Le Mont-de-Piété

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Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach vous raconte l'histoire d'une institution créée au 15e siècle par le moine italien Barnabé de Terni (1398-1477). Depuis cette époque, le mont-de-piété permet aux plus démunis d’échanger des biens personnels contre des sommes d'argent.
Retrouvez "Dans l'intimité de l'Histoire" sur : http://www.europe1.fr/emissions/dans-lintimite-de-lhistoire
Transcript
00:00 Dans l'intimité de l'histoire.
00:02 - Aujourd'hui Clémentine, vous nous racontez une institution créée au 15e siècle par le moine Barnabé de Terny.
00:08 Le monde piété qui permettait d'échanger des œuvres d'art contre de l'argent
00:12 pour ceux qui momentanément, du moins, en manquaient.
00:15 - Elle était un peu dans la gêne, on l'appelle aussi le monde piété matante ou le clou.
00:20 - On dit matante à cause du Duc d'Orléans.
00:22 - Alors c'est pas vrai figurez-vous.
00:23 - Ah bon ?
00:23 - Eh non, c'est une légende, je vais vous raconter ça dans un instant.
00:26 - Ah bon ?
00:27 - Aujourd'hui ça s'appelle le crédit municipal et vous savez quel est l'emblème du clou, le monde piété matante ?
00:33 C'est un griffon.
00:34 Un griffon c'est une créature chimérique qui a corps de lion, un lion moellé avec une tête d'aigle.
00:40 Pourquoi ?
00:41 Eh bien parce que dans la mythologie grecque, c'est un griffon qui garde les mines d'or d'Apollon.
00:46 Le griffon.
00:47 Alors le surnom de matante, Stéphane, viens nous le dire à l'instant.
00:50 Et c'est ce que je croyais aussi.
00:52 Ça remonte au 19ème, on entend souvent raconter que c'est le prince de Joinville qui avait dû mettre sa montre au clou
00:59 parce qu'il n'avait plus un rond, ça l'affichait mal, il était quand même le fils du roi, Louis-Philippe.
01:04 Et il a donc mis à la suite d'aides de jeu sa montre en gage et un jour il est à table et sa maman a dû lui demander
01:11 "Mais mon fils, mes gants ?"
01:13 - "Où est la montre que je t'ai offerte ?"
01:15 - Voilà.
01:15 - "Ah ben je l'ai laissée chez ma tante."
01:17 - Exactement.
01:17 Mais en fait il n'y a aucun élément de preuve de cette explication.
01:21 Et en fait on pense que l'origine du mot "matante" provient plus vraisemblablement de la féminisation par plaisanterie
01:28 de l'appellation "oncle", "uncle", utilisée notamment en Angleterre et en Belgique pour désigner les prêteurs sur gage.
01:35 "Mon oncle".
01:35 Et donc il y a quand même un petit rapport si vous voulez dans l'idée que je raconte que c'est mon oncle,
01:41 mais bon, mais c'est rien à voir avec le prince de Joinville manifestement.
01:45 Enfin le clou, bien sûr là on comprend bien que le clou c'est parce qu'on accrochait les parapluies,
01:53 les vêtements qui étaient laissés en gage, on les accrochait à un clou.
01:56 Bon, tout simplement.
01:58 En effet c'est une institution ancienne à l'origine qui avait été voulue par ce moine italien
02:04 dont vous citez le nom à l'instant Stéphane, pour aider les pauvres.
02:07 Et en France vous savez qui a eu l'idée du premier monde piété,
02:10 qui a convaincu Richelieu de créer un monde piété, c'est Théophraste Renaudot.
02:17 Oui, Théophraste Renaudot, l'homme de la gazette,
02:20 celui dont on considère...
02:21 Notre père journaliste.
02:22 Voilà, qu'il a inventé, créé le premier journal digne de ce nom,
02:26 et bien il est aussi, c'était quand même un homme bien, voilà un vrai bienfaiteur Théophraste Renaudot,
02:32 parce que l'idée à l'époque c'était d'éviter que les gens ne soient obligés d'aller chez les usuriers,
02:37 parce que dans le monde de l'usure, il y avait vraiment des voyous,
02:41 et qui pratiquaient des taux épouvantables, des taux de 10% par mois, donc 120% par an,
02:47 et pour permettre aux pauvres de récolter quelques sous sur leur bien sans être abusés,
02:53 et bien on a créé ce monde piété à Paris, ça va très bien fonctionner.
02:57 À un moment il va être interdit, parce que les usuriers parisiens précisément
03:01 ne sont pas du tout d'accord pour avoir une institution concurrente,
03:04 mais ça continuera en province à ouvrir à tour de bras,
03:08 et il y a eu cette interruption à Paris jusque sous Louis XVI en décembre 1777,
03:14 et j'aime beaucoup le nom du premier directeur du monde piété à Paris,
03:18 il s'appelait Franboisier du Bonnet, Franboisier du Bonnet, si c'est pas joli,
03:23 l'institution s'installe rue des Blancs-Manteaux, et elle ouvre ses portes en février 1778.
03:29 Et la révolution n'est pas loin, mais elle va respecter le monde de piété, pourquoi ?
03:33 Parce que les révolutionnaires considéraient que le monde piété
03:36 était l'une des institutions les plus sociales du royaume,
03:39 parce qu'elle rendait possible pour les plus pauvres des citoyens
03:45 d'essayer de récupérer trois sous contre leur bien.
03:47 Évidemment il y a aussi des puissants, Joséphine de Beauharnais,
03:51 elle y a très souvent déposé des bijoux, soit en personne,
03:55 soit elle envoyait des gens à sa place, parce que c'était quand même un peu honteux
03:59 quand on voulait donner une image de soi opulente,
04:02 d'aller montrer explicitement qu'on était dans la gêne.
04:07 Ça va tellement bien marcher qu'il y aura même une succursale du monde piété
04:11 qui ouvre en 1800, et pourquoi ?
04:13 Parce que pendant la révolution française, il y a toutes sortes d'œuvres d'art,
04:17 en effet, de bijoux, de tableaux qui sont dispersés,
04:20 qui sont confisqués par la révolution.
04:22 Alors ceux qui vont confisquer un tableau chez Madame de...
04:26 chez la Dubarry, ils ne vont pas forcément le mettre dans leur appartement,
04:31 ils vont tout de suite le gager chez ma tante.
04:34 Évidemment...
04:34 - Et à partir de quand le monde piété vend les choses pour se refaire ?
04:40 - Ah ben vous devez chaque année, vous devez payer un petit écho
04:45 pour renouveler, ou tous les six mois, renouveler l'engagement.
04:50 Et si vous ne payez pas, là il est vendu.
04:53 - À partir de combien de temps il est vendu ?
04:54 - Je pense que c'était à partir d'un an si vous ne gagez pas.
04:57 Je ne serais pas péremptoire là-dessus,
04:58 je ne connais pas les choses de façon suffisamment détaillée,
05:02 mais je pense que c'est ça.
05:03 - Vous allez acquiser eux-mêmes du liquide au monde piété ?
05:04 - Ah ben bien sûr !
05:05 - Pour payer ?
05:06 - Bien sûr, parce qu'il fallait bien payer le personnel.
05:10 Et il y a une époque à laquelle, il est vraiment associé à la misère,
05:16 et ce sont les romans de la fin du 19e
05:18 qui vont populariser cette image du monde piété
05:21 comme celui des misérables, d'abord Zola,
05:23 parce que Zola lui-même a gagé dans sa jeunesse des vêtements,
05:27 a engagé beaucoup de vêtements au monde piété,
05:30 il a engagé son pantalon, il a engagé son paletot,
05:33 et sa maîtresse de l'époque, quand il était jeune homme,
05:35 disait "ah voilà, ces jours-là il était en arabe",
05:38 parce qu'il restait en chemise chez lui,
05:40 et puis dès qu'il avait trois sous,
05:42 parce qu'il avait vendu un article à droite à gauche,
05:45 il allait récupérer son pantalon.
05:47 Dans "Les misérables" de Victor Hugo,
05:49 la mère de Cosette, le trousseau de Cosette,
05:51 est engagée au monde piété,
05:53 et Hugo lui-même est allé dégager des biens
05:56 qui avaient été mis au monde piété par Juliette Drouet.
05:59 Alors, je le disais tout à l'heure,
06:01 quel était l'objet le plus gagé par excellence,
06:05 l'objet qu'on met au clou au 19e siècle ?
06:07 Et à votre avis, qu'est-ce que c'était ?
06:09 - Ah oui, le médaille... - Le matelas !
06:11 - Oui mais il n'était pas là quand je l'ai dit.
06:12 - Ah, il n'était pas là, un matelas peut-être ?
06:14 - Voilà, un matelas, bravo, bonne réponse !
06:16 Sous le Second Empire, il y a plus de 15 000 matelas au clou,
06:19 et après les clous, à la fin du XIXe,
06:22 ça va être les bicyclettes en particulier, l'hiver,
06:24 on ne roule pas tellement en bicyclette l'hiver,
06:26 donc le clou à Paris avait un vaste hangar
06:30 où on stockait les bicyclettes.
06:32 - Je vais être honnête, mais j'aurais dit des bijoux,
06:33 donc rien à voir.
06:35 - Tout le monde n'a pas des bijoux, alors des petits bijoux...
06:37 - Oui, des petits bijoux, des petites médailles de baptême.
06:39 - Le matelas, ce n'était pas évident de posséder un matelas,
06:42 c'était un objet coûteux.
06:43 Il y a eu jusqu'à 26 agences à Paris,
06:45 et elles ont été fermées bien sûr avec le temps,
06:48 à cause de la concurrence des banques
06:50 et des institutions de solidarité,
06:52 comme la Sécurité sociale, les bureaux d'aide sociale.
06:55 C'est pourquoi en 1918, le mont de Piété
06:57 est devenu le Crédit municipal.
07:00 En tout cas, le record du plus long prêt sur gage, 47 ans,
07:06 ça a été longtemps un parapluie.
07:08 Et ce parapluie gagé 47 ans a fini par être battu par deux tableaux,
07:13 dégagés le 7 septembre 1994,
07:16 vous voyez que ce n'est pas très vieux, 48 ans après leur dépôt
07:20 au Crédit municipal de Paris,
07:22 ils avaient été engagés contre 600 000 francs de l'époque,
07:26 non, 60 000 francs de l'époque.
07:28 Et le prêt a été reconduit de 6 mois en 6 mois pendant 48 ans.
07:33 C'est-à-dire que pendant 48 ans,
07:35 le propriétaire n'était pas en état de payer la somme.
07:39 - Ça, à la limite, sur une somme comme ça,
07:41 mais c'était la même chose sur un parapluie ?
07:43 - Oui.
07:44 Mais alors là, il y avait un côté un peu, c'était un petit peu un gag,
07:47 c'est-à-dire le monsieur à qui un jour le Crédit municipal
07:50 lui a renvoyé son parapluie en disant "Monsieur, écoutez,
07:52 il est là depuis 47 ans, vous payez régulièrement, récupérez-vous".
07:55 Et son propriétaire a fait un scandale, a écrit au Crédit municipal,
07:58 il a dit "écoutez, je ne vous ai rien demandé,
08:01 je libérerai mon parapluie quand il me sera..."
08:04 - Quand il pleuvra.
08:05 - "Quand il me sera agréable de le faire pour le moment,
08:07 il est chez vous, il y reste 47 ans".
08:09 Donc je pense qu'il avait décidé de battre un record, probablement.
08:12 Merci beaucoup Clémentine.

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