Mardi 23 mai 2023, SMART BOURSE reçoit Pierre-Yves Dugua (Correspondant américain)
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00:00 *Musique*
00:10 Le dernier quart d'heure de Smartboard, chaque soir c'est le quart d'heure thématique
00:13 et nous retrouvons ce soir notre correspondant américain.
00:17 Petit décalage pour ce quart d'heure américain, mais le sujet reste évidemment le même,
00:22 celui du plafond de la dette avec des négociations toujours en cours à Washington
00:26 et notre correspondant américain que nous retrouvons en visioconférence, Pierre-Yves Dugas.
00:29 Bonsoir Pierre-Yves, merci beaucoup d'être avec nous, on a un peu chauffé le terrain,
00:33 préparé la place avec les invités juste avant sur la question du plafond de la dette.
00:38 Ce qui est intéressant aussi de regarder, un des angles d'attaque intéressants,
00:42 Pierre-Yves, c'est de regarder quels sont les alternatives possibles
00:46 qui permettraient de contourner peut-être à un moment cette histoire
00:50 et cet horizon du plafond de la dette aux Etats-Unis,
00:53 dans un contexte peut-être un peu différent, avec un calendrier très resserré,
00:57 une classe politique hyper polarisée, etc.
01:01 C'est vrai que du coup réapparaissent des idées un peu alternatives
01:05 qui permettraient peut-être d'enjamber ou de contourner ce problème du plafond de la dette.
01:09 Qu'est-ce qu'on peut dire de ces solutions alternatives dont on parle régulièrement dans le débat, Pierre-Yves ?
01:14 Alors Greg, jusqu'à présent, ces solutions ont été écartées.
01:20 Bill Clinton avait conseillé à Barack Obama en 2013 d'invoquer le 14e amendement.
01:28 Barack Obama avait refusé de le faire.
01:32 On parle beaucoup du 14e amendement à nouveau, nous allons en parler ensemble maintenant.
01:36 Une lettre a été envoyée par une cinquantaine d'élus démocrates de la Chambre,
01:44 une bonne douzaine également de démocrates côté Sénat,
01:48 qui encouragent le président Biden à invoquer le 14e amendement, qui dit quoi ?
01:54 Il a été adopté après la guerre de sécession en 1865,
02:00 et il dit que la validité de la dette fédérale des États-Unis ne sera pas remise en question.
02:09 Alors la théorie derrière le recours à cet article serait de dire
02:15 qu'il s'agit de payer les dettes de l'oncle Sam,
02:20 telles qu'elles correspondent à des dépenses qui ont été votées par le Congrès.
02:27 Et que dans ces conditions-là, le plafond de la dette devient caduque,
02:32 car il est plus important de respecter la Constitution
02:36 et de passer outre une loi sur le plafond de la dette qui n'a pas de sens,
02:40 et qui probablement serait même anticonstitutionnelle.
02:44 Le plafond de la dette a été instauré au moment où les États-Unis entraient dans la Première Guerre mondiale
02:49 et avaient besoin de lever des capitaux pour financer la guerre.
02:54 Et plutôt que, pour le Trésor, d'aller régulièrement voir le Congrès en lui disant
02:59 « Nous allons émettre des obligations pour X millions à l'époque, il fallait un vote du Congrès »,
03:05 le Congrès a dit « On va gagner du temps, on va simplifier les choses, on va fixer un plafond,
03:09 et comme ça vous viendrez, non pas tous les 3 mois, mais tous les 10 ans ».
03:14 Le problème, c'est que la dette publique américaine s'est envolée
03:18 et que cet exercice de relèvement du plafond de la dette est maintenant devenu incontournable.
03:22 Pour autant, il ne relève pas de la Constitution, il relève d'une loi,
03:27 et si on peut effectivement invalider la constitutionnalité du plafond de la dette,
03:33 à ce moment-là, tous nos problèmes seraient résolus.
03:35 Eh bien non, malheureusement, ils ne seraient pas résolus.
03:39 Ils seraient résolus peut-être à très très court terme, parce qu'on pourrait dire, effectivement,
03:43 Joe Biden ordonne au Trésor d'émettre du papier à nouveau,
03:48 au-delà du stock légal qui aujourd'hui est de 31 milliards 400 millions.
03:55 Est-ce que le marché va accepter ce nouveau papier américain ?
03:58 Sachant qu'un point d'interrogation va se poser sur la constitutionnalité,
04:02 sur la légalité de ce papier.
04:05 Probablement, une prime sera demandée par les investisseurs pour accepter ce papier,
04:09 le temps que la constitutionnalité de la question soit tranchée.
04:13 Qui va saisir la Cour suprême ?
04:15 Personne ne sait d'ailleurs qui a intérêt pour agir dans cette affaire,
04:17 il y a une grosse incertitude là-dessus.
04:20 Combien de temps la Cour suprême va-t-elle prendre avant de trancher cette question fondamentale ?
04:26 Probablement trop longtemps.
04:28 Trop longtemps parce qu'il faut continuer à négocier.
04:32 On ne peut pas attendre que la Cour suprême tranche pendant un mois, même une semaine.
04:38 Et que se passera-t-il si la Cour suprême est saisie de cette affaire ?
04:42 Immédiatement au Congrès, on va dire que c'est un coup d'État.
04:45 C'est un coup d'État du président Biden qui passe outre la volonté du Congrès.
04:49 Donc, loin de forcer un compromis bipartisan,
04:54 recourir à cet amendement constitutionnel en tant que solution pour contourner et invalider une fois pour toutes le plafond de la dette
05:02 va aggraver la guerre civile qui fait rage à Washington et ne résoudra rien.
05:08 Alors, il est intéressant d'avoir que l'argument du 14e amendement peut se retourner contre ceux qui prétendent que c'est la solution.
05:19 Pourquoi ?
05:21 Parce qu'on peut très bien imaginer, et nos invités ont évoqué cette possibilité,
05:27 que, mettons le 1er juin ou le 2 juin, le Trésor dise "Ah, je ne peux pas payer toutes mes factures.
05:34 Alors, je vais payer certaines de mes factures."
05:38 Et la Constitution m'oblige, 14e amendement, à payer d'abord la dette publique fédérale.
05:50 C'est-à-dire qu'il va falloir d'abord donner l'argent aux Chinois,
05:53 plutôt que le donner aux anciens combattants, aux veuves et aux orphelins pour financer les programmes de santé américains.
06:00 Vous imaginez la catastrophe politique pour la Maison-Blanche et pour le Trésor américain
06:05 d'être obligé de payer les intérêts des méchants banquiers et des méchants chinois,
06:11 puisque les Chinois sont accusés de tous les maux,
06:14 plutôt que de donner l'argent public à ceux qui le méritent, les retraités américains.
06:18 Donc on rentre non seulement d'un point de vue constitutionnel,
06:21 mais d'un point de vue politique dans une stratégie de priorisation,
06:28 comme on dit pour ça en français, qui devient insoluble.
06:32 Il faut absolument trouver un compromis et éviter de remettre en question ce système absurde,
06:39 peut-être, mais qui existe en tout cas pour le moment.
06:42 Et je pense que Joe Biden regrette beaucoup que le relèvement du plafond de la dette n'ait pas pu être fait
06:48 au moment de ce qu'on appelle le "lame duck session",
06:51 c'est-à-dire par le Congrès qui reste en session après les élections législatives de novembre jusqu'à Noël.
06:59 En gros, à ce moment-là, les démocrates avaient plus de levier pour le faire, ça n'a pas pu être fait.
07:04 Dans les alternatives, il y a cette histoire de la pièce de platine qui revient aussi régulièrement, Pierre-Yves ?
07:11 - Alors ça, c'est le gros gag. Personne ne prend vraiment ça au sérieux.
07:16 Il faut savoir qu'à chaque fois... Je ne prétends pas être un constitutionnaliste,
07:20 mais à chaque fois qu'on a demandé à la Cour suprême si on pouvait faire rentrer un éléphant dans un trou de souris,
07:27 ce qui est l'expression même de la jurisprudence de la Cour suprême,
07:30 la Cour suprême a dit non. On ne peut pas utiliser une argusie technique
07:36 qui permettrait effectivement au Trésor de créer une pièce en platine,
07:41 de décider qu'elle vaut 10 000 milliards et de forcer la Réserve fédérale à l'acheter
07:45 pour tout d'un coup avoir 10 000 milliards avec lesquels on pourrait jouer.
07:49 C'est peut-être également imaginable, mais il est très vraisemblable que la constitutionnalité de ce système
07:57 soit invalidée par la Cour suprême. Il faudra trouver une autre méthode, peut-être.
08:03 Peut-être demander à la Réserve fédérale tout simplement d'acheter les obligations du Trésor qui vont tomber en défaut.
08:10 Attention, on n'est pas en situation de "cross default".
08:13 C'est-à-dire que si le 1er juin, un détenteur d'une obligation du Trésor américain ne voit pas son intérêt payé,
08:20 ça ne veut pas dire que tous les autres détenteurs d'autres obligations de maturité différente vont se trouver aussi en défaut.
08:26 Non, mais la tâche serait quand même bien présente de ce point de vue-là.
08:31 Donc, il faut bien s'en remettre à la négociation. Désormais, à nouveau, toujours, Pierre.
08:36 D'ailleurs, c'est intéressant parce que la structure de la négociation, on parle beaucoup de la polarisation de la vie politique américaine,
08:43 démocrate, républicain, à couteau tiré, bien sûr.
08:47 Mais cette polarisation, elle existe au sein même des deux partis, démocrate et républicain.
08:53 Ça donne un jeu de négociation à plusieurs bandes, c'est le principe.
08:57 Et on n'est pas étonné de voir ça dans le schéma politique américain.
09:01 Mais ça prend une dimension encore plus importante, là, en 2023, avec cette question du plafond de la dette.
09:08 En fait, les républicains négocient avec leurs interlocuteurs à la Maison-Blanche.
09:15 Mais ils savent en filigrane qu'ils ne peuvent accepter les termes d'un compromis qui sera lui-même validé par la droite populiste du parti républicain.
09:28 D'où l'intérêt de renverser la table de temps en temps, de dire « ça ne va pas du tout, les négociations ne profitent pas ».
09:35 Parce que quand, in fine, on aboutira à un compromis, on pourra dire « vous vous souvenez, il a fallu que je me mette en colère tout rouge
09:43 et que je renverse la table pour qu'on m'en arrive là, suivez-moi, je n'aurais pas pu faire mieux ».
09:48 Il y a un équilibre subtil à trouver entre la menace de quitter la salle et l'importance de rester dans la salle pour continuer de négocier.
09:58 Parce que les négociateurs républicains ne contrôlent pas, il n'y a pas de discipline de parti.
10:06 C'est un petit peu, dans une moindre mesure, c'est un petit peu la même chose du côté démocrate.
10:11 Biden a une grande latitude pour faire des concessions, mais il sait que certains à gauche de son parti,
10:18 parmi les élus à gauche, tant à la Chambre du Sénat, sont déjà mécontents.
10:23 Parce qu'il est revenu, de fait, sur une de ses grandes promesses, qui était de ne jamais négocier avec le pistolet sur la tente.
10:31 De ne jamais négocier de réduction ou de gel des dépenses publiques, et de recul ou de réduction des dépenses sociales,
10:38 avec la menace du défaut du trésor dessus. Il avait dit "je ne le ferai jamais", il l'a dit encore il y a 15 jours,
10:43 et pourtant, de facto, c'est ce qu'il fait. Et la gauche est très mécontente qu'il se soit trouvé dans cette situation-là, en tout cas, elle affiche de l'air.
10:51 Une fois qu'on a dit ça, Pierre-Yves, est-ce qu'il y a une raison que un compromis ou le compromis puisse être trouvé
10:57 avant la dernière seconde de la dernière minute de la 11e heure de la date fatidique ?
11:03 Moi, je suis un petit peu déçu de voir qu'il n'y a pas de forte personnalité à la Maison-Blanche pour négocier face à M. Kevin McCarthy.
11:16 Les proches collaborateurs de Joe Biden et Joe Biden lui-même sont face à Kevin McCarthy, et j'aurais préféré pour la Maison-Blanche
11:26 et pour l'administration Biden qu'on ait une figure très forte et politiquement très expérimentée dans les négociations avec le Capitole occupant le poste de secrétaire au trésor.
11:37 Janet Yellen n'est pas dans la négociation. Et Janet Yellen est une économiste très respectée, mais elle n'est pas dans l'équation.
11:44 Et je pense que si on avait un James Baker, par exemple, ou l'équivalent démocrate d'un James Baker ou d'un Hank Olson, qui était le républicain pendant la crise de 2008,
11:57 on n'en serait probablement pas là. Et je pense que c'est un handicap pour l'équipe de Joe Biden.
12:06 Il manque une personne clé, effectivement, côté Maison-Blanche pour assumer et assurer le déroulé de ces négociations qui se poursuivent.
12:16 J'imagine qu'il y a des sessions de rencontres qui sont encore prévues là aujourd'hui, dans les prochaines heures et les prochains jours, Pierre-Yves.
12:23 Ce qu'il y a, c'est qu'on ne sait pas ce qui se passe dans cette négociation. On n'est pas en mesure de dire voilà il y avait cinq gros points à régler.
12:30 On en a réglé un, il en reste quatre. En fait, les cinq points seront probablement liés jusqu'au dernier moment.
12:36 On négocie sur les dépenses publiques, d'ailleurs, les dépenses publiques aujourd'hui, mais sur un calendrier de 10 ans avec une progression.
12:44 On négocie aussi sur la taille du relèvement du plafond. Les républicains voudraient qu'on relève de très très peu, de manière à ce que la question se repose juste avant les élections présidentielles.
12:56 Donc c'est du billard à 15 bandes.
12:59 Merci beaucoup de nous aider à suivre ce sujet du plafond de la dette et ses négociations en cours.
13:04 Pierre-Yves Dugas avec nous, chaque semaine, le quart d'heure américain de Smart Bourse, historiquement, traditionnellement, le lundi 17h45, exceptionnellement cette semaine,
13:14 ce mardi à 17h45, quart d'heure américain, que vous retrouvez bien sûr en replay sur bsmart.fr et en podcast sur l'ensemble de vos plateformes.
13:22 Voilà pour cette édition Smart Bourse ce soir, on se retrouve demain à 12h30 en direct.
13:27 [Musique]