Mathieu Bock-Côté : que comprendre de l'état de la jeunesse française ?
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00:00 une bonne enquête du Figaro à partir de laquelle on peut réfléchir plus largement
00:04 sur les différentes angoisses qui habitent la jeunesse française, pas seulement française,
00:09 c'est vrai partout en Occident, mais c'est très marqué ici, et quelles sont les conséquences
00:14 de cette angoisse. Je précise une chose, on est vraiment de plus en plus éloigné
00:20 d'une formule qui avait fait les beaux jours des années 90 et début des années 2000,
00:24 la mondialisation heureuse. Les plus personnes dans la jeune génération, je pense même
00:28 que la jeune génération n'a jamais intégré cette idée, c'est vraiment une idée vieillie,
00:34 une idée faisandée, une idée d'un temps ancien qui n'existe plus que dans l'esprit
00:38 d'une partie de nos élites qui répètent les slogans de leur jeunesse. Mais si on veut
00:43 voir la jeune génération, les angoisses se chevauchent, elles peuvent se féconder
00:47 l'une de l'autre, qui aujourd'hui traversent la jeunesse française, la première, qui est
00:51 la plus souvent mentionnée, et toutes appartiennent, je le précise, à une forme de dérèglement
00:55 de l'idée du progrès, dérèglement de l'idée de l'émancipation. On nous expliquait que
00:59 d'une génération à l'autre, ça irait toujours mieux, que par la capacité technique,
01:03 par la capacité technologique, l'homme ne ferait qu'améliorer sa situation, que
01:06 par les progrès économiques, on ne ferait qu'améliorer la situation de nos sociétés,
01:11 que par le progrès du droit, on ferait tomber les injustices. Mais tout ce qu'on voit,
01:14 c'est qu'aujourd'hui, ça se décompose devant nous de différentes manières.
01:17 Première angoisse, l'angoisse écologique, évidemment, qui est une angoisse qui traverse
01:22 la modernité, il faut le dire. Dès le 19e siècle, on pourrait dire au 20e, de Tolkien
01:27 à Greta Thunberg. Il nous est permis de préférer Tolkien. Il y a le sentiment que l'industrialisation
01:34 du monde, l'artificialisation du monde, la construction d'un monde toujours plus productif
01:38 peut un jour se retourner contre l'homme et rendre la planète inhabitable, ce qui
01:43 est une hypothèse tout à fait légitime. Reste à voir ce qu'on fait ensuite de ce
01:47 constat. Et ça bascule aujourd'hui dans sa frange extrême, chez les excités du
01:52 soulèvement de la Terre et tout ça, j'y reviendrai, qui, eux, disent que le monde
01:57 occidental serait même en guerre contre le vivant, pour détruire le vivant. C'est
02:01 un peu loin. Cela dit, secourant à son Nigerie, c'est un mois-là, moi, de Nigerie. Donc,
02:06 son Nigerie, c'est Greta Thunberg, évidemment, qui représente cette jeunesse absolument
02:12 angoissée sur la question climatique et qui croit, dis-je, que l'avenir n'existe
02:17 plus. Dès lors, nous sommes au seuil d'un embrasement de la planète, l'avenir n'existe
02:22 plus, sauf s'il y a révolution. Bon, on voit un peu la mort. Quand on voit le monde
02:26 ainsi, c'est normal qu'on ne soit pas très heureux. Deuxième, on pourrait dire,
02:32 élément de décomposition. Deuxième angoisse, eh bien, c'est une angoisse qu'on pourrait
02:37 lier, et là, ce n'est pas dans le papier du Figaro, j'ajoute cet élément-là, c'est
02:41 l'angoisse liée à la déconstruction généralisée de tous les repères. Tous les repères, j'entends,
02:46 on savait à peu près, il y avait la continuité des générations. Évidemment, le monde changeait
02:49 d'une génération à l'autre, mais il y avait ce principe de continuité qui habitait
02:52 notre monde. Aujourd'hui, on a tellement déconstruit, en 50 ans, l'ensemble des repères
02:57 culturels, civilisationnels, identitaires et même sexuels, on y revient souvent ici,
03:01 qu'on se retrouve avec une jeune génération qui ne sait plus, en dernière instance, elle
03:05 est plus jeune, et on leur a tellement dit « construisez-vous par vous-mêmes, vous
03:08 ne devez rien à vos parents, vous ne devez rien à votre société, fabriquez votre identité
03:12 comme si vous êtes des petits dieux », eh bien on a une jeune génération qui en vient
03:15 aujourd'hui de plus en plus à douter de son identité sexuelle, c'est-à-dire on
03:18 doute de l'existence même du réel. Alors, quelle est l'égérie de cette mouvance,
03:23 ou à tout le moins la figure symbolique, c'est assurément la drag queen aujourd'hui,
03:27 ou le non-binaire, c'est-à-dire toujours au premier rang dans les médias, on en parlait
03:30 hier soit-dit en passant avec Dylan Mulvaney, avec Budweiser et tout ça, le non-binaire
03:36 vu comme finalement le héros, parce que lui-même assume cette déconstruction de l'identité,
03:40 il cherche à en faire quelque chose de positif. Il est possible de croire que pour le commun
03:43 et mortel, se faire répéter sans cesse de douter de tout, jusqu'à de sa propre existence
03:47 sexuelle, ça puisse générer des angoisses. Troisième point de référence, on pourrait
03:52 parler de l'autodestruction culturelle, et là c'est une jeune génération qui
03:56 s'est fait élever dans l'idée que son pays, sa civilisation, était toxique, atroce,
04:00 détestable, insupportable, invivable, nous sommes les héritiers d'un monde si dégoûtant,
04:05 si coupable, que nous devons nous y arracher, nous devons nous en délivrer, nous devons
04:09 expier, nous devons programmer notre propre disparition pour nous faire pardonner d'exister,
04:12 à tout le moins nous faire pardonner les cinq derniers siècles. Et on a une jeune
04:15 génération qui a été élevée aujourd'hui dans cette idée du refus du patriotisme,
04:20 qui est vu comme... parce qu'on est parti du patriotisme comme vertu au refus du patriotisme
04:24 comme vertu. Et dès lors là-dedans, on pourrait dire que la figure symbolique, c'est l'immigré
04:29 au sens suivant, on en a parlé récemment avec le musée de l'immigration, qui nous
04:34 disons tous des immigrés, tous, tous des immigrés, même Louis XIV, de lorsqu'il
04:37 lui l'est, qui ne l'est pas. Et dernier élément de cette angoisse, ça c'est très bien mentionné
04:42 dans le Figaro, c'est l'angoisse civilisationnelle. Devenir étranger chez soi, les flux migratoires,
04:48 la submersion migratoire, la peur qu'ont de plus en plus de jeunes européens de devenir
04:52 étranger dans leur propre pays. C'est-à-dire fondamentalement, au terme du siècle, ils
04:56 savent que ce qui était le peuple des références ne sera plus qu'une minorité ethnique ou
05:01 ethno-culturelle dans son propre pays. Et l'idée d'avoir une norme culturelle commune,
05:06 une identité collective, ça passera désormais pour une expression du racisme. Ça, ça mobilise
05:11 aussi une partie de la jeunesse qui est angoissée à l'idée de perdre son pays, de déraciner
05:15 son propre pays. Et là aussi, il y a des figures, on pourrait dire l'égérie, c'est
05:18 le mot, je le dis, c'est le mot du jour, on peut penser à une thèse d'Escufon, on
05:21 peut penser aux différentes figures qui s'étaient associées à la mouvance génération identitaire,
05:25 mais ça ce sont des égéries non autorisées, qui sont diabolisées par le système, parce
05:30 que l'angoisse dont ils se font les porteurs est une angoisse non autorisée, c'est vu
05:35 qu'une pathologie, un dérèglement de l'esprit, c'est une angoisse non autorisée. Vous
05:39 aurez noté, on est passé de l'angoisse permise, encouragée, célébrée, l'angoisse
05:43 climatique, et plus on va vers les autres angoisses, plus ce sont des angoisses criminalisées
05:46 qu'il n'est pas permis d'avoir dans l'espace public. Alors si vous avez, et j'en arrive
05:51 à cette idée, si vous avez l'impression que tout est bloqué, que tout est foutu,
05:54 tout est chaos, génération des enchantés, bonjour Mélène Farmer, eh bien si vous
05:58 avez ça comme idée, vous en venez à dire, il faut que quelque chose se passe, il faut
06:02 que quelque chose arrive, et ce quelque chose c'est ce que le Figaro nomme le chaos. C'est
06:06 à dire que si au moins quelque chose arrive, le chaos c'est au moins un événement qui
06:10 nous donne une emprise sur nos vies, c'est la possibilité de mettre un peu d'action,
06:14 un peu d'initiative, de relancer la machine, de sortir d'une forme de millénarisme paralysant,
06:19 l'attente de l'apocalypse, et on va pouvoir frapper de nouveau. Donc le chaos est une
06:24 forme de promesse, le chaos n'a pas le même visage pour tous ces gens, mais c'est la
06:28 promesse de reprendre, de redonner un peu de liberté, un peu d'action dans la vie collective,
06:33 donc de ce point de vue, le chaos est vu comme le contraire du désespoir. C'est étonnant
06:36 comme idée, mais on comprend le raisonnement. Mais revenons à l'essentiel, que je vous
06:40 comprenne bien, à votre avis, la jeunesse a-t-elle raison d'être angoissée? Oui,
06:44 oui en partie, c'est à dire oui et non. Oui parce qu'effectivement on est une forme
06:48 de fin de cycle civilisationnel, historique, on comprend que ça ne pourra pas tenir longtemps.
06:52 Quel que soit le camp auquel on appartient, on sent qu'il y a une forme de dérèglement
06:56 profond de notre société, de notre civilisation. Non parce que, en dernière instance, l'existence
07:02 est une grâce, comme dit Chesterton. Vous hésitez, hein, pour passer à l'optimisme.
07:06 Le body language, là, je sais pas. La part d'optimiste légitime, c'est qu'on existe,
07:12 c'est déjà formidable, non? On est promis à avoir 80, 85 ans sur cette terre, avoir
07:15 des amis, avoir des amours, avoir des banquets, avoir du travail, avoir des passions, c'est
07:20 formidable d'exister, même dans les pires périodes de l'histoire, c'est quand même
07:23 agréable d'exister. On a tous un dîner dans quelques heures, je devine, ben voilà, une
07:26 bonne raison d'être heureux. Pas moi, pas moi.
07:29 Ensuite, au-delà du bonheur d'exister, il y a tout simplement la question de l'action.
07:33 Si on se dit, mais parfait, ok, ça va mal, très mal, mais qu'est-ce qu'on peut faire?
07:37 L'action élimine la crainte. Exactement, la crainte qui peut aussi inspirer
07:41 l'action. C'est parce que j'ai peur que je me mobilise et je me botte le derrière
07:45 un peu. Qu'est-ce qu'on voit avec ça? Là, il y a les différents visages de l'action,
07:48 c'est intéressant. Il y a l'action politique, c'est le que-faire de Lénine. L'action politique,
07:52 elle n'a pas toujours le même visage. L'action politique, ça peut être l'engagement dans
07:55 un parti, un parti politique qui a pour vocation, ça c'est intéressant. Le parti, c'est on
08:00 va agir dans les institutions pour transformer la société. Il y a ceux qui veulent aller
08:04 plus loin qui disent l'action politique, c'est un peu artificiel, il faut y aller de
08:08 son corps, ça existe. À gauche, ça donne le visage, quelquefois caricatural, non seulement
08:14 de la manifestation, ça c'est une bonne chose, mais vous savez, ces jeunes excités
08:17 aux cheveux bleus qui vont se coller la tête sur les tableaux dans les musées pour nous
08:20 montrer qu'ils tiennent vraiment à la lutte contre les changements climatiques, c'est
08:23 une manière. À droite, on en parle beaucoup ces jours-ci, Génération Identitaire, il
08:27 y a quelques années, qui multipliait les actions théâtrales pour donner l'impression
08:30 qu'on s'engage, on décide de faire une grande action pour frapper les consciences.
08:35 Mais c'est là qu'on touche la question de la violence. Pourquoi la violence? Parce
08:38 que si vous dites « tout est foutu », si vous dites « on est au seuil de l'effondrement »,
08:42 dès lors, ça donne à votre point de vue, à votre action, une légitimité supérieure
08:46 au droit. Le droit devient périmé, le droit devient secondaire, les institutions deviennent
08:51 en fait si on doit s'en délivrer, et là, vous avez le droit à la violence, c'est
08:54 ce qu'on nous répète depuis hier avec les soulèvements de la Terre, la cause est
08:57 tellement importante que la violence devient un élément secondaire ou même un élément
09:01 favorable parce que cette violence, c'est une manière pour la planète de s'autodéfendre
09:04 contre le capitalisme. Donc vous voyez, encore une fois, l'esprit tourne de drôles de
09:08 manière.
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