qui peut trouver effectivement une forme d'adhésion.
10:18 Je vois le point même si je pourrais mettre des nuances, parce qu'il y a quand même des raisons.
10:21 Mais vous avez raison, la réglementation elle est quand même globalement lourde. Il faut appeler un chat un chat.
10:27 Donc ça c'est vrai. Ce qui me rend optimiste, c'est qu'encore une fois on est au niveau du bon sens.
10:34 Dire "dites-moi ce que vous êtes en train d'évaluer", en fait, ce n'est pas très révolutionnaire.
10:41 Et à la limite, quelqu'un qui est purement business, une fois qu'il aura les informations très clairement,
10:50 il ne va regarder que l'impact sur les comptes de l'entreprise, parce que c'est tout ce qui l'intéresse, très bien, c'est son droit.
10:55 Et puis quelqu'un qui est plus "je veux faire bouger le monde dans le sens de la durabilité",
11:01 le cas géant, les gens qui sont militants, ils vont regarder la partie qui dit quel est l'impact sur le monde.
11:07 Et donc ça peut apaiser plutôt que de rester dans ces débats stériles où on finit par échanger des noms d'oiseaux en disant "tu es un menteur".
11:15 Non, ce n'est pas vrai, c'est toi qui es un menteur. Ça n'a aucun intérêt.
11:18 Donc oui, il faut contribuer à cet apaisement. Et là, ça va plutôt dans le bon sens.
11:22 Alors la Commission qui a le droit d'initiative législative au niveau de l'Union européenne a mis la proposition sur la table.
11:28 Maintenant, les co-législateurs que sont le Parlement et le Conseil vont s'en saisir, le Parlement dans un premier temps.
11:33 Donc affaire à suivre. Il faut espérer que dans le processus législatif, on ne va pas avoir de la perte en ligne.
11:38 – Du point de vue des agences qui fournissent ces scores et ces notations au SG aujourd'hui,
11:43 c'est une réglementation effectivement qui peut être accueillie de quelle manière ?
11:47 – Ah ça, vous devriez les inviter. Pour connaître pas mal d'entre elles et des responsables de ces agences,
11:56 je pense que la plupart d'entre elles vont dire "oui, oui, oui, quand même".
12:01 – On peut mieux faire. On peut le faire différemment.
12:05 – On peut le faire différemment et garder, et la Commission européenne dit bien,
12:09 on ne va pas s'immiscer dans votre méthodologie, gardez votre méthodologie.
12:12 Simplement, il y a le régulateur européen, l'ESMA, qui va vérifier que la méthodologie est cohérente.
12:18 Et puis, encore une fois, dites-moi quels sont vos objectifs.
12:22 Je ne vois pas qu'elles arrivent à développer un argumentaire puissant pour dire "ah non,
12:28 je vais continuer à ne pas vous dire ce que j'essaie de noter".
12:30 Je suis un tout petit peu injuste en le disant comme ça,
12:33 parce que quand on va vraiment creuser dans des documentations souvent volumineuses,
12:37 on finit par comprendre qu'ils sont plutôt dans tel sens ou dans tel sens.
12:41 Pour être l'auteur du rapport de Farnsworth, j'ai fait toutes ces lectures.
12:45 Bon, il faut vraiment y aller.
12:46 Donc, si on pouvait avoir quelque chose de clair et de simple, ça serait quand même bien.
12:49 Il y a une deuxième dimension de la proposition de la Commission européenne,
12:52 qui est la gestion des conflits d'intérêts, qui est évidemment quelque chose d'essentiel.
12:57 Mais encore une fois, ça, ce n'est pas quelque chose de très nouveau ni révolutionnaire.
13:01 C'est du bon sens. Alors, il y a quelque chose…
13:04 – On l'a connu avec l'aspect financier.
13:05 La question de la notation financière et du conflit d'intérêts est une question qui a déjà été…
13:09 – Dans la réglementation sur les agences de rating de crédit,
13:12 il y a tout un volet gestion des conflits d'intérêts qui va de soi.
13:17 Et quelque part, on est en train de prendre des…
13:19 Il y a une proposition de prendre des mesures qui sont très très similaires.
13:22 Je pense qu'il y a, ou j'anticipe qu'il y a peut-être une proposition
13:26 qui va heurter certaines agences.
13:28 C'est celle qui consiste à dire, si vous vendez du conseil, du consulting à un émetteur,
13:34 vous ne pouvez pas en même temps le noter, évidemment.
13:38 Parce que si vous recevez de l'argent de quelqu'un,
13:40 quand bien même les gens sont parfaitement honnêtes et qu'il n'y a pas de problème,
13:44 il y a une suspicion, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas.
13:47 Donc la commission dit, vous séparez ces deux activités,
13:50 je ne veux pas les voir sous le même toit.
13:52 Très franchement, ça peut ne pas faire plaisir, je comprends.
13:55 Ça peut compliquer un peu la donne, mais c'est indispensable.
13:58 – C'est entendable.
13:59 – Mais c'est plus qu'entendable.
14:01 Oui, c'est entendable, bien sûr, mais c'est indispensable.
14:03 Vu l'importance de ce marché, vu les masses,
14:05 on est en train de parler de milliers de milliards d'euros, de dollars
14:08 qui sont en train d'aller dans cette direction-là.
14:10 Si on n'a pas une évaluation, lâchons le grand mot, dans laquelle on a confiance,
14:15 tout le système s'effondre.
14:18 En fait, c'est au cœur de la construction de la confiance.
14:21 – On restera sur cette notion clé de confiance Thierry,
14:24 en attendant de vous revoir avec grand plaisir pour un troisième épisode…
14:30 – Pour plein d'autres thèmes.
14:31 – …sur les sujets réglementaires.
14:32 Merci beaucoup Thierry.
14:33 – Merci Grégoire.
14:34 – Merci à tous d'avoir été avec nous,
14:35 l'invité en plateau de cette demi-heure d'émission,
14:37 chef économiste de l'organisation Finance Watch.
14:40 Voilà pour Smart Bourse de la mi-journée.
14:42 On se retrouve à 17h en direct sur Bismarck.
14:45 [Musique]

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