Mercredi 28 juin 2023, SMART BOURSE reçoit Carmine de Franco (Responsable de la Recherche, Ossiam)
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00:10 Et nous enchaînons à présent avec marché à thème, le dernier quart d'heure thématique de Smart Bourse.
00:15 Nous allons tenter de comprendre ensemble les enjeux autour des ratings ESG,
00:20 notamment face à cette réglementation justement du secteur.
00:24 Pour en parler, nous avons le plaisir de recevoir sur le plateau de Smart Bourse, Carmine De Franco.
00:28 Bonsoir Carmine De Franco.
00:29 Bonsoir Nicolas.
00:30 Bienvenue sur le plateau de Smart Bourse.
00:31 Vous êtes responsable de la recherche chez OCIAM.
00:34 On va peut-être redéfinir ce dont on parle pour que tout le monde comprenne bien
00:38 de quoi parle-t-on et à quoi servent les ratings ESG.
00:42 Alors c'est vrai qu'aujourd'hui sur le marché, on trouve une grande variété de ce qu'on appelle de rating ESG.
00:49 Mais fondamentalement un rating ESG, c'est une simplification d'une analyse souvent très complexe, très fine,
00:56 qui touche à des éléments extra financiers dans la vie d'une entreprise.
01:01 Donc par exemple, les impacts que peuvent avoir ces activités sur l'environnement
01:06 et les impacts que l'environnement peut avoir sur l'activité de l'entreprise,
01:11 le social, notamment par exemple les relations avec les employés, les stakeholders,
01:15 et aussi la gouvernance, comment l'entreprise se porte et comment cette stratégie peut être exécutée.
01:20 Est-ce qu'il y a des problématiques de conflits d'intérêts, ce genre de choses.
01:23 Donc toutes ces analyses souvent sont synthétisées dans un rating simple, facile à appréhender.
01:29 Un petit peu ce qu'on peut voir aujourd'hui par exemple dans les produits au supermarché,
01:32 vous avez des ratings, des labels qui vous disent un produit qui est bon, un produit qui n'est pas bon.
01:36 Avec une note de AF effectivement.
01:39 Sous l'immobilier, vous avez pareil, sur la consommation et la performance énergétique.
01:44 Et donc pour les entreprises, on voit depuis quelques années des ratings
01:48 qui d'une certaine manière ressemblent aussi aux ratings de crédit obligataire,
01:52 qui vous donne un petit peu l'idée de la performance de l'entreprise.
01:56 Donc l'idée c'est de rendre lisible finalement vis-à-vis des investisseurs et du grand public
02:01 des stratégies ESG des entreprises.
02:03 Et donc ces entreprises font elles-mêmes appel à des entreprises qui vont donner des notations.
02:08 Mais là chacun a un peu sa méthodologie, c'est ça ?
02:10 Oui, disons qu'il y a une étape en telle manière.
02:13 Ça veut dire que les entreprises veulent quelque part capturer des flux financiers des investisseurs.
02:18 Puisqu'on rappelle qu'aujourd'hui, selon des études récentes,
02:21 il y a 2,7 trillions de dollars investis dans des stratégies ESG.
02:26 Il y a beaucoup d'argent en jeu.
02:28 Les régulateurs, notamment la Commission européenne, poussent à ce que les investisseurs aillent dans cette direction.
02:32 Donc du coup les entreprises font tout pour avoir une bonne note.
02:35 Parce que ça, normalement, ça drive, ça pilote des flux d'investissement.
02:38 Donc du coup ils sont obligés, la réglementation aussi aujourd'hui,
02:41 depuis quelques temps les oblige aussi à reporter certains critères.
02:44 Néanmoins, chaque entreprise, chaque secteur n'est pas impacté de la même manière par les mêmes facteurs ESG.
02:50 Comment on les rassemble pour arriver à une notation unique ?
02:53 Est-ce que cette notation représente un petit peu ce que l'investisseur peut s'attendre ?
02:57 Est-ce qu'elles sont comparables en Europe plutôt qu'aux Etats-Unis ?
03:00 Une large cape plutôt qu'une petite entreprise ?
03:02 Donc quelque part il y a beaucoup de débats sur cette capacité d'une notation agrégée
03:07 à traduire un sentiment des investisseurs au concernement des thèmes de durabilité.
03:12 Et là pour le coup, la Commission européenne a émis une proposition pour réglementer ce secteur.
03:17 Tout à fait. Donc c'est assez récent, ça date d'une dizaine de jours.
03:20 C'est le dernier endroit dans lequel la Commission européenne n'a pas encore réglementé.
03:24 Vous avez parlé tout à l'heure en plateau des reportings financiers pour les fonds,
03:28 la disclosure et donc la transparence pour les entreprises.
03:31 Il reste ce petit parti de l'architecture de la finance durable qui est les agents de notation.
03:36 Aujourd'hui, des investisseurs comme des asset managers utilisent ces ratings
03:40 pour construire les propres portefeuilles.
03:42 Sauf qu'à la différence des agences de notation de crédit qui sont très strictement régulées,
03:47 il y a des murailles de chine entre les différentes activités, pour l'instant aujourd'hui ne le sont pas.
03:51 Ce qui fait qu'il peut y avoir soit un problème de conflit d'intérêts.
03:54 Je vous fais un exemple très basique.
03:57 Si à la fois vous êtes une agence de notation OEG, donc vous donnez un crédit OEG,
04:01 mais en plus vous faites un service d'advisory pour l'entreprise.
04:06 Parce que vous pouvez avoir plusieurs activités.
04:08 Exactement, ou alors vous construisez des indices.
04:10 Donc vous pouvez pousser ou pas une entreprise à être dans l'indice.
04:13 Donc c'est problématique.
04:14 Donc ça c'est le premier point.
04:15 Et le deuxième point c'est justement cette comparabilité.
04:18 Encore un exemple, il y a eu des études, des recherches qui ont été faites depuis l'année dernière,
04:23 dans lesquelles on peut montrer que par exemple parmi les trois agences de rating crédit,
04:28 il y a une très forte corrélation entre les notations qu'on peut mettre sur les obligations.
04:33 Donc que vous preniez S&P, Fitch ou Moody's, grosso modo on arrive à peu près au même résultat.
04:38 On peut se dire que la méthodologie est similaire.
04:40 Ou en tout cas qu'on capture le même objectif qui est celui du risque de défaut.
04:44 Alors sous l'OEG ce n'est pas le cas.
04:45 Que vous preniez différents providers, vous pouvez avoir une entreprise qui est très bien notée chez le provider A,
04:50 très mal notée chez le provider B.
04:52 Or ça peut s'expliquer, néanmoins du point de vue de l'investisseur et du client final,
04:57 notamment un client particulier, c'est assez difficile puisqu'il va se poser la question
05:01 "Pourquoi telle entreprise est dans mon fond vert, dans mon fond OEG,
05:04 alors que je ne crois pas qu'elle soit aussi OEG que ça devrait l'être ?" etc.
05:09 Et avec souvent des, j'allais dire des scandales, ce n'est pas forcément des scandales,
05:13 mais des incompréhensions sur certaines entreprises.
05:16 Tout à fait. L'exemple typique qu'on lit souvent, qu'on voit toujours, c'est par exemple l'exemple de Tesla.
05:22 Or on peut expliquer très bien pourquoi Tesla, typiquement, se retrouve avec une notation OEG
05:26 qui n'est pas aussi bonne de ce qu'on pourrait imaginer pour une entreprise aussi disruptrice
05:30 qui apporte une solution importante au problème de la mobilité green.
05:35 Mais dans ESG, il y a S et G aussi.
05:37 Il y a les OEG qui sont importants. Néanmoins, c'est aussi important que l'investisseur puisse être confortable
05:43 avec le fait qu'une entreprise comme Tesla, dans l'imaginaire collectif,
05:47 c'est plutôt une entreprise qui apporte une solution, donc elle devrait être plutôt bien notée.
05:50 Or ce n'est pas le cas chez la plupart des providers de données.
05:53 Et donc il y a ce mise à lignement entre l'attente et la réalité.
05:57 Et donc c'est pour ça que c'est important que ces méthodologies soient transparentes, claires,
06:02 pour que l'investisseur puisse faire la part des choses.
06:04 Qu'est-ce qu'on essaie de mesurer ? Est-ce qu'on veut mesurer une solution ?
06:07 Ou est-ce qu'on veut mesurer une qualité globale de durabilité ?
06:10 On a vu ça effectivement avec des entreprises dans le tabac également,
06:13 qui ont à peu près effectivement la même problématique.
06:17 Alors quelles sont les propositions de la Commission européenne ?
06:20 Alors il y en a plusieurs. J'en retiendrai deux qui, à mon avis, semblent être assez importantes
06:26 et qui peuvent avoir vraiment un impact important dans le secteur.
06:30 La première, c'est évidemment que les agents de notation devraient être régulés par l'ESMA,
06:36 qui est l'autorité européenne, un peu comme les agences de notation crédit.
06:40 Donc finalement, on ne pourra pas construire des stratégies, des fonds,
06:44 ou faire du conseil avec des ratings pour lesquels un régulateur n'a pas regardé dedans.
06:49 Donc ça c'est le premier point, c'est très important.
06:51 Ça a été plutôt bien accueilli par le secteur,
06:54 donc je pense que c'est une mesure qui peut aller assez vite.
06:56 Donc toute agence de notation devra être régulée ou ne pourra plus exercer ?
06:59 Le détail étant, toute agence de notation, un peu comme les providés en indice,
07:03 toute agence de notation qui veut s'adresser à un public européen,
07:06 les banques, les assureurs, les asset managers, devra être régulée par l'ESMA.
07:10 Or, compte tenu de l'importance du continent européen dans la finance mondiale,
07:14 cela veut dire que toutes les grandes maisons d'agences de notation vont devoir être régulées par l'UE.
07:21 Donc ça c'est le premier point qui est assez consensuel.
07:23 Et le deuxième point, et c'est celui à mon avis qui va causer un petit peu plus de débat,
07:28 c'est que la Commission européenne a proposé de séparer de manière très nette
07:32 l'activité de notation OEG avec d'autres activités,
07:36 les indices, l'advisory ou alors les ratings crédits.
07:41 Parce que vous imaginez, si vous faites à la fois le rating d'une obligation et le rating OEG,
07:46 il peut y avoir potentiellement des conflits d'intérêt.
07:49 Cette séparation pourrait être accueillie de manière pas forcément froide de la part des acteurs,
07:56 puisqu'aujourd'hui on voit de plus en plus de concentrations,
07:59 notamment chez les anglo-saxons.
08:01 Aujourd'hui en Europe, on est dominé par des agences de notation anglo-saxonnes.
08:04 Et ça a aussi un impact sur la perception du rating OEG qui n'est pas le même en Europe.
08:09 Et donc ça, ce sont les deux points qui sont les plus importants de la proposition européenne.
08:14 Il y a eu des réactions justement, vous mentionnez effectivement que le premier point avait été plutôt bien accueilli.
08:18 Le deuxième point, il y a eu des réactions aussi peut-être du marché sur ce sujet-là ?
08:22 Le marché s'inquiète essentiellement pour une raison d'oligopole et de coût.
08:27 Parce que quand on parle de gros efforts de réglementation,
08:31 c'est typiquement les grandes agences qui vont pouvoir faire l'effort de mettre tout en place.
08:35 Et pour les plus petites, c'est plus difficile.
08:37 Donc on ne voudrait pas se retrouver comme on est aujourd'hui dans le cas du crédit,
08:40 où fondamentalement vous avez trois agences de notation.
08:42 Ce sont des acteurs mineurs, mais ce sont les trois qui tout le monde regarde.
08:47 Il y a eu une crainte que le pouvoir réglementaire ne vienne favoriser que les grandes structures ?
08:51 C'est ça. C'est pour les moyens de pouvoir implémenter,
08:53 parce que ce sont des coûts de compléhense très importants,
08:55 ça demande aussi une capacité à pouvoir adresser ces demandes de réglementation
09:00 qui ne sont pas pour une petite entreprise, c'est beaucoup plus difficile.
09:03 Donc ça, c'est le premier point.
09:04 Donc c'est lié aussi à un problème de coût.
09:06 Le coût de la data, on sait que ça devient de plus en plus important.
09:10 Et le deuxième point, c'est lié beaucoup plus aux méthodologies.
09:14 Ce qui fait que quand vous avez très peu d'acteurs,
09:16 et que ces acteurs vont devoir converger d'un point de vue méthodologique, d'une certaine manière,
09:22 et si ces acteurs ne sont pas européens,
09:24 donc ils vont apporter une éthique, une culture, une approche anglo-saxonne.
09:28 Ce qui froisse un petit peu les acteurs européens,
09:31 puisqu'on n'a pas du tout la même vision dans les sujets de durabilité.
09:34 Et d'ailleurs, vous l'avez sans doute vu, il y a quelques jours,
09:38 l'ISSB qui a un projet de notoriété des réglementations et du standard de reporting,
09:43 avec une approche très anglo-saxonne, a publié ces recommandations,
09:47 qui vont être probablement accueillies,
09:49 qui sont très différentes de ce qui a été mis en avant par la Commission européenne, par FRAG.
09:53 Donc c'est un sujet assez...
09:55 Parce que là, il y a même un enjeu, j'ai envie de dire, de soft power.
09:59 C'est-à-dire, quelles sont les normes comptables qu'on utilisera demain
10:03 pour calculer la note ESG des entreprises ?
10:05 Est-ce qu'on se basera sur un système européen ou sur un système anglo-saxon ?
10:09 Et il faudra que le système devienne global pour être fonctionnel.
10:12 Donc il faudra bien qu'on choisisse entre l'un des deux, c'est ça ?
10:14 Aujourd'hui, les investisseurs investissent sur le marché américain,
10:17 sur le marché émergent, sur le marché européen.
10:18 Donc ils ont besoin d'une certaine comparabilité.
10:20 Or, si vous avez des normes qui mettent en avant la matérialité financière,
10:24 en gros, qu'est-ce qui peut avoir un impact sous le business du point de vue E&G ?
10:29 Qu'est-ce qui peut coûter de l'argent en termes de coûts légaux, des coûts environnementaux ?
10:33 Et d'autre part, vous avez pour les entreprises européennes la double matérialité.
10:36 Bien sûr.
10:37 La matérialité financière, mais aussi les impacts que l'entreprise va avoir
10:40 sous l'environnement, par exemple, sur le social.
10:42 Du coup, vous n'allez pas forcément avoir une base comparable.
10:45 Et donc une entreprise européenne, toute chose par ailleurs,
10:48 pourrait se retrouver désavantagée puisqu'elle va devoir côter avec un multiple plus faible.
10:53 D'accord. Parce qu'il y aura cette double matérialité.
10:55 Qui est pour le coup une avancée phénoménale.
10:57 C'est une avancée importante.
10:58 Parce que du coup, les investisseurs, ce qu'ils veulent, c'est une entreprise
11:00 qui sait maîtriser ses risques E&G,
11:02 et donc du coup, qui puisse protéger un petit peu la valeur,
11:07 mais qui aussi soit capable de pouvoir apporter sa contribution
11:11 aux grands changements auxquels on s'attend.
11:14 Donc la transition bas carbone, une société poulie juste.
11:17 Et donc ça, c'est ce qu'ils veulent, les investisseurs.
11:19 Or, si les entreprises européennes le font, mais celles, disons, américaines ne le font pas,
11:24 on peut y parier que, par exemple, le multiple américain
11:26 sera plus élevé que le multiple européen.
11:28 Parce que la proposition récente de l'ISSB, si je caricature, dites-moi si je me trompe,
11:32 ça intègre simplement le coût financier d'un risque climatique sur l'activité de l'entreprise,
11:38 mais pas du tout l'impact de l'entreprise sur l'environnement.
11:40 Exactement.
11:41 Climatique et autre, éventuellement, ça pourra être étendu dans le temps,
11:46 mais effectivement, c'est combien ça peut coûter en termes de chiffre d'affaires,
11:50 en termes de réputation, ces aspects-là,
11:53 mais le fait que l'entreprise, par ses propres activités,
11:55 puisse avoir un impact négatif sur son environnement, sur le social,
11:58 cela ne sera pas pris en compte.
12:01 Pas à l'heure actuelle.
12:02 Pas à l'heure actuelle.
12:03 Et, compte tenu de la situation aux Etats-Unis,
12:05 je ne crois pas que ce sera un sujet à brève échéance.
12:09 On aurait encore beaucoup de questions, mais on va s'arrêter là.
12:11 Merci beaucoup, Carmine De Franco, d'être venue détailler un petit peu les enjeux
12:14 en matière de rating ESG et de réglementation,
12:16 donc en Europe, mais pas qu'aux Etats-Unis, ou en tout cas dans le monde anglo-saxon également.
12:20 Je rappelle que vous êtes responsable de la recherche chez OCIAM.
12:23 Merci beaucoup.
12:24 Merci à vous également de nous avoir suivis.
12:26 Je vous rappelle que vous pouvez retrouver Smart Bourse en replay sur bsmart.fr,
12:29 mais aussi en podcast sur toutes les plateformes de podcast.
12:32 Quant à moi, je vous donne rendez-vous demain à midi et demi en direct
12:36 pour un nouveau numéro de Smart Bourse.
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