Poutine, la haine de l'Occident

  • l’année dernière
Pour lui, l'Occident est devenu le Mal absolu. Depuis l'invasion des troupes russes en Ukraine, Vladimir Poutine multiplie les déclarations hostiles au monde occidental, qu'il juge même responsable du déclenchement de la guerre. Mais cette haine envers l'Ouest n'est pas nouvelle. Le maître du Kremlin l'entretient et l'instrumentalise depuis des années. Quitte à réécrire l'Histoire. "Poutine, la haine de l'Occident" une enquête Ligne Rouge signée Sandra Boulanger, Louis Sibille et Alexandre Funel.

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Transcript
00:00 -Vladimir ! Vladimir ! Vladimir ! Vladimir !
00:07 -La mise en scène se veut grandiose.
00:09 ...
00:12 Vladimir Poutine célèbre ce soir-là
00:15 ce qu'il présente comme un triomphe,
00:17 l'annexion du Donbass.
00:19 -Doroghis druzya,
00:21 sivodni u nas
00:23 asobaj,
00:24 tarzestvendaj
00:26 i bez vziakava
00:29 vdanam sluci pri uvelichenia
00:31 istoricheski dzi.
00:32 ...
00:34 -Mais la réalité est moins glorieuse.
00:37 L'opération spéciale, comme il l'appelle,
00:40 lancée en Ukraine sept mois plus tôt,
00:42 s'enlise.
00:43 ...
00:45 Alors il doit sauver les apparences
00:47 pour conserver le soutien de son peuple
00:50 et mener à bien son grand dessein pour la Russie.
00:53 -Prédilagai atsuda s krasnyi ploshchidi
00:57 poslat'im signal nashej poddeshki uvazhenia
01:00 i preklanenia perid ikh zhertvenosti
01:03 i perid ikh gheroizmah.
01:05 Predilagai zdelat'eta gromka,
01:07 tak shtoba za tysichi kilometrov
01:09 ani uslyshili golas krasnyi ploshchidi.
01:12 Raz,
01:13 dva,
01:15 tri !
01:16 Hurra !
01:17 Hurra !
01:18 Hurra !
01:19 Hurra !
01:20 ...
01:23 -Un soutien d'autant plus nécessaire
01:26 qu'à travers sa guerre en Ukraine,
01:28 Vladimir Poutine mène une lutte bien plus grande.
01:32 -Il a une vision très conspirationniste du monde.
01:34 C'est un héritage de la guerre froide.
01:37 -Un affrontement contre l'ennemi occidental.
01:40 -Il avait dit "Vous n'avez pas voulu nous écouter.
01:43 "Et bien maintenant, vous allez nous écouter
01:45 "parce qu'on a ces armes."
01:47 -Ce qui est toujours sidérant avec Vladimir Poutine,
01:50 c'est le mensonge absolu.
01:52 C'est le mensonge qui, d'une certaine façon,
01:54 vous désarme.
01:56 -Une guerre de civilisation.
01:58 -La dictature des élites occidentales
02:00 est dirigée contre toutes les sociétés.
02:03 C'est du satanisme pur et simple.
02:05 -Dans laquelle se joue, selon lui, la survie de sa nation.
02:09 -C'est le champ de bataille
02:12 pour notre peuple,
02:14 pour la grande Russie historique.
02:16 -Enquête sur les ferments de cette soif de revanche
02:20 qui anime plus que jamais aujourd'hui
02:23 Vladimir Poutine.
02:25 ...
02:28 Musique de tension
02:31 ...
02:37 Musique sombre
02:39 -C'est dans le décor sombre et baroque de Dresde,
02:42 dans l'est de l'Allemagne,
02:44 que Vladimir Poutine puise une partie de sa soif de revanche.
02:49 Il y a vécu, à 37 ans, un événement fondateur.
02:53 Il est alors espion pour le KGB.
02:57 Pour sa première mission à l'étranger, en 1985,
03:01 il a été envoyé dans cette ville de RDA,
03:04 contrôlée par Moscou.
03:06 Dresde, une zone normalement amicale.
03:10 Sa femme et ses deux filles l'accompagnent.
03:13 Voici l'une des traces de sa présence ici,
03:17 sa carte de l'Astasie.
03:19 En tant qu'officier du tout-puissant KGB,
03:22 il peut aller et venir comme il l'entend,
03:24 dans les bâtiments de la police politique est-allemande.
03:28 Il participe à toutes les célébrations officielles.
03:32 -C'est une photo de janvier 1989.
03:36 Elle montre les officiers de l'Astasie, de Dresde
03:39 et du KGB ensemble.
03:40 Et vous voyez Vladimir Poutine, là, sur le côté.
03:45 -De 1985 à 1990,
03:50 l'espion Poutine est chargé de recruter des informateurs,
03:54 de surveiller les opposants,
03:57 avec en ligne de mire déjà un ennemi désigné,
04:01 comme il le raconte lui-même,
04:03 dans les rares confidences qu'il a choisis de rendre publiques.
04:07 -Mon travail relevait surtout du renseignement politique.
04:11 Nous étions essentiellement intéressés
04:14 par toute information relative à ce qu'on appelait à l'époque
04:17 notre principal ennemi, et cet ennemi, c'était l'OTAN.
04:21 -La guerre froide a figé le monde en deux blocs,
04:25 l'Est et l'Ouest, un clivage qui imprègne tout,
04:29 y compris les événements les plus ordinaires
04:32 de la vie de Vladimir Poutine.
04:34 -C'est une lettre du directeur de l'Astasie de Dresde
04:39 qui félicite Vladimir Poutine pour son anniversaire,
04:42 le 7 octobre 1988.
04:46 Il dit "Au nom des tchéquistes de l'Allemagne de l'Est,
04:50 "je vous envoie mes salutations de bataille fraternelle."
04:54 Il parle de combattre l'ennemi commun,
04:59 c'est-à-dire l'Ouest, et il lui souhaite succès et force
05:04 dans la lutte contre l'ennemi.
05:06 -Mais la puissance de l'URSS commence à s'ébrécher.
05:14 En novembre 1989,
05:19 le mur de Berlin tombe.
05:21 -28 ans, c'est une histoire !
05:25 -Une faille qui va s'étendre à toute l'Allemagne de l'Est
05:30 et atteindre Dresde un mois plus tard.
05:34 Le 5 décembre 1989,
05:37 Vladimir Poutine est dans la ville à Kosu
05:40 qui abrite le KGB local,
05:43 quand soudain, à quelques dizaines de mètres,
05:46 au coin de la rue...
05:48 -Liberté d'Assemblée !
05:50 -Des manifestants envahissent le siège de la Stasi
05:54 -Liberté d'Assemblée !
05:56 -Liberté d'Assemblée !
05:58 -Et font tomber en quelques heures
06:01 la sinistre police politique est-allemande.
06:04 -C'est les sous-commandants.
06:06 -Cette capitulation inopinée de la Stasi
06:10 galvanise quelques manifestants qui veulent pousser l'avantage.
06:14 -Il y a un petit groupe qui s'est constitué
06:18 et qui a quitté les lieux en disant
06:21 "Maintenant, on va dissoudre le KGB."
06:24 -Lui, il dit "Lui, on va dissoudre le KGB."
06:27 -Cet homme élégant, dentiste,
06:31 a 29 ans à l'époque.
06:33 Peu avant minuit,
06:35 il se lève et se met à faire
06:38 des recherches. Il se lance dans cette expédition improvisée
06:42 pour défier le puissant service secret soviétique.
06:46 -Ce soir-là, nous avançons vers la villa
06:49 où le KGB est basé ici, à Dresde,
06:52 au numéro 4 de la rue Angelika.
06:55 Nous regardons qui est là,
06:57 ce qui se passe et s'il y a une possibilité
07:00 d'entrer dans le bâtiment.
07:02 Nous sommes un petit groupe,
07:04 entre 17 et 20 personnes.
07:07 Pour l'essentiel, des hommes jeunes.
07:10 Au début, on est là et il ne se passe rien.
07:13 Quelques minutes plus tard,
07:15 la porte que nous voyons ici derrière nous s'ouvre.
07:19 Là, un homme en costume gris sort.
07:22 Il nous dit très clairement que si nous pénétrons
07:25 dans cette zone très sensible du KGB,
07:28 il sera fait usage des armes à feu.
07:31 -Si nous faisons un tour
07:34 de cette zone sensible,
07:36 nous pourrons entrer dans le KGB.
07:40 -Celui qui prononce ces mots, c'est Vladimir Poutine.
07:44 ...
07:46 -Nous ne savions pas si c'était un Russe ou un Allemand.
07:50 Et puis, on a compris à l'accent
07:52 qu'il s'agissait d'un Russe.
07:54 Il avait l'air sur les nerfs,
07:57 mais il essayait de nous donner l'impression
08:00 d'être sûr de lui.
08:02 Je pense qu'il n'était pas à l'aise de voir tout à coup
08:06 autant de jeunes hommes énervés et imprévisibles
08:09 devant ses bureaux.
08:11 Cela se voyait sur son visage qu'il était agacé,
08:16 car cela ne se passait pas du tout comme le KGB l'avait prévu.
08:20 ...
08:26 -Vladimir Poutine rentre dans le bâtiment.
08:29 ...
08:31 A l'intérieur, il s'agite,
08:33 brûle les documents compromettants.
08:36 -Je pense qu'à ce moment, il éprouve un double choc.
08:39 D'une part, il se retrouve face à la foule,
08:42 face à des gens simples qui viennent défier l'autorité
08:45 de la grande puissance qu'il représente.
08:48 C'est le premier choc.
08:50 Le deuxième, c'est ce qu'il appelle "bouscou".
08:53 Il cherche à avoir des réponses sur le comportement,
08:57 sur la ligne à tenir face à cette foule,
09:00 et Moscou ne répond pas.
09:02 -Les gens étaient très agressifs, prêts à en découdre.
09:05 Mais à l'autre bout du fil, on m'a dit
09:07 "Nous ne pouvons rien faire sans les ordres de Moscou,
09:10 "et Moscou reste silencieuse."
09:13 Quelques heures plus tard, nos militaires ont fini par arriver
09:16 et la foule s'est dispersée. Mais cette petite phrase,
09:19 "Moscou reste silencieuse", j'ai eu alors le sentiment
09:22 que mon pays n'existait plus.
09:24 -Ce n'était pas pour lui.
09:27 C'était pour lui une faillite du pouvoir.
09:29 Il s'est rendu compte qu'il était dans une enclave
09:32 et que personne ne pouvait plus le protéger.
09:35 Donc je crois que ce qu'il a ressenti ce soir-là,
09:38 c'est un sentiment de peur
09:40 qui lui a servi de moteur pour la suite.
09:43 Et je ne veux pas exagérer, mais je pense que c'est le cas.
09:46 C'était pour lui l'un des rares instants de sa vie
09:49 où il s'est retrouvé dans une situation incontrôlable.
09:52 ...
09:55 -Un espion abandonné, lâché, un ébranlement profond
10:00 pour celui qui a grandi dans le mythe de l'agent secret russe
10:04 et qui a un modèle depuis l'enfance.
10:07 -Son père, Vladimir Poutine, il avait le même prénom que lui,
10:10 était un héros de guerre.
10:12 Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a été blessé.
10:15 Il a aussi travaillé pour les services secrets russes
10:19 en tant qu'agent de diversion.
10:21 Donc poser des bombes, détruire des ponts, etc.
10:24 Il a été un vrai héros de guerre, on peut le dire.
10:27 Il exerce une fascination sur le jeune Vladimir Poutine.
10:30 -Combattre les nazis, comme son père.
10:33 ...
10:35 Mais aussi comme les héros de sa jeunesse.
10:39 -Il y a cette fascination qui est partagée
10:41 par beaucoup de jeunes de son époque,
10:43 qui est le résultat d'une politique de propagande
10:46 menée par le KGB dans les années 70.
10:48 Le résultat d'une politique de propagande menée par le KGB
10:51 dans les années 50, surtout 60,
10:53 visant à recruter des jeunes en publiant des romans,
10:56 d'espionnage, en faisant des films.
10:58 Et lui, il est sensible à ça, comme beaucoup d'autres jeunes.
11:02 -G. Struxel !
11:04 -Vladimir Poutine cite le glaive et le bouclier.
11:07 -G. Struxel ! Cliche Kogo apparaissait !
11:09 -Une série télévisée populaire, sortie quand il avait 15 ans.
11:13 Un espion russe y infiltre les nazis
11:17 et doit déjouer les complots visant, de toute part,
11:20 à détruire l'URSS.
11:22 ...
11:48 -Mais 2 ans après son traumatisme de Dresde,
11:51 son rêve est définitivement brisé.
11:54 Le pays de son enfance disparaît.
11:57 ...
11:59 -Je termine ma carrière
12:01 en tant que président de l'USSR.
12:05 -En 1991, l'URSS s'effondre.
12:09 -Du jour au lendemain,
12:11 toutes les choses auxquelles les gens avaient confiance,
12:15 auxquelles ils croyaient, disparaissent.
12:18 On vous explique que toutes ces choses-là
12:21 étaient finalement fausses et erronées.
12:25 Il y en a beaucoup, en vérité, à l'URSS,
12:28 qui ont été très traumatisées par cet écroulement.
12:31 Je pense que Vladimir Poutine en fait aussi partie.
12:34 -Comme il l'a lui-même déclaré,
12:36 s'il pouvait changer un événement de l'histoire russe,
12:39 il empêcherait l'effondrement de l'Union soviétique.
12:43 -Prince de l'Union soviétique,
12:45 il faut reconnaître, et je l'ai déjà dit,
12:48 que la collapse de l'Union soviétique
12:51 a été la plus grande catastrophe géopolitique de l'Histoire.
12:54 -Dans sa conception des rapports de force,
12:57 l'espion Poutine a perdu la guerre froide.
13:01 -Il ne faut pas oublier que l'URSS a pour but
13:04 la destruction des régimes politiques démocratiques occidentaux.
13:08 C'est ça, la guerre froide.
13:10 Vladimir Poutine est intimement imbriqué dans ce système-là
13:14 et il n'en sortira en réalité vraiment jamais.
13:17 La période des années 90 va intervenir pour lui
13:20 comme un espèce de trauma qu'il va s'employer depuis à corriger.
13:25 Il veut revenir à cette époque confrontationnelle
13:28 et l'emporter in fine contre nous.
13:30 Musique de tension
13:34 -Dès lors, cette soif de revanche ne le quittera plus.
13:38 ...
13:40 Une rancune qui va transparaître en 1994.
13:44 Alors qu'il n'est encore qu'un inconnu,
13:47 un simple adjoint à la mairie de Saint-Pétersbourg,
13:51 et qu'il va faire un esclandre en plein milieu d'un dîner guindé.
13:57 ...
14:04 ...
14:11 -Au début des années 90, Vladimir Poutine est comme sonné.
14:16 Il se cherche.
14:18 L'espion a quitté Dresde avec sa famille.
14:21 Il est parti dans sa Volga, la voiture qu'il a pu s'offrir sur place,
14:26 pour revenir dans sa ville natale de Leningrad.
14:29 Et il doit rebondir.
14:31 -Lorsque nous sommes rentrés d'Allemagne en 1990,
14:34 j'étais toujours dans les services,
14:36 mais je commençais à réfléchir à un plan B.
14:40 J'avais deux enfants, et je ne pouvais pas tout planter
14:43 pour aller je ne sais où. Que pouvais-je faire ?
14:46 -C'est avec la chute de la RSS,
14:48 en rentrant dans le pays, que Vladimir Poutine,
14:51 après avoir passé par une période assez difficile dans sa vie,
14:54 où il avait fait le chauffeur de taxi à Saint-Pétersbourg,
14:59 que finalement, il rentre dans la carrière politique.
15:02 -A l'image de Leningrad,
15:04 qui, en 1991, change de nom pour redevenir Saint-Pétersbourg,
15:09 Vladimir Poutine se réinvente.
15:12 Officiellement, il démissionne du KGB
15:15 et il rejoint l'équipe d'Anatoly Sobchak,
15:18 le maire libéral de la ville,
15:20 pour s'occuper dans un premier temps
15:22 de l'approvisionnement alimentaire.
15:39 Saint-Pétersbourg est jumelé avec Hambourg,
15:42 à 2 000 km de là, en Allemagne.
15:46 Vladimir Poutine, en parfait germanophone,
15:49 est régulièrement chargé de s'y rendre.
15:52 Le 25 février 1994, comme tous les ans,
15:58 se tient dans l'hôtel de ville un dîner de gala, grandiose.
16:08 Anna von Münchhausen est alors journaliste
16:11 pour un célèbre hebdomadaire allemand.
16:15 Elle doit écrire un article
16:17 sur ce banquet normalement lisse et protocolaire.
16:20 -Je m'attendais à un grand dîner festif,
16:23 très traditionnel.
16:25 Le dîner Matiae a été créé en 1356.
16:29 Je m'attendais à une soirée très guindée,
16:35 avec de nombreux convives.
16:38 Les invités étaient tous triés sur le volet,
16:41 issus notamment du corps diplomatique.
16:44 Il y avait aussi des hauts fonctionnaires
16:48 de l'administration et du Sénat.
16:51 -Mais le dîner va être marqué
16:54 par le seul scandale de son histoire.
16:57 -Soudain, l'un des invités s'est levé
17:03 en poussant sa chaise en arrière.
17:07 Il a jeté sa serviette sur la table.
17:10 La vaisselle a tremblé.
17:12 Puis, il a quitté la salle
17:14 en marquant de manière appuyée chaque pas.
17:17 Le parc est craqué.
17:23 Il a jeté un regard aux invités
17:28 avec une sorte de mépris, comme ça.
17:35 Puis, il est sorti de la salle
17:38 en faisant claquer la porte
17:40 avec un bruit qui a fait sursauter tout le monde.
17:44 Quand la porte s'est refermée,
17:46 il y a eu un silence de mort.
17:48 Plus personne ne bougeait.
17:50 Puis, les chuchotements ont commencé.
17:53 "Qui est-ce ?"
17:55 "Pourquoi est-il aussi énervé ?"
17:57 Et on m'a informé qu'il s'agissait
18:00 d'un certain Vladimir Poutine.
18:04 ...
18:07 -Il n'a pas supporté le discours du président de l'Estonie,
18:11 qui, quelques instants plus tôt, a voulu alerter l'Occident
18:15 du danger que représente la Russie pour les ex-républiques soviétiques,
18:19 comme la sienne.
18:20 -Si ces Etats sont livrés à eux-mêmes,
18:23 et exposés au potentiel appétit néo-impérialiste de Moscou,
18:27 le prix à payer sera très élevé,
18:31 y compris pour toute l'Europe.
18:33 -Une attaque contre son pays,
18:36 que Vladimir Poutine n'a pas voulu laisser passer.
18:40 -Il a vraiment voulu frapper les esprits.
18:43 Il s'est senti offensé
18:45 par ce qu'avait dit le président estonien.
18:49 ...
18:51 -Après ce coup d'éclat,
18:53 Vladimir Poutine ne s'excusera pas.
18:56 Il sera même, d'après l'un de ses proches,
18:59 félicité par le ministère des Affaires étrangères russes.
19:03 Ses frictions avec l'Occident sont donc déjà visibles et assumées,
19:08 et elles vont le suivre dans sa spectaculaire carrière politique.
19:13 Car en à peine six ans,
19:15 Vladimir, l'adjoint à la mairie de Saint-Pétersbourg,
19:19 devient Poutine, le président.
19:22 ...
19:24 -Clairons,
19:27 près assoucié de la volonté du président de la Fédération russe,
19:31 de respecter et de protéger
19:34 les droits et les libertés
19:37 de l'homme et de la femme.
19:40 -Après son élection, en l'an 2000,
19:43 Vladimir Poutine affiche pourtant un visage plutôt conciliant
19:47 avec les pays occidentaux.
19:50 Il rencontre Tony Blair à Londres,
19:52 une amitié avec le Premier ministre britannique,
19:55 célébrée quelques semaines plus tard,
19:57 dans une cave russe, à Moscou,
19:59 autour d'un verre de vodka.
20:01 Une détente, mise en scène également
20:04 avec le président américain Bill Clinton.
20:07 -Les deux présidents ont voulu donner à ce sommet
20:10 une allure décontractée, avec promenade au soleil
20:13 pendant 50 minutes dans le parc du Kremlin,
20:16 à la grande surprise de touristes venus des Etats-Unis.
20:19 -Son discours anti-occidental
20:22 reste en retrait pendant plusieurs années.
20:25 Avec même des alliances inattendues.
20:28 -Dans son premier mandat,
20:30 il traite avec l'Occident très différemment.
20:33 -Les 4 premières années, en effet, la tentation de l'Occident,
20:36 avec la création de ce conseil autant russie.
20:40 -Aveu ce matin à Rome de Vladimir Poutine.
20:43 "Il y a peu, je pensais que c'était impossible.
20:46 "Aujourd'hui, c'est une réalité."
20:48 -Avec aussi un sommet, l'Union européenne-Russie,
20:51 qui conclut à la création d'espaces communs,
20:54 c'est pas rien.
20:55 -Un répit de courte durée,
20:59 car plusieurs événements vont faire ressortir son sentiment,
21:03 réel ou supposé, d'être trahi par les Occidentaux.
21:08 -Il y a une frustration qui naît en 2003.
21:11 En 2003, les Etats-Unis envahissent l'Irak,
21:14 la Russie est contre.
21:17 -Un major irakien, qui a été trahi,
21:20 a confirmé que l'Irak
21:22 possède des laboratoires de recherche biologique.
21:25 -Vladimir Poutine va comprendre
21:27 qu'ils dérogent au droit international,
21:30 puisqu'ils n'auront pas la résolution du Conseil de sécurité
21:35 qui leur permettrait d'envahir l'Irak,
21:37 mais ils interviennent.
21:39 Il va utiliser ça en retournant la faute sur les démocraties
21:43 et en se disant "Puisque vous faites ce que vous voulez,
21:47 "moi aussi, je vais me permettre de le faire."
21:49 -Au même moment,
21:51 la révolution des roses en Géorgie
21:54 et la révolution orange en Ukraine
21:59 entraînent la chute de leur président prorusse.
22:02 Une manoeuvre, selon lui, de l'ennemi occidental.
22:06 -Il a une vision très conspirationniste du monde.
22:09 Tout ce qui se passe en apparence
22:11 n'est que le fruit d'une conspiration,
22:14 qui est aujourd'hui dans les bureaux des services secrets occidentaux.
22:18 Les manifestations sont forcément organisées
22:21 par ces services secrets.
22:23 -C'est sa perception de l'Occident,
22:26 qui serait injuste, hypocrite,
22:30 qui appliquerait les standards doubles
22:32 et qui chercherait la destruction de la Russie
22:36 ou au moins la réduction de la puissance russe.
22:40 -En parallèle, en 2004,
22:42 l'OTAN se rapproche des frontières russes.
22:45 Sept nouveaux pays y adhèrent.
22:47 Le sujet est sensible.
22:49 Vladimir Poutine est interviewé par un journaliste français en 2005
22:54 et ses menaces sont à peine voilées.
22:58 -Quel jugement portez-vous sur l'OTAN,
23:00 qui essaie d'étendre son influence à vos voisins,
23:03 à vos partenaires comme l'Ukraine et la Géorgie ?
23:06 -Le fait que l'OTAN exerce une grande influence
23:10 sur l'Ukraine et la Géorgie ne nous indispose pas.
23:13 Mais certains problèmes pourraient surgir
23:15 dans le cadre de notre coopération militaire avec l'Ukraine,
23:19 qui est énorme. Cette coopération est à un tel niveau
23:22 que s'il devait y avoir une présence militaire de l'OTAN en Ukraine,
23:26 je n'y maintiendrai plus nos technologies de pointe
23:29 et nos armements sensibles.
23:31 L'Ukraine pourrait avoir des problèmes.
23:33 -Il a ressorti la fameuse histoire,
23:36 il n'y a pas de trace écrite,
23:38 que les Américains avaient plus ou moins dit,
23:41 à l'époque, à Gorbatchev,
23:43 que l'OTAN ne s'étendrait pas à l'Est.
23:47 -Ce qui n'a pas été le cas, c'est quelque chose
23:50 qu'il n'a jamais digéré.
23:52 -Une impression de trahison,
23:55 dont Vladimir Poutine fait part en tête à tête,
23:59 à la chancelière allemande Angela Merkel.
24:02 -Un jour, un de mes collègues allemands m'avait dit
24:07 que Angela Merkel avait fait état des erreurs
24:10 commises par l'Occident vis-à-vis de la Russie.
24:13 Il se tourna envers lui et lui a dit
24:15 "Et pour vous, quelles erreurs avez-vous commises ?"
24:19 Pensant qu'il allait effectivement
24:22 jouer le jeu et reconnaître une erreur.
24:26 Il a répondu "Notre erreur, c'est de vous avoir fait confiance."
24:30 ...
24:38 -Vladimir Poutine se sent-il réellement offensé, humilié ?
24:42 Ou met-il en scène cette posture à des fins politiques ?
24:46 Impossible d'en avoir la certitude,
24:48 mais dans les faits, il décide d'exprimer publiquement
24:52 son ressentiment lors d'un discours offensif
24:55 resté dans les mémoires.
24:57 ...
25:00 -A Munich, en 2007, le président russe
25:03 est convié au forum sur la sécurité internationale.
25:07 Applaudissements
25:09 ...
25:11 Il monte à la tribune.
25:13 -Merci beaucoup,
25:14 mesdames et messieurs les députés,
25:17 mesdames et messieurs.
25:19 -Et annonce d'emblée qu'il n'y aura pas ce jour-là
25:22 de faux-semblants.
25:24 ...
25:38 -Devant l'assemblée estomaquée, il avertit
25:42 que s'il le juge nécessaire, il interviendra militairement.
25:46 ...
26:12 -Il a fait ce discours extrêmement belliqueux,
26:15 en disant qu'à partir de maintenant,
26:18 la Russie défendrait ses intérêts.
26:20 C'était menaçant.
26:21 Mme Merkel n'en revenait pas.
26:23 Elle parlait russe, elle l'a entendu
26:25 en langue originale.
26:27 ...
26:30 -Merci pour votre attention.
26:32 Applaudissements
26:35 -Il annonce le programme des années à venir,
26:38 un programme qu'il a déjà mis en oeuvre,
26:41 mais maintenant, il le dit ouvertement.
26:44 À Munich, il dit ouvertement les choses.
26:46 Personne ne va vouloir entendre ce qu'il dit lui-même, pourtant,
26:50 c'est-à-dire qu'il entre en guerre, en réalité, avec l'Occident.
26:54 Cette idée confrontationnelle avec nous est déjà extrêmement claire.
26:58 -Vladimir Poutine monte d'un cran
27:00 dans les menaces verbales.
27:02 Et le chef de guerre va s'attacher à démontrer
27:06 qu'il a les moyens militaires de ses ambitions.
27:10 Musique de tension
27:12 ...
27:21 Cris de la foule
27:24 -Au rythme de vagues de hourra enfiévrées...
27:27 ...
27:30 Ce 9 mai 2008, sur la Place Rouge...
27:33 ...
27:36 Une démonstration de force...
27:38 ...
27:41 ...Comme il n'y en avait pas eu depuis la chute de l'URSS.
27:45 ...
27:48 En ce jour anniversaire de la victoire de l'armée rouge
27:51 contre les nazis, la Russie exhibe sa puissance militaire...
27:55 ...
27:57 ...avec 8 000 hommes portant un nouvel uniforme
28:00 spécialement créé pour l'occasion.
28:03 -C'était un peu la guerre des étoiles.
28:06 Ils se vantaient de disposer d'armes sophistiquées
28:11 que personne n'avait, même pas les Américains.
28:14 En présentant, justement, ces armes supersoniques,
28:17 ils avaient dit "Vous n'avez pas voulu nous parler,
28:21 "vous n'avez pas voulu nous écouter,
28:23 "et bien maintenant, vous allez nous écouter implicitement
28:27 "parce qu'on a ces armes."
28:29 -Vladimir Poutine veut que la Russie soit davantage respectée,
28:33 dans le présent comme dans le passé.
28:37 -Nous allons toujours se souvenir
28:40 que c'est la Russie, le Réunion Soviétique,
28:44 qui a cassé les plans nazistes
28:47 qui ont été trop forts pour l'homme.
28:50 Ils n'ont pas permis aux fascistes de gérer le monde.
28:53 Notre soldat a donc gagné une victoire
28:57 dont la grandeur restera pour toujours dans l'histoire.
29:01 -Pour lui, l'URSS, c'est le pays qui a vaincu le nazisme.
29:05 C'est le pays qui tet des têtes au monde entier.
29:08 ...
29:11 -S'il y a un événement dans l'histoire russe
29:14 qui fait l'unanimité,
29:16 c'est la grande victoire dans la Deuxième Guerre mondiale.
29:19 Au prix de 27 millions de vies humaines,
29:23 de vies soviétiques,
29:25 qui ont été mises sur l'autel de la victoire
29:29 dans la Deuxième Guerre mondiale.
29:31 Vladimir Poutine, il s'érige en celui qui défend cet héritage,
29:36 en estimant d'ailleurs que l'Occident
29:38 n'est plus suffisamment reconnaissant
29:41 à l'URSS, à cette mémoire de l'URSS
29:44 qui aurait libéré le monde du fascisme.
29:47 ...
29:52 -Il ne parle nulle part et jamais
29:55 de comment il voit l'avenir de la Russie.
29:57 Il parle toujours de la grandeur passée de la Russie.
30:02 Et dans ce passé, il ne veut pas s'appuyer sur des faits réels,
30:05 mais sur des mythes.
30:07 Un ensemble de mythes impériaux.
30:11 Car l'histoire est un outil pour lui.
30:15 C'est même une arme, une arme pour la guerre,
30:18 pour la construction d'un nouvel empire.
30:22 Ce n'est qu'un moyen, un mécanisme qu'il utilise
30:25 en arrachant des bouts de l'histoire qui lui conviennent
30:29 et en les réarrangeant.
30:32 ...
30:35 -Pour faire face à l'Occident,
30:37 le maître du Kremlin construit, pas à pas,
30:40 morceau par morceau,
30:43 un contre-modèle, une idéologie
30:46 qui fusionne grandeur de l'empire des Tsars
30:49 et puissance soviétique.
30:51 -C'est un mélange. Il est l'empereur de toutes les Russies,
30:54 mais il est aussi le secrétaire général du Parti communiste.
30:58 C'est ce syncrétisme étrange
31:00 entre l'histoire glorieuse de l'empire
31:02 et l'URSS de Staline, autant de sa splendeur,
31:05 c'est-à-dire le moment où non seulement elle était grande
31:08 et forte, mais surtout, elle était crainte.
31:11 -Tout un assemblage de symboles hétéroclites,
31:15 visibles jusqu'au sommet du Kremlin.
31:18 -Vous avez un mélange des genres extraordinaire,
31:21 puisqu'aujourd'hui, vous pouvez redorer tous les bulles
31:24 depuis la chute du communisme des Églises,
31:26 et en même temps, on a gardé les étoiles rouges
31:29 au sommet des clochetons du Kremlin.
31:31 C'est quand même un mélange des genres assez étonnant.
31:34 Musique de tension
31:36 ...
31:38 Chant d'une foule
31:40 -Car son contre-modèle
31:43 s'appuie fortement sur une valeur qu'il juge en perdition
31:48 dans les pays occidentaux, la religion.
31:51 Après les décennies d'athéisme de l'URSS,
31:54 lui choisit de se mettre en scène
31:58 lors du Noël orthodoxe.
32:00 ...
32:02 Et se livre à un théâtral rituel de l'Epiphanie
32:05 en se plongeant dans de l'eau glacée.
32:09 ...
32:14 -Quand il y a des grands offices religieux,
32:16 il apparaît, il pose un cierge à l'Église.
32:19 ...
32:21 Et il se montre avec le patriarche de Moscou, Cyril.
32:25 Il a fait du patriarcat de Moscou
32:28 un allié idéologique
32:30 dans son discours anti-occidental et conservateur.
32:34 -Vladimir Poutine se pose
32:36 comme le défenseur des valeurs traditionnelles,
32:39 un rempart contre l'Occident qu'il juge décadent
32:43 et qu'il dénigre ouvertement,
32:46 comme lors de cette intervention en 2013.
32:50 -Nous voyons
32:51 que de nombreux pays euro-atlantiques
32:54 ont fait le choix de se renouer.
32:57 En particulier,
32:58 des valeurs chrétiennes qui sont la base de la civilisation occidentale.
33:03 ...
33:05 Les principes morales et les identités traditionnelles
33:09 sont détruites, nationales, culturelles, religieuses
33:12 ou même sexuelles.
33:13 La politique est basée sur un seul niveau,
33:16 une famille multijoueur et une partenariat homogène.
33:18 -Pour s'opposer à l'Occident, il faut trouver des arguments.
33:22 Il y a tout le discours sur la décadence de l'Occident,
33:26 donc tout le discours sur les mœurs,
33:29 l'homosexualité, la parentalité homosexuelle, etc.
33:33 Tout ceci, c'est quelque chose qu'il a vraiment développé.
33:36 -Il se différencie de l'Occident, avec quand même comme idée
33:39 de séduire tous les citoyens du monde entier,
33:43 donc d'attirer à lui aussi une partie de l'opinion mondiale.
33:46 -Son discours fait écho jusqu'en France,
33:49 où en 2013, des militants anti-mariage homosexuel
33:53 se rassemblent devant l'ambassade de Russie à Paris
33:56 pour appeler au secours Vladimir Poutine.
33:59 -Nous sommes ici pour demander de l'aide à la Russie.
34:03 La France n'est plus une démocratie.
34:06 Poutine, aide-nous !
34:08 Poutine, aide-nous !
34:10 Poutine, aide-nous !
34:12 -Il est dans un discours civilisationnel
34:14 où la Russie doit aujourd'hui peut-être gagner
34:19 la bataille des civilisations, la guerre des civilisations,
34:23 et être la civilisation dominante.
34:24 -Vladimir Poutine utilise tous les moyens
34:27 qui sont à sa disposition pour combattre l'Occident,
34:30 comme les cyberattaques ou l'ingérence.
34:33 Il faut se souvenir, en 2016, dans les élections américaines,
34:36 de l'ingérence russe qu'il y a eu dans l'élection,
34:39 et également en 2017 en France.
34:40 Donc il joue sur tous les ressorts.
34:42 -Pour se démarquer de ses adversaires occidentaux,
34:48 lui veut rester le plus longtemps possible au pouvoir.
34:53 ...
34:55 Il se veut incontournable, irremplaçable.
34:59 ...
35:01 Il méprise les démocraties et sa valse de président.
35:05 -L'un des aspects qui a affecté Vladimir Poutine
35:09 psychologiquement, c'est qu'au fil des ans,
35:14 il a vu défiler un nombre important de dirigeants étrangers.
35:17 ...
35:21 Il a commencé avec Clinton, puis avec Bush,
35:25 puis est venu Obama, puis Trump.
35:27 C'est le cinquième président américain
35:30 depuis qu'il est au pouvoir,
35:32 sans parler des changements de président en France
35:36 et dans d'autres pays.
35:38 Donc il les regarde comme s'il était indéboulonnable,
35:41 comme s'il allait rester pour toujours.
35:44 -Selon lui, les démocraties s'affaiblissent.
35:47 Et Poutine, le judoka,
35:51 veut en profiter.
35:53 -Poutine est un passionné de judo.
35:56 Il a été champion de sa vie dans les années 70.
36:00 ...
36:03 Vladimir Poutine a fait du judo sa philosophie.
36:06 La philosophie, c'est attendre
36:09 que l'adversaire montre ses faiblesses pour en profiter.
36:13 Il a souvent eu cette attitude,
36:15 notamment dans les relations internationales,
36:18 de profiter des faiblesses de l'adversaire.
36:20 -Et c'est exactement ce qu'il va faire,
36:24 en 2013,
36:25 lors d'un événement tragique de la guerre en Syrie.
36:29 -Vladimir Poutine a observé
36:32 le fait qu'Obama, à l'époque, avait élicté une ligne rouge
36:36 en cas de bombardement chimique des Syriens.
36:39 Bachar el-Assad a bombardé des civils syriens
36:43 par des armes chimiques, causant un massacre effroyable.
36:47 Et là, Barack Obama a eu peur d'engager son pays
36:50 dans un nouveau conflit.
36:52 Donc, effectivement, Vladimir Poutine n'a pas pu l'interpréter
36:55 autrement que comme un aveu de faiblesse du camp occidental.
36:59 -L'Occident recule.
37:01 Le chef de guerre estime que la voie est libre
37:04 pour déployer ses ambitions bellicistes.
37:07 ...
37:09 ...
37:17 -A la fin de l'année 2013,
37:20 un diplomate s'envole pour Moscou.
37:23 ...
37:26 Il vient d'être nommé ambassadeur de France en Russie.
37:29 Et il va se retrouver au coeur de la machine Poutine.
37:33 -Il se trouve que je l'ai rencontré souvent,
37:37 probablement plus souvent que d'autres ambassadeurs,
37:40 en raison des événements qui se sont passés en Ukraine,
37:44 donc en 2014, en Crimée et dans le Donbass.
37:47 -Ce sont des relations historiques
37:49 et stratégiques avec l'un des leaders de l'Union européenne,
37:53 la France.
37:54 -Ce qui m'a donné l'occasion d'observer de près
37:57 Vladimir Poutine.
37:59 -Car en février 2014,
38:02 6 ans après sa guerre éclair en Géorgie,
38:06 le président russe s'a franchi de toutes les règles.
38:09 Il envahit cette fois une presqu'île stratégique
38:12 de son voisin ukrainien.
38:14 -La Crimée était un déclencheur.
38:16 Il a osé la Crimée, alors tout était possible.
38:19 -Dans la foulée, il envoie aussi des hommes dans le Donbass,
38:24 dans l'est du pays,
38:26 pour soutenir les leaders séparatistes.
38:29 Des pourparlers sont lancés pour stopper la guerre.
38:33 Entre Angela Merkel,
38:35 François Hollande,
38:38 Vladimir Poutine
38:40 et le président ukrainien Petro Poroshenko,
38:44 lors de ses nombreuses réunions diplomatiques,
38:47 notamment à l'Elysée,
38:49 le président français assiste, interloqué,
38:53 aux méthodes de manipulation du maître du Kremlin.
38:56 -Il peut faire preuve d'attention, Vladimir Poutine,
39:02 à l'égard de ses interlocuteurs.
39:04 À l'égard notamment d'Angela Merkel,
39:07 c'était assez évident,
39:09 il lui faisait souvent des compliments.
39:12 Angela Merkel me disait que c'est là qu'il est le plus redoutable,
39:16 quand il fait semblant d'être gentil.
39:18 -Devant ses interlocuteurs étrangers,
39:22 il adopte ce ton affable, presque mielleux.
39:25 -Ce qui est très frappant, c'est que dans les entretiens qu'il a,
39:29 il est extrêmement calme, en général,
39:32 il perd assez peu ses nerfs,
39:34 il parle à voix très basse, très lentement,
39:37 sans une note.
39:38 -Il est toujours en train d'alterner
39:42 le brûlant et le glacial.
39:44 Le brûlant, prêt à dire qu'il faut trouver une solution,
39:48 le glacial, à l'empêcher.
39:50 Donc il y a toujours la nécessité de construire
39:53 un rapport de force à l'égard de Vladimir Poutine.
39:56 -Un rapport de force bancal.
39:59 Et incertain.
40:00 François Hollande va s'en rendre compte
40:03 lors d'une longue nuit de négociations à Minsk,
40:06 en Biélorussie.
40:07 Car les yeux dans les yeux,
40:09 Vladimir Poutine va lui mentir, sans vergogne.
40:12 -Ce qui est toujours sidérant avec Vladimir Poutine,
40:16 c'est le mensonge absolu.
40:18 C'est le mensonge qui, d'une certaine façon,
40:20 vous désarme.
40:21 Dans la nuit de Minsk,
40:23 quand il s'agissait de faire la paix en Ukraine,
40:26 il me disait qu'il connaissait pas
40:28 les séparatistes.
40:29 Et puis, quelques heures après,
40:31 il leur téléphonait, au chef séparatiste.
40:33 Donc, il faut, avec Poutine,
40:36 apprendre ce qu'est le mensonge.
40:38 Pas le petit mensonge, pas le mensonge par omission,
40:42 le mensonge énorme.
40:43 -Durant cette réunion tendue,
40:45 Vladimir Poutine applique une stratégie bien particulière.
40:49 Il prend la main, en se servant, une nouvelle fois,
40:52 de son arme historique.
40:55 -C'est rarement un dialogue avec Vladimir Poutine.
40:58 C'est un long monologue qui commence toujours
41:00 par 15 ou 20 minutes sur l'histoire glorieuse
41:03 de l'Empire russe, mélangé à l'histoire glorieuse de l'URSS,
41:07 suivi d'argumentations pour expliquer
41:09 que la Russie fait face à une agression
41:11 du monde occidental, de l'OTAN, des Etats-Unis.
41:14 -Dans le palais présidentiel de Minsk,
41:17 l'heure tourne.
41:18 Vladimir Poutine tente d'esquiver les sujets qui dérangent.
41:23 -Il a fallu, à certains moments,
41:26 que François Hollande et surtout Angela Merkel,
41:28 qui a un tempérament assez fort,
41:30 se fâchent en disant "Est-ce qu'on peut en venir à la discussion ?
41:34 "De quoi parle-t-on ? On parle de la paix,
41:37 "de négociations, d'arrêt des bombardements.
41:39 "Pourrait-on arrêter de parler d'histoire ?"
41:42 -Les discussions s'éternisent,
41:44 à tel point que la chancelière allemande
41:47 va bousculer le protocole.
41:49 -Les négociations se sont terminées au milieu de la nuit,
41:53 voire au petit matin, à Minsk,
41:55 avec Angela Merkel écrivant au crayon sur un bout de papier
41:58 les derniers éléments de l'accord.
42:00 On signe, on y va.
42:02 -Cet accord de Minsk prévoit un cessez-le-feu
42:06 dans le Donbass, mais au fil des années,
42:09 le ton de Vladimir Poutine se durcit irrémédiablement.
42:14 -On l'a senti dans ses discours publics,
42:18 un sentiment de rage chez Poutine,
42:22 un désir de revanche.
42:25 Il s'est proprement radicalisé.
42:29 C'est vraiment ça, le mot qu'il faut utiliser.
42:32 La situation en Ukraine ne lui convenait plus
42:35 parce qu'il voyait bien que ses opérations en Crimée
42:39 et au Donbass ne suffisaient pas à annihiler la menace
42:43 d'une Ukraine pro-occidentale à ses portes.
42:45 Musique angoissante
42:47 -Le lundi 21 février 2022,
42:50 pendant une heure,
42:52 Vladimir Poutine va développer sa théorie.
42:55 La Russie est gravement menacée.
42:57 Il doit donc prendre les devants.
42:59 -Et trois jours plus tard,
43:16 les chars russes envahissent l'Ukraine.
43:19 -Cette grande guerre,
43:21 elle était malheureusement prévisible.
43:24 Cette grande guerre,
43:26 elle était dans les mots de Poutine
43:28 depuis au moins une dizaine d'années.
43:31 Il y a une différence entre les mots et les actes.
43:34 -La rhétorique inspirée de la Seconde Guerre mondiale
43:38 s'ancre définitivement dans ses discours.
43:41 La Russie combat, selon lui,
43:44 des nazis en Ukraine
43:46 et les Occidentaux s'apparentent à des forces du mal.
43:50 ...
43:53 -La dictature des élites occidentales
43:55 est dirigée contre toutes les sociétés,
43:57 y compris les peuples des pays occidentaux.
44:01 C'est un défi pour tous.
44:03 C'est un total dénoncement de l'homme,
44:05 une non-rejection de la foi et des valeurs traditionnelles.
44:09 La suppression de la liberté
44:11 a des caractéristiques religieuses
44:13 qui sont contraires à l'égoïsme satanique.
44:15 -Ce qui est très intéressant,
44:17 c'est qu'en utilisant un discours qui va de plus en plus dur,
44:21 nazisme,
44:23 ukronazisme, on invente des concepts
44:26 qui va jusqu'à la lutte contre le satanisme même,
44:29 il arrive vraiment à un durcissement de son propre régime
44:33 qui arrive à sa fin,
44:34 parce qu'il n'y a plus rien dans le discours politique
44:38 au-delà de la mobilisation que Hitler et le diable.
44:41 On arrive vraiment dans l'éau de la propagande
44:45 et on a un discours de plus en plus violent
44:48 à l'encontre des Ukrainiens et de l'Occident.
44:52 -Nous devons faire revenir cette page décevante.
44:55 Le débat de la hégémonie occidentale n'est pas revenu.
44:59 Je le répète, comme avant, il n'y en aura plus.
45:04 La bataille sur laquelle nous avons été invités, la destinée et l'histoire,
45:10 c'est la bataille pour notre peuple,
45:12 pour la grande Russie historique.
45:17 -Quelle est l'étape suivante ?
45:20 Vladimir Poutine peut-il aller encore plus loin
45:24 dans sa soif de revanche ?
45:27 -C'est impossible de le savoir.
45:29 Vladimir Poutine est très coutumier des surprises.
45:32 Personne ne sait jusqu'où il est prêt à aller.
45:34 En tout cas, la seule chose qu'il montre,
45:37 c'est qu'il veut déployer son plan.
45:40 Voilà. Il a mis en scène
45:43 l'humiliation de son pays après l'Union soviétique.
45:46 Il a mis en scène le désir de revanche de son pays.
45:49 Il a mis en scène l'hostilité de l'Occident.
45:52 Aujourd'hui, il réalise cette guerre
45:54 et donc, il veut être...
45:57 Il veut dérouler son plan.
45:59 -Un plan dont Vladimir Poutine est le seul maître,
46:04 lui qui a fait changer la Constitution...
46:09 Applaudissements
46:11 ...
46:12 ...afin de pouvoir rester à la tête de la Russie
46:16 jusqu'en 2036.
46:18 ...

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