On n'associe généralement pas le travail au domaine de la pensée, tout simplement parce que le travail relève par définition du domaine de l'action. Et c'est pourquoi en management on privilégie l'ingénierie ou la communication sur l'exercice de la réflexion philosophique, supposée produire l'effet contraire à celui recherché qui est l'efficacité immédiate. Et pourtant le plaisir de penser, de philosopher sur le travail managé, ne serait-ce pas ce dont nous avons le plus besoin aujourd'hui ? [...]
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00:08 On n'associe généralement pas le travail au domaine de la pensée,
00:11 tout simplement parce que le travail relève par définition du domaine de l'action.
00:15 Et c'est pourquoi en management on privilégie l'ingénierie ou la communication
00:18 sur l'exercice de la réflexion philosophique,
00:20 supposée produire l'effet contraire à celui recherché qui est l'efficacité immédiate.
00:24 Et pourtant, le plaisir de penser, de philosopher sur le travail managé,
00:28 ne serait-ce pas ce dont nous avons le plus besoin aujourd'hui ?
00:31 Le plaisir de penser, c'est là aussi le titre du dernier livre d'André Comtes-Ponville,
00:35 l'un des philosophes les mieux identifiés parmi les gestionnaires,
00:38 qui nous offre une approche didactique de la philosophie à partir de quelques mots-clés.
00:42 Ici j'en retiendrai trois, la morale, la sagesse et l'amour.
00:46 Pour évoquer la morale, il nous suggère une expérience de pensée
00:49 aussi vieille que la philosophie elle-même,
00:51 consistant à savoir comment nous nous comporterions
00:53 si d'aventure nous étions détenteurs du pouvoir de disparaître.
00:56 C'est Platon qui évoque un berger trouvant un anneau,
00:59 lui donnant ce pouvoir de devenir invisible,
01:01 et qui au gré des opportunités l'utilise pour prendre le pouvoir,
01:04 dérober ce qu'il veut, éliminer de sa route qui il veut.
01:08 Combien parmi nous résisterait s'il nous était donné à l'attrait de ce pouvoir fort malhonnête ?
01:12 Qui permettrait, par exemple, de changer les clauses d'un contrat après signature,
01:16 ou de participer à des réunions confidentielles organisées par des concurrents à leur insu ?
01:20 En somme, adomptons-nous un comportement moral par choix, par peur du gendarme,
01:25 ou par peur de voir notre réputation entachée par des actions contestables.
01:29 On pourrait d'ailleurs retourner la question.
01:30 Agir moralement, au vu et au su de tous, c'est espérer un gain réputationnel,
01:35 ce qui n'est pas très moral.
01:36 Ne faudrait-il pas alors privilégier une autre lecture de cette histoire,
01:39 en considérant que le secret des bonnes actions, pour faire un don sans rien révéler,
01:44 aider un collègue à réussir sans le faire savoir à quiconque,
01:47 ce serait justement de les garder secrètes,
01:49 d'utiliser en quelque sorte l'anneau sans rien dire à personne.
01:53 En fait, indique Kornsponville, nul ne peut répondre à votre place,
01:56 la réponse ne dépend que de vous, vous ne dépendez moralement que de votre réponse.
02:02 La sagesse vaut également d'être mentionnée,
02:04 ne serait-ce pas en matière de management une qualité plus haute que n'importe quelle autre ?
02:08 Ou plutôt la qualité qui donnerait à toutes nos compétences cette petite chose en plus ?
02:12 Quoi de mieux qu'un chef qui se comporterait avec sagesse en effet ?
02:16 En fait, explique l'auteur, tout le plaisir de penser en philosophie
02:19 tient à cet amour de la sagesse philo-sophia, d'une certaine prudence,
02:23 d'une manière, disait Descartes, de bien juger pour bien faire.
02:27 Bien juger revenant parfois à suspendre son jugement,
02:29 comme le suggèrent par exemple les sceptiques.
02:31 Au fond, la sagesse pour un manager est la vertu suprême,
02:34 sans jamais être une technique de gestion.
02:37 Et comment s'acquiert-elle ?
02:38 Eh bien, grâce au plaisir de penser justement.
02:40 C'est parce que nous ne sommes pas des sages, explique Kornsponville,
02:43 que nous avons besoin de philosophie.
02:45 La sagesse est le but, la philosophie le chemin.
02:49 Enfin, le troisième mot que je viens de prononcer est celui d'amour.
02:52 C'est un mot qu'on peine à utiliser en management,
02:54 alors que c'est là son principal sujet de préoccupation.
02:57 Si on déteste ou si on aime son travail,
02:59 on peut imaginer que l'engagement et les résultats ne seront pas tout à fait les mêmes.
03:03 Certes, l'amour peut se dire de trois façons différentes,
03:05 eros, philia, agape,
03:08 mais notons que c'est toujours l'eros qui vient en premier.
03:11 C'est ici que se loge le secret d'une passion pour un métier
03:14 et le cœur même de la motivation au travail.
03:16 Aime et fais ce que tu veux, écrivait déjà Saint-Augustin.
03:19 Nous pourrons en conclure que toute organosophie,
03:21 toute philosophie des organisations,
03:23 mérite au final d'être passée au crible de ces trois notions.
03:26 Et que cela suppose le plaisir de philosopher,
03:28 sachant, comme indique l'auteur,
03:30 que la philosophie n'est pas une science, ni même une connaissance.
03:33 Ce n'est pas un savoir de plus,
03:34 c'est une réflexion sur les savoirs disponibles.
03:37 C'est pourquoi on ne peut apprendre la philosophie, disait Kant,
03:40 on ne peut qu'apprendre à philosopher.
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