Rébellion de Wagner : pour Poutine "il était temps de reprendre les rênes du pouvoir en main" selon Olivier Weber

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Transcript
00:00 Bonjour, vous êtes écrivain, grand reporter, ancien diplomate.
00:02 Votre dernier livre chez Calman Levy, "Dans l'œil de l'archange",
00:06 on est clairement là dans la mise en scène, il faut lever tous les doutes.
00:11 Oui absolument, il faut lever les doutes.
00:16 Pourquoi ? Parce qu'évidemment, ce n'est quand même pas rien ce qui s'est passé
00:19 il y a trois jours, le samedi 24 juin, il y avait une colonne de l'armée de Wagner,
00:26 cet État dans l'État, ou cette armée dans l'armée, ce qu'on appelle une société militaire privée,
00:31 même s'il n'y avait pas 25 000 hommes, même s'il y avait 2 000, 3 000, 4 000 hommes,
00:35 parce que toutes les divisions, toutes les unités de Wagner ne se sont pas raillées
00:39 par un coup de baguette magique dans la nuit de vendredi à samedi sur les rails de Prigojin.
00:43 En tout cas, rappelez-vous, comme Moscou a été transformée comme un corps retranché,
00:49 et ça c'est inquiétant effectivement pour le pouvoir russe.
00:51 Pourquoi ? Parce qu'une soixantaine de guerres,
00:53 deuxièmement, qui est Prigojin ? C'était une sorte d'allié,
00:56 même une marionnette créée de toutes pièces par Poutine,
00:59 c'est comme si on avait un Pinocchio version Maléfique
01:02 qui se retournait contre son Gepetto, contre son créateur.
01:06 Donc ça, c'est aussi une humiliation pour Poutine avec son pouvoir extrêmement centralisé,
01:11 en tout cas le pouvoir d'avant le 22 février de l'an dernier, donc avant l'invasion de l'Ukraine.
01:16 Et donc là, il y a une sorte de ficturation de pouvoir,
01:18 il était temps de reprendre un petit peu les rênes en main.
01:21 Ce qui est le plus important pour Poutine en fait, c'est la fidélité de l'armée.
01:25 L'armée n'est pas pouchiste, évidemment Moscou ne serait jamais tombée,
01:29 en tout cas on a parlé de ralliement de certaines unités,
01:32 même minoritaires, très marginales, mais quand même,
01:34 c'est un signal très très fort pour Poutine,
01:36 et il était temps évidemment de reprendre les choses en main.
01:39 Cela dit, pour finir, on peut dire que Poutine a joué avec le feu,
01:41 parce qu'il a essayé d'instrumentaliser à la fois Wagner,
01:45 à la fois l'armée de Tchétchénie et de Cadiroc, donc les Karoutsis,
01:49 contre l'armée ou avec l'armée.
01:51 Donc ce n'était pas très bien vu,
01:52 et c'est moins qu'on puisse dire par les militaires et les généraux russes.
01:55 En tout cas là, on sait très bien que dans cette guerre,
01:57 et d'une manière générale pour la pérennisation de son pouvoir,
02:00 Poutine ne peut pas se priver du soutien de cette armée.
02:03 Est-ce aussi un message aux Occidentaux ?
02:05 Poutine félicite encore une fois l'armée russe après des troubles,
02:11 dit-il, dont le résultat aurait été inévitablement le chaos.
02:14 Ce sont ses mots.
02:15 Hier, il s'est posé en garant de la paix intérieure, mais aussi de la stabilité.
02:20 Est-ce là un argument envers les Occidentaux ?
02:23 Une Russie sans Poutine, avec à sa tête des forces non étatiques,
02:28 c'est forcément source d'inquiétude, notamment pour l'arme nucléaire ?
02:32 Oui, c'est-à-dire que Poutine a intérêt, si je puis dire, à instrumentaliser,
02:36 à mettre cela en avant, en se plaçant d'ailleurs à un moment comme une victime.
02:39 Il a même dit que c'était la faute des Ukrainiens et des Occidentaux
02:42 d'avoir eu ce putsch avorté.
02:44 Mais en tout cas, il sait très bien qu'il y a deux choses,
02:47 il y a deux informations qui ont été apportées par les Américains auprès du FSB,
02:52 donc des services de renseignement russe, et auprès de l'armée.
02:54 C'est que d'une part, vous ne gagnerez pas, vous les Russes, cette guerre.
02:58 Ce n'est pas dire que vous allez la perdre, en tout cas vous n'allez pas la gagner.
03:01 Et puis deuxièmement, par une sorte de bruit ambiant,
03:06 Poutine sait par ses services que les Américains ont très peur du chaos.
03:10 Le chaos, donc une sorte de démantèlement de la Russie
03:13 avec un scénario à la ex-Yougoslavie.
03:16 Et donc là, il revient en force en disant attention, moi j'incarne justement l'ordre,
03:19 moi j'incarne la stabilité avec non seulement les organes sécuritaires
03:23 dont le FSB, le FSO qui est une autre forme de sécurité, de protection de personnalité,
03:28 avec éventuellement les milices privées de Gazprom,
03:31 avec bien sûr Roxgardia qui est la garde nationale,
03:34 et puis deuxièmement avec l'armée, donc il veut être un petit peu
03:37 le personnage qui incarne non seulement l'ordre, non seulement la stabilité,
03:41 mais le vrai chef des armées à l'heure actuelle.
03:45 Mais est-ce à même de faire évoluer la position des Occidentaux vis-à-vis de l'Ukraine ?
03:50 Non, pas forcément, parce que évidemment je pense que cela ne va pas faire baisser la garde
03:55 du soutien des pays occidentaux à l'Ukraine,
03:57 parce que vous savez, on est vraiment sur le fil du rasoir.
04:01 Il n'y a pas eu de gain majeur avec cette contre-offensive ukrainienne
04:06 depuis quelques semaines sur le front russe,
04:09 et les Ukrainiens n'ont pas profité de ce flou,
04:12 et qui est important quand même sur le front du Donbass pour les soldats russes.
04:15 Pourquoi ? Parce que rappelez-vous, dans cette colonne de chars
04:17 et de blindés de voitures de Vatner montées vers Voronezh et ensuite vers Moscou,
04:21 on était où ? On était sur la M4.
04:23 La M4 c'est une route de plusieurs centaines de kilomètres
04:25 qui monte de Rostov-sur-le-Don, qui est tombée, je le rappelle, comme un fumier,
04:28 c'est quand même une ville d'une part d'un million d'habitants,
04:31 deuxièmement le centre opérationnel des forces russes en Ukraine,
04:35 donc c'est vraiment le commandement de toutes les opérations
04:37 qui se déroulent de l'autre côté de la frontière.
04:40 Et bien finalement, Vatner n'a rencontré aucune résistance.
04:43 Et bien cette autoroute M4 est quand même la route qui permet le ravitaillement des troupes,
04:48 parce qu'évidemment il y a toutes ces routes secondaires et perpendiculaires
04:52 qui permettent d'aller sur le Donbass.
04:53 Donc évidemment c'était un signal très très fort,
04:55 mais en même temps on voit mal les Occidentaux baisser la garde
04:58 sur la fourniture de munitions et d'armement,
05:01 tout en sachant effectivement, et vous avez raison,
05:03 qu'il y a toujours cette autre ligne rouge,
05:06 à un moment c'était le chiffon rouge brandi par Poutine
05:10 à de multiples reprises sur l'utilisation de l'arme nucléaire.
05:14 Évidemment il a été pris à son propre piège,
05:16 parce qu'il n'est pas question qu'il l'utilise.
05:19 Dans quel cas la Russie serait totalement lassifiée, c'est-à-dire détruite.
05:23 Et puis deuxième menace aujourd'hui, c'est le chaos,
05:25 c'est-à-dire rosso modo c'est moi Poutine ou le chaos.
05:28 Mais pour finir, on peut dire aussi qu'on est dans un début,
05:32 comment dirais-je, de préparation à la succession de Poutine,
05:36 pour plein de raisons, d'abord il a 70 ans,
05:38 on peut même en temps de paix envisager
05:41 une autre Russie dans 10 ans, dans quelques années.
05:44 Et là peut-être que ça peut s'accélérer
05:46 en fonction de cette fragilisation du pouvoir poutine.
05:50 Est-ce que ça passera forcément par Wagner ?
05:53 Alors bon, on peut en douter, il y a aujourd'hui
05:55 une double réalité autour de cette milice.
05:57 D'un côté Poutine qui dit vouloir absorber Wagner au sein de l'armée,
06:01 de l'autre côté Wagner qui affirme que son siège à Saint-Pétersbourg
06:04 il fonctionne normalement.
06:06 Il y a un paradoxe, il y a quelque chose qui cloche là non ?
06:09 Oui absolument, vous avez raison, il y a un paradoxe,
06:10 il y a même plusieurs paradoxes.
06:11 D'abord c'est difficile de réintégrer cette armée,
06:14 c'est une armée de détenus pour 80% des troupes de Wagner,
06:18 donc ont été libérés des prisons, on le sait, par Primojine
06:20 qui lui-même a été détenu lorsqu'il avait une vingtaine d'années
06:23 et qui a été libéré au bout de 8 à 9 ans.
06:26 Il a été incarcéré pour, je le rappelle, escroquerie,
06:28 corruption mais aussi incitation du mineur à la prostitution,
06:32 ce n'est quand même pas rien.
06:33 Donc j'allais dire que ces détenus sont presque fidèles
06:36 au chef qui les a libérés.
06:38 Après, vous savez, Poutine a les mémoires longues.
06:41 D'abord parce qu'il s'agit d'un ancien allié qu'il a créé lui-même,
06:45 qui a trahi, donc lui-même a envoyé ce mot de trahison, de traître,
06:48 donc l'ancien allié n'est plus loyal.
06:51 Et puis deuxièmement parce que c'est un ancien colonel du KGB,
06:54 donc du FSB.
06:55 Et le FSB dans ses précédentes incarnations,
07:00 c'était la Cheka, la GPU, le NKVD,
07:02 et puis le KGB.
07:04 Le FSB a toujours répondu à ses ordres,
07:09 c'est-à-dire en fait quand il fallait éliminer un opposant,
07:12 on allait l'éliminer.
07:13 Et là on peut penser qu'il y aura un contrat sur la tête de Tribogine.
07:16 Je vois mal la réintégration totale des forces de Wagner dans l'armée,
07:19 ça va être compliqué pour les questions de salaire,
07:20 pour les questions d'avantages,
07:21 pour les questions d'entente avec l'État-major
07:24 ou les commandements intermédiaires de l'armée russe.
07:26 Mais deuxièmement, il y a un autre paradoxe,
07:28 vous savez ce que c'est, c'est l'Afrique.
07:29 C'est-à-dire qu'il y a 5 000 mercenaires de Wagner en Afrique,
07:32 ça va des mines d'or du Soudan
07:35 à l'exploitation des moines rares en Centrafrique
07:38 et bien sûr à la protection de la présidence au Mali.
07:40 Et là c'est une sorte de bras armés de la diplomatie russe.
07:43 D'ailleurs ce n'est pas un hasard si c'est Lavrov lui-même,
07:46 le ministre des Affaires étrangères
07:47 et le bras droit ou l'un des bras droits de Poutine
07:50 qui a dit qu'on avait encore besoin de Wagner en Afrique
07:53 et que Wagner ne serait pas démantelé en Afrique.
07:55 Donc ça c'est important.
07:56 Je peux vous dire aussi que les Africains,
07:57 dont je lis la presse tous les matins,
07:59 sont circonspects sur l'avenir de Wagner.
08:02 Mais là aussi il y a un paradoxe
08:04 et je pense que la Russie va garder évidemment,
08:06 va pérenniser cette présence de Wagner sur le territoire africain.
08:10 Alors parlons de l'Afrique
08:11 puisque ça nous intéresse beaucoup ici à France 24 notamment.
08:16 Vous le disiez, Sergei Lavrov hier a confirmé
08:19 que les activités de Wagner continueraient en Centrafrique et au Mali.
08:24 Ça veut dire qu'il confirme qu'il y a bien des militians russes à Bamako,
08:27 ce que le régime poutchiste n'a jamais lui avancé et confirmé ?
08:31 Oui bien sûr, ils sont présents,
08:33 ils sont présents directement ou indirectement.
08:35 Il y a très souvent des officiers du GRU.
08:38 Le GRU c'est l'équivalent du FSB donc côté militaire,
08:40 donc ce sont les services de renseignement militaire
08:42 qui permettent aussi la connexion non seulement avec le pouvoir russe
08:45 mais aussi avec la logistique
08:47 parce qu'il n'y a pas d'armée logistique de Wagner.
08:50 Quand Prigojin disait qu'il avait ses propres camions de ravitaillement,
08:54 ses propres avions, ses fours,
08:56 en dehors de son jet privé, de quelques hélicoptères et encore,
08:59 donc en Afrique il dépend encore plus de l'État russe,
09:01 mais en même temps il y a un partage du gâteau énorme.
09:03 Pourquoi ? Parce que c'est une sorte d'échange
09:05 entre cette présence et cette sécurisation
09:08 de certains appareils politiques en Afrique
09:10 avec la promesse de pouvoir exploiter des richesses,
09:13 je parlais des minerais, des mines d'or,
09:15 des mines de métaux rares en Afrique,
09:17 aussi du bois rare et d'autres exploitations.
09:20 Et là c'est un partage du gâteau extraordinaire pour la Russie
09:23 et aussi tous les héritiers potentiels de Poutine,
09:27 c'est-à-dire aussi les chefs des organismes de sécurité
09:29 avec des outsiders, des challengers potentiels autour de Poutine.
09:33 Donc là, il y a un intérêt certain de la part de la Russie
09:36 à maintenir cette présence de Wagner sur les différents États africains.
09:41 Mais est-ce qu'on sait si les représentants,
09:42 les lieutenants Wagner entre guillemets en Afrique
09:45 sont forcément des hommes qui sont proches de Prigojin ?
09:48 Est-ce que Wagner peut continuer à vivre,
09:50 à continuer à faire ses affaires en Afrique sans Prigojin ?
09:54 Oui c'est une bonne question.
09:55 Je peux penser que le pouvoir russe va recomposer,
09:58 on va dire la société Concorde et la société Wagner de Prigojin,
10:02 mais en tout cas il est tout à fait possible de satelliser les opérations,
10:07 on va appeler ça les OPEX,
10:08 les opérations extérieures de Wagner en Afrique,
10:10 et même de les parcelliser d'État à État,
10:13 et que le GRU, et que le FSB, et que d'autres organes de sécurité,
10:17 peut-être même l'armée russe s'occupent,
10:19 qui du Soudan, qui de Djibouti, qui du Mali, qui d'autres États africains,
10:25 avec bien sûr encore en vue ce partage d'un gâteau,
10:29 qui est un partage d'un gâteau colonial ou néocolonial,
10:32 c'est exactement ça,
10:34 on est dans un colonialisme à rebouts avec cette présence de Wagner en Afrique,
10:40 et évidemment il y a cette correspondance directe
10:42 avec l'exploitation des richesses du sol africain,
10:45 et là ça intéresse beaucoup évidemment les organes de sécurité en Russie actuellement.
10:50 Vous nous dites que vous lisez la presse africaine,
10:52 quelle est la tonalité de ce qui ressort après cette rébellion ?
10:57 Est-ce qu'il y a un doute qui s'installe sur la crédibilité de ce partenaire au Mali,
11:03 en Centrafrique ?
11:04 On sait que Wagner intervient surtout pour assurer la protection de certains dirigeants
11:09 qui craignent d'être déstabilisés, d'être renversés par des groupes armés.
11:13 Oui, il y a le son de cloche de certains journalistes d'opposants,
11:18 des sociétés civiles, des ONG humanitaires et autres en Afrique
11:23 qui commencent à comprendre qu'il y a une vraie exploitation,
11:27 une vraie colonisation de certains territoires en Afrique via Wagner,
11:30 et donc derrière, via la Russie.
11:33 Et puis évidemment après certains appareils d'État
11:36 qui au contraire maintiennent comme au Mali leur volonté d'avoir la présence de Wagner,
11:41 contre d'ailleurs la présence française.
11:44 Après il est possible aussi, j'entends quelques voix à droite à gauche,
11:48 mais il n'y a pas encore d'analyse fixe de ma part là-dessus,
11:51 il y a quand même certains conseillers du dirigeant en Afrique qui disent
11:54 peut-être que la présence française n'était pas si mal que ça,
11:57 malgré les critiques que l'on pouvait lui faire.
12:00 En tout cas il n'y avait pas directement volonté d'exploiter nos ressources dans tel ou tel pays.
12:05 Donc ça il peut y avoir une remise en question de la part des États africains,
12:09 en tout cas pour la présence de sécurité,
12:11 elle sera pérennisée au moins par le guérou,
12:14 c'est-à-dire en fait par les services de sécurité militaire de l'armée russe.
12:18 Merci infiniment Olivier Weber, c'était passionnant.
12:20 Vous êtes écrivain, grand reporter, ancien diplomate,
12:23 et votre dernier livre "Dans l'œil de l'Archange" chez Kalmanlevich,
12:28 je ne sais pas si on va pouvoir revoir la DLS,
12:31 voilà "Dans l'œil de l'Archange",
12:33 le livre d'Olivier Weber qui est intervenu sur notre antenne, merci à vous.

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